Chapitre 20

Erwin revient à lui progressivement, l'esprit vide. Il met du temps à comprendre où il se trouve. Tout est blanc, métallique, froid. Il règne une odeur de… oh, il est à l'hôpital.

Il tente de se redresser, mais son corps pèse une tonne.

— Oh là, mon grand, vas-y mollo ! fait une voix familière.

Erwin tourne la tête et distingue les contours flous d'Hange, assise en travers d'un fauteuil à quelques mètres de son lit.

— Où est Levi ? grogne-t-il aussitôt.

— Bonjour à toi aussi. Il va bien, il dort. Je l'ai obligé à aller se reposer un peu. Il ne voulait pas te lâcher, ça a failli se terminer en piqûre de sédatif dans le cul.

Erwin lâche un rire qui se transforme rapidement en grimace. Il a mal partout. Aux flancs, au dos, au ventre, à la tête. Il a envie de vomir. Il est sûr d'avoir des côtes cassées.

— Quel jour on est ?

— Tu es resté dans les choux pendant un peu plus de soixante-douze heures.

Ses souvenirs sont flous. Il se rappelle très bien avoir été enlevé par les Titans, la discussion avec Zeke Jaeger, l'arrivée de Levi… puis tout se brouille. Il se rappelle des explosions, de la pierre qui vole autour d'eux, du visage suppliant de Levi, de sa voix désespérée qui lui brise le cœur.

Hange se lève et vient s'asseoir au bord du lit, un peu hésitante. Elle le dévisage avec une pointe d'appréhension qu'il ne saisit pas.

— Nous avons perdu des agents ? demande Erwin.

— Cinq. Et plusieurs blessés graves qui devront sans doute mettre un terme à leur carrière au sein du Bataillon.

Erwin soupire. Il ne veut surtout pas qu'Hange se mette ces morts sur le dos.

— Tu as été remarquable. Je savais que tu serais à la hauteur.

Elle lui adresse un pâle sourire et se frotte les yeux sous ses lunettes. Elle a l'air plutôt en forme, si on fait abstraction des égratignures qui lui couvrent le visage.

— Aide-moi à me redresser.

Hange lui tend la main. Erwin va pour l'attraper et… rien ne se passe. Il baisse les yeux vers son épaule et réalise qu'il n'a plus de bras droit. Un sentiment étrange l'engourdit. La pièce tourne autour de lui. Il se raccroche à la voix d'Hange qui lui demande de rester avec elle. Il ferme les yeux le temps que le monde se stabilise, puis il baisse à nouveau le regard vers son moignon couvert de bandages. Son bras a été sectionné au milieu de son biceps. La blessure ne lui fait pas mal, mais le vague sentiment de nausée qui le tient à la gorge depuis qu'il est revenu à lui le laisse supposer qu'ils l'ont bourré de drogues antalgiques.

Il esquisse un mouvement pour palper le pansement, mais Hange lui intercepte le poignet.

— Touche pas, ils viennent de le refaire.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

— Tu avais le bras coincé sous un bloc de pierre. Levi n'a pas eu d'autre choix pour te libérer. C'était ça ou tu y restais.

Erwin contemple son moignon d'un air songeur.

— Il s'en veut terriblement, comme tu peux l'imaginer.

Erwin sent les souvenirs affleurer à la surface de son esprit à mesure qu'Hange raconte les détails que lui a transmis Levi. Il ne sait pas si ce sont de vraies réminiscences, ou s'il est en train de tout inventer. Hange lui lâche le poignet. Il tend sa main gauche pour qu'elle l'aide à se redresser sur son oreiller.

Même s'il sait que sa vie va changer, Erwin est trop fatigué pour réfléchir à tous les ajustements que la perte de son bras va lui demander. Pour le moment, il est surtout inquiet pour son poste de commandant.

Personne n'est prêt pour le remplacer au pied levé à la tête du Bataillon d'Exploration, et il n'a aucune envie de céder sa place. C'est de son cerveau dont le Bataillon a besoin avant tout, pas de son bras. Il est un bon agent, il sait se battre, mais il est loin d'être exceptionnel. En revanche, personne ne peut rivaliser avec son intelligence tactique. Ils ne peuvent donc pas se passer de lui.

Après quelques minutes de réflexion, il conclut qu'il n'a vraiment aucune raison de céder sa place à la tête du Bataillon. Il estime qu'il pourra même continuer à participer aux missions. Il devra reprendre un peu l'entraînement pour s'adapter, mais de toute manière, il ne risque pas grand-chose tant que Levi est à ses côtés.

Ce qui le préoccupe le plus, à cet instant, c'est qu'il écrivait de sa main droite. Il peut dire adieu à sa belle écriture régulière et à l'aura de respectabilité qu'elle lui conférait lors de ses échanges épistolaires.

— La blessure te fait mal ? demande Hange en interrompant le cours de ses pensées.

— Non. C'est… une sensation étrange.

— Je suis désolée, Erwin.

— Ça va aller. Ça pourrait être pire, non ?

— Mais si j'avais…

— Je ne veux pas t'entendre t'apitoyer, Hange. J'espère que tu as commencé à préparer ton rapport. Je le veux long et détaillé, et je le veux pour demain.

Un infirmier entre dans la pièce et salue Erwin, visiblement soulagé de le voir éveillé. Les premières émotions du réveil passées, le commandant se sent vaseux et épuisé. Il laisse le nouveau venu lui palper le pouls, lui examiner les pupilles et lui prendre la température. Il s'entend à nouveau poser la question de la douleur. Il répète qu'il n'a pas mal.

Il demande à l'infirmier comment va Levi. On lui répond qu'il se remet de manière rapide et satisfaisante. Erwin a hâte de le voir. Il sait cependant que pour le moment, tous les deux ont besoin de se reposer. Il se laisse aller dans les coussins et se tourne sur le côté. Son corps est étrange, presque étranger. Même couché, il n'a plus le même équilibre. Il trouve tant bien que mal une position confortable et laisse le sommeil l'engloutir.

