Disclaimer : les personnages et lieux mentionnés ici sont bien entendu issus de l'imagination de Pierre Bottero, et non pas de la mienne !
Ondiane
- Vous voilà tirée d'affaire.
La voix était douce et posée. Ellana souleva une paupière, le referma au contact de la lumière. Son corps était lourd. La douleur avait reflué, mais elle se sentait exténuée.
- Il va vous falloir quelques jours de repos avant d'être sur pieds, reprit l'homme à ses côtés. Votre blessure était sérieuse, et vous avez perdu beaucoup de sang. Vous êtes restée inconsciente presque deux jours.
Cette fois-ci, Ellana ouvrit les deux yeux. Elle se trouvait dans une belle pièce aux murs en pierre, allongée sur un lit confortable, un fin drap de lin tiré jusqu'à ses épaules. Assis à ses côtés, un homme d'une cinquantaine d'années en robe de bure, les cheveux rasés, l'observait tandis qu'elle reprenait ses esprits. Il attrapa une carafe sur la petite table de chevet, et remplit un verre d'eau.
- C'est l'eau de la source qui coule au fond de cette pièce, dit-il tout en approchant le verre des lèvres d'Ellana, qu'il aida à boire. Vous êtes à Ondiane, et je suis un Rêveur. Nous avons soigné votre blessure.
La fraicheur de l'eau revigora la marchombre. Elle se remémora son combat contre le Mercenaire du Chaos, et tira faiblement sur le drap pour dégager son buste. Le rêveur l'aida à soulever sa tunique, et lui montra la cicatrice qui barrait son abdomen.
- Elle s'estompera légèrement avec le temps, mais nous n'avons pas pu faire mieux. Vos compagnons vous ont amenée juste à temps.
Ellana reposa sa tête contre l'oreiller, et tenta d'adresser un sourire au Rêveur.
- Merci, dit-elle. Merci infiniment.
Sa voix lui semblait rauque et effacée. Sa vision s'obscurcit, et elle sentit le sommeil l'envahir.
- Reposez vous, maintenant, chuchota le Rêveur.
Ellana s'endormit profondément.
Plusieurs heures plus tard, Ellana se réveilla. Elle était seule à présent, et si elle ne parvenait toujours pas à s'asseoir dans son lit, elle réussit à se redresser légèrement. Elle détailla la pièce autour d'elle. Comme l'avait annoncé le Rêveur, une source coulait au fond de la pièce, sous une voûte de pierre, et une sorte de baignoire, assez grande pour être une piscine, avait été creusée dans la roche. Par la grande fenêtre à la gauche de son lit, Ellana distinguait des montagnes. Le soleil déclinait dans le ciel qui se colorait de rose.
Elle soupira. Elle avait échappé de peu à la mort. Si Edwin n'était pas intervenu, le Mercenaire aurait eu sa peau. Ses pensées dérivèrent vers Camille et Salim, pour lesquels elle sentait déjà tellement d'affection alors qu'elle ne les avait côtoyés qu'une seule soirée. Salim l'avait impressionnée par sa vivacité et sa joie de vivre. Elle repensa au vieil analyste revêche mais touchant, qui s'était montré très cérémonieux, et à Bjorn et son rire tonitruant. En quelques heures seulement, elle s'était attachée à cette compagnie hétéroclite, et la solitude qu'elle chérissait tant d'habitude avait perdu de son attrait.
On toqua à la porte, doucement, la sortant de ses pensées.
Elle voulut parler pour inviter la personne à entrer, mais sa gorge était trop sèche, aussi se mit-elle à tousser. Elle tenta de se redresser tandis qu'Edwin rentrait dans la pièce, refermant la porte derrière lui.
- Comment allez-vous? Lui demanda-t-il en s'approchant.
Voyant qu'elle toussait toujours, il prit la carafe, remplit son verre et lui tendit. Elle bu et enfin sa toux se calma.
- On ne peut mieux, rétorqua-t-elle en souriant faiblement. Les rêveurs ont fait un sacré boulot. Ce mercenaire a bien failli m'avoir.
Edwin reposa la carafe, un léger sourire étirant ses lèvres. Il avait troqué ses vêtements de cuir pour de simples habits de toile, et il ne s'était manifestement pas rasé depuis quelques jours, mais il dégageait toujours la même aura fascinante.
- Est-ce que tout le monde va bien? S'enquit Ellana. Camille, Salim et les autres?
- Hans a été surpris par le mercenaire lors de son tour de garde, répondit Edwin sans manifester d'émotion. Nous l'avons enterré sur place, avant de prendre le chemin pour Ondiane. Les autres sont tous sains et saufs.
- Je suis désolée.
Il tourna le dos à Ellana pour regarder par la fenêtre. Après un instant d'hésitation, il prit la parole.
- Je me dois d'être honnête avec vous. Après le combat contre le Mercenaire, nous avons examiné votre blessure et nous avons compris que vous êtes une Marchombre. Votre secret est en sécurité avec nous, ainsi qu'avec les Rêveurs qui vous ont soignée, mais je tenais à vous le dire. Lorsque nos chemins se séparerons, moi-même et mes compagnons de voyage ne mentionnerons pas notre rencontre, je vous le promets. Vous avez sauvé Ewi…Camille, et je vous en suis profondément reconnaissant.
