Partie 2 - Son plus loyal officier


Chapitre 13

Maintenant qu'il est officiellement l'un des leurs, Levi trouve peu à peu sa place au sein du tout nouveau Bataillon d'Exploration du Commandant Smith. Même s'il a depuis longtemps l'admiration de ses camarades, il commence enfin à gagner leur respect. Il n'a pas l'impression de faire beaucoup d'efforts pour y parvenir, si ce n'est qu'il est moins à cran et donc moins agressif envers les autres agents. Il renonce même à les voir comme des ennemis et en aide certains, comme Petra, à peaufiner leur technique de combat.

Son adversaire de prédilection à l'entraînement reste Mike, parce qu'il est le seul à pouvoir le mettre en difficulté. Levi est trop rancunier pour montrer la moindre once de camaraderie à l'égard du nouveau capitaine. Mais il s'arrange parfois pour glisser dans ses parades des techniques que Mike pourrait s'approprier pour progresser. Ce dernier semble comprendre sa manœuvre mais ne s'abaisse pas à le remercier. Ils en arrivent à cet équilibre, cette tolérance tacite l'un de l'autre qui les maintient dans une entente revêche. Finalement, c'est surtout grâce à Hange que Levi arrive à s'intégrer. Elle montre l'exemple à tous en se comportant avec lui comme s'il avait toujours fait partie des leurs.

Ensemble, ils font une démonstration du nouvel équipement de manœuvre tridimensionnelle devant Erwin et l'ensemble du Bataillon ébahi. À l'issue, Erwin accepte de demander les budgets nécessaires pour qu'une plus grande partie de ses agents puisse s'équiper. Hange jubile. Ils en choisiront une dizaine en fonction des résultats de tests d'équilibre et de leurs gabarits. Les plus lourds et les plus grands seront écartés d'office, à cause des limites qu'Hange reconnaît à son dispositif. Erwin et Mike sont donc exclus d'emblée.

Levi est partagé entre le soulagement de savoir que le commandant ne prendra pas de risque supplémentaire sur le champ de bataille, et la déception de ne pas pouvoir le voir voltiger dans un harnais. Erwin ne lui cache pas qu'il trouve l'équipement particulièrement excitant, et il aurait aimé pouvoir lui rendre le compliment.

Depuis que le Bataillon d'Exploration est devenu une entité à part, Levi n'a presque plus revu le Commandant Shadis. L'ancienne Brigade d'Intervention, diminuée du nouveau Bataillon, a été renommée « Brigades Spéciales » avant de déménager dans des locaux plus spacieux et plus récents. Erwin pense que Shadis, furieux de voir une partie de sa brigade s'émanciper, veut faire de ceux qui lui sont restés fidèles un groupe d'élite chargé de la sécurité des plus puissants. Levi trouve ça stupide. Erwin s'en fiche. Il a décidé de dédier toute son énergie à la lutte contre les Titans, et ce que peut bien faire de son côté son ancien commandant l'importe peu.

Levi trouve d'ailleurs qu'il consacre un peu trop de temps à la lutte contre les Titans. Il passe ses journées enfermé dans son bureau. Il sort parfois le soir pour s'entraîner un peu avec Mike, quand celui-ci n'est pas drainé par ses entraînements avec Levi. Cependant, quelle que soit sa charge de travail, Erwin prend toujours deux heures en début de journée pour apprendre à Levi à lire et à écrire.

Au début, Levi s'avère un élève irascible et impatient. Il ne comprend rien à tous ces symboles. Il ne comprend pas pourquoi la moitié des lettres sont silencieuses, et l'autre moitié s'assemble pour former des sons complètement différents de ceux qu'elles sont censées avoir. Il bute sur chaque syllabe. Il lui faut plusieurs essais pour lire le moindre mot. Sans compter son écriture tellement grotesque que même Erwin, malgré toute sa bonne volonté, peine à le lire.

Il pique des colères auxquelles Erwin répond par un calme inébranlable qui l'irrite encore plus. Par esprit de contradiction, il clame haut et fort qu'il refuse de s'entraîner seul entre leurs leçons, parce qu'il a autre chose à faire. Erwin n'insiste pas, il lui demande seulement de s'en tenir à leurs deux heures quotidiennes. La patience et la bienveillance à toute épreuve de son compagnon lui donnent envie de pleurer de frustration. Il se sent pitoyable. Même si Erwin ne lui fait jamais sentir, Levi a l'impression qu'il le déçoit. Il est en colère, mais en colère contre lui-même d'avoir tant de mal à maîtriser quelque chose d'acquis pour la plupart des gens de son âge.

Un jour, Levi repère sur l'étagère d'Hange un exemplaire de l'Histoire de Trost, le livre dont ils se servent pour s'entraîner. Il le lui subtilise discrètement, certain qu'elle ne s'en rendra pas compte dans le désordre qui règne dans son établi. Il s'isole dans un coin de la bibliothèque de la caserne, là où le rebord de la fenêtre fait une espèce de mezzanine sous la charpente, et s'exerce pendant plusieurs heures en rentrant de l'entraînement, jusqu'à ce que ses yeux peinent à discerner les caractères à cause du manque de lumière. Il déchiffre lentement, a du mal à se détacher de chaque groupe de mots pour se donner un aperçu plus global du texte, mais, à force, il retient des bouts entiers de phrases. Sa lecture se fluidifie. Quand il lit ce même passage avec Erwin, le lendemain, il se rend compte à la moitié de sa page qu'Erwin ne prête plus aucune attention au texte et le fixe de ses grands yeux bleus.

— Arrête de me regarder comme ça, tu me déconcentres, grogne Levi.

Le commandant passe un bras autour de ses épaules et l'attire vers lui pour déposer un long baiser sur sa tempe. Levi se laisse faire sans se départir de la moue butée qu'il adopte toujours pendant leurs séances de lecture.

— C'est tout ? demande-t-il quand Erwin décolle ses lèvres.

Il pose une main sur sa cuisse pour voir s'il est possible d'initier quelque chose de plus intense. Erwin sourit, lui saisit le poignet et replace sa main sur la cuisse de son propriétaire.

— Pas ici. On verra ça ce soir.

Levi a appris à ses dépens qu'Erwin ne plaisantait pas quand il disait qu'ils ne coucheraient plus ensemble à l'hôtel de police. Dans les premières semaines après sa nomination, il a essayé de l'entraîner dans des activités un peu plus distrayantes que ses interminables revues de rapports. Le commandant lui a opposé à chaque fois un « non » ferme et définitif.

