Chapitre 19
Levi revient à lui dans un brouillard hébété.
Il ne comprend pas ce qu'il vient de se passer. Il revoit un tourbillon de corps, de membres, de métal. L'odeur du sang et de la peur. Les cris, les os qui craquent, la chair qui se déchire. Une violence pure qui l'a envahi d'un coup, indomptable, inédite. Une envie brutale de tout détruire et la conviction qu'il avait la force de le faire.
Pendant plusieurs secondes qui lui paraissent une éternité, il a l'impression de ne plus rien voir, ni entendre, ni sentir. Il n'arrive plus à se concentrer sur la moindre pensée cohérente. Puis les contours du monde autour de lui se précisent à nouveau. Et il comprend ce qui l'a fait retrouver ses esprits.
Il dégouline de sueur et de sang. Les cadavres des deux sbires idiots gisent sur le sol de la cellule. Reiss achève de se vider par la plaie béante qui lui déchire la gorge. Levi lâche le barreau en métal qu'il a dessoudé de la grille de la cellule. Il titube en arrière. Sa cuisse saigne. Son pantalon blanc est transpercé par trois impacts de balles, mais il ressent à peine la douleur.
Le visage souillé par le sang qui coule de son arcade ouverte, Zeke Jaeger ne sourit plus. Il a fini de se montrer poli. Il traîne Erwin sur le seuil de la cellule, et le canon de son revolver se perd dans les cheveux blonds du commandant. Le bras qui tient l'arme est crispé à l'extrême mais sa main ne tremble pas.
— Tu esquisses le moindre geste, tu bandes le moindre muscle, tu respires ne serait-ce qu'un peu trop fort à mon goût, et je lui bousille la cervelle avant même que tu ne puisses repartir dans ta petite crise de nerfs.
Levi le croit quand il dit qu'il va tirer.
Erwin est mal en point. Son visage commence à enfler des coups qu'il a reçus. Il a du mal à ouvrir les yeux, et son menton tombe sur sa poitrine, si bien que Levi n'est pas sûr qu'il soit conscient. Une douleur fulgurante transperce soudain sa jambe blessée. Il vacille mais se retient de tomber.
— Erwin… appelle-t-il d'un ton suppliant.
Il a besoin qu'Erwin lui réponde. Qu'il montre qu'il est conscient, vivant.
Le commandant relève le menton et Levi sent une bouffée de soulagement débloquer ses poumons. Les doigts de Jaeger se ferment dans ses cheveux et l'obligent à incliner à nouveau la tête vers le sol. Chaque fibre du corps de Levi vibre de haine.
Jaeger siffle. Un long bruit strident se réverbère entre les murs de pierres. Quelques secondes plus tard, une demi-douzaine de sbires entrent dans le couloir et fondent sur Levi. Leurs mains brutales se saisissent de lui. Il se débat, brise plusieurs poignets et une mâchoire, et enfonce un œil dans son orbite. Il a bien compris les avertissements du Titan, mais il sent la violence l'envahir à nouveau malgré lui. La pièce est déjà en train de tourbillonner autour de l...
Zeke tire.
Levi se fige, juste une fraction de seconde qui leur suffit pour l'immobiliser. Un coup de pied le fait tomber à genoux. Il s'écroule de tout son poids sur sa cuisse blessée. Mais il n'y prête pas attention, car le corps d'Erwin est parcouru d'un spasme.
Le commandant est vivant et ne semble pas comprendre tout de suite ce qu'il vient de se passer. Zeke sectionne ses liens et brandit sa main droite pour la montrer à Levi en guise d'avertissement. Erwin se laisse faire. Il observe sa propre paume tremblante et poisseuse de sang d'un regard vide, comme s'il n'arrivait pas à réaliser que Jaeger vient de la transpercer d'une balle. La plaie est affreuse. La poitrine de Levi va exploser.
Zeke pointe à nouveau le canon de son arme dans les cheveux d'Erwin.
— La prochaine fois, je lui explose le crâne.
Malgré la panique qui s'immisce dans son esprit, Levi choisit la prudence. Il abandonne. Il se laisse ligoter. Ils l'enroulent dans des liens si étroits qu'ils l'empêchent de respirer correctement. Les poignets, la poitrine, les cuisses, les pieds. Il ne peut même plus faire un pas.
— Voilà qui me convient beaucoup mieux, commente Jaeger.
Il n'a pas le moindre regard pour le cadavre de Reiss. Il lâche Erwin, qui s'affaisse aussitôt, et s'approche de Levi pour lui saisir le menton. Levi ne peut quitter Erwin des yeux, et Zeke doit utiliser la contrainte pour l'obliger à le regarder. La proximité avec le visage du Titan le dégoûte. Il a envie de lui cracher dessus, mais il s'abstient pour ne pas mettre Erwin en danger. Sa cuisse blessée le lance à nouveau. En d'autres circonstances, il aurait fait une réflexion sur la manière dont il est censé pisser en étant saucissonné ainsi, mais il ne se sent pas le cœur à l'insolence.
— Où sont mes Titans ? reprend Zeke.
