Chapitre 29

— Tu peux plus te battre aussi bien qu'avant, rappelle Levi. Laisse Hange mener l'assaut.

Erwin se doutait qu'Hange parlerait de leurs petits entretiens en tête-à-tête à Levi. Il ne lui en veut pas, au contraire. Grâce à elle, Levi semble avoir accepté en douceur la perspective qu'Hange reprenne un jour la tête du Bataillon. Il est adossé à la porte close de son bureau, la tête légèrement penchée en avant. Ils sont à la veille de leur mission. Comme Erwin s'y attendait, Levi est terrifié par l'imminence de la bataille et mobilise toute son énergie dans un effort désespéré pour le faire renoncer à les accompagner. Son capitaine cache tant bien que mal son angoisse derrière un masque d'impassibilité.

— Tu vas nous ralentir, c'est tout ce que tu vas faire, ajoute Levi. Reste plutôt là tranquillement à attendre les nouvelles. On dira aux autres qu'on s'est engueulés, et que j'ai fini par te faire céder. Ça te va ?

Erwin fait mine d'y réfléchir.

— Non.

Le visage de Levi s'obscurcit.

— C'est mon devoir d'être là, affirme Erwin. Si je tombe, la chaîne de commandement reste la même. Hange prendra les rênes de la mission, et ainsi de suite. Je sais que cette mission est dangereuse, mais c'est notre mission la plus importante.

Levi n'écoute déjà plus la fin de son petit laïus.

— Si tu t… s'étrangle-t-il, incapable de répéter un tel mot.

— C'est notre chance d'en finir une bonne fois pour toutes. C'est pour ça que j'ai été prêt à en venir à de telles extrémités. Si je ne participe pas, les chances de réussir vont s'effondrer et…

— Arrête tes conneries, Erwin, ok ? Me serre pas ta soupe habituelle, pas à moi. Ton rôle, c'était de faire le plan. Tu l'as fait, il est excellent, bravo à toi. C'est vrai, il y a des chances pour que la mission échoue, mais c'est toujours le cas, non ? Mais si ça arrive et que tu y passes, on est foutus. Donc tu vas rester le cul au chaud et tu vas attendre que je vienne te faire mon rapport. Tu vas rester là à faire fonctionner tes méninges, ok ? Parce que c'est ça qui emmerde le plus les Titans. Et parce que c'est la meilleure chose que tu puisses faire pour nous tous.

— Tu te trompes, Levi. La meilleure chose à faire, c'est de tenter le tout pour le t-

— Eh ! s'écrie Levi. Continue à me prendre pour un con, et je te fracasse les deux jambes. Je ferai ça proprement pour que tu puisses remarcher, mais tu passeras toute la mission à chialer ici. Je te préviens, ça risque d'être chiant pour aller aux toilettes.

Levi n'a pas l'air de plaisanter, mais Erwin ne peut s'empêcher de rire.

— J'aimerais autant éviter. Tu as raison Levi, un agent blessé devrait rester à l'écart du champ de bataille. Mais c'est un grand moment dans l'histoire du Bataillon, et je tiens à être là.

Levi reste un instant bouche bée, comme s'il n'arrivait pas à concevoir qu'on puisse lui opposer un argument aussi ridicule.

— T'y tiens tant que ça ? T'y tiens plus que tes jambes ? Parce que je vais le faire, Erwin. Je rigole pas. Je vais faire en sorte que tu sois physiquement incapable de participer à cette mission. Je préfère te faire du mal que de te perdre.

Pendant quelques secondes, Erwin doute. Est-ce que Levi serait vraiment capable de le blesser ? Il s'en voudrait, après, c'est certain. Mais sans doute que pour lui, la culpabilité d'avoir fait du mal à Erwin est plus supportable que celle de l'avoir laissé se mettre en danger de mort.

Il observe le petit homme qui se dresse entre lui et le danger, solide et effrayé, incapable de le menacer en le regardant droit dans les yeux. Levi ne mérite pas ce qu'il est en train de lui faire. Erwin soupire et se laisse aller dans son fauteuil.

— Ok.

Levi sursaute.

— Ok ?

— Oui. C'est d'accord. Je reste ici.

Levi ouvre de grands yeux surpris.

— C'est vrai ?

— Oui. Je vais rester avec Armin.

— C'est promis ?

— C'est promis.

Mais son capitaine ne se détend pas. Il n'a pas l'air d'y croire totalement.

— Erwin, si tu me mens…

— Je vais rester ici, Levi.

Il modifie sa voix pour qu'elle soit la plus rassurante possible. Les épaules de Levi se détendent. Il pousse un soupir et se décolle de la porte, la main sur la poignée. Il se retourne, mais juste avant de l'ouvrir, il s'arrête.

— Je sais que tu as un plan, Erwin. Je sais que tout est millimétré, que tu as pensé à tout, et que je suis probablement encore en train de me faire avoir.

Les quelques secondes qui succèdent à sa phrase semblent s'étirer indéfiniment.

— Fais…

Il se tait et prend le temps de maîtriser sa voix.

— Fais ce que tu as à faire, ok ? Applique ton plan. Quoi qu'il en coûte.

— Levi, regarde-moi.

Levi renifle. Quand il se tourne vers Erwin, ses yeux sont secs.

— Embrasse-moi, demande Erwin.

Levi hausse les sourcils. Il a l'air inquiet, et surtout, il a l'air triste. Il hésite puis tourne la poignée d'un geste décidé.

— Tu m'embrasseras toi-même quand tu rentreras ce soir.

Et il sort en claquant la porte derrière lui. Erwin se passe la main sur le visage. Il n'a pas envie de travailler ce soir. Tout est prêt, de toute façon. Depuis plusieurs jours. Pour la première fois depuis trop longtemps, il range son bureau, classe ses papiers, remet ses livres à leur place sur l'étagère, et quitte l'hôtel de police de bonne heure pour passer la soirée en compagnie de Levi.

~oOo~

Levi fait circuler son cheval entre les agents prêts à partir pour la mission. C'est souvent dans ces moments que son stress est à son maximum. Une fois qu'ils sont lancés, il est trop pris dans l'action pour s'inquiéter. Il sait aussi que c'est la dernière fois qu'il les voit tous vivants.

Ils vérifient leurs armes. Ils montent sur leurs chevaux. Erwin fait son habituel discours galvanisant. Tout se déroule comme d'habitude, tout est rodé au millimètre selon le protocole habituel. Une mission banale en apparence. Mais l'atmosphère est pesante. Tous sont conscients de l'importance de la mission. Tous sont conscients qu'ils peuvent mettre un terme au Gang des Titans aujourd'hui.

Le fait qu'Erwin ne les accompagne pas crée aussi une tension étrange. Le commandant et Hange ont parlé aux agents la veille au soir et les ont laissé exprimer leurs ressentis sur cette situation inédite. Personne n'a remis en question le fait qu'Erwin, blessé, reste en retrait. Cependant, même si Hange est appréciée dans leurs rangs, ils se seraient tous sentis plus en sécurité avec lui.