Après plusieurs tentatives infructueuses, il n'insiste pas. Pas plus qu'il ne cherche à lui voler des baisers discrets quand ils sont au travail. Ils en échangent parfois, mais toujours à l'initiative d'Erwin. Levi se fiche complètement que le monde entier sache qu'il se tape le commandant, mais Erwin est toujours aussi frileux à l'idée que les autres découvrent qu'il entretient des relations intimes avec son subordonné. Levi respecte ses règles et relègue dans la catégorie des fantasmes ses projets pour son nouveau bureau.

Le statut de Levi est déjà une exception au sein du Bataillon. La construction hiérarchique de leur brigade reste celle que lui avait décrite Erwin : le commandant, les capitaines et leur escouade, les lieutenants pour les seconder, et les sous-officiers. Mais Levi, par un accord tacite qui convient à tout le monde, n'est sous les ordres d'aucun capitaine. Il fait partie de l'escouade dirigée par Mike, celle où se trouvent les agents qui manient l'équipement de manœuvre tridimensionnelle, mais il a prévenu dès le départ qu'il ne se placerait pas sous les ordres du capitaine.

Levi obéit sans discuter, mais il n'obéit qu'à Erwin. Tous les autres peuvent aller se faire foutre. Il devine qu'un jour, ils composeront une escouade constituée uniquement d'agents capables de voler et qu'il la commandera. Mais ils débutent tout juste les entraînements en manœuvre tridimensionnelle, et Levi est encore trop inexpérimenté pour diriger seul des policiers. C'est pourquoi Erwin l'a mis dans cette espèce de tandem avec Mike. Il n'est d'ailleurs pas pressé de monter en grade, son rôle de référent des manœuvres tridimensionnelles lui convient parfaitement.

Hors du terrain d'entraînement, les relations avec Mike se sont aussi apaisées, par affection pour Erwin. Mike a décidé de cesser de le provoquer à tout bout de champ depuis qu'il sait qu'il couche avec son meilleur ami. Pour la première fois de sa vie, il semble regretter ses capacités olfactives surdéveloppées qui ne laissent aucune ambiguïté sur la manière dont Levi et Erwin occupent leurs soirées.

— Je sens le sexe ? se renseigne un jour Levi, toujours aussi intrigué par ce pouvoir étonnant.

Mike laisse échapper un grognement.

— C'est surtout Erwin…

— Ah bon ? C'est étrange, parce que c'est moi qui…

— Argh ! La ferme, Levi !

Levi, que sa gêne amusait au début, finit par trouver ce manque de discrétion un peu irritant. Mike, s'il plisse le nez et pince les lèvres, s'abstient de faire des remarques pour éviter que Levi ne lui fournisse plus de détails. En retour, Levi se retient désormais de le narguer à ce sujet.

De toute manière, plus il côtoie le meilleur ami d'Erwin, plus il trouve d'autres moyens de l'énerver. Ce que Mike lui rend bien. Au lieu de joutes verbales agressives, ils s'envoient des piques acerbes mais inoffensives, rendues coup pour coup. Hange est ravie de ce développement et leur propose des sorties tous les quatre après les heures de travail. Levi lui répond sèchement qu'il préfèrerait s'épiler le scrotum avec une tenaille rouillée.

Puisque Levi est son meilleur agent et qu'il lui fait confiance, Erwin l'intègre dans son cercle professionnel rapproché en compagnie de Mike et d'Hange. Il leur fait part de ses plans et écoute leurs suggestions, même s'il s'octroie toujours le dernier mot.

Hange et Erwin font des recherches sur les noms de Titans donnés par Eren. Ils découvrent avec stupéfaction que Reiner, Hoover et Leonhart sont tous les trois à peine adultes. Plus jeunes qu'eux, à peine plus âgés qu'Eren. Erwin ne comprend pas pourquoi les Titans ne privilégient pas l'expérience. Et surtout, comment peuvent-ils être si dangereux s'ils sont composés de criminels si jeunes ? Ils n'ont toujours aucune information sur leur chef, celui qu'ils appellent l'Originel. C'est la limite qu'Eren semble ne pas pouvoir franchir. Ou peut-être que n'en sait tout simplement pas plus sur lui. Parce qu'ils ont décidé après de longues tergiversations d'essayer de rallier le gamin à leur cause, ils ne le brusquent pas pour en savoir plus. Erwin s'est demandé pendant un temps s'ils ne devraient pas le renvoyer dans le Gang et l'utiliser comme taupe. Levi pense qu'il est trop stupide pour mener à bien une mission aussi périlleuse.

De son côté, Levi honore sa promesse et s'impose en gardien personnel d'Eren. Aucun autre agent en dehors d'Erwin et Hange n'est autorisé à l'approcher, pour éviter toute tentation de venger leurs camarades tombés lors de la mission de capture. Le gamin vit au sein de l'hôtel de police avec interdiction d'en sortir, et passe ses journées à se lamenter sur son sort. Il craint les représailles des Titans, mais l'aura intimidante de Levi ne le fait pas non plus se sentir très à l'aise parmi les policiers.

Les mois passent. Levi et le reste du Bataillon repoussent trois attaques des Titans. Lors de la première, le Cuirassé et le Colossal attaquent sans vraiment de préparation, en perçant un trou dans la porte barricadée de l'hôtel de police et en leur lâchant dessus une cinquantaine de sbires stupides. L'attaque se solde par un massacre. Pour les Titans. Le Bataillon a le désavantage du nombre, mais l'avantage du lieu, de l'organisation et de la tactique. Ils en capturent la majorité et n'ont d'autre choix que d'abattre ceux qui refusent de se rendre. Après avoir tenté d'en interroger plusieurs, Erwin et Hange sont effarés de constater à quel point ils sont stupides. Ils concluent rapidement qu'ils ne pourront rien en tirer d'intéressant.

Les deux attaques suivantes sont plus organisées, et ils ne les contrent que grâce aux talents de Levi. Cette fois, ils sont trois Titans à se présenter devant les portes de l'hôtel de police. Le Colossal, le Cuirassé et le Féminin. Cette dernière est une jeune femme blonde aux paupières tombantes et à l'air plus las que belliqueux. Erwin est un peu déçu qu'ils n'envoient pas de nouveaux visages. Encore une fois, le Bataillon a l'avantage de jouer à domicile. Grâce aux défenses renforcées de l'hôtel de police et à la dextérité de Levi qui voltige entre eux en alternant coups de feu et coups de lame, ils abandonnent la partie sans avoir réussi à franchir le seuil de la cour intérieure. Même s'ils se réjouissent de ces succès, ils savent tous que les Titans finiront par revenir.