Il n'y a plus aucune politesse dans sa voix. Ce n'est pas une question. C'est un ordre. Levi serre les lèvres. Jaeger lui retourne une gifle monumentale.
Sa joue brûle. Il se prend une deuxième gifle. Un goût métallique lui envahit la bouche. Il ne peut rien faire d'autre que de fusiller Jaeger du regard, en espérant qu'il perçoit toute sa haine. Jaeger lui donne un coup dans le flanc. Prisonnier de ses liens, Levi bascule à plat ventre. Il crache du sang sur le sol.
Il se prend un coup de pied dans la tempe et ne dit rien. Puis Jaeger perd patience et le roue de coups. Levi encaisse en silence. Il peut supporter la douleur. Il a connu pire. Ce qui le dégoûte le plus, ce sont les marques que Jaeger va laisser sur son corps.
— Bon. Très bien, dit finalement Jaeger.
Il délaisse Levi. Ce dernier se contorsionne et se remet difficilement à genoux. Il doit avoir de la crasse plein le visage. Il a du mal à respirer. Il doit se concentrer pour voir net.
Jaeger saisit Erwin par les cheveux et le fait lever le visage. Le commandant sursaute, comme s'il venait de revenir à lui. Il regarde Zeke, puis Levi, mais ce dernier lit dans ses yeux qu'il a du mal à le distinguer. Ses lèvres frémissent mais il ne dit rien.
Le Titan place la lame de son couteau devant l'œil droit d'Erwin.
— Tu as cinq secondes pour me dire où sont les Titans, Levi. Cinq… quatre…
Levi sent un froid glacial l'envahir. Sa tête bourdonne. Il va lui dire. Il va céder, lâcher le morceau. Cette information n'a aucune valeur à ses yeux. Il l'a protégée jusque là parce qu'il sait que c'est ce qu'Erwin attend de lui. Mais jamais elle ne justifiera de le regarder se faire mutiler.
— Trois… deux…
Levi essaye d'accrocher le regard d'Erwin pour lui faire comprendre qu'il est désolé de le trahir. Mais le commandant ne semble plus le voir.
— Un…
C'est Erwin qui parle. Le souffle de Levi se coupe dans sa gorge. D'une voix rauque, Erwin explique à Zeke où se trouvent Braun et Leonhardt. Levi n'entend pas le détail de ses paroles. Il est trop abasourdi.
Erwin parle pour lui épargner la culpabilité de le faire. Parce qu'il sait que Levi aurait fini par cracher le morceau pour le protéger.
— Si tu m'as menti, je t'arracherai les yeux et les donnerai à bouffer à Levi.
Zeke traîne Erwin par les cheveux jusque dans sa cellule. Il s'écroule sur le sol dégoûtant, roule sur le dos et ne bouge plus. Zeke lui lie les poignets avec des mouvements qui trahissent sa rage. Levi peut voir au battement régulier des cils d'Erwin qu'il a les yeux ouverts.
— Mets-nous dans la même cellule, gronde-t-il. Tu prends aucun risque, j'arrive pas à bouger un putain de muscle et il est blessé. Tu as eu ce que tu voulais. Maintenant arrête de faire l'enfoiré.
Ses mots s'arrachent douloureusement à ses lèvres. Il sent qu'il est meurtri, que s'il se laisse une minute pour y réfléchir, il va se rendre compte qu'il a mal partout. Il ne peut pas se laisser engloutir par la douleur. Erwin a besoin de lui. Alors il s'ignore.
— Que tu es fier, Levi. Hélas, la fierté n'a jamais sauvé personne. Je vais réfléchir à ce que je vais faire de toi. On verra si je trouve une réponse avant que ta cuisse ne commence à nécroser.
Zeke fait signe à l'un de ses sbires de jeter Levi dans une cellule différente. Celui-ci lâche un flot consistant de menaces et d'insultes, qu'ils font cesser en lui décochant un coup de pied dans la bouche. Il est aveuglé par la douleur. Il ressent une telle rage à l'encontre du Titan qu'il se sent prêt à exploser. Il va l'anéantir.
La grille de sa cellule se referme sur lui. Il fait noir. Il fait humide. Il entend remuer dans le couloir, sans doute pour débarrasser le corps de Reiss. Puis un silence pesant retentit. Levi se tortille pour se mettre à genoux et rampe jusqu'à la porte. Il s'approche de la grille.
— Erwin ?
Il l'appelle doucement. Il a du mal à articuler à cause du coup qu'il a reçu dans la bouche. Le prénom de son compagnon se réverbère entre les murs froids et reste sans réponse. Erwin doit être inconscient. Ou bien Jaeger est parti avec. Mais cette dernière possibilité paraît moins probable. Erwin est blessé, le déplacer aurait sans doute fait beaucoup plus de remue-ménage que les bruissements qu'il a entendus.
Il frémit et l'appelle à nouveau. À défaut de le voir, il a besoin d'entendre sa voix. Il se contenterait d'un son, d'un simple grognement.
Il se force à se calmer. Perdre son sang-froid ne leur sera d'aucune aide à tous les deux.
