Chapitre 5 : Cocon rassurant


Quand j'ouvris les yeux, je fus pendant plusieurs secondes dans les nuages, le réveil était difficile, je me sentais complétement désorientée et perdue. La nuit était tombée et il ne restait plus qu'une faible lueur du soleil au loin dans le ciel. Comme si l'astre solaire luttait jusqu'à son dernier souffle pour éclairer notre terre avant d'être repoussé par son rival, l'astre lunaire. Je clignai plusieurs fois des yeux car mes paupières semblaient elles aussi lutter contre l'activation du moteur pour se remettre en état de marche. En vagabondant mon regard encore un peu vitreux à travers la fenêtre de la voiture, je voyais que j'étais encore sur la route. Je massai un peu ma nuque endolorie avant de retirer mes écouteurs de mes oreilles qui brayaient toujours de la musique.

Je n'avais pas de style de musique prédéfini, j'étais bon public. Dans le sens où j'avais une playlist d'une trentaines heures dans laquelle on pouvait y trouver du rap sale à la balade au piano, du métal allemand à la pop française, de la K-Pop à la country. C'était ma playlist et elle me ressemblait, elle était imprévisible car à chaque fois qu'une chanson se terminait, on ne pouvait pas savoir sur quoi on allait tomber à la mélodie suivante.

Je pris mon téléphone qui avait glissé de ma main sur la banquette pour stopper la diffusion de la playlist et pour constater de l'heure : 18h16. J'avais roupillé que deux heures alors que j'avais l'impression de sortir d'un coma de trois ans. Je soupirai en ouvrant le message que j'avais reçu pendant mon lourd sommeil.

De : Mina

À : Moi

T'es rentrée à Tokyo ? Demain j'viens chez toi la traîtresse et j'te fumes. – 17h58

Mina, alias Wilhelumina Wallhestein, aussi appelée « W » quand quelqu'un souhaitait la faire chier. C'était ma meilleure amie au Japon. Enfin, ce n'était pas comme si j'en avais une autre ailleurs puisque j'avais presque plus aucun contact avec mes amis en France. Mina était arrivée dans notre école pour les étrangers quelques mois seulement après mon arrivée. C'était une belle allemande au caractère flamboyant, comme beaucoup d'allemande, elle était très directe, joueuse et bon vivant, impossible de ne pas s'ennuyer avec elle. Cependant, au Japon, son comportement ne passait pas très bien et elle avait beaucoup de difficulté à s'intégrer en dehors de l'école. Je ne dirais pas que nous étions l'exacte opposée l'une de l'autre, mais je paraissais aussi sage qu'un moine bouddhiste à côté d'elle. J'étais en général d'un tempérament assez calme si rien ne me perturbait, mais avec cette énergumène, mon côté impulsive et sang chaud avait tendance à ressurgir plus précipitamment. Le débat pour savoir si elle m'avait dévergondée ou pas était souvent mis sur la table quand elle discutait avec mon père, qui l'appréciait beaucoup pour sa joie de vivre et sa sincérité. Qualités que j'affectionnai chez elle moi aussi.

De : Moi

À : Mina

Je suis en route. Et tu ne fumeras rien du tout, à demain. – 18h17

À cet instant j'ignorai toute ses réponses mixées d'insultes et de provocations écrit en japonais comme en anglais et en allemand, mais c'était amical, j'en avais bien conscience. Bien que nos caractères ne s'accordaient pas pour le mieux, nous nous entendions extrêmement bien. Je supportais bien ses âneries et son hyperactivité et elle supportait bien mes caprices et mon arrogance. Ce qui nous avaient lié en premier lieu, c'était parce que nous partagions la même situation car son père était aussi un ambassadeur. Nos paternels se connaissaient déjà professionnellement avant que nous nous rencontrions au Japon, c'était même sous les conseils de mon père qu'il l'avait inscrite dans la même école que moi quand celui-ci avait pris son poste afin de représenter l'Allemagne. C'était ainsi que notre amitié était née et qu'une complicité particulière s'était tissée entre nous, car qui était le mieux placé pour vous comprendre qu'une autre personne qui vivait exactement la même chose.

Cela m'avait d'ailleurs peinée d'aller à Shiratorizawa sans elle, mais elle savait parfaitement aussi bien que moi que son intégration dans une école japonaise était quasi impossible. Son attitude ne répondait pas au code de société et culturel du pays. Sa nation lui manquait beaucoup, voyant qu'elle ne pouvait pas faire partie du rouage, alors pour mieux endurer cette épreuve, elle avait préféré rester à Tokyo, avec des personnes tous aussi différents les uns que les autres et qui s'acceptaient mutuellement. Moi-même au bout d'une semaine, cette ambiance me manquait cruellement, je m'étais faite de faux espoirs sur cette prestigieuse école et j'en venais presque à regretter mon choix.

