Chapitre 24
Erwin revient à lui avec les cheveux de Levi qui lui chatouillent le menton.
Ils sont chez eux, sur le canapé, et Levi est contre lui. Il flotte, comme dans un rêve. Il resserre machinalement son étreinte autour du corps de son compagnon. Levi pousse un soupir d'aise qui lui caresse la peau.
Puis tout le reste revient brutalement à l'esprit d'Erwin et l'arrache à son cocon de bien-être. Il frémit et s'agite. Il revoit le corps ensanglanté de Freida Reiss. Ce souvenir en appelle d'autres, et il revoit celui de Mike, celui de Petra, ceux de Furlan et Isabelle et de tous ses subordonnés tombés au combat. Erwin a soudain l'impression qu'il déborde. Que la marmite bout, que le couvercle ne peut plus rien contenir. Sa culpabilité fait cogner son cœur dans sa poitrine. Il a l'impression d'avoir soudain très chaud.
Il se ressaisit. Il ne peut pas se permettre de se laisser noyer. Il ne peut pas se permettre de flancher.
Il doit se concentrer pour préserver les vivants, et plus particulièrement l'homme qui dort paisiblement contre lui. Il dépose un baiser sur sa tempe. Levi remue.
— Mmf 'elle heure ? marmonne-t-il.
Erwin dépose un autre baiser dans ses cheveux.
— Je vais me lever, prévient-il.
Levi ne semble pas immédiatement mesurer les conséquences de cet avertissement et ne réagit pas. Mais quand Erwin repousse la couverture sous laquelle ils ont passé la nuit, Levi frissonne, pousse un grognement de protestation et attrape sa chemise pour l'empêcher de fuir.
Erwin laisse échapper un petit rire.
— Je te soulève sans peine avec un seul bras, lui rappelle-t-il.
Levi ouvre les yeux au mot « soulève ».
Erwin joint le geste à la parole. Il lui enroule le bras autour de la taille et le décolle du canapé pour pouvoir se lever. Levi sort d'un coup de sa léthargie et se débat dans ses bras. Erwin perd l'équilibre, glisse sur le bord des coussins et tombe sur les fesses sur le parquet. Levi lâche un petit rire victorieux et lui grimpe aussitôt dessus pour prendre sa revanche. Il le plaque sur le tapis et s'assoit sur lui, une cuisse de chaque côté de sa taille. L'excitation commence à monter en Erwin, mais le son métallique du couteau qui tombe sur le sol leur fait redresser la tête d'un même mouvement brusque. Historia Reiss vient d'entrouvrir la porte de la chambre.
Levi bondit sur ses pieds et s'éclipse comme une ombre dans la salle de bain. Quelques secondes plus tard, Historia ouvre la porte du salon d'une main timide sur un Erwin échevelé, un peu gêné mais surtout frustré.
C'est une responsabilité de plus qui lui tombe dessus, et pas des moindres.
Erwin doit protéger Historia. Et pour ce faire, il décide de l'exposer au maximum. Sa stratégie est d'attirer sur elle toute l'attention de la presse et la compassion de la population, pour la rendre intouchable sans déclencher un séisme. Certes, les Titans n'ont jamais hésité à assassiner des figures publiques par le passé. Mais le gang est affaibli et Zeke Jaeger est isolé.
Il n'a même pas besoin de réfléchir à la manière dont il compte s'y prendre. Historia déclare, avec l'aplomb de ses quatorze ans, qu'elle utilisera une partie de l'héritage de son père pour ouvrir un orphelinat. Erwin trouve que c'est une excellente idée, et se met en quête des meilleures personnes capables de l'entourer pour ce projet. Il lui trouve aussi un logement sûr, afin de pouvoir retrouver au plus vite une intimité avec Levi.
À l'hôtel de police, Levi reprend sa place dans son bureau comme s'il ne l'avait jamais quitté. Erwin se précipite pour ranger une partie des livres qui traînent et essuyer avec un bout de sa manche les traces les plus ostensibles de poussière. Quand Levi entre avec ses rapports sous le bras, il inspecte la pièce d'un œil critique, lâche un « tsk ! » inquisiteur et refait la poussière du sol au plafond. Puis il s'installe sur le canapé d'Erwin pour siroter son thé, les jambes croisées et la joue négligemment appuyée contre son poing.
Erwin ne peut s'empêcher de lui jeter quelques regards à la dérobée pendant qu'il travaille. Il se ne lasse pas d'admirer les lignes gracieuses et solides de son corps. Il a l'impression – et c'est irrationnel, il le sait très bien, vu le peu de temps qu'ils se sont quittés – de le redécouvrir. Il s'en veut de l'avoir tenu pour acquis, de s'être habitué à sa présence au point d'oublier à quel point elle lui était précieuse.
Levi doit sentir son regard sur lui, parce qu'il finit par lever la tête avec un air interrogateur. L'épuisement qu'il lit sur ses traits transperce le cœur d'Erwin. Il voudrait pouvoir lui dire de laisser tomber ses rapports, d'annuler ses séances d'entraînement avec son escouade, de rentrer chez eux et de se reposer. Il aimerait pouvoir le préserver, le protéger, lui épargner plus de stress et de fatigue. Il pense tout ça quand bien même il sait pertinemment qu'il est lui-même proche du point de rupture, et qu'il ne peut pas se passer de Levi.
Il veut le ménager, mais il a désespérément besoin de lui. Sa raison lui dicte le contraire de ses sentiments.
Par-dessus tout, Erwin ne veut pas qu'il souffre. Il sait qu'il est malgré lui la personne la plus à même de le faire souffrir. Rien ne compte plus aux yeux de Levi qu'Erwin, il en est parfaitement conscient. Or, il se sent progressivement s'affaisser, il se sent glisser dans un abîme sans fond qui menace chaque jour un peu plus de l'engloutir. Levi va se débattre pour l'en tirer, mais Erwin sent déjà que malgré toute sa bonne volonté, tout son amour et toute sa force, il n'y parviendra pas. Et qu'il s'en voudra, cruellement. Il a un temps pensé à l'éloigner de lui, mais Levi ne se laissera pas faire et Erwin n'y parviendra pas sans le blesser. Il ne comprendrait pas. Alors il a besoin de trouver quelque chose, autre chose, qui lui permettra de concentrer une partie de son attention et de son affection ailleurs que sur Erwin.