Levi a entendu les mômes parler entre eux. Mikasa, Eren et Armin. Il a traîné jusque tard à l'hôtel de police, avec l'illusion stupide de repousser ainsi la nuit et le lendemain. Il a d'abord passé du temps à convaincre Hange de quitter son établi, puis il a renvoyé la triplette infernale des terrains d'entraînement, en leur disant qu'ils n'arriveraient jamais à fermer l'œil s'ils s'agitaient jusqu'à si tard. Puis il a surpris les trois autres en train de s'imaginer dans une ville sans Titans. Levi n'a pas pu s'empêcher de rester un peu pour les écouter, dissimulé à l'angle d'un mur.

Il s'est senti touché par l'enthousiasme d'Armin. Le gamin s'est mis une cible sur le dos, juste par volonté d'aider ses amis, alors qu'il n'en retire aucun bénéfice personnel. Il apporte beaucoup au Bataillon, d'après Erwin. Levi en a une moins haute estime, mais il le respecte. Il se demande si Erwin voit en Armin ce que lui voit en Gabi. Un reflet de leur passé, et la possibilité d'une seconde chance à construire un avenir meilleur. Levi a des doutes, cependant. Armin ne sera jamais à la hauteur d'Erwin, et Erwin avait sans doute beaucoup plus de charisme qu'il n'en aura jamais, même à seize ans.

Puis Levi est rentré rejoindre Erwin. Il l'a retrouvé dans leur lit, en train de somnoler, un livre à la main. Il a remué quand Levi l'a rejoint sous la couverture et lui a aussitôt enlacé la taille pour le serrer contre lui.

— Ta peau est glacée, a murmuré Erwin contre ses cheveux.

Levi lui a collé ses plantes de pieds sur les tibias pour confirmer cette information. Erwin a poussé un petit cri outré et a roulé sur Levi pour le réchauffer de la chaleur de son propre corps.

Levi n'a même pas tenté de faire prendre à leurs jeux une tournure charnelle, car il sait qu'Erwin n'est pas d'humeur, les veilles de mission. Il l'a laissé s'endormir sur son ventre, dans la position que son compagnon préfère. Levi a glissé ses doigts dans ses cheveux et a massé son crâne jusqu'à ce que sa respiration s'égalise.

C'est Erwin qui l'a réveillé quelques heures plus tard, alors qu'il somnolait, pour faire l'amour. Levi a accepté, un peu surpris, et s'est laissé entraîner dans une étreinte un peu fébrile, un peu désespérée. Il s'est dit – à raison – qu'elle lui permettrait d'évacuer son stress. Erwin s'est réveillé deux autres fois par la suite, et les deux fois il a demandé à Levi s'il pouvait lui faire l'amour.

— Je monte à cheval, moi, demain, a grogné Levi.

Mais il préfère mille fois passer la nuit comme ça plutôt qu'à ruminer seul entre ses draps.

Ce matin, il est un peu raide sur sa selle, mais pas assez pour que les autres le remarquent.

Une fois qu'il a fait le tour de toute son escouade, il rejoint Hange.

— Tu es prête ? lui demande-t-il.

Elle est pâle, les traits tirés, les lèvres pincées.

— Est-ce que j'ai l'air d'être prête ?

— Plutôt, je trouve, ment Levi.

Il sait qu'au stress de sa position s'ajoute celui de la première participation de Moblit à une mission. Levi n'a pas compris pourquoi Erwin a tenu à ce qu'il participe, alors qu'Armin a été lui-même dispensé. D'autant plus étant donné l'impact d'une telle décision sur Hange. Levi a toujours un mauvais pressentiment quand Erwin laisse des zones d'ombre sur des décisions aussi importantes. Mais il est trop tard pour en discuter maintenant.

Erwin les coupe dans leur discussion pour faire ses dernières recommandations à Hange. Il a passé peu de temps avec Levi depuis qu'ils ont quitté l'appartement. S'il n'était pas si préoccupé par ses agents, il se serait demandé s'il ne l'évite pas un peu.

— On y va, non ? s'impatiente Levi.

Il n'en peut plus de se trouver au pied du mur. Il a hâte de partir. Il a hâte de revenir. Il a hâte que tout ça soit terminé.

— Oui, dit Hange.

Et elle leur ordonne de se mettre en formation avant de gagner sa position au milieu des autres agents. Levi se sent beaucoup moins serein pour la mission que si Erwin était aux commandes. Mais Hange doit faire ses preuves. Il est surpris mais soulagé qu'Erwin lui ait cédé sa place. Il entrevoit enfin la possibilité d'un avenir proche où Erwin remettra ses fonctions de commandant entre les mains de quelqu'un d'autre.

Il talonne à son tour son cheval pour suivre Hange, mais une main le retient par la bride.

— Levi, dit Erwin.

Sa monture sursaute et piétine. Levi baisse vers Erwin un regard surpris.

Erwin l'attrape par le devant de sa chemise et l'oblige à se pencher vers lui. Ils ne se sont jamais embrassés devant le Bataillon. Certes, personne ne leur prête attention. Mais Levi en a quand même le souffle coupé.

Erwin lui offre un baiser chaste mais appuyé. Il écrase ses lèvres contre les siennes. Il agrippe le revers de sa cape avec un poing désespéré. Levi n'est pas encore remis de sa surprise qu'il le lâche déjà. Dans un moment d'hébétude, il veut l'embrasser à nouveau, mais Erwin lui fait comprendre par un regard fermé qu'il ne s'autorisera pas plus. Levi se redresse sur son cheval.

— À tout à l'heure, dit-il d'une voix rauque.

Erwin ne lui répond pas, la gorge visiblement trop serrée. Levi peut encore sentir l'ombre de son baiser sur ses lèvres lorsqu'il lance son cheval à la suite de celui d'Hange.

~oOo~

Erwin remonte en compagnie d'Armin dans son bureau dans un silence tendu. Erwin se sent las, terriblement las. Chaque pas lui coûte une énergie incommensurable. Armin est plus nerveux.

Le commandant se laisse tomber sans grâce dans son fauteuil. Dehors, une fine neige commence à tomber. Rien qui ne puisse mettre à mal la mission, ou même la ralentir, mais ces quelques flocons assombrissent encore l'humeur d'Erwin.

Armin s'assoit sur le canapé, à l'opposé de l'endroit où s'assoit toujours Levi. Il reste un moment immobile, si profondément perdu dans ses pensées qu'Erwin n'ose pas l'interrompre. Ils ont les mêmes cernes sous les yeux. Le même teint pâle. Les mêmes traits tirés. Erwin a en plus quelques cernes au coin des yeux et sur le front.

— Armin, se résout-il enfin à dire.

Comme il s'y attendait, le garçon sursaute quand il rompt le silence qui pèse sur eux.

— J'ai quelques affaires à mener.

— Le Capitaine Levi a dit que vous n'étiez pas censé quitter le bâtiment avant qu'il ne revienne, dit Armin en fronçant les sourcils.

Ah, Levi.

— Je ne vais pas quitter l'hôtel de police, répond Erwin d'une voix calme.

C'est la vérité. Il ne compte pas mettre un pied dehors.

— Je vais te demander de rester dans ce bureau, c'est compris ? Je vais t'enfermer à clé. Ce n'est pas pour te punir, mais pour te protéger.

— Commandant…

— Fais-moi confiance, ajoute Erwin d'un ton plus ferme, qui sonne comme un ordre.

Armin est particulièrement sensible à l'autorité. Il est prêt à en user sans vergogne.

