Chapitre 25
Levi décide de retourner à l'orphelinat dès la semaine suivante. C'est plus fort que lui. Il a besoin d'y retourner, de revoir cette gamine sauvage qui lui rappelle le petit délinquant qu'il a été. Il pense beaucoup à elle, à son avenir. Peut-être que l'orphelinat va l'aider à se remettre dans un chemin moins dangereux. Peut-être. Il sait qu'en tant que femme, un avenir dans la pègre est encore plus dangereux pour elle qu'il ne l'était pour lui.
Erwin est intrigué qu'il veuille y retourner aussi vite, et Levi marmonne quelque chose à propos de vérifier quelques ajustements qu'il a suggérés lors de sa première visite. Il aurait été bien embêté qu'Erwin lui demande plus de précisions, mais le commandant n'est pas très curieux à propos de l'orphelinat. Au fond, Levi préfère ça. C'est la première fois depuis longtemps qu'il se sent investi d'une mission qui ne lui a pas été confiée par Erwin. Enfin, pas vraiment. Disons qu'il a l'opportunité de s'émanciper un peu, pour une fois.
— Tu as fait des rencontres intéressantes, lors de ta dernière visite ? demande Erwin.
Levi ne sait pas s'il doit lui parler de Gabi et Falco. Après tout, cette anecdote n'apporte rien de pertinent pour le Bataillon et il sait qu'Erwin pose la question plus par politesse que par réel intérêt. Sans compter qu'il a envie de garder ça pour lui, un peu jalousement.
— Non, j'ai juste… j'ai juste envie de revoir les gamins. J'ai trouvé les nourrices un peu rêches, la dernière fois. Si cet orphelinat est lié au Bataillon, je préfère qu'on s'assure que les gamins sont bien traités.
— En effet, admet Erwin.
Levi est un peu dépité que ce genre de remarque ne soulève pas la moindre inquiétude chez le commandant. Mais il ne peut pas tout avoir, l'intérêt rassurant d'Erwin ou son indifférence libératrice.
— Tu as autre chose à me faire faire ? Des trucs sur lesquels je peux t'aider ?
— Non, c'est bon, merci. Fais comme tu l'entends. À propos, j'ai une réception, demain soir, annonce Erwin.
Il ne lui propose pas de l'accompagner. Il n'a plus proposé depuis le fiasco de la première fois. Il se fait accompagner tantôt par Hange, tantôt par Armin. De toute manière, tout le monde sait qui est le Capitaine Levi Ackerman, maintenant, au moins de nom. Erwin n'a plus besoin de le traîner dans des mondanités pour le présenter aux investisseurs et permettre aux curieux de mettre un visage sur son nom.
— Ok, répond Levi. Hange sera avec toi ?
— Non, j'ai prévu d'y aller seul.
— Alors je l'inviterai à passer la soirée à l'appartement.
— Tu attends que je ne sois pas là pour l'inviter ? s'indigne Erwin.
— Rien ne t'empêche d'organiser tes propres soirées entre copines, chéri, rétorque Levi.
Et Erwin est stupéfait, parce que Levi ne l'a jamais appelé comme ça. C'est d'habitude plutôt Erwin qui utilise de petits noms affectueux, et il les réserve en général pour les occasions où il a la queue profondément enfoncée en Levi. Ce dernier rosit légèrement. C'est sorti tout seul, et le mot lui laisse un arrière-goût étrange dans la bouche.
— Je… ça me plaît, dit Erwin en fronçant les sourcils d'un air très sérieux.
— Ça fait vieux couple, s'auto-critique Levi.
— Ce n'est pas ce qu'on est ?
— Tsk !
Levi hausse les épaules pour s'éviter de répondre. Si, c'est vrai, leur relation commence à devenir sacrément longue, selon leurs standards à tous les deux. À vrai dire, il n'a pas vu le temps passer. Ils ont vécu tellement vite, depuis qu'ils se connaissent. Ils mériteraient de prendre une pause, de se poser un temps ensemble, de profiter l'un de l'autre. Levi sait qu'Erwin ne leur accordera pas ça. Il ne veut pas le mettre à nouveau en position de devoir refuser.
Erwin sourit avec une profonde tendresse qui dissipe ses pensées les plus moroses.
Ils se séparent après un long baiser.
Quelques heures plus tard, quand Levi arrête son cheval devant l'orphelinat, il se sent légèrement anxieux. Il attache sa monture dans la cour devant l'établissement, comme la première fois, et frappe à la porte. Ses mains se serrent sur l'anse du panier qu'il tient contre lui. Historia n'est pas là aujourd'hui, et c'est une nourrice qui vient lui ouvrir. Levi ne la reconnaît pas.
— Capitaine Levi ?
— J'ai prévenu hier que je passerais, grogne-t-il en guise de salut. J'ai emprunté quelque chose à une petite et j'aimerais le lui rendre.
La femme est un peu étonnée, mais elle s'écarte pour le laisser rentrer. Il essuie avec soin ses bottes sur le paillasson.
— Les enfants sont là ?
— Oui, ils terminent leur cours d'arithmétique d'ici une dizaine de minutes.
— Je vais attendre.