— Erwin, ça va ? Tu fais une tête bizarre.
— Tout va bien, Levi. Je suis juste content de te voir à nouveau ici.
Leur première journée de travail ensemble se déroule tranquillement. Les autres agents leur jettent des regards soupçonneux pour s'assurer qu'ils ne vont pas se sauter à la gorge, mais les impératifs de chacun prennent vite le dessus sur leur intérêt pour la vie personnelle d'Erwin.
Hange est la seule à s'attarder vraiment sur eux, à laisser traîner sur Erwin des regards d'avertissement. Erwin saisit le message. Si tu lui fais encore du mal, je te fais bouffer tes couilles. Il comprend. Il l'a mérité. Il n'a pas peur d'Hange, pas du tout, mais il adopte une attitude contrite pour la rassurer.
Levi passe l'après-midi à s'entraîner avec les jeunes, et Erwin passe l'après-midi à l'observer par la fenêtre de son bureau, de moins en moins concentré sur ses rapports à mesure que les heures passent. Encore une fois, Levi finit par se rendre compte qu'il l'espionne. Il fait comme si de rien n'était, congédie son escouade à la fin de l'entraînement et remonte dans le bureau d'Erwin. Il referme la porte derrière lui.
— Pas ici, Levi, prévient Erwin.
Il sait très bien ce qu'il veut. Il le lit sur son visage, dans son attitude, dans son regard.
— Pourquoi ? On avait pas fait sauter cette règle débile ?
— Toute la caserne se demande quand est-ce qu'on va se grimper dessus. Je préférerais que nous gardions un peu d'intimité.
— Tsk !
— Rentre et attends-moi, je ne vais pas tarder.
Levi hésite. Erwin vient de réveiller le souvenir douloureux de son enlèvement. La dernière fois qu'il lui a dit quelque chose du genre, il n'est pas rentré. Il se lève, contourne son bureau et se penche vers lui pour l'embrasser.
— Arrête de plier les genoux comme ça quand tu m'embrasses, c'est humiliant, grogne Levi.
— Tu préfères te lever sur la pointe des pieds ?
— Tsk !
Mais il récupère sa cape et s'en drape, prêt à partir.
— Sois prêt, lui dit Erwin.
Un éclair furtif traverse le regard terne de Levi.
— Dans la chambre. Sur le lit.
— La gamine n'est plus là, j'espère.
— Non. L'appartement est à nous.
— Tant mieux, parce que je compte crier fort.
Erwin ne s'attarde pas à l'hôtel de police ce soir-là, et quand il rentre, Levi l'attend dans leur chambre. Il est assis contre la tête du lit, ses jambes allongées devant lui et croisées au niveau des chevilles. Il est habillé, beaucoup trop habillé.
— Tu n'as même pas commencé à te toucher ? demande Erwin comme s'il lui demandait ce qu'il a préparé pour le dîner.
Et Levi se fend de ce sourire espiègle, mais appréciateur, qu'il réserve aux tentatives d'Erwin de s'aligner sur son registre de langage. Il plie les genoux pour ramener ses jambes vers lui.
— Je n'ai pas réussi à enlever mon pantalon tout seul, explique-t-il.
Il prend un air contrit. Erwin pouffe de rire. Il pose un genou sur le matelas et Levi écarte les jambes. Erwin sent son souffle se couper dans sa gorge. Il ne lit que le désir dans ses yeux. L'impatience. L'anticipation. Mais il y a quand même un point qu'il veut clarifier.
— Je… Je ne vais pas te faire de mal, d'accord ? S'il y a le moindre…
— Je sais, Erwin, le coupe Levi.
Et il entend toute sa confiance dans sa voix.
Erwin grimpe sur le lit, se jette sur Levi et se perd dans son corps. Il veut faire l'amour comme s'ils avaient été séparés pendant des mois, comme s'il était descendu jusqu'aux enfers et qu'il en avait été tiré de justesse. Il veut qu'ils se dévorent, qu'ils se consument. Qu'ils ne perdent pas de temps en séduction et en tâtonnements, qu'ils se mettent tous les deux à nus, qu'ils s'offrent et qu'ils s'emparent de l'autre.
D'une main étonnement habile, Erwin aide Levi à se déshabiller, puis se débarrasse à son tour de ses vêtements. Levi colle immédiatement ses lèvres contre les siennes, sa peau contre la sienne. Il enserre ses hanches entre ses cuisses puissantes. Les lèvres avides d'Erwin parcourent tout le corps de Levi, insatiables. Il veut goûter chaque centimètre de lui, avaler son odeur. Levi doit lui saisir le visage entre les mains pour qu'il se concentre sur sa bouche. Ils tremblent. Ils sont déjà en sueur. Erwin l'embrasse à pleine bouche, lui mordille la lèvre, caresse sa langue. Leurs dents s'entrechoquent, mais peu importe.
Levi implore pour prendre sa queue. Erwin est piqué d'une pointe d'anxiété, mais c'est Levi, le corps de Levi, son Levi, et tout est exactement comme avant. Il glisse deux doigts en lui.
— Putain, Erwin, tu m'as trop manqué…
Ses sourcils se joignent.
— Chhh, l'apaise Erwin.
Mais il est aussi ému que lui. Il s'allonge sur lui et plaque leurs torses. Il sent Levi respirer contre lui. Il sent son cœur battre à un rythme affolé dans sa poitrine.
— Mets-la moi, murmure Levi. Je veux ta queue. Je veux te sentir en moi, ajoute-t-il d'une voix pressante, les cheveux collés sur le front. S'il te plaît, baise-moi, s'il…
— Chh, chh.
Mais Levi est soudain en proie à une agitation fébrile. Il a le souffle court, les yeux vitreux, les joues rouges. Il s'agrippe à Erwin comme s'il était le seul à pouvoir le soulager. Erwin retire ses doigts et glisse doucement sa queue en lui, centimètre par centimètre. Levi semble un peu s'apaiser. Il soupire, halète, remue sous lui. Erwin lui murmure des paroles rassurantes et l'empêche d'aller trop vite. Une fois qu'il est complètement en lui, que leurs peaux sont pressées l'une contre l'autre de partout où leurs corps se touchent, il s'immobilise. Levi remue encore un peu puis se fige. Il cligne des yeux pour chasser la sueur d'Erwin qui lui coule sur le visage.