Il a du mal à faire redescendre le tumulte qui bouillonne en lui. Il essaye de comprendre ce qu'il s'est passé un peu plus tôt. Il a l'impression que ses instincts ont pris le dessus sur sa volonté pour lui donner une énergie phénoménale. Levi n'a jamais vraiment ressenti ça auparavant. Il aurait honte de l'avouer à Erwin, de lui dire que pendant quelques minutes, il a perdu le contrôle de lui-même. Erwin ne comprendrait pas. Levi ne veut pas qu'il le voie comme un animal, ou pire, qu'il ait peur de lui.
Levi s'est déjà retrouvé dans des situations d'extrême tension où sa vie était menacée. Il s'est retrouvé dans des batailles perdues d'avance. Il a affronté des ennemis beaucoup plus forts que lui. Et pourtant, il n'a jamais ressenti une rage comparable à celle qui lui tord les tripes quand Erwin est en danger.
Est-ce que c'est son amour pour lui qui le rend comme ça ?
Levi a aimé d'autres personnes. Sa mère, Kenny d'une certaine manière, Furlan et Isabel, Hange… mais il n'a jamais rien ressenti de similaire, même avec une moindre intensité. Il ne l'explique pas. Il ne comprend pas ce qu'il se passe en lui. Il n'est pas sûr de vouloir le comprendre. Il doit surtout apprendre à se contrôler avant que ça ne devienne contre-productif.
Il ferme les yeux et se concentre sur sa respiration. Erwin est vivant. Il est mal en point, mais il est vivant. S'il était mort, il le ressentirait. Dans ses os, dans sa chair. Il en est persuadé.
Se débattre contre ses chaînes ne servirait à rien. Il se fatiguerait inutilement. Sa cuisse le lance. Il suppose que les balles sont toujours à l'intérieur. Il va devoir trouver un moyen de les extraire et vite, avant que ses blessures ne s'infectent. Mais ce n'est rien par rapport à l'inquiétude qu'il ressent en repensant à la main d'Erwin. Sa main droite. Le commandant a besoin de soins urgents.
Les heures s'étirent avec une lenteur infinie. Les cellules sont plongées dans un silence absolu.
Après plusieurs heures de lutte pour se contrôler, Levi craque et pleure d'angoisse en silence. Il ne s'est jamais senti aussi impuissant. Il ne peut rien faire d'autre que d'attendre et espérer. C'est insupportable. Surtout quand Erwin est en danger de mort.
Son corps résiste. Ses muscles se tendent, comme s'il avait le moindre espoir de briser ses chaînes. Il sait qu'il devrait ménager le peu de forces qu'il lui reste, mais chaque fois qu'il visualise Erwin évanoui dans sa cellule, son sang se met à bouillir. Il s'épuise. Il alterne les phases de profond désespoir et de colère intense. À plusieurs reprises, il se sent proche de perdre connaissance et se débat pour refaire surface.
Il a l'impression qu'un jour entier passe. Il n'a aucun moyen d'en être sûr, car personne ne vient leur rendre visite. Personne ne leur apporte à boire ou à manger. Ses lèvres commencent à gercer.
Il ne voit pas qui pourrait les tirer de là. Ils sont les deux agents vers qui se tourneraient tous les autres s'ils étaient à leur place. Le cerveau du Bataillon d'Exploration et son bras armé. Mais maintenant qu'ils sont eux-mêmes neutralisés, il ne sait pas sur qui fonder ses espoirs.
Il est en plein cauchemar. Il donnerait n'importe quoi pour se réveiller.
Il ne demande pas grand chose. Il veut juste tirer Erwin de ce merdier et s'assurer qu'il continue à vivre. Il veut le serrer à nouveau contre lui, l'embrasser, le couvrir de caresses. Qu'ils passent des heures enlacés sur le lit ou sur le canapé. Même pas à faire l'amour, même si l'idée est attirante aussi, mais juste à le tenir contre lui. Il veut sentir la chaleur de son corps qui palpite contre le sien.
S'ils s'en sortent, il va tout laisser tomber. Il se fiche complètement de cette quête inutile. Il va essayer de convaincre Erwin de faire de même. Puis ils iront vivre une vie tranquille loin de tout ça. Ils deviendront vieux, ridés, séniles. Ensemble.
Il doit sauver Erwin. Il ne peut pas le perdre.
La lumière au bout du tunnel de son désespoir se présente sous la forme d'une petite femme aux cheveux hirsutes et aux paupières lourdes qui l'observe à travers la grille de sa cellule. Levi la reconnaît mais met plusieurs minutes à la replacer. C'est celle qui se tenait aux côtés de Jaeger lors des derniers assauts.
Il s'apprête à lui demander la confirmation de ses soupçons quand du bruit dans le couloir attire son attention. Plusieurs personnes sont en train de s'agiter du côté de la cellule d'Erwin. Il se redresse d'un coup quand il entend le son familier d'un poing qui connecte le corps d'un être humain.
— Qu'est-ce qu'ils font ? demande-t-il d'un ton alarmé. Qu'est-ce qu'ils lui veulent, encore ?
Est-ce qu'Erwin a menti ? Il n'a pas écouté ce qu'il a dit à Jaeger. Ou est-ce que les autres se sont douté de ce qu'il se tramait et ont déplacé les Titans ? Il va vomir. Chaque fois que le bruit mat se répète, il se sent se déliter. Tomber en morceaux.