La nourrice le fait passer dans le salon où il s'assoit sur une chaise. Quelques minutes plus tard, incapable de tenir en place, il se relève et va arranger le feu dans la cheminée. En revenant s'asseoir, il en profite pour étudier à nouveau les dessins des enfants sur le mur. Il y a un trou au milieu, là où il en a subtilisé un la dernière fois. Avec une semaine de retard, il décale un peu les autres pour rendre son absence plus discrète.
Il est en pleine confrontation silencieuse avec une étagère qu'il se retient d'épousseter quand les éclats des voix des enfants résonnent dans le couloir. Levi se lève et les regarde passer devant lui. Il cherche Gabi des yeux. Comme la dernière fois, les mômes l'entourent aussitôt qu'ils se rendent compte de sa présence.
— J'ai apporté heu… des trucs pour vous, leur dit Levi.
Cette fois, il a prévu une petite surprise. Surtout pour éviter de voir à nouveau leurs bouilles déçues, comme quand il leur a annoncé la dernière fois qu'il venait les mains vides.
Il saisit son panier, s'agenouille et dévoile les sucreries qu'il a ramenées de la confiserie du centre-ville. Il s'est appuyé sur l'expertise de Sasha Braus pour choisir, la référente de son escouade pour toute question relative à la nourriture.
Les gamins redoublent de piaillements et plongent leurs petits bras dans le panier.
— Pas avant le repas ! s'écrie la nourrice, outrée.
Levi sursaute, regarde l'horloge, son panier, et se sent soudain idiot. Oui, pas de confiseries avant le repas. Évidemment.
— Tais-toi, sale truie, fait une voix insolente.
Le groupe d'enfants se fend en deux et Levi se fait arracher le panier des mains.
— Montre ce que t'as amené.
— Eh, Gabi, c'est pas que pour toi !
— Je suis la plus vieille, c'est moi qui choisis en premier.
Levi essaye d'imaginer comment Erwin aurait agi dans cette situation. Il se serait sûrement imposé comme une figure d'autorité. Il se serait montré à la hauteur de la prestance du Bataillon. Il aurait fait l'adulte.
— Chacun son tour, jeune fille.
— Pas ta maison, pas tes règles, vieil homme, répond Gabi.
Levi retient juste à temps un sourire appréciateur. Les nourrices sont scandalisées. En vérité, il est bien trop amusé par son attitude pour s'en offusquer. Il aime cette répartie et ce caractère de chien.
Il lui reprend le panier, lui tend une sucrerie et remet docilement le reste aux nourrices. Sa piètre tentative de s'attirer leurs bonnes grâces en gâtant les enfants est un échec. Il a peut-être été un peu maladroit, mais il n'y connaît rien, après tout. Il mérite un peu d'indulgence.
— Répétez-moi l'objet de votre visite, Capitaine Ackerman ? fait l'une des nourrices d'une voix sèche.
Et Levi se dit qu'elle doit être un peu plus gradée que les autres.
— Je suis venu rendre une affaire à la môme. Celle-ci, ajoute-t-il en pointant Gabi du doigt.
La petite sursaute.
— Est-ce que je peux lui parler en privé ?
— Non, répond aussitôt la nourrice. Nous ne laissons pas les enfants seuls avec des adultes qu'ils ne connaissent pas.
Elle aurait pu rajouter « faites preuve d'un peu de bon sens, s'il vous plaît » que son ton n'aurait pas été plus sec. Levi comprend. Il est même plutôt rassuré par ce genre de règles.
— En présence de l'une d'entre vous, alors, si vous êtes disponibles, dit-il de sa voix la plus polie.
— C'est l'heure du déjeuner, nous allons devoir faire manger les enfants.
— S'ils ont encore faim, ajoute sa consœur d'une voix aigrie.
Levi fait claquer doucement sa langue. Gabi a l'air intéressée par ce qu'il prétend avoir à lui rendre. Elle se tient près de Falco, légèrement devant lui dans une attitude protectrice que Levi reconnaît bien.
— Moi, je veux bien venir avec vous, propose une nourrice de l'âge de Levi.
Peut-être même un peu plus jeune que lui. Les épaules du capitaine se détendent.
— Faites vite, je vous accorde quinze minutes, dit la vieille aigrie.
Levi ne peut s'empêcher de lui lancer un regard courroucé, puis il se sent puéril. Gabi se fend d'un petit sourire de connivence, de plus en plus intriguée.
Ils s'installent dans le salon. Gabi saute sur un fauteuil et s'assoit en tailleur. Levi l'imite dans le fauteuil en face d'elle. La nourrice a la présence d'esprit de s'installer un peu en retrait, dans un coin où elle pourra se faire oublier. Elle sort un petit livre et se met à lire, comme si elle n'écoutait pas un mot de ce qu'ils disaient.
Levi sort le dessin et le déplie lentement. Il est un peu écorné après avoir passé une semaine dans sa poche. Il n'a pas osé le sortir devant Erwin, de peur de le sentir désemparé par son attitude ou pire, d'avoir à répondre à des questions. Il le présente à Gabi. Il n'est pas sûr que la nourrice puisse le voir de là où elle se trouve, mais il n'y a rien de secret. Elle l'a probablement eu sous le nez pendant des mois.
— C'est toi qui a fait ça ? demande Levi.
Il interprète la méfiance de Gabi comme une réponse positive.
— C'est le Colonel, affirme-t-il.