Erwin prend alors une décision qui est loin de faire l'unanimité au sein de leur groupe. Il décide de recruter d'autres jeunes de l'âge d'Eren. Hange et Levi sont contre, et Mike choisit l'esquive quand on lui demande son avis. Hange finit par se laisser convaincre quand Erwin dégaine son argument ultime, à savoir que leurs recrues seront les candidats idéaux pour renforcer le groupe d'agents capables de maîtriser la manœuvre tridimensionnelle.

— Je refuse de me retrouver avec des mioches dans les pattes, déclare d'emblée Levi.

Ils se trouvent tous les deux dans le bureau d'Erwin. Le commandant est en train de trier des documents, assis dans son fauteuil. Levi boit un thé sur le canapé, les jambes croisées et l'air sombre.

— Je comprends que tu sois mal à l'aise avec les jeunes, Levi. Ce n'est pas un problème, je trouverai quelqu'un d'autre pour les entraîner.

— C'est pas qu'ils soient jeunes, le problème. C'est de former au combat des gamins qui n'ont pas encore de poil au menton.

Erwin est un peu surpris de l'entendre asséner son avis sur la manière dont il dirige sa brigade. Levi reconnaît d'habitude volontiers son inexpérience au sein des forces de l'ordre et s'oppose à Erwin avec réserve et modération.

— C'est pas parce que les Titans le font qu'on doit le faire aussi. C'est même un indicateur fiable qu'on est en train de se planter.

— Je suis en train de me planter ?

— Oui, Erwin Smith. Ça peut arriver à tout le monde, et à toi aussi. Tu franchis la ligne…

Il se retient d'ajouter… encore une fois. Il a déjà franchi la ligne quand il a utilisé Furlan et Isabel pour le plier à sa volonté. Levi comprend la volonté féroce d'Erwin de mettre toutes les chances de leur côté pour venir à bout des Titans. Il est cependant un peu surpris de voir qu'elle ne connaît aucune limite. Il pensait avoir été une exception, parce qu'il était un malfrat et que sa vie ne valait pas grand-chose. Mais des adolescents…

Les yeux bleus d'Erwin ne le quittent pas. Levi gesticule sur le divan, mal à l'aise de se sentir sondé de cette manière.

— Écoute, je sais de quoi je parle, ok ? Je… je suis passé par là. J'ai pas envie d'entraîner d'autres gosses dans ce genre de vie merdique.

Cette fois, Erwin pose son stylo et se laisse aller dans son fauteuil, les bras croisés. Ils ont encore très peu parlé de leurs passés respectifs. Pour le moment leur relation est encore très physique, organique même, et il reste ce fond de méfiance qui les empêche de s'ouvrir totalement l'un à l'autre. Levi baisse les yeux sur le fond de sa tasse. S'il faut qu'il se livre un peu pour empêcher Erwin de faire cette erreur qu'il finira forcément par regretter, peut-être que ça vaut le coup. Il parle d'une voix acerbe en fixant ses genoux, comme s'ils étaient personnellement responsables de son vécu.

— Ma mère… ma mère est morte quand j'étais gamin. C'est mon oncle qui m'a élevé à partir de mes dix ans. Kenny l'éventreur, ça te parle ?

— J'en ai entendu parler, à l'école de police. Il a disparu de la circulation depuis un bout de temps.

— Je ne sais pas où il est, dit rapidement Levi. Il est sans doute mort.

Il regarde enfin Erwin. L'intérêt du commandant semble sincère. Levi se détend un peu.

— Je… j'étais trop jeune quand j'ai appris à tuer, Erwin. Ça a foutu le bordel là-dedans.

Il pointe sa propre tempe du doigt. Il aimerait développer ce qu'il a ressenti, à l'époque, et ce qu'il ressent maintenant. Il ne trouve pas les mots. Il ne trouve pas la force. Lui, l'homme le plus fort de la brigade, il se dégonfle sous le regard perçant du commandant.

— Je n'imposerai pas ça à quelqu'un d'autre, se contente-t-il de dire.

— Je comprends, Levi. Comme je te l'ai dit, je ne t'oblige pas à…

— Non, tu comprends pas ! s'écrie Levi. Je te demande pas de les faire former par quelqu'un d'autre, je te demande d'abandonner ce plan stupide ! Qu'est-ce que tu vas faire, quand ils vont se faire tuer par les Titans, hein, Erwin ? Comment est-ce que tu peux délibérément…

Sa voix se brise. Erwin a l'air ébranlé. Pendant un instant, Levi pense qu'en dépit de son manque d'éloquence, il a réussi à le convaincre. Il pose sa tasse et se lève. Erwin comprend le signal et contourne son bureau pour le prendre dans ses bras.

— Ne nous implique pas là-dedans, murmure Levi contre lui. N'implique pas Hange, n'implique pas Mike – il se fiche bien de la conscience de Mike, mais il sait qu'il est plus important aux yeux d'Erwin que n'importe lequel d'entre eux. Ne te salis pas les mains. Il y a forcément un autre moyen.

— Levi…

Erwin lui caresse les cheveux. Levi se tend. Si Erwin cherche à l'apaiser, c'est qu'il va persister dans son projet. Le contact est cependant trop agréable pour s'y soustraire.

— Je ne vais pas choisir n'importe qui. J'ai longuement réfléchi sur ce point. Il nous faut des jeunes gens susceptibles de pouvoir s'infiltrer parmi les Titans si nous en avons l'opportunité. Leurs recrues ont des aptitudes au combat remarquables. Nous les sélectionnerons de la même manière et les rendrons plus remarquables encore. Nous ne les enverrons que lorsqu'ils seront fin prêts. S'ils ne sont pas à la hauteur, nous romprons leur contrat. Je consulterai les autres, mais je prendrai seul la responsabilité de les faire combattre ou non.

Levi a envie de crier. Il presse son visage contre la poitrine d'Erwin.

— Je vais te le dire encore une fois, Levi. Je ne t'obligerai pas à prendre part à leur entraînement,…

— Mais je suis le meilleur, coupe Levi.

— … mais tu es le meilleur.

J'ai besoin de toi. Toi seul peut leur apprendre à se défendre contre les Titans. Erwin n'a pas besoin de le dire à voix haute pour que Levi le comprenne.

— Tu me fais confiance ? demande Erwin.

Levi se sépare de lui et hoche la tête. Il n'arrive pas à lui donner un « oui » franc. Il a envie de lui faire confiance aveuglément. Mais que ce soit sa part rationnelle ou son instinct, tout lui dit qu'Erwin s'engage sur un terrain dangereux, où il n'est pas sûr de pouvoir le protéger.