— Vous… vous pensez que l'hôtel de police n'est pas sûr ? demande Armin.

— Tant que j'y suis, il n'est pas sûr, confirme Erwin. Et comme je t'ai dit, je ne compte pas le quitter tout de suite. Je suis une cible privilégiée. C'est pour ça que je veux que tu restes loin de moi.

— Alors je peux aller ailleurs, déclare Armin. Dans mes quartiers, ou dans l'armurerie, ou…

— Non, cette pièce est la plus sûre du bâtiment, dit doucement Erwin.

— Mais… mais vous…

— Est-ce que tu serais en train de discuter mes directives ?

— Non, commandant, répond finalement Armin en baissant les yeux.

— Bien.

Erwin tire une pile de papiers du tiroir de son bureau et la pose devant lui.

— Voici les précédents rapports qui ont été établis sur Zeke Jaeger, le Titan Bestial, au cours des précédentes missions. J'aimerais que tu étudies tout ça et que tu me donnes ton opinion sur le personnage.

C'est de la poudre aux yeux. Il veut juste lui occuper l'esprit. Erwin le sait. Armin le sait aussi.

— Nous avons déjà étudié le sujet, commandant, tente Armin d'une voix timide.

— Jusqu'ici, tu as surtout écouté ce que je t'ai dit et lu mes propres rapports. Mais il est possible que je me sois lourdement trompé à son sujet. C'est pourquoi j'aimerais que tu me donnes ton avis, à partir de faits objectifs qui ont été rapportés par mes agents.

Armin ne trouve rien d'autre pour le contredire. Tant mieux. Erwin commence à ressentir une pointe d'agacement et Armin est beaucoup trop impressionable pour qu'il s'emporte contre lui.

— Très bien, dit Armin. Je vais le faire. Comment voulez-vous que je vous restitue mes conclusions ?

Erwin n'avait pas pensé à ce point en particulier. À vrai dire, il s'en fiche totalement.

— Par écrit. Mais fais court. J'ai besoin de quelque chose de synthétique.

— À vos ordres, commandant.

— Je compte sur toi, Armin.

Il se lève et quitte la pièce sans un dernier regard. Il tourne la clé dans la serrure pour enfermer Armin à l'intérieur et la glisse dans la poche de sa veste d'uniforme. D'un pas raide, il traverse l'hôtel de police et se rend dans son ancien bureau, celui qu'il occupait quand il était capitaine. Celui où tout a commencé avec Levi.

Il aurait dû le céder à Hange après sa promotion, mais il n'a pas réussi à la faire sortir du bazar organisé de son établi. Erwin l'a donc donné à Levi, qui l'a soigneusement laissé inoccupé pour investir son canapé. Il aurait alors pu l'attribuer à quelqu'un d'autre, mais le temps a passé et cette problématique lui est sortie de l'esprit.

— Ah, commandant. Je commençais à m'impatienter.

Erwin s'adosse contre la porte pour la fermer et prend le temps de parcourir la pièce du regard. Rien n'a bougé, si ce n'est que ses affaires personnelles ne sont plus là. Le bureau, le tapis, le divan. Et le souvenir de Levi, dans la position exacte dans laquelle il se trouve à cet instant. Il se redresse et se donne un peu de contenance.

Zeke le regarde avec son habituel sourire insolent. Il a quitté son manteau, qui traîne négligemment sur le dossier du divan, mais il ne doit pas être là depuis longtemps, car ses cheveux blonds sont encore humides de neige. Il y a un peu de buée sur ses lunettes.

— Je suis un peu vexé que vous ne me receviez pas dans votre bureau.

— Vous allez pourtant devoir vous en contenter, dit Erwin en se décollant enfin de la porte.

Il fait de son mieux pour dissimuler son anxiété, mais Zeke a clairement la main sur leur petite confrontation, pour le moment. Il pourrait se mettre à glousser qu'Erwin ne serait pas surpris. Zeke s'approche et se plante devant lui.

— Où est Levi ? demande-t-il à voix basse en fixant un point sur la clavicule d'Erwin, beaucoup trop proche de lui.

Il le sait très bien. Zeke veut juste l'entendre le dire.

— Il est avec l'expédition.

Zeke lève les yeux vers son visage.

— Vous avez envoyé votre compagnon vers un danger mortel, dans le seul but de le protéger de moi ? Je me sens si flatté, commandant.

— J'ai fait selon vos exigences, répond Erwin d'un ton froid.

Au moins, il protège Levi de la tournure que risquent fort de prendre les évènements. Mais Zeke a raison. Il l'a envoyé vers un danger mortel. L'angoisse le prend à la gorge.

— Comment avez-vous réussi à le détacher de vous ?

— Je savais qu'il essayerait de me dissuader de participer. Je me suis laissé convaincre.

Brillant, dit Zeke. Vous êtes extrêmement divertissants, tous les deux.

Erwin ne répond pas.

— Commandant, ajoute Zeke en lui posant les mains sur les épaules. Vous me semblez bien crispé. Détendez-vous.

Ses mains descendent sur la poitrine d'Erwin puis le long de ses flancs avant de lui palper la taille. Erwin grimace mais se laisse faire. Une fois qu'il est sûr qu'il ne porte pas d'arme, Zeke recule d'un pas.

— Enfin je pénètre dans l'hôtel de police, dit-il avec un soupir de contentement.

Il ouvre les bras et fait un tour sur lui-même.

— Merci de m'avoir invité, commandant. C'est un honneur.

— Où sont les autres ? Je suppose que contrairement à ce que nous avions convenu, vous n'êtes pas venu seul.

— Par ci…

Zeke fait un geste désinvolte de la main.

— Par là… Ils sont prêts à intervenir, commandant. J'espère pour vous que vous avez vidé la caserne, comme nous l'avions convenu.

— Elle est vide, affirme Erwin.

— Et Armin Arlert ?

— Enfermé dans mon bureau pour éviter qu'il ne se promène dans le bâtiment.

— Très bien, allons le saluer.

Erwin tend le bras pour lui bloquer le passage.

— Ce n'est pas ce que nous avions convenu. Armin ne fait pas partie du marché.

— Mais il est là, et vous pensiez que j'allais renoncer à lui ?

Erwin perd patience et attrape Zeke par le devant de sa chemise.

— Le marché était clair, Jaeger. Je vous laissais prendre l'hôtel de police et faire ce que vous vouliez de moi, et vous laissiez les autres tranquilles. Armin n'avait aucune place là dedans. Prenez la caserne et envoyez quelqu'un faire cesser la bataille dans laquelle vous avez engagé mes agents.

— Que croyez-vous que je compte faire de vous ? demande Zeke.

Erwin garde le silence. D'un pas lent, il contourne le bureau et s'assoit dans le fauteuil. Son ancien fauteuil. Il se laisse aller contre le dossier avec un profond soupir.

— Répondez, ordonne Zeke.

— Je ne sais pas. Vous servir de mon sens stratégique, je suppose, répond Erwin.

Il glisse la main sous le bureau et palpe le bois.

— Oui, c'est ce que je pense depuis le début, répond Zeke. Mais plus j'y réfléchis, plus je me dis que peut-être que votre expérience pourrait me porter préjudice. Vous êtes moins… malléable. Je peux difficilement me servir de vous comme je l'entends.