Gabi jette un coup d'œil nerveux en direction de la nourrice. Pourtant, celle-ci doit bien savoir où la gamine a été ramassée. Levi préfère tout de même rentrer dans son jeu. Il pose l'index sur sa propre poitrine et fait rapidement le signe de reconnaissance du gang de petits délinquants qui se retrouvent tous les jours au pied de la statue.
— T'es beaucoup trop vieux, dit aussitôt Gabi.
— Avant, il y a longtemps. Quand j'avais plus ou moins ton âge, répond Levi avec une pointe d'agacement.
— T'as grandi où ?
Levi le lui dit. Il lui dit juste le nom, sans préciser qu'il s'agit d'un bordel et encore moins celui où travaillait sa mère. Il n'a jamais donné ce nom à personne. Il a plutôt essayé de l'oublier, en vain. La nourrice n'a aucune réaction et ignore probablement de quoi ils parlent. Gabi semble réfléchir un instant.
— Ça me dit quelque chose, ce nom. Mais je sais pas où c'est.
— Tant mieux.
— Bon, et donc, qu'est-ce que tu me veux ?
— Rien. Je voulais juste te dire ça.
Elle ne prend même pas la peine de dissimuler sa déception.
— Ok.
Levi est déçu, lui aussi, par sa réaction. Mais il ne sait pas à quoi il s'attendait, vraiment. Est-ce qu'il espérait de la part de cette gamine une once d'intérêt, ou une complicité, parce qu'ils partagent le même genre de passé désastreux ? Il se sent vraiment seul à ce point ? Il est pitoyable. Il savait bien qu'il aurait dû laisser son passé enterré au plus profond de lui. Ce genre de souvenirs se dissimulent, ils ne s'utilisent pas pour essayer de créer des liens avec des gamines en déshérence.
— Tu me laisses monter sur ton cheval ?
La question le tire de son auto-apitoiement. La nourrice réagit en premier, se lève et s'écrie qu'il en est hors de question et que ce n'est pas correct de déranger le capitaine avec ce genre de demande. Gabi se met à bouder.
— On… on pourrait peut-être arranger ça pour un autre jour ? propose Levi.
Il s'adresse à la nourrice, et il a bon espoir qu'elle accepte. Il sent qu'il a plus de chances d'obtenir ce qu'il veut avec elle qu'avec les autres beaucoup plus austères.
— Si vous faites cela pour l'un des enfants, ils vont tous vous demander la même chose, rappelle la nourrice.
— On dira rien, s'interpose Gabi. On dira que je vais voir le médecin, et on sortira…
— Je peux proposer aux autres aussi, dit Levi. Je peux voir avec le commandant pour me libérer un après-midi et…
— Vous allez vous transformer en manège, vous et votre pauvre cheval, prévient la nourrice. Les enfants peuvent être un peu… turbulents.
— Tsk, dit Gabi. Tant pis pour les autres. C'est moi qui a demandé.
— Non, elle a raison, Gabi, tranche Levi.
— Alors on commencera par moi, parce que c'est moi qui ait eu l'idée.
— Il faut quand même que je soumette l'idée aux autres, dit la nourrice, soudain prise d'une pointe d'incertitude. Vous comprenez bien que je n'ai pas la main sur ce genre de décisions, et que…
— Je comprends très bien le concept d'une chaîne de commandement, rappelle Levi d'une voix douce. Vous demanderez l'autorisation à votre supérieure. Dites-lui que c'est une proposition de ma part. Non, dites-lui plutôt que c'est une proposition de la part du commandant.
La nourrice ouvre grands les yeux.
— Mais Capitaine…
— Croyez-moi, lui assure Levi, je le connais assez pour savoir exactement ce qu'il répondra si je lui demande son assentiment.
Il parle avec une telle assurance que la nourrice le croit. Ce n'est pas vraiment un mensonge, à vrai dire. Levi pense vraiment qu'Erwin lui accorderait sans peine ce genre de fantaisie, parce qu'il a des affaires bien plus importantes à régler et sur lesquelles concentrer son énergie.
La nourrice les laisse un instant seuls, avec Gabi.
— Je pourrai être la première sur ton cheval ? insiste-t-elle.
— Ouais, les plus vieux en premier, non ? Comme au pied du Colonel.
Il lui tend son poing fermé. Elle le considère, hésite, le regarde dans les yeux et répond en touchant son poing avec le sien.
Levi ne s'attarde pas à l'orphelinat. Il promet d'envoyer quelqu'un dans quelques jours pour s'enquérir de la réponse de la référente des nourrices.
~oOo~
Pour la première fois depuis des années, Erwin se sent anxieux en arrivant à une soirée officielle. Elle a lieu dans la salle de réception de l'hôtel de ville, comme souvent. Il connaît un nombre conséquent de personnes parmi les invités. Des hauts-gradés de la police et leurs conjoints, des membres de la préfecture, des élus locaux. Tout le gratin des officiels qui se croisent et se recroisent au fil des soirées, qui s'appellent par leurs prénoms et qui se saluent avec des tapes dans les dos. Et qui se souviennent surtout de l'existence des autres au moment de négocier une petite évolution de carrière.