Toujours aussi perplexe, Levi regarde Erwin dérouler son plan.

Le commandant recrute d'abord trois adolescents survoltés, bagarreurs et indisciplinés, beaucoup plus motivés que futés. Même s'il ressent une fugace pointe de compassion pour eux quand ils intègrent le Bataillon, Levi ne tarde pas à les surnommer « les trois crétins ». Il y a d'abord Jean Kirstein, un jeune homme de Trost au caractère bien trempé à qui Levi doit retourner quelques paires de claques pour lui apprendre à respecter Erwin. S'il avait fait partie des Titans, Levi aurait recruté celui-là plutôt qu'Eren, à âge et carrure équivalente. Beaucoup plus dégourdi, beaucoup moins pleurnichard. S'il réussit à se calmer un peu, il pourrait envisager un bon avenir au sein d'une unité opérationnelle de la police. Le gamin déclare d'ailleurs dès son recrutement qu'il veut rejoindre les Brigades Spéciales. Erwin lui promet qu'il pourra le faire quand il aura prouvé qu'il en est digne. Levi n'ose pas lui demander si c'est la vérité.

Il y a ensuite deux campagnards, une fille et un garçon, qui passent plus de temps à ricaner ensemble lors des entraînements qu'à se concentrer pour apprendre à survivre. La fille, Sasha Braus, est un ventre ambulant, une véritable menace pour le budget nourriture de la brigade. Levi la trouve un peu barrée mais intéressante en tant que combattante. Le garçon, Connie Springer, est persuadé d'être le meilleur et se trouve en réalité bien en-dessous des deux autres. Levi se voit contraint de lui remettre les idées en place en lui foutant quelques raclées spectaculaires. Sans compter que le môme est beaucoup trop émotif et s'enflamme à la moindre contrariété. Il s'entend trop bien avec la fille, alors Levi suggère à Mike de l'opposer à Kirstein pendant les entraînements. Le mélange fait des étincelles et un boucan épouvantable, mais il les pousse à se dépasser.

Comme Levi s'y attendait, ils l'agacent tous prodigieusement et plus il les entend se chamailler, plus il a du mal à s'apitoyer sur leur sort. Il leur en veut presque de s'être laissés attraper par l'ambition toxique d'Erwin.

Pourtant, après plusieurs semaines, il ressent une pointe d'affection pour ces trois idiots. Il doit avouer qu'Erwin n'a pas tort, ils sont bien plus adaptables aux nouveaux équipements d'Hange que les agents confirmés. Ils ont plus de potentiel qu'il ne l'avait imaginé. Et surtout – il est le premier étonné – ils le respectent. Pour éviter que ce respect ne se mue en admiration, Levi se montre impitoyable avec eux.

Enfin, Erwin recrute un dernier jeune. Celui-là, Levi a beau l'étudier longuement, il ne comprend pas pourquoi il l'a choisi. Quand Mike, tout aussi dubitatif, l'interroge sur le sujet, Erwin répond « pour son intelligence émotionnelle ». Levi a deviné tout seul que ce n'était pas pour ses capacités physiques, car Armin Arlert est la plus grosse poule mouillée qu'il ait jamais vue.

— Il y a quelque chose dont je n'ai pas parlé ni à Mike ni à Hange, lui répond Erwin quand il lui fait part de son scepticisme. J'ai mené mon enquête sur Eren et sur cette Mikasa Ackerman. Je n'ai rien trouvé d'intéressant sur leur enfance, si ce n'est que la famille d'Eren a effectivement adopté Mikasa après que ses parents aient été assassinés par des bandits de bas étage, sans doute par accident. Ce qui a attiré mon attention, c'est ce troisième gamin que leurs instituteurs se souviennent d'avoir vu traîner avec eux. Armin Arlert. Je pense que c'est la clé pour nous assurer la loyauté d'Eren et Mikasa.

— Tu comptes recruter Mikasa aussi ? Tu comptais me le dire quand ?

— Bien sûr. Elle est beaucoup trop précieuse pour prendre le risque de la laisser aux Titans. Ça fait plusieurs fois que les gardiens la voient roder autour de l'hôtel de police. Au début, ils pensaient que c'était toi. Ce qui est peu probable, puisque si je ne m'abuse tu passes désormais par la porte. Je n'ai aucun moyen d'en avoir la certitude absolue, mais je pense que c'est elle.

— Comment tu sais qu'elle ne travaille pas déjà pour les Titans ?

— Parce qu'elle n'attaque pas.

Erwin joint les doigts, songeur.

— Je n'avais pas vraiment de levier pour l'attirer jusqu'à présent, mais Eren, Armin et toi ensemble arriverez à la convaincre.

— Grâce à mon éloquence légendaire ? s'enquiert Levi, maussade.

— Non. Grâce à ta technique de combat hors-norme et grâce à ta maîtrise de l'équipement de manœuvre tridimensionnelle. Et même si elle y sera sans doute moins sensible, je peux aussi citer ta souplesse, ta rapidité, ton agilité, ton dos incroyablement sculpté, tes cuisses solides, tes fesses fermes et…

— Ok Erwin, stop, je crois que tu te perds, là, rougit Levi.

En vingt-neuf ans d'existence, s'il y a bien une chose qu'il n'a toujours pas appris à encaisser, ce sont les compliments. Erwin rit de son attitude gênée.

— En tout cas, moi je suis tout à fait convaincu, reprend-il d'un ton taquin.

Levi se penche par-dessus le bureau d'Erwin et incline la tête comme s'il attendait un baiser. Au moment où Erwin effleure ses lèvres, il recule. Le commandant laisse échapper un petit hoquet de frustration.

— À ce soir, lui dit Levi.

~oOo~

Malgré sa promesse implicite, Levi rentre tard ce soir-là. Erwin suppose qu'il a besoin de prendre l'air, et il comprend pourquoi. Même s'il les traite avec peut-être un peu trop de légèreté, il voit bien les réticences de son compagnon concernant ses plans stratégiques. Il essaye de se montrer le plus transparent possible avec lui. Il tente de lui expliquer sa vision dans l'espoir qu'il y adhère. Mais Levi n'a pas l'âme d'un chef. Il n'a même pas l'âme d'un policier. Il y a des choix qu'il ne peut pas comprendre.

Sa présence est cependant nécessaire aux côtés d'Erwin pour l'interpeller quand il franchit les limites. Ce qui ne veut pas dire qu'il fera marche arrière, mais au moins quelqu'un lui rappelle ce qu'il est prêt à sacrifier dans cette quête. Mike n'oserait jamais le faire avec autant de sincérité. Hange le ferait, mais c'est lui qui aurait du mal à lui accorder de la crédibilité sur le sujet. Levi est le candidat idéal. Ou du moins il le serait, si Erwin parvenait à mettre totalement de côté ses sentiments personnels.