Il se penche par-dessus le bureau et pose l'index sous le menton d'Erwin. Erwin frémit de dégoût et secoue la tête pour se libérer.

— Vous pourriez être tenté de me tuer si je vous laissais approcher d'un peu trop près. Qui sait, pour prendre ma place ?

Centimètre par centimètre, Erwin poursuit son inspection aveugle du bureau.

— Votre méfiance tourne à la paranoïa, dit-il pour occuper Zeke. Vous vous êtes donné autant de mal pour me recruter, pour finalement vous rendre compte que vous avez peur de moi ? C'est ridicule. Pourquoi voudrais-je prendre la tête d'un groupe de malfaiteurs ?

— Le pouvoir est excitant.

— Il ne m'intéresse pas.

— Vous n'en restez pas moins délicieusement dangereux. Est-ce que c'est ça que vous cherchez ?

Zeke tire de sous sa veste un revolver qu'il fait négligemment tourner dans sa main. Erwin cesse de palper le dessous du bureau. Son rythme cardiaque accélère. Un de moins. Il s'applique à rester impassible. Il a encore plusieurs pièges tendus dans le bâtiment.

— Vous pensiez vraiment que je ne fouillerais pas cette pièce avant de vous laisser entrer dedans ? Je suis un peu vexé de la piètre opinion que vous avez de moi.

— Cette arme était là depuis des années. À l'époque où j'occupais moi-même ce bureau.

Zeke tire un coup en l'air. Erwin ne peut s'empêcher de sursauter.

— Il m'a l'air parfaitement fonctionnel. Ouvrez la bouche.

— Vous n'obtiendrez rien par l'humiliation.

— Oh si, une intense satisfaction.

Il appuie le canon de son pistolet contre les lèvres d'Erwin et l'oblige à les entrouvrir. Le métal froid lui racle les dents et se pose sur sa langue. Erwin ferme les yeux et pense à Levi, à ses lèvres sur les siennes, à ce qu'il dirait s'il le voyait dans cette position. Et il est soulagé que ce ne soit pas le cas.

— Si vous tentez quoi que ce soit contre moi, je vous conseille de réussir, ou je fais en sorte que vous ne soyez plus qu'un tas de chairs fumantes quand votre chien de garde rentrera de mission.

Erwin reste de marbre.

— C'est compris ?

Il enfonce un peu plus l'arme. Erwin s'étrangle autour. Il bat lentement des paupières pour signifier qu'il a compris.

— Moi qui pensais que vous aviez l'habitude d'avoir quelque chose du genre dans la bouche.

Il retire son arme en la faisant lentement glisser entre les lèvres du commandant.

— Pensez-vous qu'il perdrait la tête, si je vous torturais devant lui ? Sa réaction a été plus que surprenante, la dernière fois. Je pense qu'avec un peu de créativité, je pourrais faire sauter le dernier lien qui le raccroche à l'humanité et le faire basculer dans la folie. Comment réagira-t-il, si je laisse mes hommes s'occuper de vous comme je les ai laissés s'occuper de votre ancien capitaine ?

L'horreur de la mort de Mike remonte à la mémoire d'Erwin. Il a l'impression soudaine que son corps s'enlise, que son cerveau s'embrume. Il a peur. Pour lui-même, pas pour Levi. Il sait que rien ne pourra arracher Levi à son humanité. Il lutte contre la nausée, mais à en juger par son rictus, Zeke a très bien compris que sa remarque a eu l'effet escompté.

— Nous avions convenu de laisser Levi hors de tout ça, murmure Erwin.

— Nous avions convenu que vous ne tenteriez pas de m'assassiner. Assez discuté. Sortez de derrière ce bureau et conduisez-moi dans le vôtre. Je ne ferai pas de mal à Armin, il ne représente aucun danger pour moi.

Erwin n'a de toute façon pas le choix. Il prend son temps mais finit par obéir. Il ne pense qu'à Levi. Une partie de lui, indomptable, le veut à ses côtés. L'autre partie, plus rationnelle, veut qu'il reste le plus loin possible, le plus longtemps possible.

~oOo~

Levi essuie dans sa manche le sang qui lui barbouille le visage. Il se remet aussitôt en position de combat, les pieds écartés, solide sur ses appuis. Mais personne ne repasse à l'attaque. Il a tué tous les sbires idiots dans un rayon de cinquante mètres. Et toujours pas de Titan en vue.

Ils leur sont tombés dessus par centaines. Jaeger leur a probablement envoyé l'intégralité de ses troupes. Ils en ont abattu un nombre incalculable, et ils ont l'impression qu'il en reste toujours.

Levi ne sait même pas où en est son escouade. Ils ont été séparés par la bataille. Il espère seulement que les trois crétins, Eren et Mikasa sont restés ensemble.

Il part à la recherche d'Hange pour faire le point avec elle. Quelques sbires tentent de lui barrer le chemin et finissent à l'état de chairs fumantes. Levi en a assez. Quelque chose cloche.

— Hange ! crie-t-il en l'apercevant de dos.

Elle, au moins, a réussi à rester sur son cheval. Elle se retourne quand il crie son nom. Elle est couverte de sang, de crasse et de sueur, comme lui. Il ne remarque pas tout de suite que la moitié gauche de son visage est en lambeaux.

— Tu es blessée ? demande-t-il avec horreur en s'approchant.

— Je crois que j'ai pris un mauvais coup dans l'œil, dit-elle. Mais rien de cassé, à part ça.

— Hange, je préfère que tu te retires…

— Ne dis pas de bêtise, lui ordonne-t-elle sèchement.

— Tu peux pas te battre avec un œil en moins ! Il faut que tu te fasses soigner !

— Non ! répond-elle d'un ton buté. Si on se retire maintenant, tout ça n'aura servi à rien.

— Où ils sont, ces putains de Titans ? s'écrie Levi.

Ce n'est pas vraiment à elle qu'il pose la question. Il l'adresse aux cadavres autour d'eux, au ciel, à Erwin. Il est épuisé, il a froid, Hange est blessée, ils vont devoir compter leurs morts, et pour le moment leur missions n'a servi à rien.

— Je ne sais pas, Levi. Je ne comprends pas…

Levi entend dans sa voix qu'elle s'en veut. Qu'elle a l'impression de ne pas être à la hauteur, que la mission est un fiasco à cause d'elle. Mais si la mission est un fiasco à cause de quiconque, c'est Erwin. Levi ne comprend pas. Comment le commandant a-t-il pu se planter autant ? Ils étaient censés mettre un terme aux Titans, ici, ce matin. Et ils n'arrivent pas à mettre la main dessus.

Est-ce que Zeke a compris leur plan et leur a tendu un piège ? Est-ce qu'il a été plus malin qu'Erwin ? Levi ne peut pas admettre une chose pareille. Non, il y a forcément une autre explication. Hange s'essuie le visage et renifle. Plongé dans ses réflexions, Levi ne comprend pas tout de suite. Elle renifle à nouveau, et il est prêt à lui faire une remarque désobligeante, quand il se rend compte qu'elle pleure.

— Han… Hange ?

Elle détourne le visage, et Levi obtient la confirmation dont il a besoin. Son cœur sombre dans sa poitrine.

— Hange, où est Moblit ?