Il lève les yeux vers la femme qui l'observe toujours. On dirait qu'elle n'entend pas ce qui se passe à côté. Ou que ça ne l'intéresse pas. Elle se tient immobile, tranquille, silencieuse.
Un autre coup. Levi ferme les yeux et exhale douloureusement. La femme incline la tête sur le côté.
— Levi Ackerman, c'est ça ?
Levi acquiesce.
Il a évidemment envie de lui arracher la tête avec les dents, mais son agressivité ne lui a pour le moment été d'aucune aide, pour ne pas dire dangereuse. Avec Zeke, il n'avait aucune chance. Mais avec elle, peut-être qu'il peut essayer de faire appel à son humanité. De toute façon, il n'a pas le choix.
Levi est loin d'être le meilleur à cet exercice, essayer de séduire les gens pour qu'ils aillent dans son sens. Erwin sait faire, lui non. Il n'a aucun charisme, aucune amabilité, aucune patience. Il ne sait pas sous quel angle aborder la discussion. C'est finalement elle qui reprend la parole.
— Je suis Pieck.
Le calme de sa voix irrite Levi. Visiblement, cette conne pense que le moment est adapté pour des présentations, alors que ses amis sont en train de battre Erwin. Il se force à respirer calmement.
— Tu fais partie des Titans ? Je t'ai vue en compagnie de Zeke Jaeger lors de la dernière bataille.
C'est au tour de la femme d'acquiescer.
— Je t'ai vu aussi. Très impressionnant.
Levi attend qu'elle poursuive, mais elle se contente de le contempler d'un air rêveur. Il reprend la parole.
— Qu'est-ce qu'ils lui veulent ? Pourquoi ils s'acharnent sur lui ?
— C'est ton commandant, n'est-ce pas ?
Il se doute qu'elle doit déjà connaître la réponse. Soit elle cherche à faire la conversation, soit elle ne doit pas avoir un rang très élevé. Dans les deux cas, elle lui fait perdre un temps précieux.
— C'est un peu plus que...
Il ne sait pas s'il doit le dire à voix haute. Il se doute que Zeke a fait circuler ce genre d'information parmi ses troupes. Il laisse planer un silence qu'il espère éloquent. Il ne sait pas si la femme parviendra à l'interpréter, mais il ne peut se résoudre à en dire plus. Il change l'angle de la conversation.
— Il est déjà blessé… Ils vont le tuer !
Pieck le considère un instant. Puis elle disparaît dans le couloir et Levi l'entend discuter à voix basse avec des hommes. Il pourrait profiter de sa visite pour en apprendre plus sur elle, pour pêcher des indices sur son rôle au sein des Titans. Mais à vrai dire, à cet instant, il s'en fiche. Seule l'intégrité d'Erwin compte. Ses idéaux, ses ambitions, ses objectifs, ils en reparleront plus tard. Levi ressent une pointe de culpabilité, mais il ne peut décemment pas se préoccuper de l'organisation interne des Titans à cet instant.
Pieck revient.
— Je leur ai dit de se calmer.
Levi se détend à peine. Erwin n'a pas besoin de sursis, il a besoin de voir un médecin.
— Merci, murmure-t-il.
Il cherche un moyen de lui demander de desserrer ses liens. Mais Pieck change toute seule de sujet de conversation.
— Apparemment, le Bataillon arrive. Des informations que tu voudrais partager sur le sujet ?
Levi reste bouche bée. Le Bataillon arrive. Quoi ? Qui ? Comment ? Il ne sait même pas où Zeke les retient prisonniers. Comment le Bataillon a-t-il pu les retrouver en si peu de temps, quand lui-même a cherché Erwin pendant des jours ?
Il est d'abord soulagé pour Erwin. Le Bataillon va les sortir de ce merdier. Puis son cœur plonge dans sa poitrine. Les Titans peuvent aussi paniquer et se déchaîner sur le commandant. Ou l'utiliser comme bouclier.
— Peu importe, non ? répond Levi. Les Titans n'ont jamais réussi à pénétrer dans l'enceinte de l'hôtel de police. Je suppose que ce sera la même chose dans l'autre sens.
— Sans doute, répond la femme d'un ton pensif. Mais ça devrait quand même nous occuper quelques heures.
— J'ai aucune information sur cette opération. On n'avait pas de plan pour ce genre de situation. On a été trop confiants.
Au moment où il prononce ces paroles, il réalise qu'Erwin en avait sûrement au moins ébauché un. Est-ce qu'il l'a partagé avec quelqu'un ? Levi en doute. Il ne voit pas à qui il pourrait l'avoir fait. Et pourtant, il a un petit regain d'espoir.
— Comment il va ? demande-t-il dans un souffle, les yeux rivés sur le sol. Le commandant.
— Il est mal en point, concède Pieck.
— Laisse-moi le voir. Je t'en supplie. Je veux juste voir comment il va. S'il y passe, vous perdez un précieux avantage.
— Je dirais que c'est plutôt vous, qui perdez un avantage.