— Levi, mon amour, murmure Erwin.
— Erwin, répond Levi sur le même ton. Je te sens en moi.
— Chh, calme-toi. Tout doux.
Il couvre son visage de baisers.
— Je veux que tu me baises, gémit Levi en recommençant à s'agiter.
— Chhh… Je fais te baiser, c'est promis. Mais je ne veux pas que tu fasses une crise d'apoplexie au bout de ma queue parce que tu es trop excité.
Il inspire et expire lentement, et les mouvements de la poitrine de Levi se calquent sur les siens. Son compagnon s'apaise. Il garde le sexe d'Erwin en lui et étudie son visage du bout des doigts, si proche qu'il louche légèrement. Il glisse les mains dans ses cheveux et les ramène derrière ses oreilles. Erwin le récompense avec de petits baisers.
— On ne se quittera plus ? demande Levi d'une petite voix. Promets-moi qu'on se quittera plus.
— On ne se quittera plus, répond aussitôt Erwin.
Peut-être qu'il est un peu trop rapide à répondre. Mais Levi s'en satisfait.
— Jamais ?
— Jamais.
— Promets.
— C'est promis, Levi, mon amour. Mon chéri, l'amour de ma vie.
— Oh !
Levi se crispe sans même s'en rendre compte autour de sa queue, et une sensation brûlante est déjà en train de naître dans ses entrailles.
Erwin commence de petits va-et-vient, et Levi prend aussitôt une grande inspiration saccadée. Erwin se relève sur le coude pour pouvoir le regarder dans les yeux pendant qu'il le baise. Levi pose une main sur l'arrière de son crâne. Il a les sourcils joints, les joues rouges, les lèvres entrouvertes, et son corps se balance au rythme qu'Erwin impose.
— Gémis, Levi. N'oublie pas de gémir pour moi.
— Erwin…
— C'est ça, dis mon prénom, mon amour. Gémis mon prénom.
Il donne de l'amplitude à ses mouvements. Le lit se met à grincer, mais il ne s'en rend presque pas compte, obnubilé par les sons qui sortent de la gorge de Levi. Il l'embrasse. Accélère encore. Sent la queue de Levi qui dégouline entre leurs ventres.
— Erwin ?
— Oui ?
— Est-ce que… est-ce que…
Le regard de Levi se voile. Il semble ne plus se rappeler comment aligner des mots pour former une phrase intelligible. Peu importe, Erwin comprend. Au ton de sa voix, à l'expression sur son visage, à la manière dont son corps réagit au sien. Levi n'a pas besoin de parler, Erwin comprend.
— Oui Levi, je t'aime. Je t'aime si fort.
— Ce… c'est vrai ? demande Levi en se cramponnant à lui de toutes ses forces.
Ses ongles raclent la peau de son dos. Erwin a du mal à conserver son équilibre sur un bras. Dans son désespoir, Levi va le faire perdre ses appuis précaires.
— Je t'aime, Levi, répète Erwin.
Il est prêt à le répéter un millier de fois, si Levi a besoin de l'entendre un millier de fois pour le croire. Son compagnon est brûlant contre lui. Erwin accentue la puissance de ses coups de rein pour tenter de le soulager, de faire exploser cette bulle de plaisir qui est en train de se former en lui.
— Tu vas jouir ? lui chuchote-t-il à l'oreille. Bon sang, Levi, je suis tellement bien en toi. Je pourrais passer le restant de mes jours entre tes cuisses.
Levi hoche la tête avec un gémissement sonore.
— Si je continue à te baiser comme ça, tu vas jouir ? Hmm ? Si je continue à te dire que je t'aime ?
Levi ferme les yeux de toutes ses forces.
— Tu es magnifique, Levi. Ton corps me rend fou, et je t'aime tellement que j'en perds mes mots.
Levi jouit. Une chaleur poisseuse se répand entre leurs ventres. Erwin ralentit aussitôt les mouvements de ses hanches pour ne pas basculer lui aussi. Il baise paresseusement Levi pendant qu'il se remet de son orgasme et profite du spectacle. Son capitaine reprend ses vieilles habitudes et se cache le visage entre ses mains, échevelé, essoufflé, les joues brûlantes.
— Tss, Levi, montre-moi ton visage.
Levi obéit. Il continue à onduler tranquillement les hanches pour accompagner ses mouvements. Il sort doucement du bien-être cotonneux de son orgasme et cligne des yeux.
— T'as pas joui ? demande-t-il d'une voix un peu inquiète.
Erwin sourit et l'embrasse longuement.
— Tu te retournerais pour moi ?
Il se retire pour que Levi puisse rouler sur le ventre. Levi obtempère, docile, et s'avachit sur le matelas. Il pousse un soupir d'aise quand Erwin se couche sur lui et lui embrasse consciencieusement la nuque, le creux du cou, l'épaule. Tantôt il dépose de petits baisers, tantôt il trace avec sa langue des chemins humides sur sa peau. Levi se laisse faire, somnolent, l'épiderme parcouru de petits frémissements. Erwin ne serait pas surpris qu'il se mette à ronronner.
Erwin se soulève de lui et glisse le long de son corps pour embrasser son dos. Il pince entre ses lèvres la peau sensible sur ses flancs. Levi se met à gémir faiblement. Erwin ne se lasse pas du goût de sa peau. Et de son dos, ce dos… si musclé, si ferme, si délicat. Il revient embrasser la base de sa nuque, puis entreprend de descendre baiser par baiser le long de sa colonne. Levi soupire et se tortille pour marquer son mécontentement de ne plus se sentir couvert par le corps d'Erwin.
— Erwin… il murmure.
— Hmm ?
Mais Levi semble à court de mots. Erwin continue à cheminer le long de sa colonne, et passe le creux de ses reins. Levi prend une inspiration saccadée. Erwin dépose de petits baisers sur ses fesses musclées.
— Bientôt prêt à remettre ça ?
— Tu es toujours en train de bander ? demande Levi d'une voix étouffée par le matelas.