Elle ne répond pas, mais Levi voit distinctement les larmes couler de son œil valide en laissant des traînées claires dans la souillure de ses joues. Il a l'impression de se prendre une gifle. Ses oreilles bourdonnent. Il titube.

— On se casse, murmure-t-il.

Il s'entend à peine parler.

— Hange, on se casse. Cette mission ne sert à rien. Je… Erwin…

Il est saisit d'un horrible pressentiment. Comme si une main lui empoignait les tripes et les lui tordait. Il a envie de vomir.

— Hange…, répète-t-il.

Et sa voix ressemble à s'y méprendre à un geignement de douleur.

— Non, répond-elle. Je ne peux pas prendre une décision aussi importante en me basant sur mon ressenti personnel.

Un fracas dans la salle d'à côté les avertit que d'autres sbires sont en train d'entrer. Des cris résonnent. Certains s'interrompent brutalement.

— Hange, siffle Levi entre ses dents. Tu vois bien que quelque chose ne va pas, non ? Les Titans sont pas là ! C'est un leurre ! Tout le Bataillon va y passer ! Ordonne la retraite !

— Je…

— Ordonne la retraite bordel de merde, ou je te mets hors d'état de commander !

Il sait qu'Hange devra lui faire payer cette insubordination, mais peu importe. Il est prêt à l'assommer s'il le faut, elle et toute la chaîne jusqu'à ce que le commandement lui revienne. Elle ne voit plus clair – physiquement et mentalement. Levi veut rentrer. Il veut retourner à l'hôtel de police, et voir Erwin, et apaiser la panique qui est en train de s'immiscer dans chacun de ses muscles. Il a l'impression que son crâne va se fendre en deux sous l'effet de la douleur. Il voit trouble, il…

Hange hurle l'ordre de se retirer.

Levi ne perd pas une seule seconde et court retrouver sa monture. Il élimine tous les obstacles, humains et matériels, qui se dressent sur son chemin. Il se souvient à peine de sauter sur son cheval et de le lancer au triple galop à travers les rues de Trost.

~oOo~

Erwin se fige au pied de l'escalier.

— Eh bien ? s'impatiente Zeke.

Il y a un détonateur au niveau de la cinquième marche. Erwin sait exactement où se trouve l'interrupteur qui ferait sauter tout le couloir. Il avait envisagé la possibilité que Zeke veuille se rendre dans son bureau, et il se doutait qu'ils passeraient par là. Il n'a besoin que d'un petit coup de pied pour le déclencher. Zeke est si proche de lui que la déflagration les tuerait à coup sûr. Sur le coup. Tous les deux. Son cœur bat à tout rompre. Il est à quelques mètres de l'occasion d'en finir.

Il a laissé filer déjà trop d'occasions. Il avait caché d'autres armes. Il n'a pas réussi à s'en saisir. Il n'a pas réussi à emmener Zeke aux bons endroits. Il se sent… Il ne se sent pas lui-même. Il a l'impression qu'un brouillard épais lui obscurcit l'esprit. Il a besoin de tous ses sens, de tout son intellect. Et pourtant, il a l'impression de ne pas réussir à se réveiller.

— Avancez, ordonne Zeke, rendu méfiant par son hésitation.

Erwin pense à Levi. Quand Zeke a évoqué la mort atroce de Mike, quelque chose a cédé en lui. Une peur indicible que Levi subisse le même sort. Qu'il soit… qu'il soit… Erwin a l'intuition que si Levi était mort dans l'assaut, il le saurait. C'est sans doute une pensée stupide, irrationnelle, mais il est impossible pour lui de s'imaginer là, en train de respirer et de penser et de… vivre, alors que Levi serait mort. Il sait qu'il est vivant. Mais il aimerait le revoir, juste pour en être sûr. Seulement le revoir, s'assurer qu'il ne l'a pas envoyé vers la mort avec les autres. Il a sacrifié tellement de vies aujourd'hui, juste pour se donner une chance de détruire Zeke. Une chance qu'il a à portée de main, là, tout de suite, et qu'il n'arrive pas à saisir. Il sait qu'il se montre égoïste en souhaitant que Levi, plus que tous les autres, se sorte du piège dans lequel il les a envoyés. Il se souvient de ses mots dans son bureau, de sa foi aveugle en lui. Fais ce que tu dois faire. Erwin ne peut pas. Même avec la bénédiction aveugle de Levi, il n'y arrive pas.

Il est faible. Il aurait besoin de la force de Levi. Il pensait pouvoir y arriver seul, et il s'est fourvoyé.

Alors, égoïstement, il contourne le piège et il laisse filer sa dernière opportunité de détruire Zeke. Lui, Erwin Smith, le stratège le plus brillant de sa génération, abandonne son sort à l'incertitude, dans le seul espoir de revoir son compagnon.

Il se rend compte, au pied du mur, que Levi l'a rendu trop humain pour qu'il puisse froidement exécuter son plan.

— Ouvrez cette porte, ordonne Zeke quand ils arrivent devant son bureau.

Erwin ne bouge pas.

— Je sais que la clé est dans votre poche, je l'ai sentie tout à l'heure. Ouvrez cette porte.

Le canon froid du revolver se colle contre sa nuque.

Il s'applique à ne rien laisser paraître du tumulte qui l'agite. Il garde un visage fermé, impassible.

Armin bondit du canapé quand il entre dans la pièce, puis son visage se décompose quand il aperçoit Zeke derrière lui. Il dissimule instinctivement les rapports qu'il était en train de lire docilement, mais Erwin lui fait signe que c'est inutile.

— Bonjour, salue Zeke d'une voix mielleuse. Je suppose que tu es Armin. Je suis Zeke Jaeger.

Le jeune homme se met aussitôt à trembler, ce qui, de manière paradoxale, aide Erwin à se calmer. Il ne peut pas flancher. Il doit se montrer solide, au moins en apparence. C'est son rôle. Personne ne pourra le remplir à sa place.

D'une pression du canon de son arme sur la nuque, Zeke lui ordonne d'avancer.

— Armin, où se trouvent les armes dans ce bureau ? demande Zeke.

Armin ouvre de grands yeux. Ses jambes semblent sur le point de céder.

— Il n'en a aucune idée, répond Erwin d'une voix calme.

— Vraiment ? Alors indiquez-les lui.

Erwin s'exécute. Il plonge son regard ferme dans les yeux déjà embués de larmes d'Armin et lui décrit avec précision où se trouvent son poignard, son pistolet et un prototype de grenade qu'Hange lui a apporté quelques jours auparavant. Erwin n'est même pas sûre que cette dernière soit fonctionnelle.

— Apporte-les moi, Armin, demande Zeke de son ton poli qui ne laisse aucune place à la discussion.

Armin reste debout à trembler comme une feuille.

— Armin ? répète Zeke avec une pointe d'impatience.

— Armin, obéis, s'il te plaît, ajoute Erwin en modulant sa voix dans une tonalité proche de celle qu'il utilise pour apaiser Levi.

Son stratagème semble fonctionner, car Armin marche d'un pas raide vers son bureau et fouille dans le tiroir qu'Erwin lui a indiqué. Zeke se crispe imperceptiblement dans le dos d'Erwin.

— Inutile de te dire que si tu tentes la moindre excentricité, le commandant se prend une balle dans la nuque.