Erwin fait partie de ce monde-là. Lui aussi est accueilli par son prénom et par des bourrades amicales forcées. Lui aussi sait exactement quelles mains il devrait serrer et dans quelles oreilles il devrait chuchoter pour obtenir un jour le grade d'Inspecteur, et pourquoi pas celui de Préfet.
Tout ça ne l'intéresse pas, pour le moment. Son objectif était de devenir commandant, le poste qui lui donne assez de liberté pour mener à bien sa mission. Et il ne vise pas plus haut dans l'immédiat, pour deux raisons. Premièrement, il estime ne pas mériter de meilleure position tant que sa mission n'est pas accomplie. Deuxièmement, il ne voit personne capable de se charger du Bataillon d'Exploration et de la traque des Titans à sa place.
Il n'est pas là pour négocier sa carrière, ce soir. Il n'est pas non plus là pour entretenir les liens qui lui consolideront un avenir rutilant.
Plusieurs personnes viennent le saluer. Erwin sursaute légèrement à chaque fois. Les regards se posent sur son épaule droite et fuient comme s'ils s'étaient brûlés. Les gens ont du mal à s'habituer, malgré les mois qui se sont écoulés depuis sa blessure. Ils le traitent encore avec maladresse, en employant mille périphrases et mille précautions inutiles. Erwin n'invite plus les femmes à danser de peur de les mettre mal à l'aise.
Il ne se fixe pas sur un groupe d'invités ou un autre, malgré les invitations cordiales. Il reste attentif et balade son regard sur l'ensemble de la salle à intervalles réguliers. C'est évidemment quand il se laisse distraire par un couple de danseurs particulièrement expérimentés qu'il se fait aborder par la personne qu'il est venu rencontrer.
— Vous êtes venu seul ce soir ? fait une voix d'homme derrière lui. Vous savez, les mœurs évoluent. Vous auriez pu proposer à Levi de vous accompagner.
— Bonsoir, Zeke, dit Erwin sans se retourner.
— Pourquoi n'est-il pas là ? insiste le Titan.
— Vous devriez vous en réjouir. Il aurait probablement du mal à canaliser sa haine envers vous.
— C'est pour ça que nous avons convenu de nous retrouver dans un lieu fréquenté, répond le Bestial d'un ton badin. Comment va-t-il ?
— Vous avez demandé à me voir pour parler de Levi ?
— Non, mais il s'agit de la moindre des politesses. J'ai beaucoup d'estime pour ce petit homme et je sais à quel point il compte pour vous.
Erwin ne gratifie pas cette remarque d'une réponse. Il préfère laisser Levi hors de tout ça tant qu'il le peut.
— Vous voulez que nous sortions discuter sur le balcon ?
— Nous sommes très bien ici, répond Jaeger d'un ton très détendu. Si nous nous isolons, nous allons attirer l'attention. Ici, personne ne nous écoute, personne ne nous remarque. Cachés en pleine lumière…
— Nous risquons d'être interrompus par des gens désireux de me saluer, objecte Erwin.
— …comme ma chère Historia, n'est-ce pas ?
Jaeger vient se placer à côté de lui. Il sirote négligemment un verre de champagne.
— Je sais que votre capitaine préféré va fouiner régulièrement du côté de l'orphelinat. J'ai du mal à saisir le but de la manœuvre. Est-ce que c'est une manière de marquer votre territoire autour d'Historia ? Ou est-ce que c'est une tentative de donner à Levi un autre but que vous dans sa vie ? Avant de le quitter, par exemple ?
Erwin se tend. Un léger vertige le saisit.
— Je ne pense pas que Levi ait besoin qu'on lui donne un but dans la vie.
— Ah, vraiment ?
Il prend le temps de déglutir une longue gorgée d'alcool.
— Mais vous évitez de rebondir sur le fait de le quitter.
Il regarde enfin Erwin par-dessus ses lunettes. Le commandant à l'impression que tout le reste de la salle se brouille, qu'ils ne sont plus que tous les deux. Même la musique se transforme en bruit de fond dans son esprit.
— Je n'ai aucune intention de quitter Levi, dit-il.
— Ou faire en sorte qu'il vous quitte, peu importe la formulation, le résultat reste le même. Vous y êtes presque parvenu, de ce que j'ai entendu dire.
Erwin reprend un peu de contenance. Il ne doit pas se laisser déstabiliser par ses paroles, mais plutôt se concentrer sur les faits les plus inquiétants, par exemple sur la manière dont Zeke a réussi à se procurer ces informations. Certes, rien d'extraordinaire pour n'importe quel agent du Bataillon, mais il ne pense pas que ce genre de nouvelles sortait des murs de l'hôtel de police. Autrement dit, quelqu'un doit les lui relayer.
— Vous avez réfléchi à ma proposition ? demande Zeke.
— La réponse est toujours aussi négative, répond Erwin.
— Hmm.
Zeke coince une cigarette entre ses dents et l'allume avec grâce.
— J'espère que la fumée ne vous incommode pas, commandant. À vrai dire, j'ai un peu de mal à comprendre quelles ficelles il faut tirer, avec vous. Vous êtes d'une droiture admirable. J'imaginais que votre ambition prévalait sur le reste, mais je découvre qu'elle s'arrête là où votre loyauté commence. Ni l'appât du gain, ni la promesse du pouvoir, ni la volonté de mettre ceux qui vous sont chers à l'abri ne réussissent à vous faire dévier de votre trajectoire. Est-ce que c'est la recherche de la gloire qui vous anime ? Est-ce que vous souhaitez devenir le héros du peuple ? Que seriez-vous prêt à sacrifier pour ça, commandant ? Combien de relations, combien de nuits de sommeil, combien de vies ?