Erwin répond par son grognement. Oui, et pas qu'un peu. Il n'attend qu'une chose, glisser à nouveau dans le petit cul étroit de Levi et le baiser jusqu'à jouir à son tour.
— Prépare-moi, dit Levi.
Erwin pense qu'il est déjà prêt et qu'il cherche juste un prétexte pour qu'il continue à s'occuper de lui. Levi hésite quelques secondes, puis ajoute :
— Avec ta bouche.
— Tu es sûr ?
— Ouais… Si ça te dit, hein.
— Tu crois encore que je pourrais résister à ton corps, Levi ? Tss.
Il s'agenouille pour garder son équilibre, écarte doucement les fesses de Levi avec son pouce et introduit doucement sa langue au contact de son intimité. Levi gémit et se cache le visage entre les draps. Erwin l'embrasse, stimule sa peau sensible, lui appuie sur le bas du dos pour l'immobiliser. Il n'a pas besoin de lui demander comment il se sent. Levi écarte tout seul les cuisses pour s'exposer un peu plus à la bouche d'Erwin.
— C'est bon, tu te sens prêt ? demande Erwin pour le taquiner.
— Arrête de parler et lèche-moi ! supplie Levi en agrippant à nouveau les draps à pleines mains.
Erwin rit et s'exécute, consciencieux et attentif. La gêne de Levi finit par se dissoudre complètement dans son plaisir et il s'abandonne à Erwin, avec une confiance et une entièreté qui lui font perdre les dernières bribes de sa retenue. Erwin le veut encore. Il veut le remplir et le posséder, le faire se pâmer et gémir et jouir encore.
— Je peux te la mettre ?
— Tsk. Dépêche-toi !
Levi replie ses genoux pour surélever ses hanches et lui offrir son cul. Erwin glisse en lui d'un seul mouvement qui envoie presque Levi se cogner contre la tête du lit. Il se retire, puis plonge à nouveau en lui. Levi gémit et recule ses hanches autour de lui pour quémander plus. Erwin pose sa main sur la chute de ses reins et se met à le baiser à un rythme soutenu.
Erwin regrette de ne pas avoir ses deux bras pour lui agripper les hanches et l'enfiler sur sa queue à chaque mouvement, mais Levi se débrouille très bien tout seul en poussant sur ses mains. Il en demande toujours plus, désespéré, comme s'il avait peur de manquer d'Erwin.
— Couche-toi sur moi, halète-t-il.
Erwin s'écroule sur lui de tout son poids et l'aplatit sur le matelas. Il lui passe le bras autour du cou et reprend ses va-et-vient soutenus. Le gémissement ininterrompu que pousse Levi tressaute chaque fois qu'il s'enfonce en lui.
— Ça te plaît, hmm ? lui demande Erwin à l'oreille d'une voix rauque.
Levi tente d'articuler une réponse, mais il n'arrive qu'à prononcer son prénom, encore et encore, en envoyant à chaque fois des frissons dans tout le corps d'Erwin. Ses poings s'agrippent aux draps. Il se cambre, incline toujours plus le bassin pour s'offrir à Erwin.
— Plus fort… je vais… gémit Levi.
— Oui ?
Erwin ralentit un peu. Levi fait claquer sa langue de mécontentement, mais Erwin l'apaise avec de longs mouvements profonds.
— Encore, gémit Levi, encore, encore, encore !
— Tu me laisses profiter de ton cul, hmm ? Si tu savais comme je m'y sens bien, Levi.
Levi répond par un petit son étranglé et se contracte autour de lui, et Erwin croit qu'il a joui, mais non, Levi s'accroche encore pour durer. Le torse d'Erwin glisse sur la sueur de son dos.
— Chhh, laisse-toi aller, lui dit-il. Ne résiste pas.
— Toi… toi d'abord, halète Levi.
— Tss, si je jouis avant toi, qui te prendra le cul jusqu'à ce que tu jouisses à ton tour ?
— Je peux… je peux… articule Levi.
Il n'a pas l'air de savoir ce qu'il va dire ensuite.
— Jouis, Levi, c'est un ordre ! s'écrie Erwin d'un ton autoritaire, comme s'il commençait à perdre patience.
Le corps de Levi est parcouru d'un frisson, il pousse un cri rauque et se répand sur les draps pour la seconde fois. En jouissant, il se contracte autour d'Erwin et l'attire dans l'orgasme avec lui. Erwin ne se retire pas, il vient en Levi et se vide entre ses cuisses.
Sa queue spasme encore en lui pendant plusieurs minutes. Levi semble avoir été propulsé ailleurs. Il se détend sous lui, lâche les draps, laisse ses jambes choir de chaque côté des cuisses d'Erwin, encore grandes ouvertes.
Ils restent comme ça pendant plusieurs longues minutes, silencieux et confortables, à se laisser bercer par le plaisir. Erwin est le premier à retrouver ses esprits.
— Je vais me retirer, avertit-il d'une voix douce.
Un grognement de protestation lui répond.
— Je vais me retirer, comme ça je pourrai te laver puis te couvrir de caresses.
Cette fois, Levi ne dit rien. Erwin se retire en douceur de lui et le retourne sur le dos. Levi le laisse l'embrasser. Il reste passif, les paupières lourdes, les lèvres gonflées d'avoir mordu dedans pendant qu'il se faisait baiser. Il est magnifique. Il sent le sexe, la satisfaction, l'abandon. Erwin dégage les cheveux qui lui tombent devant les yeux et dépose un baiser sur son front. Ils sont tous les deux sales, couverts de sueur, de salive et de foutre, et il se sent plus humain que jamais.
— Tout va bien ? demande Erwin en caressant délicatement sa joue avec ses phalanges.
Levi cligne lentement des yeux.
— Gnnh.
Erwin rit, et la poitrine de Levi se gonfle, comme s'il tirait de son rire de quoi se remettre soudain à respirer. Erwin se lève et va chercher une serviette humide dans la salle de bain. Il nettoie le ventre de Levi, puis lui écarte les genoux et essuie son propre sperme qui coule de lui. Levi le regarde faire, attend qu'il ait posé la serviette et lève les bras vers lui. Erwin se love dans son étreinte et le serre comme lui de toute la force de son bras en lui murmurant des paroles rassurantes.