Armin se met de nouveau à trembler de tous ses membres, probablement de peur de faire par mégarde un geste qui pourrait être interprété comme une attaque. Il apporte la première arme à Zeke et en profite pour lancer un regard à Erwin. Le commandant lui adresse un petit sourire encourageant. Les larmes du garçon menacent de déborder de ses yeux. Armin trouve cependant le courage d'aller chercher les deux autres armes et de les remettre à Zeke.

— Très bien, montons sur le toit, ordonne Zeke.

Erwin a un moment d'indécision. Il n'avait pas prévu ça. Il neige. Il fait un froid glacial. Il a envisagé plusieurs endroits où Zeke pourrait demander à être conduit, mais celui-ci n'en faisait pas partie. Il n'y a rien, sur le toit, rien qui puisse se prêter à l'improvisation.

— Alors ? le presse Zeke.

— Laissez-le prendre un manteau.

— Bien. Armin, prends le manteau du commandant.

Armin hésite et Erwin doit lui manifester clairement son autorisation par un hochement de tête pour qu'il se décide à le faire.

Ils se dirigent tous les trois le long du couloir, vers l'escalier qui mène au toit. Plusieurs sbires les rejoignent. Zeke a apparemment sélectionné les plus grands et les plus forts, mais pas les plus intelligents, à en juger par les regards ahuris qu'ils posent sur eux.

Tandis qu'ils marchent, Erwin tente laborieusement de faire tourner ses méninges. Mais son esprit semble paralysé par la peur. La culpabilité d'avoir laissé échapper sa dernière chance de détruire Zeke lui ronge les entrailles. S'il ne trouve pas de solution, son plan aura causé à tous ses agents une terrible souffrance inutile. Il est soudain envahi par des pensées tellement sombres qu'il n'ose pas poser de mots dessus.

Erwin avait tout prévu depuis des mois. Il avait accepté de travailler pour Zeke pour l'approcher au plus près et pour pouvoir avoir ne serait-ce qu'un aperçu de ses plans, parce qu'il avait de plus en plus peur d'une attaque désespérée et meurtrière sur la caserne – ou pire, sur la préfecture. En gage de loyauté, Zeke lui a demandé son aide pour mettre la main sur l'hôtel de police. Erwin devait éloigner le Bataillon – Levi compris – en les occupant avec une mission périlleuse. Et Erwin devait se charger de le supprimer. C'était son rôle. C'est la raison pour laquelle il a jeté tous les autres dans la gueule du loup.

En dernier recours, si tout le reste se passait mal, Erwin avait assuré ses arrières en sollicitant les Brigades Spéciales. Shadis devait venir les tirer de là. C'est son dernier espoir, le seul, et ils devraient déjà être sur place à cette heure. Shadis lui avait donné sa parole. Il ne comprend pas pourquoi les Brigades ne sont pas au rendez-vous. Il prête l'oreille à l'hôtel de police silencieux. Il hésite à y croire encore. Il ne sait pas si Zeke a réussi à les neutraliser, ou s'ils ont été retardés par autre chose. Dans le doute, il préfère ne pas en parler au Titan.

Erwin est à deux doigts de se reconnaître battu. La partie égoïste de lui-même veut toujours revoir Levi, l'autre a honte qu'il le voie dans une telle situation d'échec. Et il a peur des noms des agents tombés qui vont sortir de sa bouche. Des agents tombés pour rien, parce qu'il a fait des erreurs d'appréciation.

Levi pourrait tuer Zeke, si Erwin lui en offrait la possibilité. Il est d'ailleurs sans doute la seule personne qui pourrait le faire, à part Erwin lui-même. Il a si souvent imploré Erwin de lui en donner l'ordre. Erwin ne veut pas le voir courir ce risque. Il avait tout planifié pour que Levi ne recroise jamais le chemin du Bestial.

Au fond, Erwin savait que son plan avait de grandes chances d'échouer, et que leur confrontation se termine par un duel entre Zeke et lui. Il a préparé l'hypothèse d'une issue défavorable pour lui – sa propre mort, se dit-il, amusé par la pudeur de ses pensées. Il a envoyé Levi à l'orphelinat pour qu'il puisse se sortir de leur quotidien. Il lui a offert le plus bel anniversaire qu'il pouvait lui offrir. Il s'est abstenu de rentrer dans ses projections d'une longue vie à deux, pour ne pas qu'il souffre trop si elle ne se réalise pas.

Erwin grimace pour lui-même. Bien sûr, Levi va souffrir s'il meurt. Horriblement. Terriblement. Mais il sait qu'il est assez fort pour surmonter cette douleur. Qu'il aura toujours Hange. Que peut-être qu'il adoptera Gabi et qu'ils formeront une nouvelle famille, différente de celle qu'ils avaient tous les deux. Erwin sent tout l'amour qu'il a pour Levi entourer son cœur d'une chaleur rassurante. Il a peur, mais penser à Levi le réconforte.

Comme il s'y attendait, il fait très froid sur le toit. Il tombe toujours du ciel un mélange de neige et de pluie qui s'immisce dans chaque pli de sa veste et trempe sa chemise. Il attrape son épaule droite avec sa main valide, comme s'il croisait les bras sur sa poitrine pour garder un peu de chaleur.

— Bien, dit Zeke. Nous n'avons plus qu'à attendre.

Il ordonne à ses sbires de se placer dans chaque angle du toit et de guetter le retour du Bataillon. Puis il reste là, debout dans son manteau doublé de fourrure, les mains dans les poches, à observer Erwin d'un air songeur. Celui-ci fait tout son possible pour dissimuler à quel point il a froid. Il ne peut s'empêcher de frissonner. Bientôt, il n'arrivera plus à empêcher son menton de trembler.

Est-ce que Zeke veut l'humilier ? Le torturer jusqu'à le faire craquer ? Pour quoi faire ? Qu'est-ce qu'Erwin a encore à lui donner ? Ou est-ce qu'il espère le ralentir dans ses réflexions ? C'est en train de fonctionner. Erwin a bientôt tellement froid qu'il n'arrive plus à réfléchir.

Il ferme les yeux et pense à Levi. Levi dans leur appartement chauffé, Levi emmitouflé dans une couverture sur le canapé, Levi dans leur lit, Levi pelotonné entre les draps, Levi qui a souvent froid la nuit dès que les températures se mettent à baisser, et qui colle ses membres glacés contre sa peau pour les réchauffer. Levi qui a dû passer de nombreuses nuits à avoir froid dans son enfance, alors qu'il était si jeune et beaucoup moins résistant qu'Er-

Une gifle cinglante lui fait ouvrir les yeux.

Il est brutalement ramené au toit et à la neige qui lui mouille les cheveux et qui se prend dans ses cils.

— Restez avec nous, commandant, lui dit Zeke.

Erwin ne réfléchit pas. Il rend son coup à Zeke. Son poing s'écrase dans sa joue. Le Titan recule de plusieurs pas, stupéfait. Erwin doit profiter de cette ouverture. Il laisse à peine le temps à Zeke de réajuster ses lunettes et lui fond dessus. Il lui envoie un coup de poing dans la trachée et un autre en pleine poitrine. Il ne frappe pas aussi fort qu'il aurait pu le faire avec son bras droit, mais c'est suffisant pour le faire tomber à terre. Zeke s'effondre sur le dos dans la fine couche de neige qui recouvre le toit. Ni ses sbires, ni Armin ne savent comment réagir. Les hommes de Zeke les mettent en joue, mais il leur hurle entre deux coups de ne pas tirer. Le risque de le toucher par erreur est trop grand.