Levi vit chez lui depuis plusieurs mois sans que rien n'ait été acté officiellement. L'hiver est passé et il n'est jamais parti.

Levi découvre la vie hors des Bas-Fonds en se voyant contraint d'intègrer les habitudes de vie d'Erwin dans sa routine personnelle. Les débuts sont houleux, car modifier son quotidien lui demande bien plus d'efforts qu'Erwin ne l'avait anticipé. Levi découvre tout un tas de petits détails qui l'agacent chez lui – sans surprise concernant le rangement – sur lequel il sait qu'il n'a pas vraiment son mot à dire, d'autant plus qu'ils vivent chez Erwin. Il y a certains jours, au tout début, où les choses qu'il trouve à redire prennent une telle ampleur que le commandant pense qu'ils sont trop différents, qu'ils ne vont pas fonctionner ensemble et qu'il va claquer la porte pour retourner dans les Bas-Fonds. Levi le dément de manière spectaculaire. Il prend sur lui, passe outre ses réticences et finit par accepter les compromis qu'Erwin lui propose. Le commandant est touché de le voir faire tant d'efforts pour s'ajuster.

Sans surprise, partager son lit n'améliore pas les insomnies de Levi. Il ne va jamais se coucher avant Erwin, qui veille lui-même très tard. Une fois le commandant rentré du bureau, ils passent un peu de temps ensemble et Levi finit par tomber de sommeil à l'endroit exact où il se trouve, avant de se réveiller aux aurores pour ne plus se rendormir.

Au début, quand il s'endort dans un fauteuil ou même à la table du salon, en boule sur une chaise devant le schéma tactique qu'il est en train d'étudier, Erwin n'ose pas le porter jusqu'à son lit. Il trouve le geste trop intime et n'est pas certain que Levi l'apprécierait. Il se contente de lui passer une couverture sur les épaules ou la poitrine, et le laisse le rejoindre dans sa chambre quand il en a envie.

Puis, progressivement, Levi se met à somnoler contre son épaule ou la tête sur ses genoux. Sans en avoir l'air, il s'arrange toujours pour se pelotonner contre lui au cours de la soirée. Erwin a l'impression de vivre avec un chat. Il n'ose pas bouger de peur de le réveiller, car il sait combien son sommeil est précieux. Levi dort avec un visage paisible qui le rajeunit, et Erwin est toujours étonné de voir à quel point il est petit quand il se recroqueville sur lui-même par réflexe, pour garder sa chaleur corporelle comme lorsqu'il dormait dans les Bas-Fonds.

Quand Erwin se penche pour déposer un baiser attendri sur sa tempe, Levi plisse le nez et fronce les sourcils, laisse échapper un soupir mais n'émerge pas totalement de son sommeil. C'est dans ces moments qu'Erwin sent son cœur accélérer dans sa poitrine, qu'il est pris d'une envie farouche de protéger cet homme à tout prix, même s'il sait au fond que personne ne peut le protéger mieux que lui-même.

Levi répond à la tendresse d'Erwin par un désir brûlant, comme s'il avait du mal à épancher l'attirance qu'il a pour lui. Il a besoin de le toucher, de le sentir, de le goûter. En permanence. Erwin sait qu'il a enchaîné les rencontres expéditives pendant des années dans les Bas-Fonds, alors il tente de lui faire comprendre que rien ne presse et qu'ils peuvent aussi prendre le temps de se découvrir. Mais Levi se comporte comme si un compte à rebours était lancé et qu'il voulait profiter au maximum de lui avant qu'il ne soit trop tard. Ou comme s'il voulait rattraper une décennie de temps perdu.

Erwin, de son côté, ne ressent pas cette urgence et, s'il est plus que volontaire pour répondre aux sollicitations de Levi, il aimerait aussi qu'ils diversifient leurs occupations. Il voit beaucoup d'autres choses qu'ils pourraient faire ensemble, au détail près qu'elles nécessiteraient de porter des vêtements. Il ne sait pas vraiment sous quel angle aborder le sujet, car Levi se sert de son corps pour lui témoigner son affection sans s'embarrasser des mots, et il ne veut pas le blesser ou qu'il l'interprète comme un rejet.

S'il est indubitable que Levi a beaucoup plus d'expérience que lui en matière de sexe, il découvre ce que signifie une relation stable avec un partenaire régulier. Quand il intègre enfin qu'Erwin l'accepte dans son lit sans date butoir, il étudie et apprend son corps plutôt que de se précipiter vers un plaisir rapide et vite dissipé. Il écoute, pose des questions, aborde sans filtre les sujets délicats, sans cette pudibonderie paralysante qu'Erwin a héritée de son éducation bourgeoise. Levi ne s'embarrasse ni des règles de bienséance, ni de périphrases, ni même d'un quelconque tact. Il y a quelque chose d'infiniment libérateur dans leurs discussions intimes. Ensemble, ils progressent plus vite qu'avec tous ses partenaires précédents.

Et il doit reconnaître que même si elle reste principalement physique, leur relation évolue malgré tout. Il note des changements progressifs au sein même de leur intimité. Bien sûr, plus ils couchent ensemble et mieux ils connaissent le corps de l'autre, comme tous les couples. Mais il y a autre chose, de moins primitif et de plus cérébral. À mesure que Levi lui accorde sa confiance en tant que supérieur hiérarchique, il lui cède aussi un peu du contrôle excessif qu'il exerce au lit. Avec méfiance, d'abord, puis avec curiosité. Erwin veut se montrer digne de cette confiance. Même si son compagnon peut se montrer brusque, impulsif et terriblement cru, il s'applique à rester attentif et prévenant avec lui. Au fil des semaines, il le sent peu à peu s'apaiser.

— Combien de fois tu as été en couple ? Un vrai couple, lui demande un jour Levi.

Ils sont emmêlés dans leurs draps trempés de sueur. La main d'Erwin, qui trace des figures abstraites sur le dos de Levi, se fige. Il ne sait pas trop ce qu'il attend comme réponse.

— Un vrai couple ?

— Tu vois très bien ce que je veux dire, s'agace Levi. Détourne pas la question.

Erwin enfouit son nez dans ses cheveux. Il voit effectivement très bien ce qu'il veut dire. Il trace trois barres sur la peau de son dos.

— Des femmes ? demande Levi dans un souffle.

Erwin trace deux barres.

