Chapitre 23

Erwin passe plus d'heures que jamais à l'hôtel de police. Il lui arrive même de ne plus rentrer chez lui le soir et d'opter pour le canapé de son bureau. Il n'a plus vraiment de raison de rentrer, maintenant que Levi ne vit plus avec lui.

Il sait qu'Hange l'héberge temporairement. Il le voit encore, par la fenêtre de son bureau, s'entraîner avec les jeunes. Erwin ne veut pas contraindre Levi à monter le voir s'il n'en a pas envie, alors il lui fait parvenir ses ordres et ses directives par des intermédiaires. Même s'ils s'appliquent à rester courtois l'un envers l'autre devant leurs subordonnés lors des réunions, tout le monde peut sentir la tension entre eux, et tout le monde sait de quoi il en retourne. C'est précisément la raison pour laquelle ils auraient dû continuer à dissimuler leur couple. Mais il est trop tard pour s'en vouloir.

Hange essaye de les raccommoder, mais il est évident qu'elle se positionne du côté de Levi. Erwin prend alors conscience que sa plus vieille amie au sein de la brigade lui préfère désormais Levi. Il n'y avait jamais vraiment réfléchi. Ce constat ne le blesse pas, il n'a pas fait grand-chose pour entretenir et nourrir leur amitié. Mais il se sent un peu seul face aux liens solides qui les unissent. Pour la première fois depuis longtemps, l'absence de Mike se fait cruellement sentir. Il n'est pas sûr que son ami aurait été d'une quelconque aide avec Levi – au contraire, pense-t-il avec un sourire – mais sa présence lui aurait au moins apporté un précieux réconfort.

Levi lui manque. Tout lui manque. La chaleur de son corps, la fermeté de son étreinte, la douceur de ses caresses. Son humeur changeante, ses mots crus, la manière dont il fait claquer sa langue quand il s'impatiente. Son souffle sur sa peau la nuit, le bruit ténu de sa respiration quand il parvient enfin à s'endormir. Sa présence dans son bureau quand il travaille, discrète et immuable. Il souffre de le savoir si proche et de ne pas pouvoir le voir, le toucher, l'entendre, le sentir.

Erwin respecte le fait que Levi veuille prendre ses distances. Il n'a pas été digne de la confiance qu'il avait placée en lui. Il a été brutal, il l'a blessé. Il s'en veut terriblement. Il mérite que Levi lui inflige son absence.

Pour la première fois de sa vie, Erwin vit mal sa solitude. Il réussit à la dompter depuis longtemps en tant que commandant, elle l'étreint quand le poids des décisions du Bataillon repose sur ses seules épaules. Mais avant l'arrivée de Levi, elle ne l'avait jamais dérangé dans sa vie personnelle, où il la trouvait même plutôt confortable. Levi l'a changé. Il l'a habitué à une présence à ses côtés qui l'apaise, le distrait, le rassure. Qui ne lui pèse pas, contrairement à celle de ses précédents partenaires.

Il a peur d'avoir tout gâché. Il a peur qu'on lui ait offert une chance, une unique chance, de tomber sur la seule personne capable de lui apporter cette tranquillité, et de l'avoir fait fuir. Il sait qu'il ne rencontrera plus jamais quelqu'un comme Levi, il n'en a aucun doute. Levi est unique, et précieux, et il a infiniment besoin de lui. En tant que soldat, certes, mais surtout en tant que compagnon.

Il espère que leur éloignement est temporaire, qu'ils vont finir par se retrouver. Il ne se voit pas continuer à supporter la charge toujours croissante de ses responsabilités sans Levi à ses côtés.

Pour oublier sa peine et sa solitude, Erwin se noie dans le travail.

Il doit retrouver Zeke Jaeger.

Il est plus déterminé que jamais. Jaeger lui a pris de nombreux agents, son meilleur ami, son bras et son couple. Il a aussi privé Levi du peu de sommeil qu'il parvenait encore à trouver. Il a empli son capitaine d'angoisses nocturnes dévorantes qu'Erwin n'a pas su apaiser. Il a blessé Erwin dans sa chair et Levi dans son âme, et si Erwin ne pourra jamais retrouver son bras, il a l'espoir d'un jour refermer la plaie qui s'est ouverte en Levi.

Erwin explore toutes les pistes auxquelles il peut penser. Il fait des recherches sur la famille Jaeger et sur la famille Reiss. Il liste leurs propriétés immobilières, leurs intérêts financiers, leurs connexions à d'autres familles puissantes. Il cherche l'endroit et la personne qui pourrait héberger le Titan. Quand il trouve une piste sérieuse, il envoie quelqu'un en éclaireur. Il change à chaque fois d'agent pour ne pas éveiller les soupçons du Titan et pour être le seul à avoir un aperçu global de son plan. Il ne demande pas à Levi, car il ne veut pas se mettre dans la situation délicate de devoir le contraindre à accomplir une mission qui l'ulcère. Quand l'opération est périlleuse, il envoie Mikasa.

Il a l'intime conviction que Jaeger est encore à Trost. Il sent son ombre planer sur eux. Son esprit rationnel dédaigne cette conviction qui relève plutôt de l'intuition, mais s'il admet qu'il existe une possibilité pour que le Titan ne soit plus à Trost, il reconnaît par la même occasion qu'il se démène dans le vide. Il s'y refuse. Il entend presque la voix de Levi qui lui dit de lever le pied, de faire les choses dans l'ordre au lieu de se laisser entraîner par sa soif de vengeance. Et une nouvelle fois, ses pensées reviennent inexorablement vers son compagnon. Si tant est que Levi soit encore son compagnon.