Je secouai la tête, je ne devais pas perdre de temps avec des regrets et assumer ma décision, je pouvais faire de l'équitation tous les jours, et Drogon allait arriver à l'écurie de l'école lundi soir. Ça serait bien la seule raison qui pourrait me presser d'atteindre la fin du week-end le plus rapidement possible, mais j'étais consciente que j'avais le besoin de me détendre et que ces deux prochains jours devraient être savouré à leur juste valeur.

Le voile sombre de la nuit avait entièrement recouvert le ciel quand la voiture s'engagea dans le périphérique de Tokyo, reconnaissable par ces buildings et ses lumières qui pourraient presque chasser la froideur sombre de la nuit. Une ville extrêmement vivante comparé à Sendai qui semblait si sage et si traditionnelle. J'avais grandi uniquement dans de grandes métropoles alors le calme de la capitale de la préfecture de Miyagi m'avait quelques peu désarçonnée. Tout comme la vie en internat, et qui pour le moment était une très mauvaise expérience à vivre à cause de la mésentente avec ma colocataire et l'isolement social que je subissais.

J'étais très contente quand j'aperçus la structure très moderne du bâtiment qui constituait l'ambassade de France à Tokyo. Ça ne rivalisait en rien à la grandeur et le luxe des ambassades à Paris, mais cela avait son charme, comme une image qui n'était pas figée dans le temps. La voiture s'engouffra dans le parking souterrain une fois que le grand portail lui avait permis de s'y engager. Je bondis du véhicule diplomatique la seconde suivant la rupture du moteur, impatiente de revoir mon père et ma chambre. Parce que bien que Shiratorizawa était un lycée prestigieux, ce n'était pas l'image que reflétait leur dortoir, et le confort n'était pas spécialement au rendez-vous, alors j'étais impatiente de retrouver un contact avec un bon matelas et d'y passer une bonne nuit de sommeil.

Je pénétrai dans l'ascenseur du sous-sol pour atteindre le sommet du bâtiment côté ambassade, c'est-à-dire, là où se situait le bureau de mon père et je laissais un des gardes récupérer mon sac pour le déposer côté résidence, c'est-à-dire le lieu de vie de l'ambassadeur et de sa famille. J'entrai le code d'accès nécessaire pour valider ma demande avant que le mécanisme se mette en fonction. On ne pouvait pas atteindre le bureau de mon père en un claquement de doigt, cela valait de soi.

J'avais faim, mais j'avais encore plus envie de voir mon père et de le pousser à quitter son ordinateur ou son téléphone pour partager un repas avec lui et discuter de notre semaine respective. Les portes de l'ascenseur s'ouvrirent face au bureau de la secrétaire, encore attelée à diverses tâches de son travail.

- Bonsoir Mademoiselle, la route ne vous a pas été trop pénible ? Demanda-t-elle en levant ses petits yeux noisette de son ordinateur.

- Bonsoir Hélène, j'ai un peu dormi donc cela a grandement facilité le désagrément de la route, lui répondis-je en m'approchant de son bureau fait en verre et en bois.

Hélène était une femme d'une quarantaine d'année d'une aura à la fois stricte et douce. Elle était toujours très consciencieuse dans son travail et s'y donnait à 200% sans compter ses heures. Elle était toujours impeccablement habillée, coiffée et maquillée, mais elle avait un visage doux qui faisait fondre le cœur de bons nombres de japonais. J'aimais beaucoup discuter avec elle car elle avait toujours fait preuve d'une franchise sans détour une fois qu'elle enlevait sa casquette de secrétaire de l'ambassadeur. C'était quelque chose que j'admirais chez elle : cette faculté de différencier travail et loisir comme s'il y avait le mur de chine entre les deux.

- Ravie de l'entendre, que puis-je faire pour vous ? Enchaîna-t-elle, droite dans ses bottes dans sa casquette de secrétaire.

- Mon père est-il encore dans son bureau ?

- Oui, il est au téléphone avec le ministre des affaires étrangères, il serait préférable que vous ne le dérangiez pas.

Je fis une mine boudeuse, elle avait parfaitement raison, je devrais le laisser pour ne pas le déconcentrer, mais j'avais terriblement envie de le voir.

- Je serai discrète ne vous inquiétez pas, répondis-je en ignorant son conseil telle l'enfant capricieuse que j'étais.

Elle me lança un regard désapprobateur que j'ignorai tout autant et avançai dans le couloir qui menait tout droit vers la porte en double battant du bureau de mon père. Je toquai une fois, laissant une seconde s'écouler avant de toquai deux fois de suite, et de retoquai une dernière fois après avoir laissé une nouvelle seconde en suspens. C'était le petit code que j'avais instauré avec mon père pour lui signaler ma présence sans devoir émettre de mot.