— Et un homme ?

Il confirme en traçant une barre.

— C'est Mike ?

Erwin remue dans le lit.

— Non. Avec Mike, c'était… des expérimentations de jeunes hommes, à l'école de police. Quand nous avons été brièvement colocataires, nous avons essayé, et nous avons conclu que nous fonctionnions bien mieux en tant qu'amis.

— Je croyais qu'il était jaloux, au début, dit Levi d'une voix distraite où commence à percer le sommeil.

Erwin sait qu'il ne va pas tarder à se lever pour aller se laver avant de se recoucher. Ou peut-être que ce soir, il va tomber de sommeil avant.

— Non, il est juste extrêmement protecteur.

— Extrêmement gluant, rectifie Levi.

Un silence confortable les enveloppe. Levi hésite longtemps avant de poser la question suivante.

— Pourquoi ça n'a pas marché, avec les autres ?

— Principalement à cause de mes plans de carrière. Trop de temps pour la police, pas assez pour mes partenaires. Je me doutais que ton étonnement serait modéré, ajoute-t-il quand Levi décolle brièvement la tête de son torse pour lui lancer un regard éloquent.

— Tu as des regrets ? baille Levi.

— Quand je vois où je suis aujourd'hui ? Non.

Il parle de sa position de commandant, bien sûr, et c'est sans doute comme ça que Levi interprète ses paroles. Mais Erwin parle aussi de l'homme incroyable en train de s'endormir sur sa poitrine. Tous ses choix l'ont menés ici, à cet instant, avec Levi, et il ne peut que s'en féliciter. Il reprend ses caresses distraites.

— Est-ce que tu dirais que nous sommes en couple, Levi ? murmure-t-il.

— Ça m'est jamais arrivé avant, donc je sais pas.

— Moi je pense que oui.

Court silence. Erwin se demande si Levi peut entendre son cœur cogner contre ses côtes.

— Alors dans ce cas, tu dois me dire ton âge. Je veux pas être en couple avec un vieux sans le savoir.

Erwin rit.

— Trente-trois ans.

— Bon, ça va alors, marmonne Levi.

Il resserre son étreinte autour d'Erwin et s'endort.

C'était il y a quelques semaines. Ils n'en ont pas reparlé depuis, mais ils se considèrent depuis tous les deux dans une relation stable et exclusive. Une relation qu'ils vont essayer de faire durer.

Le soir de leur discussion à propos d'Armin Arlert, Erwin est en train de jouer du violoncelle quand Levi rentre enfin à l'appartement. Il lui adresse un petit salut de la tête et s'enferme dans la salle de bain pour se laver. Erwin continue à jouer. Levi est impressionné par l'instrument, et surtout par la manière dont il arrive à en tirer des sons suaves et harmonieux, quand lui-même n'a réussi à obtenir qu'un grincement strident lors de ses piètres tentatives. Quand Levi revient dans le salon, seulement vêtu d'une serviette enroulée jusqu'aux aisselles, son archet se fige sur les cordes. Levi fait mine de n'avoir rien remarqué et s'assoit avec nonchalance sur le canapé, les jambes croisées. Accoudé sur le dossier, il appuie sa tempe contre son poing avec une expression proche de l'ennui. Une onde de chaleur parcourt le corps d'Erwin. Levi est parfaitement conscient de l'effet qu'il lui fait.

— T'arrête pas de jouer, ordonne-t-il.

— Je pense que cette serviette est de trop, répond Erwin d'un ton détaché en reprenant son morceau.

Il accélère pour arriver plus vite aux dernières notes.

— Tu viendras me l'enlever quand tu seras au bout de ta partition.

Erwin rate à nouveau une mesure. Levi le dévisage avec une pointe de défiance. Il hausse les sourcils et se mord la lèvre pour s'empêcher de sourire de sa propre comédie. Docile, Erwin replace ses doigts sur le manche et reprend là où il en était. Il se demande si Levi peut entendre le tremblement imperceptible de sa main.

— À partir du moment où je finis la dernière note, tu es à moi, Levi.

— Je trouve que tu as beaucoup d'assurance pour un type dont la queue va finir dans ma bouche d'ici quelques minutes.

Le violoncelle émet un nouveau geignement dissonant. Erwin redouble de concentration pour ne pas perdre le fil de son morceau. Il a de toute façon complètement perdu le rythme. Dans une tentative désespérée de reprendre un peu de contenance, il étire à l'infini les dernières notes en savourant l'impatience brûlante de Levi à côté de lui.

Son compagnon finit par se lever du canapé, lui prend avec délicatesse le violoncelle et l'archet des mains et les dépose sur le sol. Il se glisse ensuite sur ses genoux, lui saisit le visage et l'attire dans un baiser langoureux. Erwin soupire contre ses lèvres.

Il ne se lassera jamais des lèvres de Levi. Pas après les avoir si longtemps désirées. Pas alors qu'elles sont si douces et qu'elles se concilient si bien avec les siennes. C'est quand il l'embrasse qu'il a l'impression que Levi se livre le plus à lui. Il pourrait l'embrasser pendant des heures et ne toujours pas se remettre de sa chance de pouvoir le faire. Mais Levi a d'autres projets.

Il descend de ses genoux, oblige Erwin à se lever et défait le bouton de son pantalon. Sans le quitter des yeux, il sort son sexe, se crache dans la main et le caresse d'une main ferme. Erwin frémit et réclame un nouveau baiser, plus avide cette fois-ci. D'un geste délicat, il dénoue la serviette et la laisse glisser sur le sol pour dévoiler le corps de Levi.

Celui-ci ne lui laisse pas le temps de l'admirer. Il pose une main sur son torse pour le pousser en arrière jusqu'à ce qu'Erwin se laisse tomber sur le canapé. Levi lui écarte les jambes et s'agenouille entre.

— J'ai envie de te sucer la queue depuis ce matin.

— Elle est toute à toi.

Levi soutient son regard et s'humecte les lèvres. Erwin frémit d'excitation.

D'habitude, ils font plutôt l'inverse. Il est particulièrement doué pour ça, s'il en croit la fréquence à laquelle Levi le sollicite. Mais il n'est pas contre inverser les rôles de temps en temps.

— Attends, viens-là, dit Erwin en tapotant le canapé à côté de lui.

Il veut voir Levi pendant qu'il le suce. La musculature de son dos, la cambrure de ses reins, la courbe parfaite de ses fesses. Levi se vautre à plat ventre sur le canapé et en travers de sa cuisse. Il l'enduit de salive, donne quelques coups de langue consciencieux puis le prend dans sa bouche. Erwin incline la tête en arrière quand il commence à le sucer. Sa main gauche se pose à la base de sa nuque et suit les mouvements de sa tête.