Il s'est passé une semaine depuis sa terrible erreur dans l'armurerie quand son acharnement paye et qu'il trouve enfin une piste fiable. Il met la main sur un ancien article de presse qui relate l'ouverture d'une fabrique de chaussures appartenant à Reiss. L'article est illustré par une photo jaunie qui représente le petit homme entouré de ses deux filles, une grande brune et une petite blonde.

Erwin ne s'était jusque là pas attardé sur la famille que Reiss a laissée derrière lui en mourant. La majorité des articles ne l'évoquait pas, et il s'était plutôt concentré sur ses frères et sœurs, des pistes qui n'avaient abouti qu'à des impasses. Il n'avait pas creusé plus loin. Il avait autre chose à faire que de se préoccuper de la descendance richissime de l'aristocrate corrompu. Mais il se rend compte qu'il a commis une erreur. Il aurait dû s'en préoccuper bien avant. Reiss était la manne financière principale des Titans, et il est évident que Zeke n'allait pas y renoncer si facilement.

Retrouver les deux filles de Reiss aurait dû être une mission pour Levi. Il envoie Mikasa à la place.

Erwin sait que Levi passe régulièrement par leur appartement. Probablement en journée, quand il est sûr qu'il ne risque pas de le croiser. Le commandant le remarque à l'état de propreté impeccable qui persiste plusieurs jours après son départ, alors que lui-même fait preuve d'une négligence honteuse. C'est normal qu'il continue à venir, après tout. Levi est chez lui dans cet appartement. Ses affaires sont ici. Il a le droit d'y aller et venir à sa guise. Erwin ne peut cependant s'empêcher d'être déçu qu'il s'applique à l'éviter.

Poussé par la nécessité, Erwin se résout à rester à l'appartement dans la journée. Comme il s'y attendait, Levi débarque sur les coups de onze heures, après son entraînement avec les jeunes. S'il est surpris de le voir, il s'applique à la dissimuler. Il marque un petit temps d'arrêt, évite soigneusement de croiser le regard d'Erwin, et va chercher des affaires dans la chambre avant de s'enfermer dans la salle de bain. Erwin attend patiemment qu'il sorte. Il sait que plus Levi est frustré, plus il met de temps à se laver. Quand il ressort, ses cheveux dégoulinent sur sa chemise boutonnée en quinconce. Il traverse une nouvelle fois le salon.

— Levi…

Levi se raidit mais ne s'arrête pas. Il se force à l'ignorer.

— Levi, s'il te plaît.

Erwin sait qu'il a le beau rôle dans cette confrontation. Levi est en train de se comporter comme un gamin immature, et il fait office de figure raisonnable à côté. Il sait que c'est injuste, mais il s'en sert pour qu'il consente à l'écouter.

— Levi, est-ce qu'on peut parler ?

Levi cesse enfin de faire des allers-retours et se tourne vers lui, les bras croisés.

— J'ai trouvé une piste sérieuse pour Zeke.

Le visage de Levi se décompose. Le regard qu'il lui lance engourdit tout le corps d'Erwin d'une terreur épaisse.

— Sérieusement, Erwin ? Sérieusement ?

Levi se détourne de lui, comme s'il ne supportait plus de le regarder. Une déception immense brille dans ses yeux. Il baisse la tête, pousse un profond soupir et s'assoit pour montrer qu'il est cependant disposé à l'écouter. Erwin est presque pris de court. Il ne veut pas l'enfoncer dans la déception. Il y a un autre sujet dont il faut qu'ils parlent. Mais pas maintenant, pas pendant les heures de travail. Il est le commandant du Bataillon d'Exploration avant tout.

— Je t'écoute, dit Levi.

Et le ton de sa voix brise le cœur d'Erwin. Ils se font mal. Ils sont en train de se blesser mutuellement, comme des idiots, à discuter du travail comme si de rien n'était alors que leur couple va si mal. Erwin sait que c'est de sa faute. Il sent la déception de Levi. Mais il ne sait pas comment aborder le problème autrement, et il faut absolument qu'il exploite la piste qu'il vient de trouver, et… il se cherche des excuses. Des excuses lâches et pitoyables. Levi mérite mieux que lui.

— Je pense qu'il a trouvé refuge auprès des filles de Reiss.

— Reiss avait des filles ?

— Reiss avait beaucoup plus d'enfants que ça, mais impossible de retrouver la trace des autres depuis sa mort. Ses deux filles Historia et Frieda, en revanche, ont été vues en ville.

Le regard de Levi s'assombrit encore.

— Tu veux les utiliser comme appât ?

— Non, je veux juste m'en servir pour remonter la piste jusqu'à…

— Quel âge elles ont ?

Erwin ne répond pas. Elles ont probablement entre quatorze et seize ans. Autour de l'âge qu'avaient Kirstein, Braus et Springer quand ils les ont recrutés.

— Je ne veux pas mêler à nouveau des enfants à tout ça, Erwin.

— Levi…

— Non ! Tu as vu de quoi Zeke est capable, non ? Je te laisserai pas nous entraîner là-dedans une fois de plus. Ni moi, ni ma brigade.

— Levi, il ne s'agit pas de les utiliser contre Zeke. Seulement de suivre leur piste.

— Et quand il va comprendre qu'on veut passer par elles pour le retrouver, tu penses qu'il va faire quoi ? Il va les tuer, Erwin, et tu auras la mort de deux gamines de plus sur la conscience !