Quand il se réveille quelques heures plus tard, il fait nuit et il comprend tout de suite qu'un corps chaud est blotti contre le sien. Il a d'abord l'impression de rêver, mais il reconnaît l'odeur des cheveux de Levi. Il n'a pas besoin de discerner son visage pour savoir qu'il est bien là, avec lui. Le capitaine est lové contre son flanc gauche, sur la couverture, et Erwin est à peu près sûr qu'il n'a pas le droit d'être là. Il est vêtu d'une tunique blanche similaire à celle qu'il porte.

Ses traits sont sereins et détendus malgré les blessures superficielles qui marbrent la peau de son visage. Il ne fait presque pas de bruit en respirant. Il a l'air si calme. Erwin mesure sa chance d'être la seule personne à qui Levi montre cette facette de lui-même.

Même si Erwin reste parfaitement immobile, Levi sent qu'il le regarde et ouvre les yeux.

Ses pupilles brillent dans la pénombre. Il remue de manière à ce que son visage se retrouve à quelques centimètres de celui d'Erwin. Leurs cils s'effleurent. Leurs souffles se mêlent. Pendant quelques minutes, ils peuvent prétendre qu'ils sont dans leur lit à tous les deux, dans leur chambre. Que la folie meurtrière des Titans ne les concerne pas. Qu'ils ne sont pas blessés. Que rien ne compte à part eux.

Levi l'embrasse avec une tendresse infinie. Il pose délicatement sa main sur son oreille et presse leurs lèvres ensemble. Erwin ressent tout son amour dans son baiser. Un amour intense, solide et intime, qu'il peut lui transmettre juste par un souffle ou par une caresse. Son cœur s'emballe dans sa poitrine. Il a l'impression de flotter hors du temps.

Il entremêle leurs jambes et enroule son bras autour de la taille de Levi pour donner plus de profondeur à leur baiser. Levi laisse échapper un petit gémissement contre ses lèvres. Il gémit à la fois de soulagement et de douleur. Erwin est instantanément ramené à la réalité. Levi est blessé. Il est blessé aussi. Ils viennent de traverser une épreuve qui les a tous les deux durement éprouvés.

Mais Levi n'a pas envie de mettre un terme à ce moment. Il se fait plus pressant. Sa langue caresse celle d'Erwin, ses dents lui mordillent la lèvre, il grimpe légèrement sur lui pour prendre l'ascendant. Ils n'ont pas échangé le moindre mot. Leur étreinte prend des accents désespérés. Ils communiquent par le toucher, en sentant les réactions du corps de l'autre, en écoutant sa respiration. Ils se comprennent parfaitement quand ils sont ensemble. Erwin sait qu'il n'y a qu'avec Levi qu'il peut ressentir un tel degré d'intimité.

Levi passe une jambe par-dessus son ventre pour le chevaucher, tout en s'abstenant de faire peser son poids sur lui. Erwin se redresse et l'attire dans un nouveau baiser. Il effleure son bras, son flanc, passe sa hanche et suit la courbe de sa fesse jusqu'à ce que ses doigts tombent sur le bandage qui lui serre la cuisse. Hange lui a dit qu'il était blessé. Il retire sa main. Levi se plaque contre lui et enfouit son visage dans le creux de son cou.

Erwin le sent fébrile. Avide de le toucher, mais avant tout pour s'assurer qu'il est bien vivant, que son corps est chaud sous ses doigts et que sa poitrine se soulève à intervalles réguliers. Il pose la main sur sa nuque pour l'apaiser.

— Chhh… murmure-t-il dans un souffle à peine audible.

Levi le serre maintenant contre lui avec une force qui réveille la douleur de ses côtes. Erwin sent dans son étreinte toute la terreur qu'il a ressentie à l'idée de le perdre. Les larmes de son compagnon lui coulent dans le cou. Il a beau garder les yeux fermés, elles s'échappent à travers ses cils clos.

— Levi… Levi ! Je suis là. Je suis vivant. Calme-toi, je suis là.

Levi laisse échapper un sanglot étranglé qui lui secoue tout le corps. Il bascule sur le côté et enfouit son visage contre le torse d'Erwin, les doigts agrippés à sa chemise à s'en faire pâlir les jointures.

Erwin dépose de petits baisers dans ses cheveux. Les pleurs de Levi redoublent en silence, puis il se calme grâce au bruit du cœur d'Erwin contre son oreille.

Demain, ils redeviendront le commandant du Bataillon d'Exploration et son capitaine. Demain, ils devront reparler de ce qu'il s'est passé dans les sous-sols du repaire des Titans, en mesurer les conséquences et commencer à s'ajuster à la blessure d'Erwin. Mais pour l'instant, ils ne sont que deux hommes liés par un amour infini qui puisent du réconfort dans la présence l'un de l'autre.

Quand Erwin se réveille le lendemain, Levi n'est plus contre lui et son bras le fait atrocement souffrir. Il tente de faire bonne figure, mais l'infirmier comprend ce qu'il en est à l'instant où il le voit pâle et suant. Il lui fait avaler deux comprimés qui, à peine une demi-heure plus tard, lui donnent à nouveau la nausée.

Puis l'homme entreprend de défaire son bandage pour nettoyer la plaie et le changer. Erwin hésite puis regarde. Après tout, il a déjà vu des blessures hideuses, et il ne peut pas se permettre d'être dégoûté par son propre corps. Il va devoir s'y habituer.

Il n'y a en fait pas grand-chose à voir. Son bras a été tranché net, d'un seul coup de lame. Un exploit presque impossible pour un être humain, fait remarquer l'infirmier. Le commandant à toujours cette impression bizarre que ce n'est pas de son corps qu'il s'agit. Comme s'il était en train d'examiner la blessure d'un autre agent.

À la demande d'Erwin, l'infirmier apporte un miroir pour qu'il puisse examiner sa plaie à son aise. Quand il le lui tend, Erwin a le réflexe de vouloir le saisir de la main droite. De même, c'est avec sa main droite qu'il cherche à se frotter l'œil ou à remettre en place les couvertures. À chaque fois, il est surpris de constater que son corps ne fait pas ce qu'il lui ordonne. Il claque la langue d'agacement contre lui-même et utilise son autre main, avec un peu moins de fermeté et d'adresse qu'avant.

