Partie 3 : L'amour de sa vie
Chapitre 21
Erwin reprend ses fonctions à l'hôtel de police dès qu'il le peut, c'est-à-dire dès qu'il gagne enfin l'âpre négociation engagée avec Levi pour que celui-ci cesse de le retenir prisonnier dans leur appartement. C'est Shadis et Hange qui se sont répartis la tête du Bataillon en son absence. Erwin doit donc rattraper les négligences du premier et la gestion chaotique de la seconde.
Retrouver son bureau à l'hôtel de police lui fait du bien. Il a l'impression d'enfin reprendre un peu le contrôle. Sur le Bataillon, sur sa vie, sur lui-même.
Même si médicalement sa blessure a guéri aussi vite qu'il pouvait l'espérer, il a eu bien plus de mal à remonter la pente mentalement qu'il ne veut bien l'admettre. Se sentir mis en échec sur des gestes qui lui paraissaient autrefois anodins l'énerve plus que de raison. Lui qui a toujours été maître de ses émotions, de son physique et de son attitude sent ses réserves de patience se drainer à vive allure.
Il ne supporte pas que sa main se fatigue si vite quand il écrit, il s'agace de ne plus pouvoir tenir son livre et en tourner les pages en même temps, il se sent frustré et stupide quand, par réflexe et dans un moment d'inattention, il essaye toujours de tendre sa main droite pour saisir quelque chose.
Il se sent diminué. Pour la première fois de sa vie, il se sent entravé, et que ces entraves soient bassement physiques l'exaspère au-delà de tout. Le pire, c'est qu'il sait ce qu'il aurait dit à un officier dans sa situation. Il sait exactement les mots qu'il aurait prononcés pour l'aider à surmonter cette épreuve. Et pourtant, il n'arrive pas à se les appliquer à lui-même.
Les autres s'astreignent à le traiter comme avant. Personne ne remet en cause son autorité, et il récupère le commandement sans aucun accroc. Personne ne revoit à la baisse ses exigences à son égard, personne ne le ménage malgré la croisade de Levi pour qu'ils le laissent un peu tranquille. Hange continue de le harceler pour ses budgets, les anciens agents pour des promotions, et les jeunes pour davantage de liberté dans l'exercice de leurs fonctions.
Personne n'attend de lui qu'il fasse moins qu'avant, sauf Levi. Mais son capitaine voit bien qu'il est seul sur ce terrain là, et qu'Erwin n'est pas disposé à l'écouter.
Levi a repris l'entraînement et y met toute la hargne nécessaire pour calmer ses nerfs. Il se montre plus féroce et brutal que jamais, surtout quand il affronte Mikasa qu'il sait en capacité de lui résister. Il se donne jusqu'à l'épuisement et, à côté de ça, il exige d'Erwin qu'il lève le pied.
Ils ont eu deux grosses disputes, dont ils ont mis plusieurs jours à se remettre parce qu'ils restaient tous les deux campés sur leurs positions. Puis, comme d'habitude, c'est Levi qui a fini par lâcher le premier. Depuis, il laisse Erwin faire comme il l'entend, et se contente de le regarder avec un air désapprobateur. Le commandant fait semblant de s'en satisfaire, soulagé de pouvoir enfin travailler comme il l'entend, mais le fond de tension qui persiste entre eux l'affecte beaucoup plus qu'il ne le laisse paraître.
Maintenant que le repaire de Zeke Jaeger, ce qui semblait être le quartier général des Titans, a été réduit à un tas de pierres, Erwin doit se focaliser sur un nouvel objectif. Premièrement, il doit retrouver Jaeger. Il a vu à quel point il pouvait être cruel et dangereux. Il en a lui-même fait les frais. Ils doivent l'attraper et le mettre hors d'état de nuire. Deuxièmement, ils doivent mettre la main sur l'Originel. Plus le temps passe et plus il est certain qu'Eren ne connaît pas l'identité de leur chef. Il est sûr, en revanche, que Zeke Jaeger sait de qui il s'agit, ce qui ne fait que renforcer sa détermination de mettre la main dessus.
Il envoie des agents en ville dans l'espoir de glaner quelques informations, mais Jaeger semble avoir disparu de la circulation. Hange suppose qu'il a rejoint les autres Titans dans la capitale. Levi pense plutôt qu'il se terre quelque part dans Trost pour lécher ses blessures en secret. Mais même lui, en usant de méthodes peu conventionnelles pour un officier de police, n'arrive pas à retrouver sa trace.