Erwin ne répond pas. Il garde le silence pour le laisser redescendre en pression.

— Pour… pourquoi tu fais ça, Erwin ? demande Levi d'un ton plus calme. Pourquoi t'as aucune limite ? Pourquoi tu ne réfléchis pas à toi, au nombre de cadavres que tu vas avoir sur les mains, si tu arrêtes pas tout de suite tes conneries ?

— J'aurai des cadavres sur les mains si je ne fais rien.

— Pense à toi, Erwin, putain ! Tu es en train de te détruire !

Sa voix tremble dangereusement.

— Je peux pas te regarder faire. Je peux plus. Je sais que j'ai pas le pouvoir de t'en empêcher, mais je peux au moins décider de pas participer.

Erwin fronce les sourcils. Levi commence à l'agacer. Alors quoi, ils vont renoncer si près du but ? Il est prêt à endosser les responsabilités de ses actes. Il l'a toujours fait. Certes, ces morts lui pèsent sur la conscience, mais jusqu'à présent rien qu'il ne puisse endurer. Il a plus d'expérience que Levi. Il a été formé pour commander. Attraper Zeke est sa mission, peu importe la manière dont il y parvient. Et s'il doit sacrifier quelques personnes au passage, il le fera. Aucune vie ne vaut toutes celles qu'ils épargneront en se débarrassant de Zeke.

— Qu'est-ce que tu comptes faire, alors, demande Erwin d'un ton froid. Démissionner ? Quitter le Bataillon ?

Levi ne répond pas. Erwin sait qu'il joue avec le feu. Si Levi pense qu'une démission pourrait le secouer, il serait capable de le faire.

— Non, je ne quitterai pas le Bataillon tant que toi, tu y resteras. Mais je ne t'aiderai pas non plus. Appelle-ça comme tu veux, insubordination, désertion, je m'en tape. Fais-moi arrêter, foutre en taule…

— Je ne vais pas te faire arrêter…

— …pendre, je m'en fous !

— Levi !

Son capitaine prend une grande inspiration pour se calmer.

— Trouve quelqu'un d'autre.

Il part dans la chambre et revient quelques minutes plus tard avec un sac à la main.

— Reviens me voir quand tu auras envie de parler des sujets importants. Je me fiche de Jaeger, Erwin. Rien n'est plus important que toi à mes yeux. Je veux vraiment qu'on arrange notre… notre couple. Qu'on soit à nouveau comme avant. Mais je peux pas le faire sans toi.

Et il quitte l'appartement en claquant brutalement la porte.

Erwin reste seul avec un puissant sentiment d'amertume.

Non seulement Levi ne l'aidera pas pour cette mission, mais en plus la situation entre eux s'est encore détériorée. Il se prend le visage entre les mains. Il pourrait contraindre Levi. Après tout, il est son supérieur hiérarchique, et toute son escouade lui doit obéissance. Il pourrait lui en retirer le commandement. Mais ce genre de bras de fer serait stérile. Levi n'attache pas assez d'importance à son uniforme pour plier devant ce genre d'intimidation. Erwin risque de s'amputer lui-même de son agent le plus précieux. Si Levi ne veut pas participer, il va devoir se passer de lui et de son escouade. Tant pis, il va se débrouiller sans lui.

~oOo~

Levi presse le pas pour rentrer à l'appartement, le souffle court. Au bout de quelques minutes, il cède à l'anxiété et se met à courir. Erwin l'a vraiment fait. Ce crétin s'est jeté dans la gueule du loup. Il le déteste. Il accélère encore.

C'est Hange qui est venue le chercher pendant l'entraînement pour lui annoncer la nouvelle. Erwin est allé chercher Zeke Jaeger, tout seul. Avec sa bite et son couteau. Comme le roi des cons. Durant une minute absolument effroyable, Levi a cru qu'Erwin avait décidé d'en finir une fois pour toutes. À cause de lui, de son refus de l'aider. Son sang n'a fait qu'un tour, et il a failli faire un malaise devant toute son escouade.

Hange l'a rassuré immédiatement : le commandant est secoué mais indemne. Levi a titubé et s'est ressaisi. Il a mis fin à l'entraînement et a planté Hange pour se précipiter jusqu'à l'appartement.

C'est elle qui leur a servi d'intermédiaire durant les dernières semaines. Levi s'en veut de s'en être servi comme d'un pigeon voyageur, mais il a décidé de rester ferme. De ne pas plier, pour une fois. Il voulait qu'Erwin comprenne. Il voulait qu'ils aient une vraie discussion, qu'ils posent des mots sur ce qui est en train de se passer entre eux. Il voulait le faire réagir. Il en a assez de toujours prendre sur lui, d'accepter les compromis et de voir Erwin s'enfoncer toujours plus dans sa stratégie mortifère.

Malheureusement, Erwin est une tête de mule. Une putain de tête de mule.

Levi est déçu d'avoir la confirmation que son obsession des Titans passe avant tout. Avant leur relation, avant lui. Il le savait, bien sûr, mais leur couple n'avait jamais été sur la sellette. Levi a pensé qu'il tenterait de les sauver. Qu'il ferait une concession. Ou du moins qu'il ferait semblant, au moins pendant un temps, pour laisser passer l'orage.

Les larmes lui montent aux yeux. Il se force à les ravaler.

Il monte quatre à quatre les escaliers. Il espère de tout son cœur qu'Erwin va bien. Il n'a plus aucune autre préoccupation.