- Cela va sans dire Monsieur le Ministre, que les discussions sont plutôt favorables pour ce projet, entendis-je de la voix suave de mon père quand je poussai la battant de la porte en bois.

Le bureau de mon père n'était pas très grand, mais l'immense baie vitrée qui offrait une bonne vue de la capitale donnait de la grandeur à la pièce. Tout était dans un décor de verre et de bois aux couleurs blanc, gris et marron, un effet très avant-gardiste écologiste. Quelques cadres et plantes ornaient la pièce la rendait vivante et zen, le bureau en verre face à la porte et dos à la baie vitrée. Mon père était assis sur sa chaise de bureau, son regard azur pétillait en m'observant traverser la pièce pour m'asseoir en face de lui.

Mon père était grand mais fin de corpulence, ses cheveux châtain clair étaient ébouriffés, sûrement après avoir passé sa main dedans plusieurs fois durant sa journée malgré avoir pris certainement quelques minutes pour les discipliner au matin. Un large sourire strié de belles dents blanches s'accrocha à ses joues creuses quand son regard s'ancra dans le mien. Mon unique œil bleu était de la même couleur que ses iris. Il continua sa discussion en desserrant le nœud de sa cravate comme un signe d'impatience de terminer cet échange téléphonique. Je restais muette et me contentais de croiser les bras sur le devant de son bureau, en poussant un peu l'écriteau dorée où était inscrit son nom et sa fonction, et posais ma tête sur mes bras, attendant patiemment qu'il achève sa conversation.

- Ma princesse, entendis-je après une vingtaine de minutes.

Je sursautai un peu, je m'étais laissée emporter par la somnolence et j'avais déconnecté de la réalité, laissant mon esprit errer ici et là.

- Père, répondis-je en me redressant correctement suite au relâchement de mon corps qui avait finis par s'affaler sur son bureau.

- Comment vas-tu ? La route n'a pas été trop dure ? Tu es magnifique dans cet uniforme scolaire ! Enchaîna-t-il en se levant de sa chaise pour faire le tour de son bureau et prendre place au siège à mes côtés.

- Je vais bien, merci, mais ça fait du bien de rentrer, dis-je avec le sourire, enchantée de pouvoir discuter avec lui.

- Moi aussi je suis content que tu sois rentrée ma princesse, s'exprima-t-il en prenant mes mains dans les siennes et embrassant mon front. Alors, cette semaine là-bas, c'était comment ?

- Un peu difficile, avouai-je voulant un peu éluder la vérité sans mentir pour autant.

- Oh, souffla-t-il l'air un peu intrigué, viens me raconter tout ça en mangeant, je meurs de faim.

- Moi aussi ! M'exclamai-je en sentant mon ventre se tordre dans tous les sens.

Je le suivais en discutant de choses pour le moins légères, le questionnant sur son appel avec le ministre des affaires étrangères français en traversant le dédale de couloirs et d'ascenseur pour regagner la résidence, où un repas nous attendez selon les dires de Hélène quand nous étions passé devant son bureau.

Je ne savais pas si je devais être honnête et exprimer le ressentit que j'avais eu de cette épouvantable semaine au lycée ou si je devais rester vague dans la véracité de mes propos. Je ne voulais pas lui mentir en bloc en lui affirmant que tout allait bien dans le meilleur des mondes, mais je ne voulais pas non plus lui dire à quel point l'intégration s'était absolument mal passée par peur de le faire culpabiliser. Car c'était lui qui avait choisi cette école et je savais qu'il se sentirai responsable de mon récent mal être à Shiratorizawa, voulant probablement par la suite me faire scolariser à nouveau dans mon ancienne école.

L'idée effleura mon esprit, elle était plaisante, retrouver une ambiance bienveillante et joviale, côtoyer à nouveau mes amis tous les matins et passer d'incroyables moments avec cette petite bande que nous avions réussi à constituer au fils des ans. Mais d'un autre sens, je voulais rester là-bas, monter à cheval, passer des concours sous les couleurs de cette école, pouvoir profiter des activités équestres avant les études supérieures qui me laisserai bien moins de temps pour pratiquer l'équitation. Et puis, une semaine seulement s'était écoulée, j'espérais qu'avec le temps, l'attitude des autres élèves changerait. Que leurs regards indiscrets, leurs remarques au couteau s'estomperaient à force d'imposer ma présence, que l'étrangère que j'étais paraîtrais moins étrangère.