Erwin est touché de le voir tant s'investir dans une quête en laquelle il ne croit plus. Il a bien compris que Levi en a assez des Titans, qu'il estime qu'ils lui ont déjà trop pris. Que s'il avait le choix, il laisserait tout tomber dans la minute. Erwin se rend compte qu'il lui a donné le goût d'un quotidien confortable, à laquelle ils pourraient ajouter la tranquillité de vivre loin de la pègre. Tous les deux, ensemble. Après l'existence chaotique qu'il a menée et les risques qu'il a pris pour le Bataillon, Levi mérite cette vie paisible. Erwin sait cependant qu'il ne quittera pas leurs rangs tant que lui-même y restera. Et il ne peut pas abandonner sa quête avant de la mener à terme. Il sait qu'il va entraîner Levi avec lui jusqu'au bout. Parfois, la loyauté de son capitaine l'effraie un peu.
Au fond, même s'il se sent coupable, il est soulagé que Levi soit prêt à rester à ses côtés coûte que coûte. Il tire de lui la force, la volonté et la persévérance dont il a besoin pour avancer. Parfois, souvent lorsqu'il a eu une journée harassante, Levi se glisse dans son bureau bien après l'heure du dîner et s'assoit sur ses genoux pour l'enlacer. Il pose son visage contre son épaule et ils restent là en silence, à puiser du réconfort dans la présence l'un de l'autre. Après ça, Erwin n'a plus le courage de se remettre à travailler. Il le déloge en douceur et ils rentrent chez eux.
Depuis qu'Erwin a perdu son bras, leur vie intime a considérablement ralenti. Erwin trouve Levi toujours aussi désirable, mais c'est sa confiance en lui-même qui s'est étiolée. Il a peur de ne pas être capable de le satisfaire comme avant. Et de fait, il trouve toujours de bonnes raisons de couper court à ses propositions aguicheuses.
Levi s'adapte et feint de ne pas être impacté. Il se montre compréhensif et dissimule avec soin sa déception. Il semble se contenter de leur nouveau rythme, mais Erwin sait bien qu'il ne peut pas être satisfait. Il n'est pas particulièrement pressé d'avoir cette conversation avec lui, alors il le laisse décider quand aborder le sujet.
— Erwin, est-ce qu'on peut parler ? demande un soir Levi alors qu'ils sont prêts à se coucher.
Il est assis en tailleur sur le lit, dans une tenue trop grande pour lui qu'il a décidé de faire sienne des mois auparavant, après l'avoir trouvée à son goût dans le placard d'Erwin. Le bas de la chemise cache ses sous-vêtements mais dévoile presque toutes ses cuisses, dans cette position. Erwin reste difficilement insensible aux cuisses de Levi.
— C'est à propos de quoi ? demande-t-il en feignant l'ignorance.
— De sexe.
Il s'assoit sur le bord du lit pour montrer à Levi qu'il est ouvert à la discussion.
— On baise beaucoup moins qu'avant, depuis... la dernière mission, lâche Levi.
Erwin grimace. Certes, le constat est sans appel, mais il y avait sans doute une manière plus délicate de l'aborder.
— Je veux dire… se reprend Levi. Quand on couche ensemble, c'est bien, c'est même super. Mais… c'est moins souvent.
— Est-ce que c'est un problème ? demande Erwin.
— Non. Oui. Putain, Erwin, commence pas à m'embrouiller le cerveau. La vraie question, c'est pourquoi ? Il n'y a pas de mauvaise réponse, d'accord ? J'ai juste besoin de savoir s'il y a un souci, et si on peut… essayer de le régler ensemble.
— Est-ce que ça te manque ? demande Erwin.
Il est sincèrement curieux de connaître la réponse, même s'il s'en doute déjà un peu.
— Un peu. Je veux dire… je peux m'en contenter, si c'est ce que tu veux, mais si ça ne tenait qu'à moi j'aimerais qu'on couche plus souvent ensemble. Je… j'ai envie de toi, Erwin. C'est pour ça que j'aimerais que tu me dises pourquoi ça a changé entre nous. Si c'est à cause de ton bras, on peut voir ensemble ce qu'on peut faire pour arranger les choses. Si c'est parce qu'on a évolué comme ça, alors d'accord, je me résigne au fait qu'on soit déjà de petits vieux. Mais dans tous les cas, je pense que c'est bien d'en parler.
Il marque une pause puis reprend.
— On n'est même pas obligés de changer quoi que ce soit, d'ailleurs. C'est juste que je ne veux pas qu'il y ait ce genre de non-dits entre nous.