Il rentre en trombe dans l'appartement, claque la porte derrière lui, trottine de l'entrée au salon.

— Erwin ?

Personne dans le salon. Il traverse le couloir en courant.

— Erwin !

— Chhh ! Je suis là, répond une voix morne.

Levi tourne les talons et se précipite dans la salle de bain.

Erwin est assis dans son bain, les genoux repliés contre la poitrine. Levi pousse un long soupir de soulagement. Ses jambes flageolent. Il s'appuie contre le mur. Il a l'impression que ses entrailles se desserrent pour la première fois depuis plusieurs heures. Il en a encore mal au ventre, une douleur sourde qui persiste, comme pour lui rappeler qu'il n'a pas le droit de se sentir totalement soulagé, jamais.

Il prend une grande inspiration, puis retire enfin sa veste et ses chaussures. Quand Erwin lève les yeux vers lui, il croit y lire une lueur d'appréhension. Il s'agenouille sur le sol à côté de la baignoire, enlace le cou d'Erwin et le serre contre lui. Le tenir dans ses bras le soulage aussitôt. Un poids se lève de sa poitrine, il arrive de nouveau à respirer. Il inspire l'odeur de son savon à pleins poumons. Il ne va pas le lâcher. Plus jamais.

— Tu es blessé ? murmure-t-il.

— Non. Des coups, c'est tout, dit Erwin de sa voix étrangement morne.

Il a l'air ailleurs. Dans un autre monde. Précisément quand Levi a besoin qu'il soit là, avec lui. Qu'il a besoin de le retrouver.

Toute la semaine, il a pensé à ce moment, celui où il pourrait à nouveau serrer Erwin dans ses bras. Il l'a anticipé, il l'a rêvé de manière si vive qu'il s'est à plusieurs reprises réveillé persuadé qu'ils s'étaient enfin retrouvés.

Après la première nuit qu'il a passée sur le canapé d'Hange, il a failli rentrer, une fois de plus. Il avait presque réussi à se convaincre qu'il avait réagi de manière excessive, qu'il avait tort d'en vouloir à Erwin. Il sait qu'au fond, Erwin n'est pas égoïste, qu'il fait tout ça pour une cause supérieure à sa propre existence. Qu'il est prêt à lui sacrifier son bonheur et son équilibre. Il oublie seulement que, ce faisant, il sacrifie aussi ceux de Levi. Levi doit l'aider, le protéger, l'aimer. Pas être une source d'inquiétude supplémentaire qui pèse sur ses épaules.

Levi a failli se mettre en route pour le rejoindre, pour s'excuser de l'avoir laissé, pour s'abandonner à ses bras en lui promettant de faire des efforts pour que tout s'arrange entre eux. Mais quand Hange l'a trouvé en train d'enfiler ses bottes et lui a demandé où il allait, la honte l'a empêché de répondre, et il s'est rendu compte qu'il faisait un choix qu'il allait immédiatement regretter.

Alors il a renoncé. Il a décidé d'attendre qu'Erwin fasse le premier pas, et chaque jour où il ne l'a pas fait a enfoncé un peu plus le poignard dans sa poitrine. D'autant qu'il a vu, indirectement, la santé psychique du commandant se détériorer. C'est en passant à l'appartement récupérer des affaires, tous les deux jours, qu'il a vu les indices s'amonceler. Les livres qui traînaient, le lit en désordre, l'odeur de renfermé. Le gramophone qui commençait à se recouvrir d'une fine pellicule de poussière, alors qu'il le nettoyait soigneusement tous les jours. La disparition du violoncelle.

C'est ce dernier détail, égoïstement, qui a fait le plus de peine à Levi. Il s'était imaginé les moments qu'ils pourraient passer tous les deux à tenter de réapprivoiser ensemble l'instrument. Erwin s'en est débarrassé parce qu'il le jugeait désormais inutile. Levi comprend. C'était un souvenir douloureux de ce qu'il avait perdu. Mais il a mal de le voir tirer un trait si facilement sur des éléments de son passé, quand il pourrait les reconquérir avec l'aide de Levi.

Le voir se négliger, le voir négliger son appartement, le cocon où ils ont vécu ensemble depuis le début, désole Levi. Il n'en veut pas à Erwin, il sait qu'il souffre et qu'il est la première victime de son propre comportement. Mais il veut qu'il remonte la pente tout seul. Ou du moins qu'il se rende compte qu'il doit faire quelque chose pour la remonter. Et à ce moment, Levi sera là pour l'aider.

Au fond de lui, Levi a peur. Il a peur de ne pas être capable de soutenir Erwin. Il a peur de ne plus être assez fort, de ne plus suffire. Il aurait aimé que Mike soit encore là pour l'aider. Il aurait aimé ne pas être seul pour le tenir à bout de bras.

Et il a été terriblement déçu, quand Erwin lui a rappelé qu'il fait passer son rôle de commandant avant leur couple. Levi le sait. Il le sait. Depuis le début. C'était l'une des conditions de leur relation, qu'il a acceptée depuis le tout début. Et il s'en satisfaisait, car être pour quelqu'un la personne la plus importante au monde lui faisait peur. Mais ils ont changé, évolué, ils se sont construits ensemble. Ils se sont battus, ils ont perdu, ils ont donné d'eux-même. Levi estime qu'ils ont rendu au Bataillon ce qu'ils lui devaient. Ils ont droit à un peu de paix. Il ne sait plus quoi faire pour qu'Erwin comprenne que lui aussi, il mérite ce repos.