Erwin est fort, massif et déterminé, mais Zeke est entraîné et en possession de ses deux bras. Erwin essaye de lui prendre son arme. Il va le tuer sur place, et tant pis s'il se fait abattre par ses sbires juste après. Peut-être qu'il pourra les occuper juste assez de temps pour donner une chance à Armin de s'échapper.

Les mouvements d'Erwin sont ralentis par le froid. Il a l'impression que le sang ne circule plus jusqu'au bout de ses doigts. Zeke lui envoie un coup de pied dans la bouche et un autre dans la tempe. La vision d'Erwin se brouille. Le Titan lui envoie ses genoux de toutes ses forces dans le ventre et Erwin roule sur le dos, plié en deux par la douleur.

Zeke se jette sur lui et enserre sa taille entre ses cuisses. D'une main, il le saisit à la gorge et de l'autre, il lui laboure le visage de coups furieux. Erwin se dit que c'est comme ça qu'il va mourir. Il aura tout tenté. Il aura échoué.

D'un coup, Zeke se calme. Son poing s'arrête à mi-chemin du visage d'Erwin. Il le dévisage, puis ses doigts se desserrent lentement et il laisse tomber son bras le long de son corps. Erwin est hors d'haleine. Il a plus froid que jamais au contact du sol. Sa bave souille la neige de son sang. Il abandonne. Il ne se débat plus. Zeke lui crache au visage. Un geste impulsif, qui trahit sa surprise et sa déception. Erwin lève la main pour s'essuyer, mais Zeke pose son pied sur son poignet pour l'en empêcher.

— Je pensais que vous étiez digne de respect, commandant, dit-il d'un ton déçu. Mais vous ne valez pas mieux que les autres.

Et de l'autre pied, il lui écrase la main. Erwin hurle de douleur. Le Titan lui écrase les doigts avec son talon, en y mettant tout son poids, comme s'il s'agissait d'un insecte. Ses os craquent. Quelqu'un supplie. Erwin ne sait même plus si c'est lui-même ou si c'est Armin. Finalement, le Bestial retire sa chaussure. La douleur s'atténue à peine. Elle pulse de sa paume jusque dans la pointe de ses doigts. Des larmes lui coulent des yeux. Il roule sur le ventre et se met à genoux pour serrer sa main contre son ventre, dans l'espoir insensé d'atténuer la douleur.

— Relève-toi.

Avec des gestes lents et vacillants, il se relève. Zeke l'attire contre lui.

— Tu as vraiment pensé que tu pourrais me tuer ? demande-t-il dans le creux de son oreille.

Et il lui tire dans le ventre.

Erwin n'a pas le temps de sentir le canon de son pistolet s'enfoncer contre sa peau que la balle l'a déjà transpercé. Il ouvre de grands yeux stupéfaits.

— Chhh, du calme, lui dit Zeke d'une voix douce contre son oreille. Ne t'inquiète pas, tu ne vas pas mourir tout de suite. Il n'y a aucun organe noble, à cet endroit. Sans soins, tu finiras par te vider de ton sang ou par te digérer toi-même, mais en attendant ça devrait te passer l'envie de te montrer impoli. J'espère pour toi que Levi ne va pas tarder.

Il le lâche, et Erwin s'effondre à genoux. Ses jambes ne sont plus capables de le soutenir. Il ne sait pas ce qui va le tuer en premier, le froid ou sa blessure, mais il a hâte. Tant pis, il ne reverra pas Levi. Il veut juste… il veut juste…

Il ne sait pas combien de temps s'écoule. Il a peut-être perdu connaissance, car quand il réussit à nouveau à former des pensées cohérentes, une large tâche écarlate imbibe sa chemise. Zeke lui donne une petite claque pour lui remettre les idées en place et le soulève d'un seul bras pour le remettre debout.

— Le Bataillon arrive, annonce-t-il.

Levi. Erwin fait un effort pour tenir sur ses jambes. Il aperçoit la silhouette floue d'Armin, un peu plus loin. Il arrive à peine à distinguer ses traits. Le pauvre garçon doit être au comble de la terreur. Peut-être qu'Erwin a fait une autre erreur en le prenant comme témoin. Peut-être qu'il n'a fait que des erreurs, et qu'il mérite de se retrouver dans cette situation.

Zeke s'approche du bord du toit, jette un coup d'œil en bas et pousse un sifflement perçant.

Erwin entend à peine les deux grappins se ficher dans la pierre de la cheminée, et Levi déboule sur le toit.

~oOo~

Levi s'accorde plusieurs secondes pour évaluer la situation. La première chose qu'il voit, c'est Erwin. Son compagnon est dans un sale état. Il se tient debout, mais sa chemise est rougie par le sang qui semble couler d'une blessure au ventre. Il tient son bras gauche contre sa poitrine, et certains doigts sont pliés dans des angles étranges. Et surtout, il a l'air frigorifié. Trempé de la tête aux pieds. Les traits figés, les lèvres bleuies par le froid. Armine est pelotonné contre la cheminée dans le manteau d'Erwin, visiblement à court de larmes.

Levi se précipite vers lui et se fige net au claquement d'une balle de revolver dans l'air.

— Un pas de plus et je lui tire dans la tête, prévient Zeke.

Levi s'embrase de colère.

— Qu'est-ce que tu lui as fait, sac à merde ? demande-t-il en serrant les poings à s'en briser les jointures.

— Ça va aller, Levi, dit Erwin d'une voix faible.

— Non, ça va pas aller ! s'exclame Levi. Regarde dans quel état ce connard t'a mis ! Je...

— Pas un geste, Levi !

— Il va mourir de froid !

— Aha, répond Zeke. Il va mourir, en effet.

Levi va le tuer. Il va s'occuper d'Erwin, puis il va s'occuper de ce macaque complètement cinglé. Il ne comprend pas ce qu'il s'est passé. Il ne comprend pas ce que le Titan fait là. Et à vrai dire, il s'en fiche. Il est juste horrifié par l'état d'Erwin.

— Tu vas commencer par poser tes lames, Levi.

— Va te faire foutre.

Il s'approche d'Erwin. Le cliquetis du barillet qui tourne pour aligner une munition avec le canon du revolver l'interrompt. Levi sort toutes les lames qu'il lui reste et les jettent sur le sol. Il tire ses deux pistolets de sa ceinture et fait de même. C'est un geste impulsif, idiot, mais il ne réfléchit plus. Erwin tombe à genoux au moment où Levi le rejoint.

Levi pose un genou à terre pour se mettre à sa hauteur. Il pose une main sur sa joue. Sa peau est glacée.

— Attends… murmure Levi en commençant à dégrafer sa cape.

Erwin l'arrête. Sa main est dans un tel état qu'il ne parvient pas à l'enrouler autour du poignet de Levi. Ce dernier a du mal à respirer. Erwin lui fait signe d'approcher encore de lui.

— Je veux que tu le tues, murmure-t-il.