Erwin dévisage son compagnon, qui lui renvoie un regard encourageant. Les traits de son visage sont doux mais sérieux. Le commandant sent une bouffée d'amour lui remonter dans la poitrine. Il est si chanceux d'avoir Levi. D'avoir un compagnon aussi compréhensif, quand bien même il est un exemple d'impulsivité avec les autres. Il ne sait pas où il trouve la force d'être aussi patient avec lui.
À cet instant, il se rend compte du chemin qu'ils ont parcouru ensemble. Depuis le temps où ils se détestaient, certes, mais aussi depuis qu'ils se sont mis en couple, à l'époque où leurs différences représentaient un frein majeur à leur communication. Il a l'impression qu'ils ont réussi à outrepasser ça. Du moins, Levi a réussi. Levi, avec ses manières brutales et son langage cru, avec son manque d'instruction qu'il s'est battu pour combler, avec les fantômes de son passé qu'il empêche en permanence de le rattraper.
Erwin déteste quand on lui dit, même en plaisantant, qu'il a apprivoisé Levi. Il a l'impression qu'on le félicite de l'avoir fait plier jusqu'à le rendre docile, de l'avoir façonné jusqu'à le rendre digne de lui. Alors qu'en vérité, il est tombé amoureux de Levi tel qu'il était alors, avec son caractère corrosif et son attitude revêche. Il n'a jamais cherché à le changer. Il ne pense pas que Levi ait vraiment changé. Il pense qu'il a toujours été ainsi, sous son masque d'impétuosité.
Il se penche vers lui pour l'embrasser. Sa main se pose sur la cuisse de Levi. La différence de taille est saisissante. Le capitaine accepte son baiser mais ne le laisse pas durer.
— Tu es en train d'esquiver, Erwin. Tu veux qu'on en parle plus tard ?
Erwin soupire et se laisse tomber en arrière sur le matelas. De cette manière, ses yeux sont rivés sur le plafond et Levi n'est plus dans son champ de vision.
— Ce n'est pas toi, Levi, dit-il à voix basse. Ça n'a jamais été toi.
Son compagnon attend en silence qu'il poursuive.
— Je n'ai juste pas la tête à ça.
Il sent Levi remuer sur le matelas. Il sait que sa réponse n'est pas satisfaisante.
— C'est à cause d'une conjoncture de plusieurs facteurs. Le travail, mon bras, Jaeger…
— On ne baise pas à cause de Jaeger ? Tsk ! La prochaine fois qu'il ose montrer sa gueule, je…
— On ne baise pas ? J'ai l'impression que pas plus tard qu'avant-hier j'avais la queue dans ton…
— Ok, ok, j'exagère !
Levi marque une pause et reprend d'un air mutin.
— Tu avais la queue où ça ?
— Tu t'en souviens très bien, grogne Erwin.
— Je veux te l'entendre dire.
Erwin répond par un claquement de langue.
Levi glisse sur le matelas pour s'approcher de lui et lui chuchote à l'oreille :
— Tu m'excites quand tu essayes d'être aussi vulgaire que moi. Tu peux dire autant de mots salaces que tu veux, tu es et tu resteras toujours un petit bourge coincé, Erwin Smith.
Erwin tourne enfin le regard vers lui. Levi le dévisage, un petit sourire narquois aux lèvres. Le commandant sait très bien ce qu'il veut. Et si ça peut leur éviter de poursuivre la conversation précédente, il est prêt à lui accorder. Il se redresse et s'agenouille. Levi fait de même. Quand Erwin s'approche de lui, il fait mine de reculer.
— Je suis un bourge coincé ?
— Ouais, répond Levi d'une voix étrangement étouffée.
Erwin quitte le lit et se plante debout dans la chambre. L'ombre d'un doute passe dans le regard de Levi.
— Déshabille-toi.
Levi se détend aussitôt. Il ne lui faut que quelques secondes pour rentrer dans son jeu.
— Viens le faire toi-même.
— Déshabille-toi, Levi.
Levi entrouvre les lèvres. Avec des gestes lents, sans quitter Erwin des yeux, il retire son haut. Erwin le regarde faire d'un air qu'il espère concentré, mais la beauté de Levi lui noue les entrailles. Il laisse courir les yeux sur la ligne de ses biceps.
— Enlève le bas aussi.
— Et toi ?
Erwin fait à nouveau claquer sa langue, d'impatience cette fois-ci. Levi obéit. Il reste là, entièrement nu, dans l'expectative.
— Viens-là. Allonge-toi au bord du lit.