Il profite du miroir pour étudier son visage. Les ecchymoses qui se sont formées suite aux coups qu'il a reçus dans le nez ont coulé sous ses yeux et lui dessinent des cernes violacés encore plus prononcés que ceux de Levi. Son nez est enflé mais a l'air d'être resté plutôt droit. En revanche, il a perdu une dent sur le côté gauche.

— Ça va ? Tu te plais ? demande Levi en entrant avec une pile de linge propre sous le bras.

Erwin est étonné de voir qu'il porte des vêtements civils. Il comprend à sa boiterie prononcée que Levi a obtenu une décharge de l'hôpital, mais qu'il estime que sa blessure le dispense de porter l'uniforme. Erwin ne lui en tient pas rigueur. Son capitaine mérite une pause.

— Outre le fait que je peux maintenant boire avec une paille sans desserrer la mâchoire, je trouve que je ne m'en sors pas trop mal, acquiesce Erwin.

Levi s'assied au bord du lit et jette un coup d'œil appuyé à l'infirmier. Erwin saisit sa main dans la sienne et ils attendent en silence que le soignant ait fini de refaire le bandage. Il serre les dents pour ne pas montrer qu'il a mal, mais le regard attentif de Levi sur son visage montre qu'il n'est pas dupe.

Une fois le bandage refait, l'infirmier les laisse seuls. La présence de Levi semble l'irriter, mais le statut d'Erwin le retient de faire tout commentaire.

— Je t'ai amené des vêtements propres, annonce Levi une fois la porte refermée.

Il parle les yeux rivés sur la couverture.

— Ce sera toujours mieux que cette tenue de grand-mère qu'on nous file ici. Je suis allé rendre visite aux mioches pour vérifier qu'ils vont bien. Connie a eu l'épaule démise pendant l'attaque et il ne pourra pas forcer sur son bras pendant plusieurs semaines, mais il ne devrait pas avoir de séquelle. Mikasa n'a rien, et Eren est un peu secoué, mais le point positif c'est qu'ils sont tous les deux revenus d'eux-même à l'hôtel de police. Je crois qu'on peut définitivement les considérer comme des nôtres. Il ne reste qu'un tas de ruines du repaire des Titans. Hange et Moblit sont allés y faire un tour, ils n'ont rien trouvé d'autre que des cadavres. On pense que Zeke s'en est sor-

— Levi ?

Le capitaine cesse son monologue. Il fronce les sourcils à l'intention de la couverture.

— Tu n'as aucune culpabilité à avoir, poursuit doucement Erwin.

Levi lève enfin les yeux vers lui. Sa lèvre inférieure tremble.

— Je suis désolé, Erwin. Je… je sais pas comment te dire à quel point je suis désolé.

— Désolé de quoi ? De m'avoir sauvé la vie ? D'avoir eu la force de continuer quand j'étais prêt à renoncer ? D'être la personne la plus courageuse et la plus dévouée que je connaisse ?

— D'avoir coupé ton putain de bras ! s'agace Levi. Je… j'aurais dû trouver un moyen… J'aurais dû te sortir de là plus tôt.

Erwin pose sa main sur la joue de son capitaine. Levi semble sur le point de s'écarter, comme s'il ne méritait pas ce geste, puis il se ravise et se laisse aller contre sa paume.

— Je vais m'adapter, le rassure Erwin. Je ne dis pas que ce sera facile, mais je ne vois rien d'insurmontable. Surtout si tu es là pour m'aider.

— Je serai toujours là, tu le sais bien.

— Vois les choses du bon côté, tu vas enfin avoir une plus belle écriture que la mienne…

— Tsk !

Erwin sait qu'il va devoir se montrer stoïque. Qu'il va devoir dissimuler sa douleur, ses difficultés et sa frustration. Qu'il va devoir trouver le juste équilibre entre laisser Levi l'aider pour le faire se sentir utile, et montrer qu'il peut aussi se débrouiller seul. Il va s'entraîner à écrire pendant des heures pendant que son capitaine ne le voit pas. Il va lui demander de l'aide pour adapter ses techniques de combat, mais il s'entraînera aussi seul ou avec d'autres agents à qui il demandera de rester discrets.

Le regard de Levi se balade entre son visage et la couverture en évitant soigneusement son moignon. Erwin se demande s'il le dégoûte, si le voir ainsi diminué le repousse.

— Je vais demander à Hange de me préparer les rapports pour demain, dit-il pour changer de sujet.

— Hors de question que tu reprennes aussi tôt. Tu as besoin de repos, et elle peut gérer toute seule.

— Non, justement. Je pense qu'elle ne peut pas encore gérer toute seule.

Il se rend aussitôt compte de sa maladresse, mais Levi est trop occupé à s'indigner pour la remarquer. Erwin n'a encore parlé à personne, pas même à la principale concernée, de faire d'Hange son héritière à la tête du Bataillon. Sa capture lui a fait comprendre à quel point ils seront fragilisés s'il venait à disparaître. Erwin estime qu'il est temps pour lui de lâcher un peu de mou. Mais en attendant, il reste le seul commandant du Bataillon, et il a des responsabilités que même après tout ce temps, Levi ne semble pas capable de saisir.

Voyant qu'il persiste dans sa décision de reprendre au plus tôt sa position, son capitaine passe aux menaces.

— Essaye un peu de mettre un pied à l'hôtel de police, pour voir.

— Levi...

— Je suis prêt à t'en empêcher physiquement !

Erwin se sent piqué d'une pointe d'irritation.

— Ah oui ? Et qu'est-ce que tu vas faire ? rétorque-t-il. Me couper l'autre bras ?

Levi devient livide. Erwin mesure la violence de ses propos et s'en veut d'avoir cédé à l'agacement. Il pose la main sur sa cuisse en signe d'apaisement.

— Pardonne-moi. Ça va aller, vraiment. Je vais prendre quelques jours de repos, si ça te tranquillise. Je ne veux pas que tu passes tes journées à t'inquiéter pour moi.

— Promets-moi que si tu sens que c'est difficile, tu lèveras le pied.

— Tant qu'Hange ne sera pas…

— Promets !

— Bien. C'est promis.

