Chapitre 3 : Désillusion


De toute manière, ce n'était pas en restant les pieds plantés dans le sol devant le bureau des professeurs comme une plante verte que je trouverai un indice sur ma nouvelle destination.

J'aurais vraiment dû accepter un plan de l'académie.

Je poussai la porte de la sortie du bâtiment. De mémoire, je n'avais vu aucun écriteau désignant la direction des écuries sur mon précédent trajet. Alors au lieu de revenir sur mes pas, je m'avançai pour quitter la petite allée qui bordait l'édifice dédié aux enseignants pour atteindre le chemin central.

L'instant suivant s'était déroulé bien trop rapidement pour que mon cerveau puisse traiter l'information dans les temps. Pourtant, j'avais entendu ces bruits de pas marteler le sol, mais je n'y avais pas prêté attention, grossière erreur. Je sentis un choc un peu douloureux, des mains me saisir bien trop fermement, mon corps se faire entraîner dans un mouvement que je ne contrôlais pas et mes pieds bouger tous seuls. Mes yeux, bien que grands ouverts, n'avaient pas vu grand-chose à la vitesse à laquelle ceci s'était manifesté. Quand ma vision s'était stabilisée, je vis du noir, celui d'un tee-shirt, et sentit une légère odeur de transpiration. Les mains qui me tenaient avec force me décollaient du torse contre lequel je m'étais retrouvée plaquée. Je clignai des yeux. Un garçon vêtu de la tenue de sport aux couleurs de l'académie me fixait de ses yeux vert olive, sévèrement. Il était grand, une carrure imposante, accompagnée d'une musculature apparente. Ses grandes mains se détachaient de mon corps, certainement pour me laisser prendre du recul maintenant que le danger était écarté. Mais je ne bougeai pas d'un iota, gardant cette proximité inadéquate avec un inconnu, car la lumière commençait seulement à se faire dans mon esprit.

What the fuck ?

J'étais passée à deux doigts de finir éclater au sol, percutée par ce bulldozer qui faisait son jogging. Et c'était seulement grâce à ses réflexes, que je trouvais surhumain, qu'il m'avait attrapé et collé contre son torse pour que je ne tombe pas tout en freinant sa course, m'entraînant quelques mètres plus loin avec lui. J'avais encore du mal à réaliser ce qui était arrivé. C'était même un miracle que nous n'étions pas tombés !

- Tu es blessée ? Questionna-t-il d'une voix grave.

- N-Non, bégayai-je encore confuse.

- Bien, fait plus attention en regardant où tu vas maintenant.

- Désolée.

C'était le seul mot que je pouvais prononcer car je me sentais intimidée par ce garçon, ou cet homme ? Était-ce un lycéen même ? Il faisait au moins une tête de plus que moi, pourtant je n'avais pas pour défaut d'être petite, encore plus dans ce pays. Sa mâchoire était carrée, sa carrure était si développée, il n'avait pas du tout l'apparence d'un adolescent. Et surtout :

Sa voix.

Ce timbre si grave, si profond, elle me scotchait sur place, elle inspirait l'autorité, me donnant clairement pas envie de m'opposer à lui. Je n'osais même pas imaginer ce que ça donnerait s'il haussait le ton. Et pourtant, s'il y avait bien un truc que j'adorais chez la gent masculine, c'était ce genre de voix. Mais lui, quand bien même si c'était un lycéen, il avait un visage aussi fermé qu'une porte de prison, ça me glaçait presque le sang. J'avais limite peur de bouger, et il devait me trouver bien stupide à rester presque collée à lui les mirettes grandes ouvertes, sans rien dire.

Son regard qui n'avait pas quitté le mien un seul instant se détourna de moi et il reprit sa course sans un mot de plus. Mécaniquement, je pris le chemin opposé à lui, inconsciemment pour diviser mes chances de croiser de nouveau sa route. Je m'empressai de prendre mon téléphone portable dans la poche de ma jupe pour composer le numéro de la secrétaire de mon père.

Il me fallait de toute urgence ce maudit plan. Y'a pas moyens de continuer dans de telles conditions.

- Bonjour Mademoiselle, que puis-je faire pour vous ? Entendis-je après seulement deux tonalités d'un ton doux mais professionnel dans ma langue natale.