Erwin ne répond pas. Il se force à rester impassible. Les mots de Zeke pénètrent en lui et s'immiscent dans des recoins de son être qu'il cherche à calfeutrer. Il lutte pour ne pas lui accorder la satisfaction de savoir qu'il le touche.
— Vous finirez par céder, commandant. Vous avez cédé à la luxure pour une vermine des Bas-Fonds, vous finirez bien par me céder pour le pouvoir. Je sais que je ne pourrai jamais obtenir Levi, et je l'accepte, j'y renonce. Mais vous…
— Pourquoi ? demande brutalement Erwin.
Zeke hausse les sourcils.
— Pourquoi ? il répète.
— Pourquoi renoncez-vous à Levi ? Pourquoi les Titans n'ont-ils jamais cherché à recruter un homme aussi spectaculaire au combat ?
Zeke souffle un nuage de fumée malodorante.
— Si j'étais un Titan…
Erwin se tait aussitôt, mais trop tard. Le sourire de Zeke s'élargit d'un coup.
— Oui ? Continuez, commandant. Si vous étiez un Titan…?
— Levi serait la première personne que je recruterais, souffle-t-il.
— Vous le dites avec l'assurance d'un homme qui pense que nous avons raté cette occasion de manière irréversible. Hmm. En fait, je pense que vous n'avez pas tort. Nous ne pourrions plus recruter Levi. Mais en réalité, je pense que nous n'aurions jamais pu.
— Pourquoi ?
Erwin est curieux de savoir. Il a ses suppositions, évidemment, mais il veut entendre l'avis de Zeke sur le sujet. Le Titan semble parfaitement à l'aise pour lui exposer le fond de sa pensée.
— Levi… Levi ne s'attache pas aux choses matérielles. Ce qui est un comble pour un sale petit voleur comme lui, vous en conviendrez. Bien sûr, il a ses envies, comme tout le monde. Mais on ne peut pas le tenir en laisse sur la durée avec des promesses matérielles. Levi s'attache aux personnes. S'il est prêt à mentir, à voler ou à tuer, c'est avant tout au nom de personnes qui lui sont chères, et pas d'une envie matérielle. Ou d'une cause supérieure, comme vous le savez très bien vous-même.
— Comment pourriez-vous savoir tout ça sur lui ?
— Mikasa est pareille.
— Et ? Ils ne se connaissaient même pas avant que Levi rejoigne la brigade.
— Il y a quelque chose, chez les Ackerman. Je vous en ai déjà parlé. Une espèce de loyauté butée et, si j'ose le dire, désespérément aveugle. Vous avez été aux premières loges pour constater celle de Mikasa. Peut-être avez-vous préféré vous dire que celle de Levi à votre égard n'était rien d'autre que de l'amour, mais que voulez-vous, commandant, vous êtes un irrécupérable romantique.
Erwin ne répond pas pour ne pas trahir son agacement.
— Vous êtes loyal à votre cause. Levi vous est loyal à vous. Voilà pourquoi nous n'avons jamais vraiment envisagé de le recruter. Certes, vous êtes arrivé le premier, mais je suppose qu'avant il en allait de même pour ses amis. Il n'a jamais été disponible pour que nous nous en emparions, et je ne vois pas à qui il aurait pu s'attacher parmi nous.
Zeke fronce les sourcils.
— Son empathie pour les enfants des rues est intéressante cependant, c'était peut-être une piste à explorer. Même si je pense qu'il a fait ce cheminement intérieur parce qu'il a trouvé une certaine stabilité avec vous.
Erwin se sent rongé de l'intérieur par les paroles de Zeke. Il sait qu'il devrait mettre un terme à la conversation. Mais il veut trouver la faille dans laquelle il pourra s'engouffrer à son tour. Pour le moment, c'est lui qui n'est qu'une immense brèche dans laquelle s'engouffre Zeke.
— Nous savons vous et moi que ce genre de lien est solide, mais pas impossible à rompre, n'est-ce pas, commandant ? Vous l'avez débarrassé de ses deux parasites pour le faire vôtre. Il a survécu. Il survivra si vous vous détachez de lui.
Des images reviennent à l'esprit d'Erwin, vives et douloureuses, de la détresse de Levi quand il a appris la mort de Furlan et Isabel. L'épave qu'il est devenu en quelques semaines, à errer dans les Bas-Fonds et à s'enivrer pour oublier.
Il n'y a aucune, absolument aucune raison pour qu'il rompe avec Levi et qu'il lui impose à nouveau une telle détresse. Il ne le fera qu'en tout dernier recours, et il est loin d'y être. Zeke n'a rien à lui proposer au sein des Titans qui n'arrive à la cheville de ce qu'il possède déjà. Un poste prestigieux, de la reconnaissance sociale, une brigade respectée, une relation stable et un compagnon incroyable. La seule raison qui pourrait le pousser à accepter de rejoindre les Titans, ce serait… non, il se refuse à y penser, à laisser son ambition prendre le dessus.