Quand j'entrai avec mon père dans la salle à manger, je salivai déjà en apercevant un magnifique rôti de bœuf saignant avec des petites pommes de terre douces disposés sur la table. Un bon repas français, ça m'avait cruellement manqué. Bien que j'apprécie la cuisine japonaise, j'étais tout simplement heureuse de pouvoir déguster des mets de mon pays natal.

- Alors dis-moi tout ma princesse, questionna mon père une fois attablé.

J'entrepris d'embellir la vérité sans aller dans l'extravagance du mensonge, je ne faisais qu'omettre certains détails qui avaient son importance. Je ne lui racontais pas à quel point je m'entendais mal avec Eira et Aïna, mais lui faisait part de leurs existences en disant simplement que je ne m'entendais pas avec ces deux filles et que l'une était malencontreusement ma colocataire de chambre. Je lui exposais les faits sur la manière dont j'étais regardée par ma différence en affirmant avec assurance que c'était tout simplement parce que j'étais la seule étrangère dans l'établissement, que je n'avais pas de mauvaise entente au sein du club sans pour autant dire qu'il n'y avait pratiquement aucun échange amical.

- Mais tu t'es fait des amis au moins ? Me demanda-t-il la mine songeuse.

- Ça ne fait qu'une semaine, il faut du temps pour ça tu sais, répondis-je avec le sourire pour le convaincre de mes paroles.

Mais ce n'était pas à un vieux singe qu'on apprenait à faire la grimace, il semblait peu convaincu par mes dires, mais il ne les remettait pas en question ouvertement non plus, voulant certainement me faire confiance, chose que j'appréciais beaucoup.

- Au faite, Mina vient me voir demain, ajoutai-je d'un ton désinvolte pour noyer le poisson, sachant très bien que s'il creusait un peu plus, il finirait par découvrir la petite supercherie.

- Ah Miss Wallhestein ! Elle est la bienvenue comme toujours, on a de la chance que nos ambassades soient qu'à quelques rues d'écarts, rit-il en reprenant son sourire.

Le reste du repas se termina dans la bonne humeur, éclipsant le mal aise que j'avais ressenti au début du repas, me gavant de viande jusqu'à avoir le ventre plein. Cet excès de nourriture rendait la digestion plus difficile, et mon corps puisait de toute l'énergie que je disposais en cette heure tardive. Je soufflai de bonheur en retrouvant ma chambre aux tons rosés et violets et me jetai sous le jet de la douche, située dans ma salle de bain privée adjacente à ma chambre.

Une fois propre, lavée de cette longue journée, j'enfilai une chemise de nuit lavande arrivant au-dessus de mes genoux et me glissai dans la tendresse de mes draps soyeux en réfléchissant un peu à toute cette semaine passée. Je ne m'étais faite aucun ami et au contraire je pouvais déjà mettre deux ennemis dans ma liste. Mes journées n'avaient pas été rose et elle m'avait éreinté, mordu dans mon moral. Si seulement cinq jours m'avaient été difficile à supporter, je n'étais pas optimise pour le restant de l'année à venir. Je ne savais pas si parier sur le fait qu'avec le temps, les choses se tasserait et deviendrait plus vivable était la meilleure de mes idées. Ça me torturait l'esprit et le sommeil m'était introuvable. Je devais en conclure une chose, il me fallait en parler, et ça tombait bien puisque que ma meilleure amie allait ramener sa choucroute le lendemain. Je me saisis de mon téléphone que j'avais pris soin de mettre en charge sur une station sans fil, posée sur ma table de chevet.

De : Moi

À : Mina

Je dois te parler sérieusement demain, j'ai besoin de ton avis. – 01h55.

Il était deux heures du matin et si elle était encore éveillée ou si la réception de ce message la sortait de son sommeil, elle allait probablement me tuer et de m'appeler directement au lieu de me répondre.

Ce qui ne manqua pas. Mon téléphone se mit à vibrer, signe d'un appel entrant.

- Je t'ai réveillé ? Demandais-je aussitôt après avoir décroché.

- Espèce de vieille catin des bois, ne m'envoie pas un message comme ça à cette heure-ci, je m'imagine plein de trucs maintenant ! C'est grave ? J'peux venir maintenant tu sais, on est qu'à cinq minutes l'une de l'autre, crit-elle à l'autre bout du combiné.

Je riais de cette réaction tout à fait prévisible de sa part, sachant ô combien elle était sérieuse dans sa proposition de venir ici, j'étais même certaine que je la verrai arriver en pyjama avec un plaid.

- Ce n'est rien de grave en soi, c'est juste que … j'ai besoin de parler et de savoir ce que tu en pense.

Il eut un moment de blanc, je l'entendis soupirer au moment où je regardais mon téléphone pour vérifier que la communication n'avait pas été coupée.

- J'arrive comme le débarquement des anglais en Normandie, dit-elle en me raccrochant au nez.