Levi impose un rythme énergique. Erwin se focalise sur ses lèvres humides qui le serrent et glissent sur toute la longueur de son sexe jusqu'à la base. Sur sa langue qui l'explore consciencieusement. Sur la moiteur excitante de sa bouche.

L'une des mains de Levi le tient fermement, l'autre s'occupe de ses testicules à travers le tissu de son pantalon. Il laisse échapper un grognement auquel Levi réagit en redoublant d'application.

Erwin lutte pour reprendre le contrôle sur lui-même. Il faut qu'il s'occupe de Levi, d'autant que la vue qu'il lui offre ne va pas l'aider à durer. Il lâche sa nuque et descend lentement la main le long de sa colonne. Levi se cambre quand il le sent passer sa chute de reins.

— Je continue ? souffle Erwin.

Levi répond par un son étouffé. Erwin retire sa main. Comme il s'y attendait, Levi libère sa bouche dans un bruit humide de succion.

— Bordel de merde, Erwin !

— J'avais un doute, répond Erwin avec un air faussement contrit.

— Mon cul, que t'avais un doute.

— À point nommé. Si tu veux que je m'occupe de ton cul, laisse-moi aller chercher le lubrifiant.

Levi se soulève de sa cuisse pour le libérer de son poids, avec un grommellement indigné contre les gens qui utilisent « à point nommé » pendant la baise. Erwin revient quelques secondes plus tard et reprend sa place. Levi lui laisse à peine le temps de s'asseoir avant de recommencer à le sucer.

— Eh, doucement, articule Erwin avec difficulté. Je ne vais pas tenir si tu continues à ce rythme.

Levi hausse les épaules mais ralentit un peu. Ses jambes s'agitent d'impatience. Erwin s'enduit les doigts d'huile et, à la grande frustration de Levi qui gronde autour de lui, il repart de la base de sa nuque pour descendre sa colonne avec une lenteur exaspérante. Il déclenche un frisson tout le long de son trajet.

Levi essaye de soulager son excitation en remuant pour frotter son érection sur le canapé. Il est impatient, désespéré. Avide de sentir les doigts d'Erwin en lui. Le commandant durcit encore de se savoir tant désiré, même s'il ne peut s'empêcher d'avoir une pensée pour le canapé qu'ils sont en train de salir.

Il glisse un doigt entre les fesses de Levi et décrit de petits cercles en frôlant sa peau sensible. Levi pousse un long gémissement plaintif qui fait vibrer ses lèvres autour de sa queue. Erwin augmente la pression. Il est tellement facile à tourmenter.

— Putain, Erwin, tu me le mets ou pas ? s'agace-t-il en abandonnant l'entrejambe d'Erwin pour jeter un coup d'œil par-dessus son épaule.

Erwin rit et le pénètre avec un doigt. Levi se crispe et enfouit son visage contre l'intérieur de sa cuisse. Après quelques secondes de va-et-vient tranquille, il ajoute un deuxième doigt et les courbe vers l'intérieur. Levi pousse des jurons contre lui à intervalles réguliers. Ses hanches se synchronisent avec les doigts d'Erwin, à contre-courant pour leur permettre de s'enfoncer plus profondément en lui.

Il tient toujours l'érection d'Erwin dans sa main, mais il semble l'avoir complètement oubliée, submergé par la recherche de son propre plaisir. Erwin ne lui en tient pas rigueur. Il préfère le sentir se crisper autour de ses doigts et se pâmer.

— Encore un ? demande Erwin.

Levi hoche la tête et retient son souffle. Il se contracte autour des trois doigts épais d'Erwin, qui lui laisse le temps de s'adapter avant de reprendre ses va-et-vient. Levi reste silencieux contre sa cuisse, mais Erwin sent l'ardeur avec laquelle son corps implore son toucher.

Soudain, Levi se retourne sur le dos et oblige Erwin à retirer ses doigts. Il est luisant de sueur, les joues roses, les cheveux collés sur le front. Il bande douloureusement, et son sexe est déjà luisant des prémices de son orgasme.

— Stop ! Attends un... un peu, bégaye-t-il. J'ai… j'ai envie de ta queue mais je… Laisse-moi une minute...

Il halète, le poignet devant les yeux, et lutte pour contrôler sa respiration. Il est superbe, la tête posée sur la cuisse d'Erwin, entièrement nu et offert, tout le corps frissonnant de plaisir. Erwin saisit son sexe dans son poing encore visqueux de lubrifiant et le masturbe lentement. Ils sont tous les deux si proches de jouir.

— Putain… oh, putain… gémit Levi sans pouvoir s'empêcher d'onduler les hanches pour baiser la main d'Erwin. Tu vas…

— Tu es magnifique, Levi, murmure Erwin.

Levi s'immobilise et ouvre les yeux. Il prend un air gêné.

— Arrête tes conneries.

Erwin se penche vers lui et l'embrasse pour le faire taire, pour lui faire ravaler toutes les obscénités qui se déversent de sa bouche chaque fois qu'ils font l'amour. Il ne prétend pas qu'il n'en lâche pas lui-même une ou deux, mais rien à voir avec le flot continue qui s'échappe de Levi à chaque fois.

— On est en train de dégueulasser tout le canapé, remarque enfin Levi.

Ils se dévisagent.

— La table ? propose Erwin. Comme la dernière fois ?

— Avec des coussins en plus, répond Levi en se mettant aussitôt en action.

Il récupère deux coussins et monte d'un bond leste sur la table, où il s'allonge dans une pose lascive. Il glisse un coussin sous son dos et l'autre sous ses fesses. Sa langue claque d'impatience tandis qu'Erwin se débarrasse enfin de son pantalon. La vision de Levi en train de l'attendre dans cette position envoie un frisson dans tout son corps. Il s'approche de la table et Levi le capture aussitôt entre ses cuisses.

— Embrasse-moi, d'abord, exige Erwin.

— Et ensuite tu me baises ?

— Je crois que c'est bien parti pour, effectivement.

Levi se rassoit et lui accorde un baiser. D'abord sur les lèvres, puis il suce délicatement la peau juste en avant de son oreille. Erwin retient sa respiration. S'il jouit à cause d'un baiser et avant même de l'avoir pénétré, Levi va se moquer de lui pour les cent ans à venir.

— Je veux te sentir en moi, Erwin, lui murmure-t-il à l'oreille en le serrant dans ses bras et se balançant doucement contre lui. J'ai envie de ta queue. Je veux que tu me la mettes et que tu me baises jusqu'à ce que j'en oublie mon prénom. Il n'y a que toi que peut me faire jouir comme ça.