Levi semble peu convaincu. À raison, sans doute.

~oOo~

Levi observe Hange d'un œil morose pendant qu'elle leur fait son rapport. À force de négociations musclées, il a réussi à convaincre Erwin de la recevoir dans leur appartement plutôt que dans son bureau à l'hôtel de police. Grâce à son insistance, le commandant n'y a pas encore remis les pieds. Levi veut qu'il prenne le temps de s'habituer à son nouveau corps avant de replonger la tête la première dans ses responsabilités. Il a du mal à argumenter son attitude. Il veut préserver Erwin, c'est tout. Il est inquiet pour lui. Il a peur qu'il se brûle les ailes s'il se donne trop. Mais il sait que ce ne sont pas des raisons valables aux yeux de son compagnon.

Erwin fait bonne figure devant lui. Il reste aimable et de bonne humeur, et rit de sa propre maladresse quand il ne parvient pas à faire quelque chose de la main gauche. Levi a du mal à se dérider. Il sait qu'Erwin joue un rôle et qu'il se pense assez malin pour le duper.

Levi comprend enfin comment Hange les a retrouvés lors de leur captivité – non pas que cette incertitude l'empêchait de dormir. Il se doutait qu'Erwin avait préparé un plan pour ce genre de situation. Le commandant avait donné comme instruction que s'il venait à être enlevé, Levi devrait faire l'objet d'une filature constante par l'un de ses agents, parce qu'il se doutait qu'il finirait par se lancer seul à sa recherche. Même si cette idée leur a sans doute sauvé la vie, Levi est vexé de ne pas s'en être rendu compte. Une fois qu'ils ont su où ils se trouvaient, ils avaient l'ordre d'attendre. Levi se crispe. Attendre quoi ? Que les Titans détruisent Erwin ? Une belle réussite ! C'est quand Zeke s'est rendu à l'endroit où Erwin prétendait détenir les Titans qu'il a inconsciemment donné le signal pour déclencher une attaque.

— Vraiment, Erwin ? s'écrie Levi, furieux. Tu n'as pas entendu ce qu'il t'a dit ? Il était prêt à t'arracher les yeux si tu lui mentais ! Si Hange était arrivée ne serait-ce que deux heures plus tard…

— Mais tout s'est déroulé comme prévu, non ? répond Erwin. Ce n'était pas mon meilleur plan, j'en conviens, mais pour être honnête je ne m'attendais pas vraiment à me faire enlever.

Levi s'enferme dans une moue boudeuse le temps qu'ils aient fini leur rapport. Une fois qu'ils ont terminé, Hange sort d'une main hésitante cinq feuilles de papier.

— Ce sont les certificats des agents tombés lors de l'attaque, explique-t-elle d'une petite voix. Il faut que tu les signes.

— Ça peut pas attendre ? s'interpose Levi d'un ton agressif.

— Non, répond Hange.

— Je crois que si, réplique Levi en lui arrachant les feuilles des mains.

Avec une vivacité qui le prend de court, elle récupère ses documents et les tend à Erwin. Puis elle attrape Levi par le bras et l'entraîne avec elle dans la cuisine avant de claquer la porte derrière elle. Il se débat mollement, trop surpris pour la repousser.

— À quoi tu joues ? demande-t-elle en se plantant entre la porte et lui, les bras croisés et l'air furieux.

— Lâche-le un peu, Hange, ok ? Il sort à peine de l'hôpital et t'es déjà en train de lui mettre des certificats de décès sous le nez.

— Parce que tu crois que ça m'amuse ? On est obligés d'avoir ces foutus papiers pour les funérailles ! Tu comprends ça ?

— T'as qu'à les signer toi-même ! s'écrie Levi.

— Au cas où ça t'aurait échappé, je ne suis pas la commandante du Bataillon d'Exploration ! crie Hange encore plus fort.

— Tu me les brises, Hange ! Tous les deux, vous me les brisez ! Fous-lui la paix et va te faire foutre !

— C'est toi qui devrait le laisser un peu respirer, dit Hange d'une voix glaciale. Tu es en train de perdre ton sang froid.

Je reste, en toute circonstance, ton commandant avant tout. L'écho des mots d'Erwin martèle son esprit sans relâche depuis qu'ils sont rentrés de l'hôpital. Ils sont faux. Pour Levi, ils sont absolument faux. Il sait qu'il a accepté les conditions d'Erwin, à l'époque. Mais elles ne veulent plus rien dire pour lui.

— Écoute, je n'ai pas envie de me disputer avec toi, reprend Hange. Pas maintenant, pas à propos de ça. Je sais que tu as eu peur pour Erwin…

— Il allait me claquer entre les doigts !

Sa voix tressaille, prête à se briser.

— Erwin est fait pour être commandant. Je suis désolée si ce n'est pas ce que tu veux entendre. Il t'aime comme il n'a jamais aimé personne d'autre, c'est vrai, mais son sens des responsabilités passera toujours en premier.

Levi s'écroule sur une chaise et se cache le visage entre les mains. Hange s'agenouille devant lui.

— Je sais que c'est dur. Je sais que tu as eu peur. Je sais que tu veux le protéger de tout ça. Tu n'y arriveras pas, Levi. Plus tu lutteras contre lui, plus il va résister et plus tu gâcheras ce que vous avez. Tout ce que tu peux faire, c'est le soutenir. C'est déjà beaucoup.

— Depuis quand tu donnes des conseils matrimoniaux ?

— Depuis que mes deux meilleurs amis ont l'intelligence émotionnelle d'adolescents de treize ans, répond-elle avec un ton faussement dédaigneux. Je ne sais pas comment vous avez tenu ensemble aussi longtemps, mais…

— Le sexe, Hange. Le sexe.

— En fait, je préfère ne pas savoir.

L'atmosphère entre eux se détend, même si Levi a toujours le cœur serré. Il faut qu'il discute avec Erwin de la suite, de ce qu'il envisage pour l'avenir. Il redoute ce moment, parce qu'il sait qu'il a perdu d'avance.