La seule raison qui pourrait le pousser à rejoindre les Titans, ce serait pour les infiltrer de l'intérieur et les détruire.
Zeke observe avec attention son visage, comme s'il tentait d'y lire la bataille intérieure qui se joue en lui.
— Je ne désespère pas, commandant. Je sais que mes paroles ne se perdent pas dans le néant. Vous êtes un homme intelligent, vous saurez tirer le meilleur parti de mes propositions.
Il finit son verre d'une traite.
— Je suis en train de reformer un groupe, dit-il d'un ton très sérieux. Nous allons assassiner le préfet avant la fin de l'année. Ses dernières réformes sur l'organisation de la police sont une provocation claire à laquelle nous devons répondre. Une fois que nous aurons mis à sa place quelqu'un d'un peu plus conciliant, nous monterons échelon par échelon jusqu'au sommet du pouvoir. En fait, je devrais vous remercier d'avoir épuré notre gang de ses éléments les plus faibles.
Erwin se tourne à son tour vers lui pour le sonder du regard. Zeke lui adresse un petit sourire amical. Il faut une audace sans nom pour oser exposer de telles intentions à un commandant de police.
— Vous avez toutes les cartes en mains, commandant, dit Zeke en guise de conclusion. Oui, nous rejoindre impliquerait que vous vous sépariez de Levi, car il est hors de question que nous nous encombrions à nouveau du problème qu'il représente. Mais je sais que vous saurez prendre les bonnes décisions. Rentrez chez vous et faites-lui l'amour, tant que vous en avez encore la possibilité.
Il le salue et s'éloigne de lui d'un pas tranquille. Erwin ne sait plus trop qui a un coup d'avance sur l'autre. Zeke tape juste, beaucoup trop juste. Il ne devrait pas se sentir si tiraillé. Il devrait avoir les idées claires, bien stables sur ses valeurs. Or, il ne peut s'empêcher de… douter. Il sait qu'il va devoir finir par faire des choix. Sa brève séparation d'avec Levi a été un coup de semonce. La fin d'une période de tranquillité absolue, qu'il était trop absorbé dans son travail pour identifier comme telle.
Le remord commence à pointer le bout de son nez. La peur du temps perdu, gâché, irrécupérable.
Il n'était pas d'humeur à la fête quand il est arrivé, mais il se sent à présent vraiment nauséeux. Il quitte l'hôtel de ville d'un pas rapide et se précipite à l'appartement.
Quand Erwin rentre chez eux, Hange vient de partir et Levi est assis en tailleur sur le canapé, le buste raide et les traits tendus. Le commandant reconnaît bien cette attitude, celle d'un Levi qui a quelque chose à lui annoncer. Erwin fait semblant de ne pas percevoir son agitation. Il n'a pas envie de parler. Il veut le prendre dans ses bras, le déshabiller, l'allonger sur le lit et lui faire amour. Il veut quelque chose de physique, de charnel, de primitif. Ils parleront plus tard.
Levi est un peu surpris par sa précipitation mais accueille avec soulagement cette échappatoire. Ils tombent ensemble sur le matelas, arrachent leurs vêtements et se perdent dans le corps l'un de l'autre.
Erwin est désespéré. Il étreint Levi de toutes ses forces. Il l'aime, il l'aime si fort, il l'aime à en crever. Il veut le protéger de tout, y compris de lui-même. Mais Levi est fort, lui aussi. Il est solide, et puissant, et vivant contre lui. Erwin s'abandonne à ses mains expertes. Il oublie tout. Il oublie Zeke, il oublie ses plans, il oublie même qu'il est le commandant du Bataillon d'Exploration.
Il ne pense plus qu'à Levi. Levi, dont la peau frémit contre la sienne, dont les soupirs lui frôlent l'oreille, dont les gémissements font vibrer ses os. Levi, qui se donne entièrement. Il n'y a pas de faux semblants, d'appréhension ou de pudeur mal placée. Ils se connaissent par cœur. Levi sait exactement comment lui faire perdre la tête. Erwin sait exactement comment le faire gémir jusqu'à ce qu'il en oublie son prénom.
Il le laisse le chevaucher jusqu'à ce que ses cuisses tremblent sous l'effort, puis il le bascule en arrière sur le lit, le retourne sur le ventre et le baise jusqu'à ce qu'il n'arrive plus à former la moindre phrase cohérente.
— Attends… attends… gémit Levi en se contorsionnant sur le matelas.
Erwin se fige en lui. Levi tente de se retourner.
— Laisse-moi… laisse-moi jouir dans ta bouche.
Erwin le libère de sa queue et l'aide à rouler sur le dos. La queue de Levi est déjà visqueuse de son début d'orgasme. Erwin le prend d'un seul mouvement dans sa bouche. Les jambes de Levi s'enroulent autour de son cou et lui maintiennent la tête. Ses mains se perdent dans les cheveux d'Erwin. Quand il jouit, ses doigts se ferment en poing et Erwin sent son orgasme vibrer entre ses lèvres. Levi s'affaisse sur le matelas.
— Embrasse-moi, murmure-t-il.
Il attend, les lèvres entrouvertes, qu'Erwin vienne s'en emparer. Ils partagent un baiser tendre, délicat, qui serait presque chaste si Levi ne se goûtait pas lui-même sur sa langue.