Levi ferme les yeux.
— Écoute… en fait, je m'en fous, ok ? La guerre entre les Titans et les flics, je m'en fiche. C'est pour lui, que je suis là. Uniquement pour lui.
Par respect pour Erwin, Levi aimerait que ce soit un mensonge. Il doit entraîner son interlocutrice sur le terrain personnel, pour qu'elle comprenne qu'il se fiche vraiment du sort des Titans. Mais c'est beaucoup plus dur qu'il ne l'avait anticipé.
— Je… C'est mon…
Il n'a jamais vraiment exprimé à quiconque ce qu'Erwin représente pour lui. Quand il parle avec Hange, il n'a pas besoin de trouver de mot pour le définir. Il n'en parle avec personne d'autre.
— Ton compagnon ? propose Pieck.
Levi ne dit rien. Il penche la tête en avant pour dissimuler ses yeux derrière ses cheveux. Il a honte d'être aussi vulnérable. Erwin attend de lui qu'il soit fort.
— J'ai besoin de voir qu'il est vivant. Tu peux me braquer ton flingue sur la tête si ça te rassure. Mais laisse-moi quelques minutes avec lui. S'il te plaît.
Elle hésite. Levi croit enfin voir une brèche dans laquelle il peut s'engouffrer.
— Je sais que si je déconne, vous allez le tuer. Tu crois que je prendrais ce risque ?
Il fait trembler sa voix de toute la douleur qu'il peut conjurer.
— Quelques minutes, Pieck. Je t'en supplie.
Elle remue, inspire, le considère de ses yeux sombres. Il ne veut pas crier victoire trop vite, mais il sent qu'il a gagné.
— Ok, dit-elle. Mais si tu fais le moindre pas de travers, ils vont te descendre.
Levi sent un poids énorme se lever de sa poitrine. Pour ne pas les effrayer, il ne bouge pas tandis que Pieck fait entrer deux sbires dans sa cellule. Ils retirent les couches de chaînes qui lui enserrent le torse et les cuisses. Levi sent la marque qu'elles ont laissée sur sa peau. Il se retrouve seulement avec les poignets et les chevilles liées. Sa cuisse blessée lui fait un mal de chien.
Il profite d'être plus libre de ses mouvements pour aller se soulager. La nausée le saisit à la gorge et il vomit d'un coup tout son stress, toute sa colère et toute sa douleur. Il prie pour qu'ils ne le laissent pas moisir dans cette cellule pendant encore des jours.
Ils entrouvrent la porte de sa cellule. Levi se force à marcher lentement pour ne pas les effrayer. De toute manière, sa jambe l'empêche de courir. Il boite. Deux sbires lui pointent le canon de leurs armes sur la tempe. Levi les ignore.
Il se faufile dans la cellule d'Erwin et se laisse tomber, plus qu'il ne s'agenouille, à ses côtés. Le commandant est étalé par terre sur le flanc, les chevilles entravées et les mains liées dans le dos. Son visage est tuméfié et violacé par les coups, au point qu'il n'arrive plus à entrouvrir les paupières. Levi lui pose une main sur la joue et le fait sursauter.
— C'est moi, Erwin. Levi, ajoute-t-il après une courte hésitation.
Comme si le commandant ne reconnaissait pas sa voix.
Erwin se tourne lentement vers lui.
— Levi, tu es blessé ? demande-t-il dans un filet de voix qu'il essaye de maintenir ferme.
— Non, ment Levi.
Erwin pousse un soupir de soulagement. Ses épaules se détendent. Le cœur de Levi se serre. Il se penche vers lui et lui murmure à l'oreille :
— On va se sortir de là, ok ?
— Si tu as une occasion de fuir, tu la saisis, c'est compris ? répond Erwin sur le même ton. Tu ne la laisses pas t'échapper.
— Je ne partirais pas sans toi…
— Si. C'est un ordre, Levi.
— Tu sais très bien que c'est impossible.
— Obéis.
Son ton est sans appel, si ferme que Levi recule de quelques centimètres. Il a promis à Erwin qu'il lui obéirait quoi que lui dictent ses sentiments. Il regrette cette promesse.
— C'est compris. Si j'ai l'occasion de fuir, je le ferai.
Erwin soupire à nouveau.
— Je vais regarder ta main, annonce Levi.
Il contourne le commandant et examine la plaie. La nausée le saisit à nouveau.
— Tu as mal ?
— À peine. Mais je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle.
Pieck et les gardes les observent à travers la grille. Le regard de la Titan est impénétrable. Levi profite de l'examen de la blessure d'Erwin pour étudier la manière dont ils l'ont attaché. Des cordes. S'en débarrasser sera beaucoup plus facile que ses propres menottes en métal, s'il trouve un objet suffisamment tranchant…
— J'aimerais pouvoir voir ton visage, souffle Erwin.
Levi a l'impression d'être plongé dans un bain d'eau glacée.
— Crois-moi, tu rates vraiment pas grand-chose, grogne-t-il. Et la prochaine fois que t'arriveras pas à le voir, c'est parce qu'il sera enfoui entre tes cuisses.