Il laisse Levi somnoler dans le lit pendant qu'il se lave puis prépare le dîner. La soirée s'annonce simple, sans excentricité, mais c'est grâce à sa banalité qu'Erwin réalise qu'il a enfin retrouvé un quotidien avec Levi. Pour la première fois depuis trop longtemps, il a l'impression d'avoir redonné à sa vie un sens, un but louable, celui d'entourer de confort et de quiétude l'homme qu'il aime.
~oOo~
Levi pensait avoir plutôt bien sucé Erwin avant qu'il ne parte pour sa journée de travail, ce matin, et il ne comprend pas pourquoi il se retrouve affublé d'une mission aussi humiliante que d'aller jouer les nourrices pour Historia Reiss.
Il connaît à peine la gamine. Pendant les plusieurs semaines qui se sont écoulées depuis qu'Erwin l'a ramenée à leur appartement, il n'a fait que la croiser à de rares occasions. Il veut limiter au maximum les contacts avec elle pour que le commandant ne se mette pas en tête de lui demander de la former au combat, elle aussi. Il ne veut pas ajouter une petite gamine malingre à la bande de bras cassés dont il a déjà la responsabilité.
Il ne va pas prétendre le contraire pour faire plaisir à Erwin, le sort d'Historia ne l'intéresse pas. Sa seule utilité est pécuniaire et il ne met jamais le nez dans les finances du Bataillon, il ne se sent donc pas du tout concerné. Erwin aurait dû envoyer Hange à sa place. Elle aurait sans doute montré plus de motivation que lui à prendre des nouvelles de celle qui tient entre ses mains graciles le sort de leurs futurs budgets.
Historia a monté un orphelinat. En un mois, avec l'aide de personnes conseillées par Erwin, elle a réussi à mettre sur pied une structure fonctionnelle. Levi suppose que c'est une cause plutôt noble, mais l'idée de confier le sort d'orphelins à une richissime héritière de quatorze ans en dit long sur l'efficacité abyssale des institutions officielles – dont il fait à présent partie. Erwin lui a assuré que ce n'est pas une manœuvre pour nettoyer le nom de Reiss, que la gamine a un bon fond et une volonté sincère. Mais Levi croit surtout qu'Erwin la laissera faire ce qu'elle veut tant qu'elle ira dans une direction qui l'arrange.
Il n'a pas très bien compris ce qu'Erwin attend de lui sur ce coup-là. Quoi, qu'il s'assure qu'Historia est bien épanouie dans sa petite vie de rentière ? Qu'elle voit toujours le commandant comme son sauveur ? Ou que les gamins sont bien propres et bien nourris ? Au fond de lui, Levi sait très bien pourquoi il rechigne autant à y aller. Il n'a pas envie de se confronter à la misère de ces mômes. Il n'a pas envie qu'elle fasse ressurgir en lui des souvenirs désagréables et humiliants. Il fait encore ralentir son cheval, mais il a beau traînasser et trouver des excuses idiotes pour faire des détours inutiles, sa monture finit par l'amener devant l'orphelinat.
C'est une ancienne auberge restaurée par leurs soins, entourée d'un petit jardin modeste. Levi attache son cheval dans la cour et frappe à la lourde de porte du bâtiment. C'est Historia en personne qui vient lui ouvrir.
— Capitaine Levi, le salue-t-elle.
Elle a l'air fatiguée. Ils ont tous les deux l'air épuisés et usés. Un peu de la mauvaise humeur de Levi se dissipe.
— Bonjour…
— Appelez-moi Historia.
Elle le laisse entrer. L'atmosphère est confortable et il entend un feu qui crépite dans une pièce adjacente. Historia lui prend son manteau, passe dans la pièce d'à côté et le pend près de la cheminée. Levi est un peu mal à l'aise, mais Historia garde une attitude tranquille et bienveillante. Comme Erwin, elle a sans doute été éduquée pour se sentir à l'aise avec les inconnus.
— Le commandant m'a avertie que vous passeriez voir l'orphelinat maintenant qu'il est terminé, lui dit-elle d'une voix douce.
— Il vous présente ses excuses de ne pas avoir pu se déplacer en personne, répond Levi.
Sa voix à l'air particulièrement bourrue à côté de celle de la jeune fille.
— Je me doute qu'il doit être très occupé. Il s'est déjà beaucoup investi.
Elle lui fait faire un tour du bâtiment, de la cuisine aux dortoirs, des sanitaires à la salle de jeu. Levi écoute à peine ce qu'elle lui raconte. Il pense à autre chose. Il se demande ce qu'il se serait passé, s'il avait grandi dans un environnement pareil. Est-ce qu'il serait devenu quelqu'un de respectable ? Est-ce qu'il aurait réussi à se faire des amis, avec qui il aurait pu partager plus tard des souvenirs de son enfance ? Ou est-ce qu'il aurait été battu, plus qu'il ne l'a été avec Kenny ?
Il voudrait poser des questions, montrer à Historia qu'il s'intéresse, pour ne pas qu'elle se méprenne sur son silence. Mais il a la gorge trop nouée. Pourquoi Erwin l'a-t-il envoyé là ? Probablement parce que Levi ne lui a pas assez parlé de son passé pour qu'il puisse se rendre compte de ce que cette visite remue en lui.
— Les enfants sont au marché, lui dit Historia. Les nourrices essayent de les sortir au moins trois fois par semaine. J'ai pensé que vous préféreriez visiter tranquillement, ils peuvent être un peu… bruyants.
Il y a des dessins crayonnés au fusain sur les murs du petit salon. Levi balade son regard dessus sans vraiment y prêter attention, quand soudain son œil est attiré par la représentation particulièrement brouillonne d'un monument qu'il croit reconnaître, pour avoir passé des heures à roder autour vingt ans plus tôt. C'est la statue d'un quelconque chef militaire qui trône au milieu de la grande place des Bas-Fonds, en guise de rappel de l'existence lointaine d'un ordre établi. Levi n'a jamais vraiment su en l'honneur de qui avait été érigée cette statue. Ils l'appelaient tous « le Colonel ». Une bouffée de nostalgie l'envahit. Le silence de la pièce lui fait prendre conscience qu'Historia l'observe avec curiosité. Il se racle la gorge et se détourne du dessin.