Erwin pousse un profond soupir de bien-être contre la bouche de Levi. Ils s'embrassent tranquillement pendant plusieurs minutes, puis Levi remue à nouveau sous lui, les paupières lourdes et les lèvres rosies par ses baisers.
— Tu as joui ? murmure-t-il.
Ses mains se glissent entre leurs deux corps. Elles attrapent la queue encore dure d'Erwin et la caressent langoureusement. Erwin se contorsionne pour ne pas avoir à quitter ses lèvres pendant qu'il le guide jusqu'à l'orgasme. Il vient entre ses doigts, entre leurs ventres.
Levi doit insister pour qu'Erwin le libère enfin et le laisse sortir du lit pour aller chercher de quoi les essuyer. Il le nettoie consciencieusement. Puis il s'assoit au milieu des oreillers et prend Erwin contre lui, dans la position qu'il préfère, allongé sur son ventre. Erwin lui enlace la taille avec son bras.
— Je t'ai manqué, apparemment, dit Levi en jouant avec ses mèches blondes.
— Tu me manques en permanence quand tu n'es pas avec moi, marmonne Erwin.
Levi lui donne une petite tape sur le crâne.
— Arrête, on est plus des adolescents.
— Je ne suis jamais tombé amoureux quand j'étais adolescent, grogne Erwin tandis que Levi lui masse le crâne. Hmm. Si tu continues, je vais m'endormir.
Mais comme il l'a deviné, Levi a quelque chose à lui dire. Il cesse de lui masser le crâne. Erwin se souvient de ses bonnes manières juste à temps pour éviter un grondement de protestation.
— Je suis retourné à l'orphelinat, aujourd'hui, dit son capitaine d'une voix incertaine.
— Ah oui, c'est vrai. Les enfants vont bien ?
— J'y suis retourné pour… parce qu'il y a ces gamins…
Il a du mal à trouver ses mots. Erwin lui caresse distraitement le flanc pour lui montrer qu'il est réveillé et qu'il l'écoute. Levi remue légèrement sous lui.
— Il y a cette fille et ce garçon, qui doivent avoir sept ans… peut-être cinq ou six, pour lui…
— Comment s'appellent-ils ?
— Gabi et Falco. Ils ont été ramenés depuis les Bas-Fonds. Ils… ils faisaient partie du même gang que moi.
Erwin fronce les sourcils.
— Tu faisais partie d'un gang ?
— Un gang d'enfants.
Erwin réagit. Cette fois, il a compris. Levi a envie de parler de son passé. Il se faufile hors de ses jambes et s'étend à côté de lui, la tête posée sur sa main, éveillé et attentif. Levi replie ses genoux contre lui. Il a soudain l'air… nu, ce qui ne fait aucun sens, parce qu'il l'est déjà depuis un bon moment. Le second bras d'Erwin lui manque soudain cruellement, pour pouvoir lui offrir une caresse rassurante.
— Je les ai rejoints à t… treize ans. C'est un gang d'enfants très connus, dans les Bas-Fonds.
Il fixe les draps avec obstination, comme si Erwin pouvait lui en vouloir d'avoir cherché à survivre.
— Mon… Kenny l'Éventreur, mon oncle, il… il m'a abandonné et… j'avais nulle part où aller, ok ? J'étais bon que pour v… voler et me battre, et…
Erwin se sent comme embourbé dans une mélasse épaisse. Il se redresse, s'assoit lui aussi contre la tête du lit et enroule le bras autour de Levi pour l'attirer contre lui. Levi résiste et tire les draps sur sa poitrine pour dissimuler sa nudité.
— Levi, tu n'as aucune culpabilité à avoir, lui dit Erwin. Tu as fait ce qu'il fallait pour survivre.
— Nah. J'aurais pu… j'aurais pu…
Il aurait pu tomber sous le joug des proxénètes de sa mère. Il aurait pu être vendu comme un bout de viande. Il aurait pu mourir.
— Si ma… c'est pas ça qu'elle aurait voulu que je devienne.
Il se cache les yeux dans ses mains et enfonce les paumes contre ses paupières closes comme s'il essayait d'y retenir ses larmes. La poitrine d'Erwin lui fait mal. La culpabilité de Levi lui fait physiquement mal. Il ne comprend pas pourquoi elle remonte maintenant, et pourquoi Levi se reproche encore son passé alors qu'il s'est racheté mille fois depuis.
— J'ai fait des sales coups, Erwin. Des trucs… des trucs horribles.
Erwin l'écoute.
— Et le pire, c'est que j'avais le choix ! J'avais le choix, et j'ai jamais dit non. Ça me faisait me sentir puissant, j'avais l'impression d'exister. J'étais fort, dans le groupe, et…
Il se tait. Erwin a beau être concentré sur Levi, il ne peut s'empêcher de penser à ses propres faits d'armes peu reluisants. Levi a fait ces choix en réaction à l'existence mouvementée qu'il a menée avec Kenny auparavant. Erwin les a faits parce que c'était son caractère.
— Est-ce que tu veux m'en dire plus ? propose-t-il.
Levi hésite.
— Quand tu seras prêt, le rassure Erwin en déposant un baiser sur sa tempe.