— D'accord, répond Erwin dans un souffle saccadé. Mais je veux t'entendre gémir pour moi. Fort.

Levi se mord les lèvres. Il a encore du mal à s'autoriser à être bruyant pendant l'amour.

Erwin le serre contre lui, inspire son odeur, couvre son visage de baisers. Il veut se noyer dans son corps. Il bout de désir. Il bout aussi d'affection. Il veut se montrer infiniment tendre avec lui, mais il veut aussi le baiser jusqu'à lui en faire perdre la raison. Il veut le faire jouir encore et encore, et il veut le chérir, le vénérer jusqu'à ce que Levi ressente à quel point il tient à lui. Ses entrailles se tordent douloureusement quand il réalise à quel point il est fou de cet homme.

— Erwin, ça va ? s'inquiète Levi. Tu fais une drôle de tête.

— Ouais, répond Erwin. Allonge-toi.

Levi s'allonge à nouveau et pose ses chevilles sur les épaules d'Erwin. Erwin lui attrape les cuisses et le ramène à lui, tout au bord de la table.

— J'y vais ?

— Magne-toi, répond Levi avec douceur.

Erwin le pénètre lentement. La respiration de Levi se saccade mais il ne dit rien. Il tourne la tête sur le côté et ferme les yeux.

— Tu me dis si…

— Non, non, ça va. Continue.

Arrivé à mi-chemin, Erwin s'immobilise. La sensation de Levi crispé autour de lui le repousse dans les derniers retranchements de sa patience.

— Je bouge ?

— Non, continue. Plus profond.

— Tu es sûr ?

— Merde, Erwin !

— Tu es vraiment beau comme ça, Levi.

Levi ouvre les yeux, pince les lèvres mais ne dit rien. Parce que la tête qu'il fait l'amuse beaucoup, Erwin décide de répondre à chacun de ses jurons par un compliment. Il continue. Il s'enfonce jusqu'à ce que l'arrière des cuisses de Levi se colle contre son bas-ventre. De la sueur goutte sur les tempes de son compagnon.

Erwin baisse les yeux vers l'endroit où leurs corps se joignent, là où il disparaît en Levi.

— On profite de la vue ? demande Levi.

— On profite de la sensation ? rétorque Erwin.

Levi pouffe de rire.

— Allez, vas-y. Bouge.

Erwin commence par de petits va-et-vient avant de se donner progressivement de l'amplitude. Levi le guide en l'encourageant à accélérer. Il se serre autour de lui mais encaisse ses coups de rein de plus en plus vigoureux. Par habitude, il se cache les yeux dans les mains.

— Eh, l'interpelle doucement Erwin. Regarde-moi.

Levi obtempère et l'expression de ses yeux pâles, aux pupilles dilatées par le désir, forme une boule de chaleur dans le bas-ventre d'Erwin.

— Putain… gémit Levi.

— Je n'ai jamais d'homme aussi sublime que toi, Levi, dit Erwin.

— Qu… quoi ?

Les soubresauts qu'imposent à son corps les mouvements d'Erwin l'empêchent de se redresser sur les coudes pour le toiser d'un air décontenancé.

— Qu'est-ce que tu racontes, bordel… gronde-t-il. Ah ! ajoute-t-il quand Erwin se penche vers lui pour changer d'angle.

— Je disais… que tu as… un corps magnifique…

— Erwin, merde…

— …et que tu es… l'homme le plus… incroyable… que…

Levi jouit. Il jouit d'un coup, sans prévenir. Sans l'aide d'aucune caresse. Les mains du commandant sont agrippées à ses cuisses pour les maintenir contre lui. Les siennes sont agrippées au bord de la table pour offrir une résistance aux coups de rein d'Erwin. Il laisse échapper un hoquet de surprise et se redresse sur les coudes, essoufflé, des mèches dans les yeux. Ils sont tous les deux aussi stupéfaits l'un que l'autre.

— Heu, je…

— C'est intéressant, commente Erwin.

— Je sais pas ce qu'il s'est passé… balbutie Levi, confus.

— Je crois que tu sais très bien ce qu'il s'est passé, répond Erwin en reprenant de petits mouvements de bassin pour soulager sa propre excitation.

Levi se cambre et retombe en arrière sur les coussins.

— C'est de ta faute, grogne-t-il. Pourquoi tu me dis des trucs comme ça ?

Il réfléchit un instant.

— C'est parce que t'en as marre que je dise des saloperies quand on baise, c'est ça ? Ah ! Encore, accélère !

— Je ne pensais pas que ça te ferait un tel effet, concède Erwin, essoufflé.

Il se sent proche. Il va jouir.

— Ça sera à nouveau utilisé contre toi, prévient-il.

— Tais-toi et baise-moi plus fort, répond Levi. Ah !

Erwin n'en demande pas moins. Il accélère encore. C'est le gémissement que pousse Levi qui le fait basculer dans l'orgasme à son tour. Il se retire et vient sur son ventre. Les jambes flageolantes, il titube en arrière jusqu'à un fauteuil et se laisse tomber dedans. Il s'accorde un peu de temps pour reprendre son souffle. Levi ne bouge pas, étendu les bras en croix sur la table du salon. Erwin est le premier à reprendre ses esprits. Il se lève et va chercher de quoi nettoyer son partenaire.

Une fois que son ventre est propre, il attire à nouveau Levi contre lui. L'homme grimace quand il se redresse en position assise et se laisse glisser de la table pour s'appuyer contre. Il se blottit contre Erwin. Quand celui-ci lui soulève le menton du bout des doigts, il se hisse sur la pointe des pieds pour lui offrir un baiser. Aussi vulgaire qu'il puisse se montrer pendant l'acte, il y a toujours cette tendresse chez lui dans l'instant d'après, ce besoin de réconfort resté inassouvi dans ses relations précédentes.

— Tu pensais ce que tu as dit ? demande Levi entre deux baisers, les joues légèrement colorées.

Pour la première fois, Erwin croit percevoir de la timidité dans sa voix.

— Chaque mot, le rassure-t-il dans un murmure.

Levi esquisse un sourire qui transperce le cœur d'Erwin. À cet instant, Erwin est à deux doigts de s'emballer et de lui dire qu'il l'aime. Les mots sont là, posés sur le bord de ses lèvres. Mais peut-être parce qu'il a peur de l'effrayer, ou qu'il n'a pas le courage de les assumer, il les ravale et entraîne Levi dans un long baiser à la place.