J'avançai sans vraiment savoir où mes pieds me guidaient, j'essayai de capter un panneau.

- Bonjour, Hélène, avez-vous quelques minutes de disponible à m'accorder ? J'aimerai discuter avec vous de deux sujets, lui répondis-je dans la même langue.

- Je suis à votre écoute, Mademoiselle.

- Bien, je voulais savoir si vous pouvez m'envoyer par email le plan de l'académie ? Je ne la pensais pas si grande.

- Je vous envoie ça sur le champ.

Et j'entendais effectivement pianoter sur le clavier de son ordinateur à travers le combiné. Je décidai de contourner les bâtiments qui abritaient les salles de classes, ne trouvant pas encore mon bonheur sur les affichages directionnels.

- C'est fait, avez-vous besoin d'autre chose ? Reprit-elle en moins d'une minute.

- Oui, je viens de m'entretenir avec le professeur en charge du club d'équestre au sujet de Drogon, pouvez-vous vous mettre en relation avec lui pour les détails administratifs ?

Au loin, je pouvais apercevoir une petite troupe d'élèves courir dans ma direction en tenue de sport. Comme la porte de prison.

- Bien entendu, avez-vous son nom s'il vous plait ?

- Monsieur Kondo, je ne connais pas son prénom, navré.

- C'est suffisant pour prendre contact avec lui.

- Parfait, savez-vous quand mon père est disponible pour lui parler ? Demandai-je dans l'espoir de passer quelques minutes au téléphone avec lui.

- Je regarde son emploi du temps.

Je patientai en me décalant le plus possible des garçons qui arrivaient à mon niveau, ils étaient tous très grands mais pas aussi imposants que le garçon aux yeux olive. Je n'avais pas envie de réitérer l'expérience que j'avais vécu cinq minutes plus tôt, ils passaient à côté de moi à une vitesse supérieure à la moyenne. Enfin pour moi, j'avais l'impression de voir des fusées, mais je ne saurais dire si mon avis était rationnel. Dans le lot, mon regard fut attiré par le garçon aux cheveux rouges, celui de ma classe. Lui aussi orienta son regard malicieux vers moi pendant les quelques secondes de croisement. Malheureusement, il n'était pas le seul, son groupe qui l'accompagnait m'avaient tous observés sur leur passage, me donnant l'impression encore une fois d'être une bête de foire.

- Il n'est pas disponible aujourd'hui, voulez-vous que je lui laisse un message ? Entendis-je au bout du fil.

- Euh non, non, je lui enverrai un message, merci à vous Hélène, répondis-je me reconcentrant dans ma conversation tout en reprenant mon chemin.

- Comme vous voudrez, avez-vous encore besoin de moi ?

- Non ça sera tout, au revoir.

Une fois la conversation achevée, je m'empressai de consulter mes emails pour ouvrir le plan en format PDF reçu quelques instants plus tôt. Ça allait me faciliter la vie, le temps de prendre pleinement connaissance des lieux. Je grimaçai en découvrant que ma destination était déjà à l'opposé de là où je me trouvais, et qu'en prime, l'écurie était assez éloignée des bâtiments principaux. Je fis demi-tour en accélérant le pas, j'avais assez gaspillé de temps à me perdre et à me faire percuter par des tanks sortis de nulle part.

C'était seulement une dizaine de minutes plus tard, pourtant à un rythme soutenu, que je vis le bâtiment que je recherchai, je ne pouvais réprimer un sourire en sentant l'odeur pourtant assez désagréable mais caractérielle d'une écurie et les hennissements des animaux qu'elle abritait. Mais qu'importe si je sentais le foin et l'engrais, je pouvais bien payer ce prix pour pouvoir passer du temps auprès des équidés.

Je pénétrai dans l'allée centrale en pierre claire où se trouvait une rangé de box de chaque côté. Certains étaient vides, d'autres, je pouvais apercevoir des chevaux qui avaient sorti leur tête par curiosité quand ils avaient entendu mon arrivée. J'avais envie de tous les caresser et faire leurs connaissances, d'ailleurs, je n'avais pu me retenir de lire les écriteaux où était inscrit leurs noms. Vers la fin des rangées, je me permis de jeter un œil à un box vide, sans nom cloué sur la porte, pour constater par moi-même la taille de ceux-ci et fût ravie de voir que Drogon serait bien à l'aise dedans.