Des cris dans la cour d'entrée leur évitent un moment de gêne. Les mômes sont de retour. Historia se dirige vers la porte pour les accueillir et Levi la suit. Il se fait instantanément assaillir par une nuée d'humains miniatures très excités de rencontrer un capitaine – un vrai, avec une cape et un cheval – qui lui saturent instantanément les oreilles de leurs cris enthousiastes. Ils doivent être une petite quinzaine. Ils veulent tous savoir son prénom, et lui dire le leur, et lui poser des questions sur la police, sur son uniforme, sur son grade, sur ses chaussures, sur sa taille et sur son cheval. Levi ne s'entend plus penser. Il est dépassé par toute cette attention soudaine et intense. Historia rit et vient à son secours en leur demandant à tous d'aller se laver les mains.
— Ils vous ont préparé un gâteau pour le goûter, si vous acceptez de nous faire l'honneur, Capitaine, lui dit-elle de sa voix agréable.
Levi se raidit. Il aimerait avoir un peu plus de précisions sur les conditions d'hygiène dans lesquelles ce gâteau a été réalisé, avant d'accepter. Il ouvre la bouche, mais un cri suraigu fige les mots dans sa gorge. Historia et lui se tournent d'un même mouvement vers la porte d'entrée.
Celle-ci s'ouvre d'un coup, et une nourrice entre en traînant par le bras une gamine. Pas exactement une gamine, se dit Levi, une véritable furie doublée d'un démon enragé. Elle hurle à pleins poumons. Elle se débat, elle mord, elle griffe. Elle déverse un torrent d'insultes d'une richesse lexicale impressionnante, même pour un spécialiste comme lui.
La nourrice l'agrippe par le biceps et la soulève du sol. Les hurlements redoublent – Levi découvre par la même occasion qu'une telle performance vocale est possible. Elle agite ses petits pieds pour tenter de donner des coups à la nourrice, qui crie elle aussi pour essayer de la faire taire.
Levi a l'impression que sa tête va exploser. Ses os vibrent. La gamine ne le remarque même pas, trop occupée à brailler. Les autres enfants, les mains encore mouillées, reviennent passer une tête prudente dans l'entrée pour voir ce qu'il se passe, mais ils n'ont l'air ni surpris ni particulièrement ébranlés.
Levi discerne enfin quelques mots entre les insultes. Il est question de marché, de patates, de cheval. Son cheval, peut-être. La nourrice, excédée, secoue la fillette, qui répond en poussant un cri perçant.
— Tais-toi un peu, braille la vieille femme. Regarde le policier. Il va t'arrêter et te mettre en prison si tu ne te tais pas tout de suite !
Levi se rembrunit. Il n'est pas venu pour être utilisé comme menace pour faire taire des gamins de sept ans. La petite semble remarquer enfin sa présence et se tait, plus par curiosité que par crainte. Elle arrache son bras à la nourrice pour se libérer, trottine jusqu'à lui et l'inspecte rapidement.
— Pff, il est tout petit.
Et elle lui décoche un coup de pied dans la rotule. Levi vacille sous le coup de la douleur et se retient de justesse au mur. Les adultes poussent une exclamation horrifiée.
— Gabi !
La petite file en courant dans les escaliers et les monte quatre à quatre jusqu'au dortoir, bien trop vite pour que la nourrice puisse la rattraper.
— Gabi ! Reviens tout de suite présenter tes excuses au capitaine !
Levi se masse le genou et pousse un sifflement de contrariété. Elle n'a pas cogné très fort, du haut de son jeune âge, mais il pose cependant le pied avec précaution pour s'assurer que son articulation le soutient toujours. Historia est confuse et se répand en excuses, mais l'attention de Levi est concentrée sur la nourrice qui monte d'un pas furieux les escaliers.
— Laissez tomber, grogne-t-il. Eh, vous ! Laissez tomber je vous dis !
La nourrice prend la peine de s'arrêter au milieu de son ascension pour lui lancer un regard ulcéré.
— Certainement pas ! Vous croyez que je vais laisser cette petite peste traiter ainsi un visiteur ? Si vous ne souhaitez pas entendre ses excuses, c'est votre problème, Capitaine. Mais nous avons des manières à enseigner.
Levi se sent mal. Il sait ce qui attend la petite. Il est bien conscient que même s'il n'avait pas été là, elle aurait été corrigée quand même pour sa crise de colère, mais toute la scène lui retourne les entrailles.
Historia est déjà en train d'argumenter pour retenir la nourrice. Levi monte à son tour les premières marches. Il sait qu'il ne devrait pas s'en mêler. Mais c'est instinctif, viscéral. Un bras se tend devant lui pour lui barrer le passage.
— Si vous permettez, Capitaine, nous allons régler le problème sans vous, lui dit la nourrice au bout du bras.
— Tsk !
Il n'a pas envie de se justifier. Il la repousse et lui passe devant. Il monte les escaliers avec aplomb et, quand il arrive en haut, il se retourne pour lui jeter un regard tellement sombre qu'elle n'ose pas le suivre. Elle croise les bras, digne, et s'adosse contre le mur au milieu des escaliers.
Quand Levi entre dans les dortoirs, il identifie aussitôt les planques potentielles. Sous les lits, particulièrement ceux du milieu de la rangée, dans les deux placards, derrière la porte.
— Je vais pas t'arrêter, gamine, annonce-t-il d'emblée. On met pas en taule les gamines de ton âge.
Il se laisse glisser contre le mur et s'assoit par terre près de la porte, les jambes étendues devant lui dans une attitude tranquille. Il entend remuer sous le lit en face de lui et fait mine de ne pas s'en rendre compte.
Il n'est pas certain de la manière dont il est censé s'adresser aux enfants de cet âge. Il en a côtoyé très peu depuis son adolescence. Il se sent encore plus mal à l'aise que lorsqu'il doit faire la conversion à des aristocrates qu'il méprise. Bien sûr, il n'a rien contre cette gamine, même si son genou lui envoie des rappels douloureux de l'effort qu'il vient de faire dans les escaliers. C'est juste qu'il ne sait pas trop quelle attitude adopter.