Levi s'allonge dans une pose lascive, les lèvres entrouvertes, les paupières mi-closes. Il semble attendre qu'Erwin le rejoigne et s'empare de lui, mais il n'en fait rien. Il ignore sa propre excitation, il veut le faire languir. Il le regarde frissonner. Il connaît son corps par cœur. Chaque relief, chaque grain de beauté, chaque cicatrice. Il pourrait le reconnaître sans peine les yeux fermés. Levi commence déjà à durcir d'anticipation.
— Mets-toi bien au bord du lit. Écarte les cuisses.
Levi s'exécute sans pudeur, complètement offert. Erwin a du mal à penser clairement. Il s'agenouille par terre entre ses jambes. Levi se relève sur les coudes et lui pose un pied sur la poitrine.
— Je peux savoir ce que tu comptes faire ?
— Je vais te sucer jusqu'à ce que tu me gicles dans la bouche.
Ses paroles mettent du temps à atteindre le cerveau de Levi. Quand il réalise ce qu'il vient de dire, il prend une inspiration saccadée et se mord furieusement la lèvre inférieure. Erwin le défie du regard, mais fidèle à lui-même, Levi ne se laisse pas impressionner.
— Oh, et combien de temps tu penses que ça va prendre ?
— Hmm. À en juger par les fois précédentes, je dirais entre cinq et huit minutes.
Levi laisse échapper un petit rire.
— Je crois que tu te surestimes un peu.
— Je ne t'ai même pas encore effleuré et tu bandes déjà. Je sais exactement ce que tu aimes, Levi. Je sais te faire durer, mais je sais aussi comment te faire jouir très vite.
Levi frémit. Ses hanches se balancent légèrement sans même qu'il en ait conscience. Erwin sait qu'il a déjà gagné.
— Vraiment ? J'ai hâte de voir ça. Tant que t'as pas mon foutre qui dégouline sur le menton, je veux voir ta petite bouche de prude me pomper sans relâche.
Erwin grimace. Levi lâche un petit rire victorieux. Erwin ne pourra jamais le battre au jeu de la provocation. Mais il peut en revanche relever son défi.
Il jette un coup d'œil à la petite horloge sur sa table de nuit, saisit le sexe de Levi et le prend dans sa bouche pour le sucer. Levi se cambre mais pince les lèvres pour se retenir de gémir. Erwin le connaît parfaitement. Il sait qu'il doit commencer lentement, avec des mouvements amples et appliqués, jusqu'à ce qu'il le sente durcir complètement. La respiration de Levi se saccade, et Erwin prend ça comme le signe qu'il est sur la bonne voie. Il titille l'extrémité de sa queue avec sa langue. Levi pousse un petit couinement. Le plaisir qu'il lui procure fait bander douloureusement Erwin. Il regrette d'avoir voulu faire le malin, il aurait dû retirer son pantalon lui aussi.
Sa bouche laisse échapper des bruits de succion indécents qui résonnent dans la chambre chaque fois que ses lèvres quittent la queue de Levi pour mieux y revenir. Il le fait exprès. Il sent le corps de Levi réagir à chaque fois.
Sa main gauche est moins assurée que la droite qu'il a perdue, alors il l'utilise pour tenir la queue de Levi pendant qu'il en lèche consciencieusement la base.
Les cuisses de son compagnon tremblent de plaisir. Il les passe soudain sur les épaules d'Erwin pour lui bloquer la tête avec. Comme s'il y avait la moindre chance pour qu'Erwin s'échappe. À intervalles réguliers, il jette un coup d'œil au visage de Levi. Son capitaine refuse de le regarder et se cache les yeux entre les mains. Il sait qu'il ne va pas tenir si leurs regards se croisent. Erwin peut déjà goûter les prémices de son orgasme. Il le sent résister, mais il sait qu'il est près de lui faire perdre le contrôle de lui-même. Il se sent puissant.
— Tout va bien ? demande Erwin sur le ton de la conversation avant de saisir l'un de ses testicules entre ses lèvres.
— Tout va très bien, parvient à articuler Levi d'une voix qui prouve le contraire.
— Je sens à quel point tu es proche de jouir, tu sais.
— C'est f-faux…
Erwin sourit et se remet à le sucer. Il redouble d'application et Levi résiste. Ses jambes frissonnent, il halète, il laisse échapper de petits gémissements plaintifs. Normalement, arrivé là, Erwin devrait ralentir un peu pour lui laisser le temps de redescendre. Pour jouer avec lui, pour le faire durer, pour le frustrer.