Hange lui pose une main sur l'épaule en guise de soutien et ouvre la porte pour qu'ils repassent dans le salon. Erwin les a évidemment entendu crier. Il décide de faire comme si de rien n'était. Il a étalé les documents officiels devant lui et est en train de s'entraîner à tracer son propre nom de la main gauche. Une vague de culpabilité étreint Levi et lui fait détourner le regard.

Pendant une semaine, Erwin accepte de rester à l'appartement et de ne s'occuper des affaires du Bataillon qu'en cas d'extrême nécessité et par l'intermédiaire d'Hange. Levi est chargé de réviser l'organisation de son escouade, maintenant qu'il peut y intégrer officiellement Eren et Mikasa. Mikasa change entièrement la donne dans leur dynamique. Il doit retravailler toutes leurs formations. Levi a de la chance, aucun de ses protégés ne fait partie des cinq disparus.

Pourtant, il a la tête ailleurs. Il a du mal à s'impliquer dans cette nouvelle tâche. Sa cuisse blessée l'empêche de participer activement aux entraînements, mais il ne s'en porte pas plus mal. Il se sent détaché du reste du Bataillon, incapable de s'investir. Il est de mauvaise humeur et il s'en prend à tout le monde de manière injuste. Parce qu'il met toute sa volonté pour se montrer patient et compréhensif avec Erwin, il passe sa colère et sa frustration sur les autres.

Le seul point positif, c'est que la blessure d'Erwin guérit bien. Des infirmiers passent tous les jours examiner et refaire les pansements, et semblent satisfaits de l'évolution. Quand il se trouve dans l'appartement au moment de leur visite, Levi reste en retrait et observe avec attention la manière dont ils s'y prennent. Il veut aussi s'habituer à l'aspect du moignon. Il veut réussir à le regarder sans se sentir coupable.

Il n'a pas reparlé à Erwin de la part de responsabilité qu'il ressent pour cette blessure. Sa culpabilité est tellement invraisemblable pour le commandant qu'il se contente de l'essuyer d'un revers de main. Les autres agents font de même. Personne n'est en colère contre Levi. Ils sont tous soulagés qu'Erwin soit revenu vivant.

Leurs soirées à l'appartement sont calmes, embrumées par les médicaments que prend Erwin pour calmer la douleur. Levi paresse contre lui pendant qu'il lit les documents apportés par Hange un peu plus tôt dans la journée. Maintenant qu'il n'a plus qu'une main, il s'en sert pour tenir ses papiers et ne peut plus utiliser l'autre pour caresser distraitement les cheveux de Levi, comme il le faisait avant. Ce dernier se satisfait de se blottir contre lui, mais il ne peut s'empêcher de ressentir un vide. Il a honte de lui-même de se montrer si égoïste. Et dans le même temps, il sait que ce n'est pas qu'une question de caresses. Que le malaise qu'il ressent est bien plus profond, comme une faille qui s'est ouverte en lui quand il a cru perdre Erwin.

Il a besoin de se sentir à nouveau connecté à lui au degré le plus intime.

Depuis qu'ils sont rentrés de l'hôpital, ils n'ont pas fait l'amour.

Ils pourraient mettre ça sur le fait qu'ils sont tous les deux en convalescence. Mais Levi va beaucoup mieux, et ils pourraient très bien s'en accommoder. Ils dorment ensemble, bien sûr, étroitement enlacés, mais Levi ne ressent pas de désir de la part de son compagnon. Il comprend qu'il ait été secoué par leur capture et par la perte de son bras. Il comprend que l'image qu'il a de son propre corps s'est modifiée, et qu'il a besoin de s'y habituer. Il espère seulement qu'il n'interprète pas la culpabitlité que ressent Levi comme du dégoût pour son moignon. Levi se met en tête de prouver à Erwin qu'il le désire toujours autant.

Jusqu'à présent, les quelques caresses aventureuses qu'il a tentées sont restées sans réponse hormis de chastes marques d'affection, au point que Levi s'est demandé si ce n'était pas pour Erwin une manière polie de refuser. Mais il déteste les malentendus, d'autant plus quand ils se rapportent au sexe. Il a toujours été d'une crudité désarmante, et ce n'est pas à son âge et dans une relation aussi longue qu'il va commencer à rougir comme un adolescent.

Un soir, alors qu'Erwin bouquine dans leur lit, Levi s'assoit en tailleur près de lui.

— Erwin ?

Le commandant lève les yeux. Ses bleus sont en train de s'estomper en jaunissant. Il est légèrement échevelé et très, très séduisant.

— J'ai envie qu'on me baise.

Erwin manque de s'étouffer avec sa propre salive. Il marque sa page et pose son livre sur la couverture.

— Et c'est moi qui t'inspire cet élan de romantisme ?

— Non, c'est le voisin de palier, grogne Levi.

— Un homme chanceux.

Erwin lui fait signe d'approcher. Levi s'installe au-dessus de lui sans appuyer sur ses côtes blessées et capture ses lèvres dans un long baiser. L'une de ses mains descend entre les pectoraux d'Erwin, puis le long de ses abdominaux pour se perdre entre ses jambes. Il le caresse lentement à travers son pantalon. Pouvoir à nouveau le toucher de cette manière le fait frémir d'impatience.

Erwin répond avec entrain à son baiser. Il glisse sa langue dans sa bouche, soupire contre ses lèvres… et pourtant, entre ses jambes, rien ne se passe. Il réagit à peine aux frictions de Levi. Celui-ci se détache de ses lèvres et lui jette un regard interrogateur.

Il lutte pour cacher sa contrariété. La dernière fois qu'il a échoué à en faire lever une, son partenaire avait bu trop d'alcool pour réussir à bander. Avec Erwin, il y a eu des fois où le commandant n'avait pas envie, mais il a avorté toute tentative avant d'infliger à Levi ce genre d'humiliation. Car c'est comme ça qu'il ne peut s'empêcher de le prendre.

— Je… bon, ok. Je pensais que t'avais envie. Mais je comprends.

Il a l'impression de s'arracher les mots de la gorge, mais il accepte qu'Erwin ne veuille pas de lui encore ce soir. D'un geste tendre, Erwin écarte les mèches de cheveux qui lui tombent dans les yeux. Son regard fait chavirer le cœur de Levi. Il se redresse un peu pour coller son front contre le sien.