Il se rappelle avec une grimace désabusée qu'il a lui-même abordé le sujet des mômes avec Erwin, il y a quelques mois. Qu'est-ce qui lui a pris ? Un chien, juste un chien, c'est bien aussi.
— Je m'appelle Levi. Je suis ici pour visiter l'orphelinat, parce que c'est mon chef qui me l'a demandé.
Le silence lui répond. Levi en veut un peu à Erwin de l'avoir entraîné dans cette galère.
— Apparemment, on fait pas toujours ce qu'on veut, poursuit-il, même à mon âge. Même quand on est un putain de capitaine.
Puis il se rappelle que même s'il n'a visiblement rien à lui apprendre, il n'est sans doute pas censé jurer devant les enfants.
— Est-ce que tu veux… qu'on discute un peu ? Je vais pas te punir. Je vais demander à la vieille en bas de ne pas te punir non plus. Promis. T'inquiète pas pour le genou, il en a connu d'autres.
En revanche, il garde la remarque sur sa taille dans un coin de son esprit.
Une tête sort de dessous le lit avec un air curieux. Levi sursaute. Ce n'est pas du tout la gamine qu'il est venu chercher. C'est un petit garçon du même âge, peut-être un poil plus jeune, avec une tignasse blonde ébouriffée et des vêtements couverts de la poussière qu'il a ramassée en se vautrant sous le sommier.
— Tsk, siffle Levi. T'es qui, toi, encore ?
Puis il se reprend.
— Tu es tout sale. Viens voir par là.
Il se met douloureusement à genoux et tend la main au gamin. Celui-ci hésite.
— Tu t'appelles comment ?
Le gamin ne répond pas.
— Moi c'est Levi. Viens, je vais t'enlever toute cette poussière.
Il se force à adopter la voix la plus douce possible, ce qui équivaut pour lui à une sorte de murmure râpeux. Le garçon fait un pas timide vers lui, et Levi est percuté de plein fouet par un projectile qui arrive par sa droite. Il s'étale par terre, et se retient juste à temps de ne pas envoyer valser d'un coup de pied dans le ventre la gamine qui tente de lui cogner le visage.
— Touche-le pas ! Touche-le pas sale bâtard !
Elle lui grimpe sur le ventre et tente de lui griffer le visage. Levi lui attrape les poignets pour se protéger, mais il n'ose pas la serrer trop fort de peur de lui faire mal. Elle réussit à se libérer. Il se prend un coup dans le nez. Elle profite de sa stupéfaction pour tendre la main vers le poignard à sa ceinture.
C'en est trop pour Levi.
Il inverse sans peine leurs positions, la plaque ventre contre terre et lui maintient les bras derrière le dos. La gamine se tord dans tous les sens avec rage, donne des coups de pied, rugit.
— Chh, la vieille va t'entendre et va débarquer ici, prévient Levi. Si tu la fermes, je te lâche.
Le petit garçon observe la scène avec un air horrifié. Quand la fille comprend qu'elle n'arrivera pas à se libérer de la poigne de Levi, elle choisit une autre tactique et capitule. Elle se laisse choir sur le sol, les yeux grands ouverts, muette et silencieuse. Levi tient parole et la libère avec prudence, prêt à parer une reprise des hostilités.
— Là. On se calme, ok ? Je vais pas vous faire de mal, ni à toi ni à ton ami. Assieds-toi.
Il se rassoit lui-même contre le mur et se palpe le nez. La gamine se lève et lui lance un regard d'une méfiance extrême, qu'il soutient avec calme. Dans cette position, les deux gamins le surplombent.
— Gabi, c'est ça ? dit-il. Je les ai entendues t'appeler comme ça, en bas. C'est un diminutif pour Gabrielle ?
Il n'obtient pas de réponse. Erwin saurait comment leur parler, lui. Erwin sait toujours comment parler aux gens, peu importe leur âge.
— Et toi ? demande Levi, un peu désespéré, au garçon.
— Falco, répond enfin l'intéressé.
La fille lui jette aussitôt un regard chargé de reproches, comme s'il venait de se rendre coupable de haute trahison.
— Qu'est-ce qu'il s'est passé, en bas ? demande Levi.
La fille croise les bras et prend un air buté.
— Je me suis caché pour pas aller au marché, explique le garçon. Quand c'est comme ça, Gabi fait le cirque en rentrant pour qu'elles m'oublient.
— Et maintenant il va leur dire ! s'écrie Gabi.
— Je vais rien dire du tout, réplique Levi. Pourquoi tu voulais pas aller au marché ?
— T'as besoin de tout savoir ? répond Gabi. Dis rien, Falco. C'est qu'un sale flic de merde. Allez, t'as vu ce que tu voulais voir, rentre chez toi maintenant.
Elle adresse un signe de la main à Falco. Levi écarquille les yeux. Elle croise l'index et le majeur et se tapote la tempe à deux reprises. Il connaît très bien ce geste. Il l'a appris il y a vingt ans, dans les Bas-Fonds, au pied de la statue du Colonel. On se tire, vite.
Gabi vient des Bas-Fonds, comme lui. C'est une orpheline des Bas-Fonds, une gamine sans avenir, comme lui. Il n'a pas le temps d'ouvrir la bouche, les deux gamins détalent à l'autre bout de la chambre et disparaissent par une porte qui ne peut mener qu'à une buanderie ou une pièce de rangement. Le claquement sec d'un verrou que l'on tire fait clairement comprendre à Levi que ce n'est pas la peine de les suivre. Il n'en avait de toute façon pas du tout l'intention.
Il sort de la chambre et descend les escaliers, perdu dans ses pensées. Il a l'impression que l'intégralité du personnel de l'orphelinat l'attend au pied des marches.
— Cette petite peste vous a mis un coup dans le nez ? demande une nourrice d'un ton bourru.
— C'est réglé, dit Levi d'un ton ferme.
Il y met toute l'autorité dont il peut faire preuve, mais ces matrones ont l'air d'avoir le crâne encore plus dur que Kirstein et ses compères. Encore une fois, il pense qu'Erwin aurait été bien meilleur que lui à ce petit exercice.
— Foutez-lui la paix pour aujourd'hui, dit-il. Inutile d'envenimer les choses. Elle a compris le message.