Aujourd'hui, l'enjeu est différent. Il suce délicatement la peau sous ses testicules et glisse un doigt en lui. Levi pousse un long gémissement. Incapable de se retenir, il s'attrape dans sa main droite pour se caresser à un rythme soutenu.
— Tu es tellement beau quand tu es au bord de l'orgasme, susurre Erwin avec douceur en jetant un coup d'œil à son partenaire entre ses cuisses. Jouis pour moi, Levi.
— Je… suis pas…
— Non, bien sûr.
Erwin reprend ses baisers et ses caresses. Il introduit un deuxième doigt et les courbe en lui pour masser doucement le renflement de sa prostate. Levi laisse échapper un nouveau gémissement qu'il essaye en vain de dissimuler. La bouche du commandant descend progressivement en déposant de petits baisers sur son périnée. Levi se crispe sous la caresse avec son souffle. Ses sourcils se joignent.
— Je peux descendre encore ? demande Erwin.
— C'est de la triche, merde ! proteste Levi en agrippant le drap à pleine poigne.
— Je peux ou pas ?
— Je... je suis propre.
— Tu es parfaitement propre, confirme Erwin d'une voix douce.
Levi prend une inspiration saccadée.
— Alors ?
— Oh, putain, o-oui !
Levi ferme les yeux de toutes ses forces. Erwin retire ses doigts et les remplace progressivement par sa langue. Il dessine des figures complexes sur la peau sensible de Levi, le caresse de son souffle, l'embrasse à pleine bouche.
Son compagnon n'en peut plus. Tout son corps se tend brutalement. Il se cambre, rue, convulse presque. Il résiste de toutes ses forces jusqu'à la dernière seconde.
— Putain, putain, putain !
Levi cède et jouit en lâchant un cri inhumain. Erwin se redresse, triomphant, mais Levi est trop occupé à jouir pour reconnaître sa victoire. Il peut littéralement voir le plaisir pulser à travers son corps. Il se contorsionne sur le lit, les yeux clos, tremblant, comme si pendant quelques secondes son corps ne lui appartenait plus. Erwin est fasciné. Il ne l'a jamais vu comme ça, secoué par un orgasme de cette puissance, et c'est sans doute le plus beau spectacle auquel il ait jamais assisté. Quand Levi se calme, il remonte entre ses cuisses et lèche consciencieusement son orgasme sur son ventre. Levi frissonne. Puis Erwin remonte jusqu'à son visage.
— Levi ?
Il a du mal à se remettre de cet orgasme. Il a trop lutté. Il ouvre enfin les yeux et caresse le visage d'Erwin du regard. Erwin a menti, Levi n'est jamais aussi beau qu'après l'orgasme, avec ses joues rouges et ses cheveux défaits. D'un même mouvement, ils tournent la tête vers l'horloge, échangent un sourire complice et se perdent dans un long baiser langoureux.
Levi se met à rire contre les lèvres d'Erwin. Le commandant, amusé, couvre son visage de petits baisers.
— Tout va bien ?
Levi hoche la tête et continue à pouffer. Erwin ressent une immense paix intérieure à le voir comme ça. Il caresse sa tempe avec le bout de son nez. Levi se blottit contre lui.
— Laisse-moi une minute et je m'occupe de toi, murmure-t-il en glissant une jambe entre les cuisses d'Erwin pour apporter un peu de friction contre son érection.
Il marque une pause et ajoute :
— Si tu savais à quoi j'ai dû penser pour ne pas tout lâcher au bout de deux minutes…
— Est-ce que je veux vraiment savoir ? demande Erwin en haussant un sourcil.
Levi lui murmure la réponse à l'oreille, et ils éclatent tous les deux de rire. Erwin sent une chaleur réconfortante lui envahir le corps. Il savoure le rire encore trop rare de son partenaire. Il savoure sa présence, son odeur, sa beauté. Il ne peut pas lui dégager le front car il se sert de sa main pour ne pas l'écraser sous son poids, alors il se contente de l'embrasser encore.
— Je t'aime, Levi, murmure-t-il contre ses lèvres.
Le baiser de Levi se fait plus profond pour répondre à sa déclaration. Erwin est désolé de ne pas être à la hauteur. De ne pas pouvoir lui offrir une relation stable et tranquille, où leurs principales préoccupations tourneraient autour de sujets banals du quotidien. De ne pas le satisfaire entièrement. Levi mérite tout ce que le monde peut offrir de meilleur.
Erwin sait qu'il faudra plus qu'un orgasme, aussi intense soit-il, pour régler les difficultés qu'ils traversent. Mais pour le moment, il veut juste profiter du plaisir de Levi.