— J'ai envie de toi, le rassure Erwin. Mais laisse-moi un peu de temps.

Levi soupire et se laisse rouler sur le lit pour s'installer contre son flanc gauche. Erwin se tourne légèrement vers lui pour pouvoir l'embrasser autant qu'il le souhaite. Levi accepte ses baisers en guise de réconfort.

— Est-ce que mon… bras te gêne ? demande enfin Erwin dans un murmure.

Levi s'est préparé à cette question, mais il feint la spontanéité et prend un ton offusqué.

— Pourquoi est-ce que ça me gênerait ? Il te reste une main, une bouche et une queue, ça me suffit largement.

— C'est bon, j'ai saisi l'idée.

Levi passe une main autour de sa taille pour laisser ses doigts courir sous sa chemise et sur son dos musclé.

— Ça ne me gêne pas du tout.

Il fait mine de réfléchir puis ajoute :

— Quoi que maintenant que j'y pense, si j'avais su, je t'aurais demandé plus souvent de me prendre contre le mur quand tu avais deux bras.

Les mots de Levi font briller les pupilles d'Erwin d'un nouvel éclat. Le capitaine passe la jambe par-dessus son compagnon pour crocheter sa taille et se presse un peu plus contre lui. Il pousse un profond soupir d'aise.

— Dis-moi à quoi tu penses, Levi, demande Erwin dans un murmure.

— Je pense à ce que je vais te faire la prochaine fois qu'on fera l'amour, répond Levi sur le même ton.

Erwin hausse les sourcils.

— Je peux en savoir plus ?

Levi se blottit encore un peu plus contre lui.

— Hmm. Je pense que tu seras assis sur le canapé en train de lire un bouquin chiant, et je viendrai m'asseoir contre toi. Est-ce que tu sais comme ça m'excite quand tu fais semblant de trouver ton livre plus intéressant que moi ?

Les mains de Levi caressent négligemment le flanc d'Erwin à mesure qu'il parle.

— Ça m'excite… beaucoup, lui murmure-t-il dans le creux de l'oreille.

Erwin frémit. Levi dépose un baiser sur la ligne de sa mâchoire avant de continuer. Il n'a jamais été un expert en séduction. Avant Erwin, son corps et sa disponibilité suffisaient à attirer les autres hommes, et avec Erwin, il n'a jamais eu besoin de sortir le grand jeu. Mais l'exercice lui plaît.

— Une fois que j'aurai enfin ton attention, j'ouvrirai le bouton de ton pantalon et je glisserai ma main jusqu'à ta queue. Je veux que tu imagines mes doigts qui s'enroulent autour.

Il ralentit le débit de ses mots pour laisser le temps à Erwin de se former une image mentale. La respiration d'Erwin s'accélère. Levi pose une main sur son biceps et le caresse avec de lents mouvements de va-et-vient.

— Je te caresserai tranquillement, comme ça, à cette vitesse. Toi, bien sûr, tu n'auras pas le droit de te toucher. Il n'y a que mes mains qui pourront se balader entre tes cuisses. Et ma bouche.

Erwin remue contre lui, comme s'il était soudain inconfortable. Leurs visages sont tellement proches l'un de l'autre que leurs lèvres s'effleurent quand Levi parle.

— Tu me dis si tu veux que j'arrête.

— Non…

Levi continue à chuchoter lascivement.

— Ma bouche – il se passe le bout de la langue sur les lèvres pour les humecter – a terriblement envie ta queue. J'ai envie de la prendre toute entière et de la sucer. Je me souviens exactement du goût que tu as. Est-ce que ma bouche autour de ta queue te manque, Erwin ? Tu pourras en faire ce que tu veux. Et ma langue, est-ce qu'elle te manque aussi ? Pense à tous les endroits où elle pourrait se glisser…

Erwin exhale bruyamment.

— Retourne-toi, ordonne-t-il à Levi.

Levi ne discute pas et s'exécute. Il aimerait bien qu'Erwin le caresse, mais il ne veut surtout pas le brusquer. Sa présence disparaît en laissant un vide dans son dos.

— Et tu seras tellement beau pendant que je te sucerai, poursuit-il en élevant légèrement la voix maintenant qu'il n'est plus contre lui. Je ne te quitterai pas des yeux pour que tu puisses voir à quel point ça m'excite de te donner du plaisir, à quel point j'aime être entre tes cuisses...

Il entend son compagnon remuer derrière lui. Il a hâte qu'il revienne. Il est en train de s'exciter au moins autant qu'il excite Erwin...

— Colle-toi contre moi. Ton corps me manque, Erwin. Ta queue me manque.

Erwin revient se coller contre lui.

— Je peux te mettre des doigts ? murmure-t-il en déposant un baiser sur la peau sensible sous son oreille.

Levi hoche frénétiquement la tête et gémit d'anticipation. Ses hanches ondulent contre Erwin. Celui-ci descend son pantalon d'un geste brusque. Levi s'attend déjà à le sentir en lui, mais Erwin glisse ses doigts enduits de lubrifiant entre ses fesses et joue avec lui sans le pénétrer.

— Continue, ordonne-t-il.

— Mets-les moi, implore Levi.

— Continue.

— O...Ok. Une fois que je t'aurais sucé et que tu auras joui dans ma bouche, je t'appartiendrai, Erwin. Et je… je mériterai que tu me prennes, non ? Je mérite… je mérite… Mets-moi tes doigts ! supplie-t-il.

Erwin glisse deux doigts en lui et Levi se contracte autour. Il halète. Le corps d'Erwin est brûlant contre le sien, et c'est si bon de le sentir à nouveau en lui, et Erwin commence à le baiser avec ses doigts, et…

— Continue, répète Erwin d'une voix sévère.

— Toi, continue, gémit Levi. Encore, encore…

Il remue pour aider Erwin à trouver ce point en lui qui décuplera son plaisir. Mais Erwin se retire.

— Erwin !

— Je t'ai demandé de continuer.

C'était lui qui était censé exciter Erwin, pas le contraire. Il est en train de se faire prendre à son propre jeu.

— Ok ! Ok. Où est-ce que j'en étais ?