Il laisse planer le doute sur ce qui s'est réellement passé dans le dortoir, et laisse aux nourrices le loisir d'imaginer que la fillette a reçu une punition adéquate.
Il entraîne Historia dans le salon au prétexte de récupérer son manteau et de s'entretenir avec elle à part, et en profite pour subtiliser le dessin qui a attiré son attention un peu plus tôt. Il la félicite pour la tenue de son projet, essuie d'un geste de la main ses excuses mortifiées pour le comportement de Gabi et l'assure de la pérennité de leur soutien. De belles formules qu'il a apprises par cœur de la bouche Erwin.
Quand il se remet en selle, dans la cour, il ne peut s'empêcher de lever les yeux vers les fenêtres des dortoirs, au premier étage. Comme il s'y attendait, les deux paires d'yeux de Gabi et son ami l'observent depuis derrière les carreaux. Il accole son index et son majeur l'un contre l'autre et se donne un coup bref sur la poitrine, à la place du cœur. À bientôt.
Il ne rentre pas tout de suite à l'hôtel de police. Il guide son cheval, au pas, à travers les rues de Trost, et s'éloigne peu à peu du centre-ville. Il traverse les beaux quartiers, passe devant l'hôtel de ville et la préfecture, et traverse le pont qui enjambe le fleuve. Il passe le quartier bruyant des commerçants et quitte les artères principales pour s'enfoncer dans les ruelles qui sentent la pisse et la misère. Il retourne sa cape pour dissimuler le blason du Bataillon, même si une personne attentive ne pourrait pas être dupe. Au moins, il attire moins l'attention ainsi.
Il arrête son cheval sur la Place des Échanges, la plaque tournante des Bas-Fonds, où a lieu le deuxième plus gros trafic de contrebande du pays après celui de la capitale. La place est vide à l'heure qu'il est. Seuls quelques gamins désœuvrés jouent en piaillant au pied de la statue du Colonel. Levi peut sentir le dessin plié dans sa poche.
Les jours de marché, ces mêmes gamins rôdent sur la place en quête d'une rapine facile. Le Colonel est le seul qui veille sur eux, immuable et éternel, pendant qu'ils grandissent. Jusqu'au jour où ils atteignent l'adolescence, où l'heure vient pour eux de rentrer dans les vraies affaires de la pègre et où ils sont exclus du groupe par les autres.
Levi, lui, a trouvé refuge au pied du Colonel quand Kenny l'a abandonné. Il avait déjà presque atteint l'âge limite pour appartenir à leur groupe, mais il a eu le temps d'en apprendre les codes et le langage, celui des gamins qui se prennent trop vite pour des bandits, qui tissent des liens dans la fange en imitant les travers de leurs aînés. C'est là qu'il a rencontré Furlan. Ils en ont été expulsés ensemble, mais au moins ils ont pu se garder l'un l'autre comme refuge.
Levi laisse tomber son menton sur sa poitrine. Il est trop loin pour que les gamins se rendent compte de sa présence, mais les passants commencent à le regarder de travers. Ici, les gens à cheval sont soit des nobles à détrousser, soit des flics. Et Levi n'a pas vraiment la stature d'un aristocrate. Il fait demi-tour pour rejoindre Erwin.
Quand il entre dans le bureau, Erwin ne lève pas la tête du document qu'il est en train d'écrire. Levi se sent usé, groggy. Terriblement las.
— Ah. Je commençais à m'inquiéter, dit Erwin de sa voix distante et polie de commandant. Comment s'est passée cette visite ?
— Pourquoi tu m'as envoyé là-bas ?
Levi a du mal à cacher la colère qui fait trembler sa voix. L'attitude cordiale d'Erwin l'énerve. Comme si sa visite n'avait été qu'une mission professionnelle, comme si elle n'avait rien touché d'intime en lui. Comme si Erwin n'en était pas parfaitement conscient. Comme s'il n'était qu'un simple agent venu faire son rapport et pas son compagnon depuis plusieurs années. Comme s'il n'avait pas eu sa putain de queue dans la bouche ce matin même.
Levi est à cran. Trop à cran pour tolérer les manières d'Erwin. Il n'aime pas les choses qui ont été remuées en lui, aujourd'hui.
Il se met à préparer furieusement du thé. Il attend la réponse. Il veut savoir pourquoi Erwin l'a envoyé là-bas.
— Pour que tu me dises si Histo-
— Arrête tes conneries.
Erwin lève enfin la tête de son rapport.
— Il y a eu un problème ? demande-t-il en haussant les sourcils.
— Tsk !
Et Levi sait qu'il n'aurait pas pu prévoir l'esclandre de Gabi. Il est sûr qu'Erwin ne connaît même pas la petite, qu'il ne sait pas que l'orphelinat est allé la chercher dans les Bas-Fonds, à l'endroit même où Levi a débuté sa vie de bandit.
Mais il a quand même l'impression qu'Erwin cache quelque chose. Ne pas arriver à mettre le doigt dessus l'agace prodigieusement. Erwin pose son stylo et se laisse aller contre le dossier de sa chaise, les bras croisés. Une ride se forme entre ses sourcils.
— L'orphelinat n'est pas satisfaisant ?
— L'orphelinat est très bien comme il est, grogne Levi.
Il verse le thé dans sa tasse.
— Alors, quoi ?
— Rien, Erwin. Je ne sais pas ce que tu mijotes, et ça m'agace.
— Ce que je mijote ?
— Arrête de me prendre pour un con.
— Levi !
Levi s'assoit dans le canapé et croise les jambes. Erwin attend pendant qu'il sirote son thé, puis secoue la tête.
— J'irai moi-même la prochaine fois, si tu préfères, soupire-t-il. Ou tu as raison, peut-être que je devrais envoyer Hange, même si je la soupçonne d'avoir le tact d'un marteau-pilon avec les enfants.
— Non, c'est bon, j'irai, marmonne Levi. C'est moi qui y retournerai.
Les mots sortent de sa bouche avant même qu'il ait conscience d'avoir pris une décision.
— Tu es sûr ?
— Ouais, c'est bon.
Erwin incline la tête, satisfait, et se remet à écrire.
Levi sent qu'il a un plan dont il ne veut pas lui faire part, et qu'il est en train d'appliquer à la lettre malgré lui.