Il resserre son étreinte autour du corps trempé d'Erwin. Sa peau lui a manqué. Son odeur. Erwin lâche une petite inspiration saccadée. Levi desserre les bras et libère son corps endolori.

— Levi, je vais bien.

Levi ne peut pas parler. Ses mots se coincent dans sa gorge. À la place, il dépose de petits baisers sur l'épaule d'Erwin. Puis il y appuie son front.

— J'ai cru… j'ai cru…

— Levi. Je vais bien, répète Erwin.

— Pourquoi tu… tout seul…

— Ce n'était pas une bataille qu'il fallait mener. Parfois, il faut savoir se passer des armes.

— Et si tu étais… S'il t'avait…

— Chhh. Je suis là, Levi.

Il sort sa main de l'eau et pose ses doigts sous son menton. Levi lève les yeux. Il est là, oui. Mais il a l'air mal en point. Il est négligé, plutôt. L'ombre de sa barbe couvre ses joues. Ses cheveux sont en pagaille. Le reliquat de sa Cologne est à peine perceptible. Ses yeux sont éteints. Son regard envoie des frissons dans le corps de Levi. Il le reconnaît à peine.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ?

Erwin examine son visage en évitant ses yeux, comme s'il voulait caresser chacun de ses traits fatigués de son regard. Puis il tourne la tête et regarde la paume de sa main, juste sous la surface de son bain.

— Les deux filles de Reiss. La plus âgée est morte. Jaeger l'a tuée.

Levi sent son corps s'engourdir.

— Qu'est-ce qu'il s'est passé ? il répète.

— Tu n'as pas besoin de connaître les détails.

— Tu as retrouvé le Bestial ?

— Oui. Il m'attendait.

Il bat des paupières. L'instinct de Levi lui ordonne de le saisir à nouveau par l'épaule pour le réconforter, mais ses entrailles sont si serrées qu'il est pris de nausées. Encore une fois, Jaeger a devancé Erwin. Encore une fois, quelqu'un est mort. Une jeune femme. Qui n'était là qu'à cause de son nom.

— C'était l'Originel, Levi.

— Hein ?

— La fille de Reiss. Frieda.

Levi lui caresse distraitement les cheveux. Qu'est-ce que c'est encore que ces conneries ?

— L'Originel n'a jamais été le cerveau de la bande. Jaeger s'en servait comme d'un pantin, et profitait par la même occasion du financement de Reiss. Je pense que c'est pour ça qu'il veut tant récupérer Eren. Il veut depuis le début qu'il remplace la fille de Reiss. La position de chef est bien trop dangereuse dans la pègre. Mieux vaut mettre une marionnette qu'on peut contrôler à sa guise à la place.

Levi lâche un petit sifflement excédé. Il n'a pas envie de parler de la pègre. Il n'a pas envie de parler du Gang des Titans. Il veut Erwin, juste Erwin. Il a eu si peur, et le plus terrible pour lui, c'est de se rendre compte qu'il est à peine rassuré de le voir si proche de lui et si vivant. Il ne sait pas quand Erwin va s'arrêter. Il ne voit pas le bout du tunnel.

— Erwin…

Le commandant lève ses yeux bleus vers lui et tous les reproches s'évaporent de son cerveau. Son air défait lui brise un peu plus le cœur. Il s'en veut. La culpabilité le ronge jusqu'à l'os. Levi ne peut rien faire pour récupérer toutes ces vies perdues. Il ne sait pas comment il pourrait alléger l'âme d'Erwin du poids de tous ces morts.

Il l'embrasse. Il pose ses mains sur ses joues et l'attire dans un baiser délicat, hésitant. Erwin prend une inspiration saccadée, comme si les lèvres de Levi le brûlaient. Levi l'embrasse encore. Son baiser devient avide, appuyé, désespéré. Erwin soupire de soulagement contre ses lèvres. Levi n'y met pas immédiatement la langue. Il n'y a pas de sensualité dans son baiser, pas d'invitation à aller plus loin, seulement l'envie de retrouver avec Erwin un contact intime, un contact qu'ils sont les seuls à partager, qui lui rappelle qu'ils sont vivants, qu'ils sont uniques et qu'ils doivent se battre pour continuer.

Erwin répond enfin, avec la même avidité. Il veut Levi. Il semble puiser en lui l'énergie dont il a besoin pour surmonter cette nouvelle défaite. Levi le laisse faire. Qu'il le prenne, qu'il s'empare de lui, qu'il aspire toute son énergie, qu'il lui suce tout le sang s'il en a envie. Il est prêt à se donner corps et âme pour Erwin.

Erwin enroule sa main sur l'avant de sa chemise et l'attire vers lui. Levi pousse une petite exclamation de surprise.

— Doucement, Erwin.

Il n'a pas souvent l'impression d'être le plus mesuré des deux. D'être celui des deux qui garde le contrôle.

Erwin se calme aussitôt. Le souvenir de leur dernier contact intime plane comme une ombre au-dessus d'eux. Erwin hésite. Levi lui montre qu'il n'a pas peur de lui en repartant lui-même à l'assaut. Il se penche au-dessus le bord de la baignoire pour embrasser Erwin à pleine bouche, pour le dévorer.