Je continuai mon exploration des lieux, des vestiaires séparés avec une rangé de casier à côté de chacune des deux portes, un entrepôt pour divers matériel et la sellerie avant de trouver un bureau situé au centre, au fond de la bâtisse. Je ne savais pas s'il y avait quelqu'un, mais je toquais au cas où à la porte où je pouvais lire « Présidente du club Équestre ». Personne ne m'invita à entrer.

- Je peux t'aider ?

Je sursautai, surprise, puis me tournai vers la voix survenue dans mon dos qui m'avait interpelé. C'était une fille aux cheveux couleur caramel, coiffé d'une tresse lâche qui pendait sur son épaule, arrivant au-dessus de sa poitrine. Elle avait des yeux verts, un peu terne, un visage ni amicale, ni hostile, juste stoïque. Elle avait dans ses mains une selle et était habillée d'une tenue d'équitation classique.

- Bonjour, je suis à la recherche de la présidente du club, Seikyoo Mori, lui dis-je en m'approchant d'elle.

- C'est moi-même, me répondit-elle d'une voix un peu froide en fronçant les sourcils.

- Enchantée, je suis Prudence De Villiers, je viens de m'inscrire à ce club, me présentais-je en essayant d'avoir un visage amical pour détendre l'atmosphère qui était loin d'être gaie.

- Étonnant, lâcha-t-elle en me fixant du regard.

Je ne savais pas vraiment quoi répondre à ça, elle ne semblait pas spécifiquement ravie de ma présence ici.

- Tu es en première année ? Reprit-elle en se dirigeant vers la sellerie.

- Non, deuxième année, répondis-je en m'arrêtant à l'entrée de la pièce.

Elle posa la selle sur son présentoir et se tourna vers moi, en fronçant à nouveau ses fins sourcils, mais cette fois, l'expression de son visage était plus inquisitrice.

- Tu es nouvelle ?

- Oui, je viens de Tokyo.

- Hum, suis-moi dans mon bureau.

Je m'écartai pour la laisser passer devant moi et lui emboitai le pas. À ce stade, je ne savais pas trop à quoi m'en tenir avec ces quelques échanges passés avec elle. Cette fille ne semblait pas faire preuve de méchanceté ou d'hostilité envers moi mais elle semblait méfiante. J'avais espéré que la présidente du club, auquel j'allais y passer un nombre incalculable d'heures et donc en sa présence, serait amicale. Je pouvais faire une croix dessus.

N'y avait-il aucun espoir de trouver une personne gentille dans cette foutue académie ?

Elle m'invita à entrer dans son bureau à l'aspect très sommaire. Le strict minimum regroupé dans un coin alors qu'elle avait de la place pour aménager plusieurs meubles et faire quelque chose de sympa. Mais non, le seul meuble présent dans cette pièce était un petit bureau blanc composé de quelques tiroirs. Même pas une plante, de cadre photo ou autre objet décoratif agrémentant le tout. Elle prit place derrière son bureau en me montrant la chaise pliable en face d'elle.

- Je vais aller droit au but avant toute chose, commença-t-elle avant de planter son regard vert dans le mien. Si tu es là pour faire une blague ou parce que tu as perdu un pari, tu peux sortir maintenant et ne plus jamais remettre les pieds ici.

Wow.

Moi qui avais pour habitude de savoir parfaitement maîtriser les expressions de mon visage, j'ai dû faire une tête un peu choquée par la façon très directe, et cette fois-ci, légèrement agressive, dû au ton qu'elle avait employé.

- Euh, je… Non, je suis ici de mon plein gré parce que j'en ai envie, répondis-je un peu abasourdie.

- Sûre ? Insista-t-elle

- Oui, pourquoi ? Des personnes ont vraiment fait ça ? Questionnai-je un peu perdue par rapport à ses propos.

Les traits sévères, voir même menaçants avait quitté son visage et ses épaules s'étaient légèrement détendues.

- Et pas qu'une fois, je ne permets plus qu'on manque encore de respect envers ce club.

- Pourquoi font-ils ça ?