Erwin laisse échapper un petit rire étranglé qui répand enfin une chaleur rassurante dans la poitrine de Levi.
— Une partie du Bataillon est en route, murmure Levi.
— Je sais…
— Je suppose que ça ne t'étonne pas ?
— Fais-moi confiance, Levi.
Levi se penche vers lui, si proche que son souffle caresse l'oreille d'Erwin.
— J'ai absolument confiance en toi.
Erwin répond par un pâle sourire. L'un des sbires donne un grand coup contre les barreaux de la grille. Ils sursautent tous les deux.
— C'est rien, dit Levi en posant une main rassurante sur le biceps d'Erwin. Il fait le con avec sa matraque.
Il lui caresse les cheveux d'une main distraite sans quitter le garde des yeux. Il aimerait qu'Erwin se redresse, qu'il montre un peu plus de vitalité. Mais le commandant ne semble pas pouvoir faire mieux que de rouler sur lui-même. Leur fuite s'annonce compliquée. Peu importe, Levi est prêt à porter Erwin sur son dos s'il le faut. Le commandant est vraiment dans un état catastrophique.
— Tu as peur ? demande-t-il soudain.
— Non, pas tant que tu es là.
Il a répondu d'un ton tellement évident que les yeux de Levi le piquent. Il va les sortir de ce merdier. Tous les deux. Il le lui doit.
— Allez, tu sors, aboie l'un des gardes.
Par réflexe, la main de Levi s'agrippe à Erwin.
— M'oblige pas à venir te chercher !
— Si tu viens pas dans la seconde, on vous détruit la gueule à tous les deux. Et quand j'en aurai fini avec toi, tu pourras le sucer par la narine.
Levi sent leur hésitation. Ils parlent fort, mais ils n'osent pas entrer dans la cellule. Il constate avec satisfaction qu'il a encore sa petite réputation dans leurs rangs. Pieck observe la scène avec intérêt.
L'un des sbires rassemble enfin le courage d'ouvrir la grille. Levi se place devant Erwin pour le protéger. Il est prêt à les dépecer avec les dents avant de les laisser le toucher à nouveau.
Une explosion les interrompt tous. Ils se regardent, interdits, puis lèvent d'un seul mouvement les yeux vers le plafond.
Une seconde explosion.
Pieck croise le regard bravache de Levi, recule d'un pas et file en courant dans le couloir. Les deux gardes hésitent puis décident que les deux officiers ne sont plus leur priorité. Ils referment la grille précipitamment et se sauvent à la suite de la Titan. Une série de détonations accompagne leur fuite.
— C'est Hange ? demande Levi.
Évidemment. Qui d'autre aurait pu débarquer avec assez d'explosifs pour faire sauter la moitié de la ville ? Qui d'autre aurait un plan d'attaque qui résumerait à entrer et tout faire sauter ? Levi s'en veut presque de ne pas avoir pensé à elle dès le début. Il se sent soudain rassuré. Ils vont s'en sortir.
Il jette un coup d'œil dans le couloir pour s'assurer que tous les gardes ont bien détalé, puis il regarde autour de lui à la recherche de quelque chose dont il pourrait se servir pour trancher. Il ne viendra pas à bout de ses propres chaînes en fer, mais il peut au moins libérer Erwin.
La cellule est évidemment vide. En douceur, Levi fait rouler Erwin sur le ventre pour exposer ses liens. Il n'a pas d'autre choix que de défaire le nœud. Ses mains entravées le gênent, mais l'énergie du désespoir l'aide. Les explosions se multiplient au-dessus de leur tête. Le Bataillon est en train de leur faire gagner du temps. Après plusieurs minutes de lutte désespérée, les liens d'Erwin se desserrent enfin. Levi tire dessus d'un mouvement sec.
— Erwin, lève-toi.
Avec un effort surhumain, Erwin s'appuie sur ses coudes pour se mettre à genoux. Il palpe le pourtour de ses yeux du bout des doigts.
— Je ne vois rien, Levi…
— C'est à cause des hématomes. Ça va dégonfler.
— Mais je ne vois rien, je vais te ralentir.
— Commence pas…
— Levi…
— Ta gueule, Erwin ! s'énerve Levi. Je serai tes yeux et tu seras mes mains, ok ? On a pas vraiment le temps de pleurnicher !
Il sait qu'il va s'en vouloir d'avoir été aussi dur avec lui. Mais il a les nerfs à vif et il est mort de trouille. Il l'aide à se relever. Il retient à grand-peine un grognement de douleur quand le poids du commandant se porte sur sa jambe blessée. Erwin titube, ses mains tâtonnent l'air devant lui. L'amplitude des pas de Levi est limitée par les chaînes qui lui lient les chevilles. Ils sont vraiment dans une merde noire.
Un vacarme métallique retentit à l'extrémité du couloir. Ils se figent tous les deux.
C'est l'un des gardes qui revient, armé d'un fusil. Il a le visage couvert de sang et les yeux hallucinés. Il leur braque son arme dessus à travers les barreaux de la grille.
— Baisse ton flingue, connard ! s'exclame Levi en se glissant devant Erwin. Jaeger va t'arracher la gueule si tu nous tues !