Erwin le tire vers lui et le fait basculer dans son bain. Levi ne prend pas le temps de s'offusquer de se retrouver entièrement habillé dans la baignoire. Il grimpe sur Erwin et s'installe à cheval sur lui. Levi est avide de contact, de le toucher, de le sentir, de le caresser. Il lui a trop manqué. Durant les heures les plus sombres de ses nuits d'insomnie, il s'est demandé s'il pourrait un jour le toucher à nouveau comme il le fait maintenant.

Ses vêtements lui collent au corps. Erwin enlace sa taille de son bras. Levi couvre son visage de baisers. Il est envahi d'un puissant sentiment de possessivité. Il veut plus. Il veut se fondre dans son corps.

Ses mains quittent le visage d'Erwin pour parcourir sa peau. Elles dessinent les reliefs que Levi connaît déjà par cœur. Ses pectoraux, ses abdominaux, les poils sous son nombril qui plongent jusqu'à son entrejambe. Il capture ses lèvres dans un baiser langoureux. Il peut sentir son excitation. Il veut lui faire oublier sa journée. Il veut qu'Erwin ne pense plus à rien d'autre que lui, qu'il se concentre sur le plaisir qu'il peut lui procurer.

Le souffle d'Erwin se raccourcit quand Levi lui saisit la queue. Il soutient un instant son regard pour y chercher l'autorisation de continuer. Erwin la lui accorde sous la forme d'un long baiser. Le poing dans l'eau, Levi le masturbe lentement tout en lui offrant ses lèvres. Les sourcils d'Erwin se joignent. Il ferme les yeux. Levi reprend le dessus sur leur baiser. Il se tient au rebord pour ne pas laisser son poids peser sur le corps endolori d'Erwin.

— Tu m'as manqué… gémit Erwin contre ses lèvres.

Levi accélère les mouvements de son poignet. Sa main crée de petits remous dans l'eau.

— C'est que maintenant que j'ai ta queue dans la main que tu me dis ça ? Un peu vexant…

— Tu m'as manqué tout entier, Levi. Embrasse-moi ! Embrasse-moi s'il te plaît !

Levi s'exécute. Il plaque son torse contre le sien, glisse sa langue dans la bouche d'Erwin et caresse la sienne. Sa main accélère encore. Il veut le faire jouir. C'est un acte physique, organique. Ils se parleront de leurs sentiments plus tard. Levi veut juste lui faire atteindre l'orgasme, il veut lui envoyer une décharge de plaisir, sentir son corps se tendre, sa queue spasmer dans sa main, son sperme chaud couler dans son poing.

— Jouis, Erwin, ordonne-t-il contre ses lèvres d'une voix suave.

Il enfouit son visage contre son cou. Le corps d'Erwin se crispe contre le sien. Il pousse un long gémissement. Levi le sent si proche…

— Erwin !

Levi sent à peine la chaleur de son orgasme lui couler dans la main avant qu'elle ne se répande dans son bain. Il se lève et sort de la baignoire. Ses vêtements trempés collent à sa peau. Plusieurs litres d'eau se déversent sur le sol quand il pose le pied sur le carrelage. Répugnant. Erwin cligne des yeux, encore hébété. Levi lui tend la main.

— Viens. J'ai envie de que tu me sautes.

Erwin secoue la tête et semble revenir à lui-même. Levi lui attrape la main et l'aide à se relever. La salle de bain est dans un état lamentable. Erwin doit faire attention à ne pas déraper sur le sol trempé. Levi brûle d'envie. Il veut se blottir contre lui, se coller contre sa peau, lécher chaque centimètre de son corps. C'est une envie presque animale, alimentée par le manque de ces derniers jours, par la peur de ne jamais le retrouver.

— Levi… tente Erwin.

Mais Levi ne l'écoute pas. Il déboutonne sa chemise. Erwin s'extirpe de la baignoire et saisit une serviette qu'il enroule autour de sa taille, ce que Levi juge parfaitement inutile. Il lui fait signe de le suivre et traverse le couloir en laissant tomber sa chemise sur le sol.

— Levi ! répète Erwin à voix basse.

Levi entre dans leur chambre, les mains sur le bouton de son pantalon, et fait un bond de plusieurs mètres en arrière.

Il y a quelqu'un dans leur lit.

L'idée que ce puisse être une conquête d'Erwin ne lui effleure pas un seul instant l'esprit. Ce dernier lui pose d'ailleurs la main sur la bouche pour l'empêcher de pousser une exclamation de surprise. Par réflexe de pudeur, Levi croise les bras sur son torse nu. Il s'approche en silence du lit et s'accroupit pour examiner son occupante.

C'est en fait une adolescente chétive, profondément endormie sous les mèches de cheveux blonds qui lui barrent le visage. Elle fronce les sourcils dans son sommeil et serre le bord de la couverture dans son poing. Levi se relève lentement et jette un long regard à Erwin.

Celui-ci lui fait signe de le suivre hors de la chambre et referme la porte derrière eux. Par réflexe, Levi pose un couteau en équilibre sur la poignée. Ils traversent en silence le couloir jusqu'au salon. Toute l'excitation de Levi est retombée. Il s'éclipse dans la salle de bain, retire le pantalon humide qui lui colle à la peau de manière désagréable et enfile une chemise propre d'Erwin qui lui tombe jusqu'à mi-cuisses. Il s'installe en tailleur sur le canapé et attend qu'Erwin revienne après avoir enfilé des vêtements confortables. Le commandant s'assoit à côté de lui et Levi se pelotonne instantanément contre son torse pour profiter de la chaleur apaisante de son corps.

— Qui c'est, Erwin ?