Il devrait lui dire que le passé est le passé, qu'il s'est depuis reconstruit en un homme parfaitement admirable. Que de toute manière, ils ne peuvent pas juger les actions d'un enfant abandonné à l'hostilité de la rue. Mais il se retient de lâcher tout ce discours convenu. Au fond de lui, Levi sait tout ça, Erwin en est convaincu. Levi ne pleure pas vraiment sur l'enfant qu'il a été. Il le laisse se calmer doucement dans ses bras jusqu'à ce qu'il puisse continuer.
— Ces deux enfants… Ça… ça se passe pas très bien, pour eux. Les nourrices…
Erwin baisse les yeux vers lui. Levi regarde le mur. Sa voix meurt sur ses lèvres.
— Les nourrices sont violentes avec les enfants ?
— Elles sont… dures. Surtout avec elle. Gabi.
— C'est pour ça qui tu y es retourné ? Pour voir la petite ? Pour t'assurer qu'elle allait bien ?
Levi secoue la tête.
— Je voulais vérifier que l'intuition que j'avais eue était là bonne, qu'elle venait bien des Bas-Fonds.
Erwin sent une profonde paix intérieure l'envahir. Il est soulagé que Levi ait trouvé quelqu'un qui partage un passé commun avec lui, à l'orphelinat. Il a envie de rire de soulagement, à vrai dire. Malgré toute l'anxiété que semblent procurer à Levi ses souvenirs à vif, Erwin ne peut s'empêcher de se féliciter. Il serre Levi contre lui et dépose un long baiser dans ses cheveux.
Levi renifle bruyamment.
— C'était quoi, ça ? On dirait que t'es content.
— Oui, je suis content, admet Erwin.
— Pourtant, il y a vraiment pas de quoi se réjouir. Je te dis que j'ai été un gosse horrible, et tu m'embrasses ? T'es bizarre.
— Rien de ce que tu pourras raconter sur ton passé ne changera mon avis sur toi, Levi.
Il enfouit son nez dans ses cheveux pour lui murmurer un je t'aime étouffé.
Levi renifle encore. Un silence confortable s'empare de la chambre. Erwin aime ces moments de confort tranquille à profiter de la chaleur du corps de l'autre.
— Et toi ? demande soudain Levi.
— Moi ?
— Tu m'as jamais parlé de ton enfance. De tes parents. J'aimerais en savoir plus.
Erwin lui caresse distraitement les cheveux.
— Je ne t'ai jamais parlé de mes parents ?
— Non.
Il le sait très bien. Il a un peu évité le sujet, à vrai dire. Il sait très bien ce que Levi va en dire. Il soupire.
— Je n'avais que mon père. Ma mère l'a quitté à ma naissance.
Levi se décolle de son torse et se redresse pour le regarder avec de grands yeux. Erwin conçoit que pour lui qui n'a jamais connu que sa mère, grandir sans figure maternelle puisse paraître incongru. Il l'embrasse pour échapper à son regard.
— Je m'en suis accommodé, dit-il. C'était un homme bon, et très intelligent.
— J'aurais pu deviner ça, marmonne Levi en reprenant sa place sur son torse pour l'inciter à poursuivre ses caresses. Qu'est-ce qui lui est arrivé ?
— Il était criminologue, à la faculté. Il avait une grande réputation. Il s'était mis en tête d'étudier les Titans. Il en avait probablement plus compris sur eux que la police, à l'époque. Il a été retrouvé mort noyé dans le fleuve.
Il sent Levi retenir son souffle.
— Les rapports à l'époque ont conclu à un suicide, poursuit Erwin d'une voix détachée. Trop de pression de la part de la faculté. Épuisement professionnel.
— Mais toi, tu penses que ce sont les Titans qui l'ont tué. Parce qu'il en savait trop.
— Oui.
Il ne le pense pas, il en a l'intime conviction. Levi se redresse à nouveau. Il passe ses jambes en travers de celles d'Erwin, s'installe sur ses cuisses et l'embrasse avec tendresse. Il écarte les mèches de cheveux qui lui tombent devant les yeux. Puis il lui enlace le cou et pose son front contre celui d'Erwin. Il sent bon. Il sent toujours bon. Erwin ferme les yeux pour laisser son odeur l'envahir.
— Tu n'as pas besoin de te sacrifier pour venger ton père, murmure Levi.
— Ce n'est pas une question de vengeance. Je fais ce qui est juste.
Erwin n'est pas animé par la volonté de venger son père. Il veut surtout faire en sorte que ses efforts n'aient pas été vains. Et il est proche du but, si proche du but.
Quand il ouvre à nouveau les yeux, Levi l'observe avec une expression proche de l'inquiétude.
— Un jour je réussirai à te convaincre de faire passer ce qu'on a avant les Titans, dit-il dans un souffle.
— Ce n'est pas compliqué, répond Erwin sur un ton taquin. Il suffit de te déshabiller.
— Vraiment ? Ça veut dire que je dois me balader nu à l'hôtel de police ?
Erwin rit et le renverse sur le matelas pour le couvrir de baisers. Levi se déride enfin.
À vrai dire, Erwin ne désire rien de plus au monde que de pouvoir faire de Levi sa priorité. Il a juste besoin de comprendre si celui implique qu'il reste auprès de lui.