Son ton solennel amusa Ellana, mais elle était touchée qu'il respecte la guilde et ses secrets. Elle décida à son tour d'être honnête avec lui.
- Je suis heureuse de savoir qu'Ewilan se porte bien grâce à mon intervention.
Edwin se tourna vers elle, les sourcils froncés. Ellana rit devant son air sévère.
- Son prénom vous échappe, à toi et à l'analyste, à chaque fois que vous lui adressez la parole… Je sais qui sont les Gil'Sayan et ce que peut signifier le retour de leur fille, même si je ne connais pas les détails d'une telle entreprise. Je sais aussi qui tu es, Edwin Til'Illan, et j'ai du mal à imaginer que tu organises des petits voyages de santé avec des adolescents et des vieillards à travers Gwendalavir juste pour le plaisir.
Si le tutoiement surpris Edwin, il ne sembla pas s'en formaliser. Il laissa échapper un grognement désabusé et se tourna à nouveau vers la fenêtre en se frottant la nuque.
- Ton secret est en sécurité avec moi, reprit Ellana qui avait abandonné son ton moqueur, et je sais que le mien l'est avec toi. Tu m'as sauvé la vie. Tu as empêché ce Mercenaire de m'achever, et tu m'as emmenée jusqu'ici pour me soigner malgré tes obligations et l'urgence de la situation. Laisse moi payer la dette que j'ai envers toi, et vous accompagner toi et Ewilan dans votre quête. Je promets de te sauver la vie à trois reprises.
Edwin secoua la tête et planta ses yeux gris dans ceux d'Ellana. La jeune femme s'était redressée dans le lit, parvenant presque à s'asseoir, et soutint son regard. Il croisa les bras sur sa poitrine, prêt à répliquer, mais la marchombre le coupa:
- Je ne prétends pas égaler tes talents de guerrier, mais je sais me battre, aussi efficacement et certainement avec plus de finesse que Bjorn ou les deux gardes d'Al-Vor.
Ellana s'éclaircit la gorge, et continua:
- J'ai échoué face à ce Mercenaire. Laisse moi retrouver mon honneur. Je ne crois pas vous avoir rencontrés par hasard dans cette auberge l'autre soir, je pense avoir un rôle à jouer auprès d'Ewilan et Salim.
- Ewilan est partie, et Salim l'a accompagnée.
Ellana haussa les sourcils, surprise, tandis que le maître d'armes se laissait tomber sur la chaise qu'avait occupée le Rêveur à son chevet. Il se frotta le visage de ses deux mains.
- Elle est partie chercher son frère, Akiro, resté dans l'Autre monde. Héritier du Don de ses parents, il sera peut être capable d'éveiller les Figés, libérer l'Imagination, et de sauver l'Empire.
- Je ne comprends pas. Ewilan est autant la fille de ses parents que son frère…
Edwin l'interrompit.
- Elle est jeune et ne maîtrise pas son pouvoir. Akiro est plus âgé, plus mûr. Nous avons plus de chances de réussir avec lui. Duom est d'accord, et elle a fini par l'accepter elle aussi. Nous attendons ici qu'elle nous envoie son frère, puis nous prendrons la route pour Al-Jeit.
Sa voix était sans appel. Ellana ne répondit pas. Lorsqu'elle avait vu Ewilan dans l'auberge, elle avait été profondément émue par le mélange de fragilité et de gravité qui émanait de l'adolescente. La marchombre ne partageait pas le point de vue d'Edwin, elle était persuadée qu'Ewilan était au moins autant capable que son frère de réveiller les Figés. Elle décida toutefois de ne pas contredire le Frontalier, et tendit la main pour la poser sur l'avant-bras d'Edwin.
- Que ce soit auprès d'Akiro ou Ewilan, déclara-t-elle avec force, je souhaite vous accompagner. Et payer ma dette.
Elle se laissa retomber dans son oreiller, incapable de se maintenir redressée plus longtemps. La discussion l'avait fatiguée, elle était encore faible. A la fenêtre, le ciel s'assombrissait et l'obscurité commençait à tomber dans la pièce. Elle soupira et ferma les yeux un moment. Lorsqu'elle les rouvrit, plusieurs secondes plus tard, elle constata qu'Edwin la fixait.
- Tu n'as pas échoué face à ce Mercenaire, dit-il doucement. Si tu n'avais pas été là, Ewilan serait morte. J'accepte volontiers ton aide dans cette quête. Quand à ta décision de me sauver trois fois la vie, elle t'appartient. Je la respecte.
Elle voulut répondre, mais le maître d'armes coupa court à la conversation en se levant. Il remplit une nouvelle fois son verre d'eau sur la table de chevet, et remonta la couverture jusqu'au menton d'Ellana, qui lui sourit. Il traversa la pièce, et juste avant de refermer la porte derrière lui, il ajouta:
- Sache cependant que je ne compte pas te faciliter la tâche.
Le sourire d'Ellana s'élargit, et elle ferma les yeux.