La main d'Erwin s'enroule autour de lui. Son pouce lui caresse distraitement le flanc.

— C'est la fille Reiss, c'est ça ?

— Oui, répond Erwin. Historia Reiss.

— Et je vais dormir sur mon propre canapé parce qu'il y a une morveuse dans mon lit ?

Il n'arrive même pas à prendre un ton acerbe. À cet instant, il est juste soulagé d'être dans les bras d'Erwin.

— Qu'est-ce que tu comptes faire d'elle ?

— La protéger.

— Mais encore ?

— Elle a hérité de l'intégralité de la fortune de Reiss.

Levi décolle un peu la tête pour dévisager Erwin.

— Si nous la laissons en liberté, le Bestial finira par lui mettre la main dessus. C'est lui ou nous.

Levi se recouche contre lui. Erwin glisse la main dans ses cheveux et lui masse le crâne en douceur.

— Je vais tuer le Bestial, déclare Levi. Je vais le tuer, et on pourra enfin vivre une vie tranquille.

— Non, Levi.

— Comment ça, non ? C'est pas ce que tu veux ?

— Si, mais attaquer comme une meute de bêtes sauvages ne servira à rien.

— Je suis pas une meute , Erwin. On est pas obligés d'impliquer les autres. Je peux m'infiltrer partout. Dis-moi où il est.

— Non.

— Dis-moi, Erwin. Je suis fort, je suis discret, je...

— Non, Levi. Je te l'interdis.

— Alors toi tu y vas seul, mais moi je n'ai pas le droit ?

Erwin pousse un profond soupir. Comme si Levi ne pouvait pas comprendre. Comme s'il était stupide. Levi sent l'agacement monter progressivement en lui. Il pince les lèvres pour se retenir de lâcher une réplique cinglante. Ils ne peuvent pas se disputer. Pas aussi tôt après s'être retrouvés. Pas à cause de ce putain de Titan à la con.

Levi se décolle d'Erwin et s'assoit en tailleur. La main d'Erwin tente de le suivre, par réflexe, mais retourne se poser sur le genou de son propriétaire. Il se mord la lèvre. Levi prend une grande inspiration.

— Erwin, parle-moi. Dis-moi ce que je peux faire pour t'aider.

Les yeux d'Erwin se voilent. Il baisse le regard.

— La vérité, c'est que je ne sais pas, Levi.

— Depuis que tu as perdu ton bras, la raison même de l'existence du Bataillon s'est transformée en une vendetta personnelle. Le Bestial, c'est pas ta mission, Erwin. C'est la nôtre. À tous. C'est pour ça qu'on a créé le Bataillon, parce que les Titans étaient trop forts pour un seul homme.

Erwin ne répond pas. La gorge de Levi se serre.

— La vérité, c'est que j'ai peur pour toi, Erwin. J'ai peur que tu te perdes, j'ai peur que tu… que tu…

Il n'arrive pas à le dire. Il sent le regard d'Erwin sur lui. Au prix d'un effort surhumain, il lève la tête. Il veut qu'Erwin comprenne.

— Cette charge, tu dois la partager, ok ? Au moins avec moi. S'il te plaît. Je peux t'aider. Je suis ton meilleur agent, tu te souviens ? Le bras armé du Bataillon ? Tu dois m'utiliser. Erwin, parle-moi.

Erwin garde le silence. Lui, si éloquent, si brillant avec ses mots, il ne sait plus quoi dire. Levi décide de continuer.

— Et quand on est tous les deux, en dehors du travail, tu peux aussi te reposer sur moi. Mais il faut que tu m'aides… que tu m'aides à t'aider. Je peux pas tout deviner, Erwin. J'ai besoin que tu me parles, et j'ai besoin que tu m'écoutes.

Le commandant se passe une main sur le visage. Quand il parle enfin, sa voix est beaucoup moins assurée que d'habitude.

— Je sais que tu n'approuves pas mes stratégies et le chemin que je prends. Je sais que tu aspires à une vie tranquille. Je sais que nos projets ne sont plus compatibles. Je sais qu'il va falloir qu'on décide bientôt où est-ce que tout ça peut nous mener, et si ça peut nous mener quelque part.

— Non, répond Levi. J'ai envie d'une vie tranquille, c'est sûr. J'ai envie qu'on se trouve un coin à nous, et qu'on puisse vivre tranquillement sans s'angoisser l'un pour l'autre. Avoir un chien, peut… peut-être des… des enfants, on a déjà parlé de tout ça. Mais ça, c'est l'idéal. C'est une espèce de but. C'est pas le plus important, pour moi. Le plus important, c'est d'être avec toi. Même si c'est sur un champ de bataille, ou dans un bureau à faire de la paperasse, ou jusqu'au cou dans la merde…

Erwin ferme les yeux, expire, les rouvre. Il se penche vers Levi pour l'embrasser, mais celui-ci pose une main sur ses lèvres. Même s'il en meurt d'envie, il n'a pas fini.

— J'ai juste besoin que tu me fasses confiance.

— Tu as toute ma confiance, Levi.

— Nah, c'est pas vraiment ce que je voulais dire.

Il prend le temps de réfléchir aux bons mots.

— Il faut que tu m'écoutes. Parfois, j'ai de bonnes intuitions, alors il faut que tu les prennes en compte. Au moins qu'on en discute. Et en échange, j'arrête de me braquer dès que tu décides d'un truc que j'estime complètement débile.