— Tu mérites que je te prenne…

— Oui ! Je mérite que tu me prennes par… par derrière. Tu n'auras même pas besoin de me préparer, je prendrai ta queue comme… ah !

Il se cambre quand Erwin enfonce à nouveau ses doigts et le baise lentement avec. Levi sait qu'il ne va pas tarder à trouver ce point sensible qui… Il pousse un petit cri de plaisir et balance ses hanches contre son compagnon. L'une de ses mains maintient Erwin contre son dos, l'autre s'active autour de sa propre queue. Il chaud, il transpire, il...

— Chh… murmure Erwin. Comme tu es impatient de te baiser sur mes doigts !

— Je ferai pareil avec ta queue, Erwin. J'ai envie de la sentir en moi, et je te jure que dès que tu vas te mettre à bander, je vais la prendre et tu vas me baiser le cul jusqu'à ce que… Ah ! Encore !

— Jusqu'à ce que quoi ?

— Jusqu'à… jusqu'à…

Il va jouir. Juste avec trois doigts, il va jouir. C'est ce qu'il pense pendant un court instant, car Erwin se retire de lui. Levi pousse un grondement de frustration et colle ses fesses contre lui pour quémander plus.

— Levi, ta cuisse ?

— Ma cuisse ? s'étonne Levi, essoufflé, coupé dans son élan. Ma cuisse va très bien. Remets tes doigts.

— Enlève ces vêtements et mets-toi à quatre pattes.

Levi tourne la tête et le dévisage pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'une plaisanterie.

— C'est vrai ?

— Dépêche-toi.

— Tu ne préfères pas que je te chevauche ?

— J'ai envie de te prendre par derrière. Mets-toi à quatre pattes.

La bouffée de désir qui monte en Levi lui donne le vertige. Il se dépêche d'obéir. Erwin retire lui aussi ses vêtements et récupère le flacon de lubrifiant. Levi déglutit en voyant son érection. Ses mots ont clairement réussi là où ses mains ont échoué.

Erwin tend le flacon à Levi pour qu'il le dévisse et lui déverse de l'huile sur la queue. Levi sait qu'Erwin n'a pas vraiment d'autre choix que de le laisser faire, mais il trouve la manoeuvre terriblement érotique. Il s'active. Erwin est dur entre ses mains. Il a envie de le sucer, mais le commandant a d'autres idées en tête. Il incite Levi à se retourner et vient se positionner derrière lui.

— Cambre-toi pour moi, exige-t-il en posant une main possessive sur le bas de sa colonne.

Le souffle de Levi se coupe quand Erwin le pénètre. Il se contracte autour de lui le temps qu'il s'habitue, puis ne peut s'empêcher de reculer ses hanches pour le prendre plus profondément en lui.

— Ça va, ta cuisse ?

La jambe de Levi tremble d'être autant sollicitée, mais il n'a pas vraiment mal. Pas assez pour arrêter ce qu'ils sont en train de faire, en tout cas.

— Ça va ! Baise-moi, Erwin. Putain, baise-moi tout de suite.

Erwin se retire presque complètement et s'enfonce à nouveau en lui d'un mouvement ferme, jusqu'à ce que son bassin soit collé aux fesses de Levi. Ce dernier laisse échapper un hoquet de plaisir. Sentir Erwin de manière aussi intime lui a manqué. Le commandant pose sa main sur la chute de ses reins pour le maintenir tandis qu'il commence les mouvements de va-et-vient.

Levi gémit. L'équilibre d'Erwin est un peu perturbé par l'absence de son bras droit, et ses mouvements sont moins assurés parce qu'il ne peut pas lui saisir les hanches comme il le faisait autrefois, mais Levi est trop heureux de se faire baiser à nouveau pour s'en soucier. Il a besoin d'extérioriser son plaisir. Il gémit des encouragements. Il gémit le prénom d'Erwin encore et encore comme s'il était payé pour le faire. Leurs vies sont trop fragiles pour s'embarrasser de la pudeur.

Erwin accélère, vacille un peu, perd le rythme puis retrouve son équilibre. Levi est propulsé en avant à chaque coup de rein et en redemande. Il sent le plaisir monter en lui à une vitesse fulgurante. Il a été trop longtemps privé d'Erwin et il est à vif.

Il a besoin de se toucher. Il enfouit son visage dans le matelas qui sent le parfum d'Erwin, et glisse une main entre ses jambes pour se caresser. Erwin remue un peu pour s'adapter à sa nouvelle position. L'angle change, Erwin s'enfonce plus profondément encore en lui.

— Encore, Erwin ! Baise-moi plus fort ! S'il te plaît !

Levi va jouir. Il décide de ne pas avertir Erwin pour ne pas lui faire perdre la cadence. Il veut qu'il le baise sans concession jusqu'à son propre plaisir.

— Encore !

Il vient, avec un tel cri de plaisir qu'Erwin le suit quelques coups de rein plus tard. Levi s'écroule à plat ventre sur le matelas. Erwin s'écroule avec lui, hors d'haleine.

— Ah putain, laisse échapper Levi dans un râle. Putain, putain, putain…

Erwin, sonné, profite encore de son orgasme en balançant doucement ses hanches contre ses fesses.

— Personne ne me baise comme toi, ajoute Levi.

— J'espère bien…

— Ça veut dire que je t'interdis de te mettre à nouveau en danger de mort. Bouge de là.

Erwin roule sur le côté pour le libérer. Levi le fait immédiatement basculer sur le dos, lui monte dessus et l'embrasse à pleine bouche. Un baiser fougueux, outrancier, désespéré.

Ils s'accordent quelques minutes pour se remettre de leur orgasme. Le bien-être qu'il ressent projette Levi dans ses rêves les plus radieux. Il se sent flotter. À cet instant, tout lui paraît possible. Ils pourraient avoir ça, pour toujours. Vivre ensemble, profiter l'un de l'autre, et ne plus se soucier de rien d'autre que de leur bonheur, et leur plaisir, et...