— On avait jamais fait… ça, dit Levi en passant ses bras autour de son cou.
— Ça quoi ?
— Tu sais très bien.
— Je veux t'entendre le dire.
Les lèvres de Levi se pincent puis s'étirent en un sourire appréciateur. Erwin l'embrasse à nouveau.
— Tu as aimé ?
— Je crois que c'était plutôt clair, rétorque Levi. Par contre, t'attends pas à ce que je te rende la pareille. J'ai des principes très stricts sur les endroits où ma langue a le droit d'aller.
— Il y a plein d'autres choses que j'ai envie que tu me fasses, le rassure Erwin.
Il roule sur le dos pour le laisser lui grimper dessus et s'abandonne à son tour à ses mains expertes.
~oOo~
Levi masse en douceur le crâne d'Erwin pendant qu'il s'endort sur son ventre. Il sait que lui-même n'est pas près de trouver le sommeil.
Ses insomnies se sont aggravées depuis la capture d'Erwin. Il ne cesse de se réveiller pour s'assurer qu'il est encore là, même quand il dort collé contre lui. Il discerne alors sa silhouette amputée, et l'inquiétude lui tord les boyaux au point qu'il n'arrive plus à trouver le sommeil.
Il a réussi à vaincre sa culpabilité. Il sait qu'il n'a pas eu le choix. Il sait que ça aurait pu être pire, qu'Erwin aurait pu ne pas revenir du tout. Ce qu'il craint, en revanche, c'est que le commandant ne parviennent jamais totalement à se reconstruire sans son bras.
Au début, il a essayé de le retenir de se surmener. Il a tenté de le forcer à faire une pause pour se remettre de sa blessure, pour prendre le temps de s'habituer à son nouveau corps. Mais Erwin a décidé de passer outre toutes ses recommandations, et Levi a fini par céder. Comme d'habitude, il a cédé, car il sait qu'en face Erwin ne cédera jamais.
Ils se sont disputés, à deux reprises qui ont failli lui briser le cœur. La seconde fois, Levi a eu mal au point de lutter pour retenir ses larmes. Il ne sait même plus quel était le point de départ exact de la dispute. Il ne se souvient que de l'attitude emportée d'Erwin, de son visage furieux, de ses mots cassants. Il ne supporte pas que son compagnon hausse le ton sur lui, et il supporte encore moins son regard glacial quand ils se disputent.
Ils savent tous les deux que c'est l'une des failles de Levi. Erwin ne l'exploitait jamais, auparavant. Maintenant, il le fait quand Levi est trop insistant et qu'il veut mettre un terme à la discussion. Levi endure, se tait, puise du réconfort en Erwin une fois la tempête passée.
Il se démène pour que la perte de son bras pèse le moins possible sur le commandant.
Alors qu'Erwin s'adapte au jour le jour en fonction des situations, Levi essaye de devancer tous les obstacles pour les éliminer avant qu'ils ne se dressent sur son chemin. Leur dynamique s'inverse. Erwin mise sur son adaptabilité, quand Levi adopte une vision beaucoup plus analytique de leur quotidien. Ou du moins, il essaye.
Levi a un impact limité sur le commandant quand ils sont à l'hôtel de police. Là-bas, Erwin est le chef et il n'en fait qu'à sa tête. Son entêtement, contre lequel Levi sait pertinemment qu'il est inutile de lutter, lui met les nerfs à vif. Il a besoin d'évacuer sa colère et de se fatiguer. Il se déchaîne à l'entraînement. Sa cuisse est parfaitement guérie depuis longtemps, et rien ne peut l'arrêter autre que la crainte de blesser des compagnons d'armes.
S'il ne lui est pas d'une très grande aide dans l'exercice de ses fonctions de commandant, Levi est beaucoup plus proactif dans leur vie privée. Il modifie tout un tas de leurs petites habitudes, pour aider Erwin tout en prenant soin de ne pas le rabaisser.
Par exemple, il l'aide à faire la cuisine. Avant, Erwin se débrouillait seul et Levi se contentait de le regarder, perché au bout du comptoir. Il était surtout là pour veiller à ce que la cuisine reste propre, que tous les ustensiles soient nettoyés à mesure et que le plan de travail ne se surcharge pas de détritus. Maintenant qu'Erwin est incapable d'éplucher les légumes seul, il décrète qu'il a décidé de se mettre à cuisiner et insiste pour l'aider.
— J'ai vraiment pas envie qu'en plus, tu perdes des doigts. J'en ai excessivement besoin.