Il arrive enfin à arracher à Erwin un pâle sourire. Mais c'est tout. Pas de promesse, pas de parole rassurante. Le réconfort qui commençait à peine à réchauffer le cœur de Levi se dissipe à nouveau. Une pensée effroyable le saisit. Et si Erwin était… irrécupérable ?

— Erwin, parle-moi… dit-il encore.

— Oui, Levi. On pourrait faire ça.

Levi aurait préféré qu'il ne parle pas, plutôt qu'il lui lâche ces mots dénués de sens, dénués d'émotion, dénués de sentiments. Il sent un long frisson lui descendre la colonne. Comment est-ce qu'ils ont pu tomber si bas ? Comment est-ce qu'il peut aider Erwin à remonter, s'il reste un poids mort entre ses bras, ou pire, s'il s'accroche obstinément au fond ?

Son nez pique. Sa vue se brouille. Il ravale ses larmes, et Erwin ne s'en rend même pas compte. Peut-être que ce n'est pas le moment. Peut-être qu'il est trop secoué par ses retrouvailles avec le Bestial.

Il s'allonge sur le canapé, la tête à l'opposé de l'endroit où est assis Erwin.

— Viens, lui dit-il en lui faisant signe de s'allonger sur lui.

Erwin hésite. Levi sent une nouvelle poussée d'anxiété lui tordre le vendre. Il est tellement à cran… Pourtant, l'hésitation d'Erwin est compréhensible. Est-ce que Levi est bien en train de lui autoriser l'accès à son corps, après ce qu'il lui a fait la dernière fois ? Mais Levi ne pense plus à ça. Il veut retrouver la chaleur d'Erwin contre lui. Il sait que cet homme, celui qu'il a devant lui à cet instant, ne lui fera pas de mal.

— Viens, répète-t-il d'une voix douce.

Il écarte les cuisses. La chemise d'Erwin se retrousse légèrement sur son ventre. Erwin prend une profonde inspiration. Levi saisit sa main entre les siennes et l'attire vers lui pour la poser sur son ventre, juste sous son nombril.

Erwin entrouvre les lèvres et cède. Il se glisse entre les cuisses de Levi et s'allonge sur lui, doucement, délicatement. Levi frémit de sentir enfin son poids sur lui. C'est sa position favorite. Il aime quand Erwin s'allonge sur lui pour partager un moment de tendresse, ou pour lui faire l'amour, ou après, pour s'endormir dans un soupir de contentement. Le visage d'Erwin est à quelques centimètres du sien. Ses cheveux encore humides lui chatouillent le visage. Levi lui saisit le visage entre les mains et le lui incline pour déposer un baiser sur sa joue râpeuse d'un début de barbe. Puis au coin de sa bouche. Puis sur ses lèvres.

Ils s'embrassent longuement dans un silence tranquille, avec une tendresse infinie. Levi se sent triste, et il n'arrive pas à se débarrasser de ce sentiment. Il ne sait pas pourquoi il ressent une telle peine, quand bien même il devrait être heureux qu'ils soient enfin réunis. Il ne sait pas pourquoi elle persiste, pourquoi elle est si prégnante en lui. Est-ce que c'est Erwin qui le contamine ? Il se sépare de ses lèvres.

— J'aimerais qu'on se donne une nouvelle chance, murmure-t-il.

Les doigts d'Erwin jouent avec ses cheveux. Levi pourrait compter ses cils.

— Je suis désolé, souffle Erwin. Je suis… je suis…

Levi se sent enfin un peu rasséréné. Il lui offre un petit sourire et remue sous lui. Il lui écarte les cheveux du visage et dessine ses lèvres du bout du doigt. Il ne se lasse pas de l'avoir si proche de lui, de pouvoir l'effleurer, de sentir son souffle sur son visage.

— J'accepte tes excuses, Erwin.

Il l'embrasse brièvement pour ponctuer sa phase.

— On va repartir sur de bonnes bases, ok ? On va réparer ce qui est cassé dans notre couple.

Erwin acquiesce en lui rendant son baiser. Il sent le savon. Et le propre. Et la tendresse. Levi sent son cœur chavirer. S'il lui dit à quel point il l'aime, il va se mettre à pleurer. À la place, il donne de la profondeur à leur baiser, lui enlace le cou, crochète ses jambes autour de ses hanches. Erwin recule et l'interroge du regard.

— J'ai envie de toi, clarifie Levi.

Erwin sonde son visage, hésitant. Les hanches de Levi ondulent déjà doucement contre les siennes à la recherche d'un peu de friction.

— Il y a la petite dans la chambre, chuchote-t-il avec un coup d'œil vers la porte.

— On fera pas de bruit… J'ai mis un couteau sur la poignée de la chambre, si elle ouvre la porte on va l'entendre…

Il sonde à son tour le visage d'Erwin.

— T'as pas envie, c'est ça ?

Les traits du visage d'Erwin s'affaissent. Il prend un air désolé.

— Après la dernière fois, je…

Ses mots meurent sur ses lèvres.

— C'est pas grave, c'est pas grave ! s'empresse de le rassurer Levi.

Il fait basculer Erwin et inverse leurs positions. Il s'allonge sur sa poitrine large, sur laquelle il tient parfaitement.

— Je te fais confiance, ok ? J'ai aucune crainte, aucune appréhension. Je sais que tu ne me feras pas de mal.

Il laisse courir ses doigts le long de son bras.

— J'ai juste envie de te sentir contre moi.

Il enfouit son visage dans son cou et respire son odeur. Erwin s'endort en le tenant contre lui.