Le canon de l'arme tremble. L'homme semble hors de lui, prêt à succomber à la folie.
— Baisse ton fl-
Le déclic de la sûreté qu'on retire le fait plonger sur le commandant pour le plaquer au sol. Il serre de toutes ses forces ses bras autour de son corps, le front pressé contre son dos, les yeux clos. S'il doit mourir maintenant, c'est comme ça qu'il veut le faire.
Une détonation retentit. Levi s'attend à ce qu'un noir brutal le happe. Que son cerveau se débranche d'un coup. Mais il est toujours bien conscient et il sent la présence d'Erwin contre lui.
— Capitaine ? Commandant ! s'écrie une voix familière.
Mikasa. Levi se redresse aussitôt. Le garde qui les a mis joue gît sur le sol, la moitié du crâne en morceaux.
— Mikasa ! Tu sais crocheter une serrure ? demande Levi.
Elle hausse les épaules et tire un coup de fusil dans la serrure, qui vole en éclats. Kirstein et Braus débarquent à sa suite. Levi est pressé par l'urgence de la situation, mais il s'accorde tout de même quelques secondes pour considérer ce que signifie la présence de Mikasa, enfin à leurs côtés dans une confrontation directe avec les Titans.
— Le commandant est gravement blessé.
— On va l'aider, répond Kirstein avec assurance.
— Vous aussi, vous êtes blessé, capitaine ! s'écrit Sasha.
— Tsk. C'est rien. Je peux marcher.
C'est la vérité. L'adrénaline anesthésie sa blessure. Il tend ses poignets liés à Mikasa pour qu'elle le détache. Celle-ci inspecte ses menottes et grimace.
— Attendez, capitaine, je m'en occupe, annonce Jean.
Il tire de derrière son dos une espèce d'énorme marteau. Levi retire ses poignets.
— N'y pense même pas.
— J'ai pris ça à une Titan, dit Jean. Je sais pas en quoi c'est fait, mais ça défonce tout.
— Raison de plus pour que t'approches pas de moi avec.
— On n'a pas d'autre choix. Sinon vous continuez à courir comme un crétin avec les chevilles liées. Sauf votre respect, capitaine.
Levi pousse un juron et replace ses poignets.
— Si tu me broies une main, j'utilise l'autre pour t'arracher les couilles et te les faire bouffer.
Jean brandit la masse et se concentre, la langue entre les dents. Levi a un très, très mauvais pressentiment. Il est tenté de fermer les yeux, mais il le surveille avec attention, prêt à retirer ses poignets à la dernière seconde.
Mikasa arrache le marteau des mains du jeune homme et l'abat de toute ses forces sur la chaîne. La puissance du coup déséquilibre le capitaine, mais il est libre. Quelques secondes plus tard, la chaîne qui relie ses chevilles subit le même sort. Il se jette sur Erwin pour l'aider à se relever. Le vacarme au-dessus de leurs têtes est assourdissant.
— Retournez protéger Hange, ordonne Levi.
— Mais… proteste Sasha en l'aidant à relever Erwin.
Mikasa ne montre aucun signe qu'elle s'apprête à lui obéir. Kirstein boude dans un coin, humilié de s'être fait voler la vedette.
— Retournez auprès du Capitaine Zoë, fait la voix autoritaire d'Erwin.
Levi a l'impression de respirer à nouveau. Il a toujours les bras autour du commandant, mais celui-ci tient debout tout seul. Cette fois, ils se décident à obéir. Sasha donne à Levi l'un de ses revolvers et plusieurs lames. Elle veut aussi lui donner son équipement de manœuvre tridimensionnelle, mais il refuse.
Ils lui expliquent le chemin pour sortir de l'antre des Titans. Levi les écoute avec attention puis les somme de déguerpir. Ils détalent tous les trois, non sans lui avoir jeté un dernier regard.
— Tu peux marcher ? demande Levi d'une voix douce à Erwin.
Erwin tente quelques pas. Oui, il peut marcher. Au prix d'un effort considérable. Et Levi a du mal à le soutenir à cause de sa jambe qui menace à tout moment de le lâcher. Ils ne vont pas aller bien loin comme ça. Mais ils n'ont pas besoin d'aller loin. Il faut juste qu'ils sortent de là.
Une explosion phénoménale fait trembler le plafond et leur déverse une pluie de débris dessus. Levi tousse et se frotte les yeux. Il faut qu'ils se tirent de là. Vite.
Il entraîne Erwin hors de la cellule puis dans le couloir en suivant les indications des jeunes. Ils mettent à temps fou à gravir l'escalier en pierre qui mène à la surface, d'autant que le sol tremble régulièrement sous l'effet des explosions. Levi commence à se dire qu'Hange ne peut pas être seule responsable de l'intégralité de ce bordel. Les deux camps doivent être en train de s'affronter à armes égales.
Erwin commence à montrer des signes de faiblesse. Il suit aveuglément Levi, en totale confiance, mais ses grimaces à chaque pas trahissent la douleur qui engourdit tout son corps.