— Je vais le tuer, répond aussitôt Levi. Je te le jure. Je vais le détruire. Je vais lui régler son compte une bonne fois pour toutes, je vais…

— Chhh, murmure Erwin. Je sais que je peux te faire confiance.

Quand Erwin lève les yeux sur son visage, il est calme. Comme si la présence de Levi l'apaisait. Comme s'il venait de recevoir quelque chose après avoir longtemps désespéré de ne plus jamais l'obtenir. Comme si, d'une certaine manière, elle lui faisait oublier le froid et la douleur.

— Levi, dit-il.

Et son prénom pénètre au plus profond de ses entrailles et fait vibrer chacun de ses os. Erwin se recroqueville sur lui-même pour laisser passer une vague de douleur et prend une profonde inspiration. Levi essaye d'écouter. Il ne peut détacher son regard du sang qui coule de son ventre.

— Il va tenter de te distraire. Il va se servir de moi comme d'une distraction pour que tu le laisses filer, lui dit Erwin.

Il parle d'un ton factuel, presque neutre. Le souffle de Levi se coupe. Il cherche dans les yeux bleus d'Erwin la réponse qu'il attend de lui. Il n'y lit qu'une résignation tranquille. Erwin lève sa main blessée pour lui caresser les cheveux du mieux qu'il peut. Les lèvres de Levi tremblent. Il sait exactement ce qu'Erwin attend de lui.

— C'est possible qu'il t'oblige à choisir entre Armin et moi, fait la voix lointaine d'Erwin. Levi, écoute-moi bien, mon amour. Je ne veux pas être responsable d'une mort de plus.

Il ne veut pas. Il irait à l'encontre de tout ce que lui disent son instinct, ses tripes et son cœur. Mais quand il regarde Erwin, il sait qu'il n'a pas d'autre choix. Que la seule chose qu'il puisse faire pour l'apaiser, c'est de lui offrir la réponse qu'il attend.

— Je choisirai Armin, murmure-t-il. Je n'essaierai pas de te sauver.

Son regard se voile.

— Et ensuite je tuerai Jaeger.

Erwin sourit. Un sourire triste mais infiniment sincère. Le cœur de Levi bat à tout rompre. Zeke les observe en silence.

— Merci pour tout, Levi.

Il dépose un baiser sur son front. Un baiser rêche, du bout de ses lèvres gercées par le froid. Puis il fait signe à Levi de l'aider à se relever. Levi voudrait l'en empêcher. Il veut encore gagner du temps avec lui. Juste quelques minutes. Quelques secondes.

— Recule, ordonne Zeke. Lâche-le.

Erwin lui fait comprendre par un regard qu'il peut tenir debout. Levi se rend compte avec horreur que c'est la première fois que le commandant a l'air fragile. Levi ne l'a jamais vu comme ça. Il est terrorisé. Il le lâche précautionneusement et recule de quelques pas, prêt à le soutenir s'il menaçait de tomber. Erwin vacille mais tient bon. Sa main se crispe inutilement sur la blessure de son ventre.

Le cerveau de Levi sort de sa torpeur. Peut-être qu'il peut… peut-être qu'il peut encore le tirer de là. Il cherche ses armes des yeux. Évidemment, ils les lui ont prises. Il s'en fiche. Il va les tuer à mains nues. Tous. Zeke est en train de parler. Il ne comprend pas ce qu'il dit. Il ne peut rien faire d'autre que de regarder Erwin, de le surveiller du coin de l'œil.

— Levi ! La politesse voudrait que tu me regardes quand je te parle, mon grand.

Levi daigne enfin tourner la tête vers le Titan. Il brandit un revolver dans chaque main, l'un pointé sur lui et l'autre sur Erwin. Levi n'a même pas peur pour lui-même. Il saisit ses deux lance-grappins. Il est bien plus rapide que Zeke.

— Je sais que je ne peux pas te briser physiquement, Levi, sourit Zeke. Mais je peux faire disjoncter ton petit cerveau de vaurien transi.

Il dévie l'arme qu'il pointait sur Levi sur Armin et émet un petit sifflement. Deux sbires s'approchent de chacune de ses deux cibles. Levi se tend. Il va intervenir. Il ne laissera pas l'une de ces pourritures poser ses mains sur Erwin. Ce dernier secoue la tête pour lui signifier de rester en retrait.

— Recule, ordonne Zeke.

Aucun des trois ne comprend à qui il s'adresse. Les deux sbires saisissent Erwin et Armin par la gorge et les forcent à reculer jusqu'au bord du toit. Erwin manque de déraper et de tomber en arrière. Le cœur de Levi rate un battement.

— Recule, Levi. Viens par là. Viens là, où ton précieux commandant s'écrase sur le sol de la cour.

Bouillant de haine, Levi s'approche de lui. Il se trouve à équidistance entre Armin et Erwin. Armin a l'air tellement terrifié que Levi est surpris qu'il ne se soit pas encore fait dessus.

— Je vais te laisser le choix de sauver celui des deux que tu préfères.

Que tu préfères.

— Prends-moi en duel, espèce de lâche, au lieu de menacer un gamin et un homme grièvement blessé, gronde Levi.

Zeke rit.

— Au nom de quoi ? De l'honneur ? Sans doute la chose la plus stupide que les hommes aient jamais inventée. Tu n'y crois pas toi-même Levi. Non, je préfère la jouer sale. Alors ? Qui finit sa course le crâne en bouillie sur le sol de la cour ?

Levi baisse les yeux. Le bourdonnement lui envahit à nouveau la tête, accompagné d'un puissant sentiment de nausée.

— Je suis sûre qu'il y a déjà un petit comité de réception en bas.

L'esprit paniqué de Levi se met à produire des pensées abominables. Le bâtiment ne fait que deux étages. Peut-être qu'Erwin peut survivre à cette ch… Il a envie de se gifler.

Erwin s'agite à nouveau dans son dos.

— Empêche-le de se jeter dans le vide, ordonne Zeke à l'homme qui tient Erwin par la gorge.

Sa main doit se serrer sur la gorge d'Erwin, car ce dernier laisse échapper un gargouillement étranglé. Levi a tellement mal au crâne qu'il ne peut plus réfléchir. Il voit trouble. Il va vomir. Il préférerait s'évanouir que de supporter cette situation une seconde de plus.

— Tss, Erwin. Du calme. J'ai promis à Levi qu'il aurait le choix.

À la seconde où son petit jeu va se terminer, Levi va le tuer. Il n'aura pas le temps de le voir fondre sur lui. Il va lui arracher les yeux, lui trancher la langue, lui ouvrir la gorge. Il va lui déchirer les boyaux et répandre jusqu'à la dernière goutte de son sang sur la neige.

— Alors ? Qui je leur ordonne de lâcher ?

Levi ferme les yeux.

— Erwin...

— Pardon ? Je n'ai pas entendu.

Levi rouvre les yeux. Une vague de fureur le submerge.

— Erwin ! rugit-il.

Les lèvres de Zeke s'étirent en un sourire ravi.

— Laissez-les tomber tous les deux, ordonne-t-il à ses hommes.

Les deux sbires obéissent. Levi oublie instantanément son projet de réduire Zeke en charpie, fait volte-face et déclenche son équipement.

Il se jette dans le vide.