- Ici, les gens n'ont des yeux que pour le club de volley et celui de leur cheerleader. Et parmi les autres clubs qui se trouvent dans cette académie, nous sommes celui auquel on n'y accorde le moins d'importance, expliqua-t-elle d'une voix amère.

Je l'avais malheureusement déjà aperçu face à la réaction du professeur sensé superviser ce club, mais je ne pensais pas que cela s'étendait aussi aux élèves.

- Tu sais déjà monter à cheval ? Reprit-elle face à mon silence.

- Je monte depuis mon enfance. En France j'ai le niveau sept, le dernier niveau.

- Oh, tu seras certainement la plus compétente parmi nous, la plupart ont commencés à monter à cheval en arrivant à Shiratorizawa.

- Cela ne me pose pas de problème.

Je vis à nouveau son froncement de sourcils se plisser sur son visage.

- Est-tu sûre que cela ne sera pas un problème ? Que le fait de te retrouver entoude débutants ne te sera pas une gêne ? Insista-t-elle en employant à nouveau un ton froid.

- Voyons plutôt les choses sous un autre angle, je pourrais vous aider à améliorer votre niveau si vous souhaitez progresser, lui répondis-je légèrement agacée d'être à chaque fois pointée du doigt comme si j'étais là que pour leur causer du tort.

Un sourire, presque imperceptible prit forme sur ses lèvres avant de disparaître aussi rapidement qu'il était apparu.

- Alors je vais te croire pour le moment, mais si jamais j'apprends que tu n'es pas ici pour de bonnes raisons, je te vire du club, on est d'accord ? Dit-elle en me tendant sa main, sans trace d'agressivité dans sa voix cette fois-ci.

- Cela n'arrivera pas, répondis-je en lui serrant la main, acceptant par ce geste ses conditions.

Je restai avec elle pour échanger rapidement sur plusieurs points, notamment sur ma volonté et les démarches engagées pour amener mon cheval en pension dans cette écurie. Plus compétente que le professeur rencontré une heure plus tôt, elle m'expliqua calmement et précisément la procédure à suivre. M'affirmant par la même occasion qu'il y avait bien un box disposé à l'accueillir sans problème. Ce club ne participait pas à d'éventuel concours inter-lycée car leur club n'avait aucun cavalier de haut niveau à présenter. Aussi que le club intégrait les collégiens de l'académie deux fois par semaine. Seikyoo me fit visiter le reste des lieux, me montrant les deux grands manèges couverts, et les trois carrières de taille variée à l'extérieur. Je ne pouvais m'empêcher de penser que ce fût dommage qu'il n'y avait que peu de monde intéressé par ce club alors qu'il possédait un complexe et des infrastructures de hautes qualités, permettant de faire différente activité et de s'y épanouir pleinement. Je ne pus voir les près car je n'avais pas les bonnes chaussures adéquates pour patauger dans la terre.

Le soleil avait déjà bien entamé sa descente, frôlant la nuit quand je quittais la présidente du club. Je consultais le plan pour trouver le chemin le plus rapide pour regagner le dortoir des filles. Je ne savais pas vraiment quoi en déduire de cette entrevue. Elle avait montré une certaine agressivité face à ma venue, mais j'en avais compris les causes et je devais passer outre sa méfiance pour gagner sa confiance avec le temps. Elle semblait juste être froide et pragmatique. Néanmoins, j'étais quand même un peu déçue de cette journée dans sa globalité. Je n'avais pas rencontré une seule personne aimable et je ne pouvais m'empêcher de penser que ces deux années n'allaient pas être aussi bien que je l'avais imaginé. Si je devais continuellement faire face à des clowns, je devrais me renforcer d'une armure en béton pour ne pas succomber face à leurs bassesses.

J'avais encore un espoir : ma colocataire de chambre.

Je soufflai, un peu plus tendue que je l'aurais voulu, quand je pénétrai dans ma chambre. Elle était présente. Allongée sur son lit du bas, vu que c'était des lits superposés, à lire un magazine, les jambes croisées, vêtue d'un short et d'un tee-shirt large. Quand elle entendit la porte s'ouvrir, elle baissa son magazine, et là je le sus toute suite que c'était foutu. Que je pouvais arrêter d'espérer quoi que ce soit. Elle tira une grimace quand elle m'aperçue.

- Voilà celle dont Eira n'a pas arrêté de me parler toute l'après-midi.