Il plaisante du malheur d'Erwin avec une extrême parcimonie et n'autorise personne d'autre à le faire. Erwin n'est pas dupe, il sait très bien qu'il a besoin de Levi. Il lui laisse ses ustensiles sans grande résistance. Sans compter qu'ils apprécient tous les deux ces moments passés ensemble, concentrés sur des tâches manuelles qui les empêchent de penser à autre chose.
Après être passé si près de le perdre, Levi a aussi besoin de se rapprocher physiquement d'Erwin, de le toucher, de le sentir vivant. Le soir, quand le commandant lit, il s'allonge contre lui et lui tient son livre d'une main distraite. Ils se lavent ensemble beaucoup plus souvent qu'avant, et même si Erwin n'a pas besoin d'aide pour ça, c'est Levi qui ressent la nécessité de partager ces moments avec lui, de dessiner du bout des doigts les reliefs de son corps, de sentir sa peau humide contre ses lèvres.
Il se met aussi en tête, en secret, de dompter ce foutu violoncelle. Ils n'ont pas abordé spécifiquement le sujet de ce qu'Erwin comptait faire avec, mais il ne l'a pas sorti depuis sa blessure. Levi n'aurait jamais pu remplacer sa main gauche, celle qui court sur le manche avec une précision qui le dépasse, mais il peut apprendre à manier l'archet. Il peut devenir le bras droit d'Erwin. Un soir, alors qu'il sait qu'Erwin ne rentrera pas avant plusieurs heures, il tire le violoncelle de sa housse pour l'étudier. L'instrument l'impressionne. Déjà par sa taille, adaptée à celle d'Erwin et bien trop grande pour lui. Il tend les crins de l'archet et les enduits de colophane, comme il a vu Erwin le faire si souvent.
Il ne sait pas combien il doit en mettre. Il ne sait pas si les crins sont assez ou trop tendus. Il n'a absolument jamais réfléchi à ce genre de détails qui semblent naturels pour le commandant. Quand il tire pour la première fois l'archet sur la corde la plus aiguë, il arrache au violoncelle un gémissement tellement strident qu'il croit l'avoir cassé. Il repose tout et n'y touche plus pendant deux semaines avant de se décider à s'y remettre. Il s'entraîne en secret, quand il est sûr qu'Erwin ne le surprendra pas, et décide de continuer jusqu'à ce qu'il se sente satisfait de ses progrès.
Levi aide aussi pour la paperasse, ce qu'Erwin a beaucoup plus de mal à supporter. Sans doute parce que c'est un comble pour son capitaine encore illettré il y a quelques années de l'aider à écrire. Levi n'a jamais été aussi gêné par sa propre écriture. Il a toujours eu un trait brouillon, irrégulier, qu'on lui reproche régulièrement d'être difficile à lire. Il aimerait qu'elle soit plus belle, qu'Erwin puisse se reposer sur lui pour ses courriers les plus importants, mais il n'y parvient pas. Et malgré la laideur de son écriture, elle reste plus acceptable que les essais pitoyables d'Erwin avec sa main gauche.
Levi comprend à quel point c'est humiliant pour le commandant. Il essaye de faire des efforts, de se dépasser pour qu'il puisse compter sur lui, mais plus il s'applique et plus il perd patience rapidement. Et Erwin a besoin de lui pendant de longues heures. Par moments, Levi est tenté de lui demander d'embaucher quelqu'un dont ils achèteraient le silence, si Erwin ne veut pas montrer ses difficultés au reste du Bataillon.
Puis Levi se souvient des longues heures qu'Erwin lui a accordées quand il lui a appris à lire, de sa patience infinie, et il endure sans rien dire.
Comme d'habitude, Levi trouve refuge auprès d'Hange. Il sait que leur amie ne prendra jamais parti pour l'un ou l'autre, comme elle a d'ailleurs refusé de le faire quand il l'a sollicitée pour inciter Erwin à lever le pied. Hange est une ancre dans son quotidien. Hange est rassurante parce qu'elle a des solutions. Et quand elle n'en a pas, elle en cherche sans relâche.
— Tu penses qu'il serait d'accord pour que je lui fasse une prothèse ?
Levi ne sait pas. Hange commence à faire des plans pour une prothèse articulée. Elle réfléchit dessus en plus du temps qu'elle passe déjà à réfléchir sur les équipements du Bataillon. Levi est impressionné de voir le projet prendre forme. Plus elle lui explique ce qu'elle compte faire, plus il est emballé. Il en vient à beaucoup trop miser sur cette idée de prothèse. Et quand ils décident de présenter leur projet, un peu trop victorieux, et qu'Erwin leur répond qu'il n'est pas intéressé, il a l'impression que le monde s'écroule autour de lui. L'avis du commandant sur le sujet est sec et définitif.