Ce n'est sans doute pas le meilleur moment pour aborder le sujet, alors qu'ils sont encore imprégnés par le sexe. Ils devraient avoir cette discussion la tête froide. Les mises en garde d'Hange lui résonnent dans la tête. Il sait que l'issue de cette conversation risque d'être douloureuse. Il prend le risque.

— Erwin, je me suis dit… Peut-être… peut-être qu'on devrait tout laisser tomber.

Erwin le dévisage avec un air perplexe qui trahit à quel point ce genre de pensées lui paraissent lointaines.

— Laisser tomber les Titans ?

Levi rosit quand il prend conscience d'à quel point il est ridicule de demander à Erwin d'abandonner l'objectif de sa vie pour… lui. Il prend son courage à deux mains.

— Les Titans. La police. Tout.

Erwin se redresse un peu dans le lit.

— Tu voudrais qu'on démissionne ?

— Oui.

— Et qu'est-ce que tu voudrais qu'on fasse à la place ?

— Que… qu'on parte vivre ailleurs. Qu'on s'installe dans un coin tranquille.

— Tous les deux ?

— Non, avec le voisin de palier.

— Encore lui ?

Levi répond par un grognement. Erwin se laisse aller en arrière contre les oreillers. Sa main dessine du bout des doigts des motifs abstraits sur la peau de Levi.

— Et qu'est-ce qu'on y ferait, dans ce coin tranquille ?

— On profiterait un peu de la vie. On l'a mérité, non ? Tu serais instituteur ou un truc du genre, et moi je ferais… je sais pas. De la contrebande de thé ?

Erwin rit de bon cœur. Même si entendre son rire est toujours source de réconfort pour Levi, il a l'impression qu'il ne le prend pas au sérieux. C'est de sa faute, parce qu'il s'efforce de garder un ton léger pour ne pas plomber le moment.

— Et on aurait un chien ? demande Erwin d'un ton curieux.

— Ou un chat. N'importe quelle bestiole me va, tant qu'elle ne met pas les pattes à l'intérieur. Et on pourrait avoir quelques chevaux. On pourrait prendre nos chevaux d'ici et leur offrir une retraite tranquille. Et on pourrait s'occuper de gamins de rue, et…

La main d'Erwin se fige dans son dos.

— S'occuper ?

Levi sent ses joues le brûler. Il se blottit contre Erwin pour éviter d'avoir à le regarder dans les yeux.

— Adopter… Un ou deux…

— Levi, tu veux des enfants ?

Erwin n'est plus d'humeur à plaisanter. Il change de position de manière à forcer Levi à le regarder. Ce dernier fixe obstinément la couverture. En vérité, il ne sait pas. Il n'y a jamais trop réfléchi auparavant. D'abord parce qu'il ne pensait pas atteindre la trentaine. Ensuite parce qu'il ne pensait pas devenir assez respectable pour servir d'exemple à un autre être humain. Il ne savait même pas lire, bordel. Et puis… il s'est rendu compte en entraînant la triplette des enfers qu'il aimait bien transmettre. Peut-être qu'il a plus à transmettre que des techniques de combat.

Erwin se tourne sur le côté pour le déloger de sa poitrine et s'assoit en tailleur. Levi tire la couverture à lui pour cacher sa nudité. Ils sont partis pour une discussion sérieuse, quand ils pourraient être en train de s'endormir dans les bras l'un de l'autre. Il regrette déjà.

— Levi ?

— J'y avais jamais pensé sérieusement. Laisse tomber, je me suis laissé emporter.

Il laisse passer quelques secondes, puis demande timidement :

— Et toi ?

Ils ont déjà vaguement abordé le sujet quand ils ont parlé d'héritage, mais Levi ne sait pas trop quelles sont les vues d'Erwin sur le sujet. Il est un peu étonné de s'en rendre compte, d'ailleurs. Il sait qu'Erwin aimerait bien avoir un chien, s'ils ne vivaient pas en ville. Un gros chien qui pourrait les accompagner lors de balades en forêt. Il sait qu'il préférerait vivre proche de la mer, qu'il dédierait une pièce entière à la musique, qu'il couvrirait les murs de peintures d'artistes locaux. Des peintures de paysages, plutôt que des natures mortes. Mais il ne sait pas s'il aimerait avoir des enfants. Est-ce que c'est un hasard, ou est-ce qu'ils ont soigneusement évité le sujet pendant tout ce temps ?

— Je ne pense pas que mon projet de carrière soit compatible avec une progéniture, répond Erwin.

Le sang de Levi gèle dans ses veines. Ses projections mièvres et ses rêves d'une vie meilleure s'éteignent d'un coup, comme la flamme d'une bougie. Erwin vient de le ramener à leur brutale réalité. Il comprend qu'il n'arrivera pas à le détacher de cette prison dans laquelle il s'est enfermé. Il lutte pour masquer sa déception.

Erwin pose un doigt sous son menton pour lui faire relever le visage.

— Si nos projets de vie deviennent incompatibles, tu sais qu'il faut qu'on en parle sérieusement, n'est-ce pas ?

— Je vois rien d'incompatible. Tu crois que j'ai envie d'élever des morveux avec quelqu'un d'autre que toi ?

Erwin l'observe en silence. Sa main se pose sur son épaule droite. Levi sait ce qu'il pense. Il refuse de faire des projets sur le long terme. À tout moment, il peut perdre bien plus qu'un bras. Il fait signe à Levi de venir se rallonger contre lui. Ses doigts se perdent dans ses cheveux.

— Si un jour tu décides d'arrêter, dit Levi, je te soutiendrai, et je resterai avec toi. Même si ça implique de passer le restant de mes jours à tenir une friterie sur la plage, à puer l'huile et à avoir du sable dans chaque pli.

— Et si je décide de continuer ? Jusqu'au bout ?

— Alors je resterai à tes côtés. Jusqu'au bout.

Erwin l'embrasse, et ses lèvres laissent sur celles de Levi un goût amer. Ils se taisent. La respiration du commandant s'égalise progressivement.

— Je t'aime, Erwin, dit-il à voix haute dans le silence de la chambre.

Erwin ne répond pas, profondément endormi. Mais Levi a dû percer la frontière de ses rêves, car il resserre le bras qui s'enroule autour de sa taille et le plaque contre lui.