Ils émergent dans un nuage de poussière et de gravats. Des blocs entiers de pierre parsèment la grande salle dans laquelle ils se trouvent. La destruction autour d'eux est telle que Levi a du mal à identifier dans quel genre de bâtiment ils se trouvent. Erwin tousse à son tour. Une explosion retentit à quelques mètres et les oblige à se plaquer instinctivement au sol. Levi ne distingue même pas ce qui a bien pu la provoquer.
D'énormes débris volent autour d'eux. À côté, ils sont minuscules et si fragiles. Levi s'oblige à sortir de sa torpeur horrifiée et entraîne à nouveau Erwin en direction de la sortie. Des pierres de taille effrayante les frôlent et les évitent de justesse. Erwin ne peut pas se servir de sa vue pour les esquiver. Levi est terrorisé. Il plaque le commandant contre lui.
Plusieurs personnes courent à travers les décombres sans leur prêter attention. Toutes sont couvertes d'une couche de poussière qui les rend impossible à identifier. Toutes fuient en direction de la sortie. Des blocs se mettent à tomber du plafond. De larges fissures se dessinent sur les murs. Le bâtiment ne va pas tarder à s'effondrer.
— Erwin, un dernier effort, supplie-t-il. On y est presque.
Le commandant fait l'effort de se redresser et s'affaisse à nouveau. Le blond de ses cheveux disparaît presque entièrement sous la couche de poussière. Levi dissimule la panique qui l'envahit et s'accroupit devant son compagnon. Ils n'ont pas le temps. Mais il le prend quand même. Il n'a pas le choix. Il lui saisit avec délicatesse le visage entre les mains.
— Erwin, écoute-moi. Je sais que tu as mal partout, et que tu ne vois rien, mais on y est presque, ok ? C'est la vérité. S'il te plaît, accroche-toi.
Il pose son front contre celui d'Erwin. Un bout du plafond se détache et éclate en percutant le sol à une vingtaine de mètres d'eux.
— Je t'interdis d'abandonner ! s'écrie Levi avec colère. T'as pas le droit de me faire ça ! J'ai besoin de toi ! Tout le Bataillon a besoin de toi !
— Je sais, Levi. Je sais tout ça. Je… je fais ce que je peux.
— Non !
Levi refuse. Il refuse de croire qu'Erwin est à bout, qu'il n'a plus l'énergie nécessaire pour s'en sortir. Il refuse de croire que les Titans l'ont brisé. Si seulement il pouvait lui transmettre une partie de sa force. Il lui donnerait tout, sans hésiter. Il déverserait son âme dans la sienne sans ciller.
Un craquement sinistre le fait lever la tête. Un pan entier du plafond est en train de se détacher. Levi se remet sur ses pieds et tire Erwin à lui. Il tire littéralement le poids du corps inerte de son compagnon.
Ils parcourent plusieurs mètres. Levi mobilise toutes les forces qui lui restent. Il sent le sang qui s'écoule de sa cuisse imbiber son pantalon.
Le plafond s'effondre autour d'eux. La puissance du choc les sépare. Ils sont ensevelis sous un nuage dense de débris. À tâtons, Levi rampe au milieu des gravas et cherche Erwin. Le commandant a été projeté à plusieurs mètres. Il touche enfin sa chemise, ses épaules, son crâne.
— Erwin ? Erwin, réponds-moi !
— Levi…
— Allez, on se tire.
— Levi !
Il y a tellement de fermeté dans la voix du commandant que Levi est coupé dans son élan. La poussière se dissipe peu à peu autour d'eux.
— Levi, je veux que tu partes. Maintenant.
— Qu'est-ce que tu racontes ?
— Va-t-en ! Je…
Sa voix se brise et Levi sent son corps céder à la terreur la plus totale.
— Je t'aime, Levi. Je t'aime. Mais je veux que tu partes.
La poussière commence à retomber autour d'eux et le cœur de Levi manque d'éclater dans sa poitrine. Erwin est coincé. Il a le putain de bras droit coincé sous un énorme bloc de pierre. Tous les sons se brouillent autour de Levi. Il a l'impression qu'on lui plonge la tête dans l'eau. Il ne perçoit plus rien d'autre qu'Erwin.
— Putain de merde…
— Levi…
— Merde !
S'il n'était pas si choqué, Levi pleurerait de rage. Les larmes ne veulent pas venir. Il essaye de soulever le bloc. De le pousser. Impossible. Il ne réussit pas à le faire bouger d'un millimètre. Il donne un coup de poing rageur dans la pierre et laisse échapper un hurlement de désespoir. Des débris continuent à se détacher du plafond et à tomber autour d'eux.
— Levi ! Je veux que tu partes immédiatement. C'est un ordre ! s'écrie Erwin.
La solidité de sa voix calme soudain Levi. Il a l'impression que son esprit s'éclaircit et se remet à penser avec rationalité. Il baisse les yeux sur Erwin.
D'un mouvement sec, il détache sa ceinture et la serre aussi fort que possible autour du bras d'Erwin. Le commandant continue à lui parler, mais Levi n'entend plus rien.
Il brandit l'une des lames de Braus, essuie les larmes qui ruissellent sur son visage et, d'un geste net mû par une force surhumaine, il sectionne le bras d'Erwin pour le libérer.