Erwin dit non, et Hange n'insiste pas. Mais Levi a besoin de comprendre pourquoi. Pourquoi il renonce à un projet aussi fantastique, qui pourrait vraiment les aider. Pourquoi il refuse leur aide. Pourquoi sa réponse est aussi catégorique, alors qu'ils y ont mis tant d'énergie et d'espoir, et… Hange le tire du bureau d'Erwin avant qu'ils ne partent dans une nouvelle dispute.
— Je suis désolé, Levi, lui dit Erwin le soir-même, une fois qu'ils sont seuls. Je n'ai pas compris à quel point ça comptait pour toi et j'aurais dû me montrer plus diplomatique. J'ai été pris de court et j'ai mal réagi.
— Ça n'a rien à voir. La prothèse d'Hange aurait vraiment pu nous faciliter la vie.
Il regrette aussitôt ce « nous ».
— Je suis désolé de ne pas pouvoir t'apporter la stabilité que tu mérites, dit Erwin.
— Je n'ai pas besoin de stabilité, ment Levi. J'ai besoin que toi, tu ailles mieux.
Surtout, il aimerait que tout soit plus simple. Il aimerait que leur vie soit calme, ennuyeuse. Qu'Erwin ne se débatte pas pour prouver sa légitimité à la tête du Bataillon, alors que personne ne la remet en question.
Malgré tous ses efforts, les mots de Levi ne parviennent pas à aider Erwin à remonter la pente. Il n'a jamais été très doué avec, de toute façon. Pourtant, cette fois, il se sent vraiment impuissant. Il sait que malgré les airs qu'il se donne, et malgré le fait qu'il ne le reconnaîtra jamais, Erwin a perdu une partie de sa confiance en lui.
Levi cherche à tout prix des moyens de le rassurer.
Quand ils sont tous les deux, Levi reprend ses vieilles habitudes et laisse son corps parler pour lui. Il sent en Erwin ce besoin primitif de le dominer, de se prouver à lui-même qu'il peut encore avoir physiquement le dessus sur un homme comme Levi.
Leurs moments d'intimité se font plus rares, et Levi en a tellement besoin qu'il laisse Erwin faire ce qu'il veut de lui. Le sentir retrouver sa confiance en lui quand il le baise l'excite. Il veut que le commandant laisse échapper sa colère, il se fiche qu'il se montre brusque et sauvage avec lui. Il peut l'endurer. Il peut s'en satisfaire, même s'il préférait quand ils adaptaient leurs jeux en fonction de leur humeur. Il veut sentir le poids du commandant sur lui, il veut qu'il sentir sa puissance quand il pénètre en lui, il veut qu'Erwin ressente dans chaque fibre de son corps le plaisir qu'il lui procure. Personne d'autre que lui ne peut transformer Levi en épave gémissante, personne d'autre n'était jamais parvenu à le faire crier son plaisir.
Parfois, ils arrivent à retrouver leur complicité. Levi met un point d'honneur à noyer Erwin sous les caresses et les baisers une fois que le commandant a atteint son orgasme. Il lui murmure un flot continu de compliments et de mots rassurants. Il espère que, dans les brumes du plaisir, ses mots trouveront enfin leur chemin jusqu'à l'esprit d'Erwin.
Tous ces changements, tous ces ajustements et ces concessions demandent chaque fois à Levi de petits efforts qui finissent par l'épuiser. En règle générale, il tolère mal le changement. Il n'aime pas modifier ses habitudes. Erwin et lui s'étaient installés dans une routine qui fonctionnait, dans laquelle il se sentait confortable, comme un cocon rassurant. Ce n'est pas la perte du bras d'Erwin qui la bouleverse, mais la manière dont le commandant y réagit. Levi sait qu'il devrait se montrer plus patient, plus compréhensif, mais il se sent tirer sur la corde.
Entre l'effort qu'il doit fournir pour d'adapter et ses insomnies, il est épuisé. Donc irritable. Et il utilise une quantité d'énergie surhumaine pour maintenir leur vie dans un équilibre précaire.
Il se connaît bien, et après presque trois mois il sait qu'il ne va pas tenir encore longtemps comme ça. Il redoute le jour où Erwin lui demandera l'effort de trop. Le jour où il va perdre patience, ou commettre une erreur.
Ce jour arrive quand Erwin lui demande de l'aider à reprendre le maniement des armes.
