Disclaimer : les personnages et lieux mentionnés ici sont bien entendu issus de l'imagination de Pierre Bottero, et non pas de la mienne !
Aux Dentelles Vives
Leurs compagnons, épuisés par le combat contre les Raïs, s'étaient endormis comme des masses. Ellana ajouta une bûche dans le feu, et s'affaira pour préparer une infusion. Elle n'était pas une spécialiste des plantes médicinales, mais Maître Duom lui avait montré au cour de leur voyage plusieurs plantes qui poussaient dans la région, efficaces pour soulager les courbatures et les douleurs musculaires. Son corps en avait bien besoin après la violence du combat qui les avait opposés aux Raïs.
La jeune femme, tout en coupant les plantes qu'elle laissait tomber dans la casserole, se tourna vers Edwin qui était assis à côté d'elle. Muni d'une pierre à aiguiser, il était concentré sur la lame de son sabre qui chuintait doucement à chacun de ses mouvements.
- Je me demande bien pourquoi les Faëls nous sont venus en aide, s'interrogea Ellana. Ce n'est pas leur genre de se mêler des affaires des Alaviriens.
Edwin leva les yeux vers elle.
- Tu as déjà côtoyé des Faëls ? Lui demanda-t-il.
- J'ai eu l'occasion de passer un peu de temps avec certains d'entre eux, répondit la marchombre. Je ne prétends pas bien les connaître, mais j'avais eu l'impression que le moins ils se mêlaient aux problèmes de l'Empire, le mieux ils s'en portaient.
Elle versa de l'eau dans la casserole, posa le couvercle, et la cala sur une grosse pierre dans le feu.
- J'étais en chemin pour aller les rencontrer en Pays Faël, dit Edwin, lorsque je suis tombé sur Ewilan dans la forêt de Barail. La situation de l'Empire est tellement désespérée que nous cherchons des alliés partout. J'ai dû abandonner cette mission et Sil'Afian n'est même pas encore au courant.
Il rangea son sabre dans son fourreau, et la pierre à aiguiser dans l'une des poches de sa ceinture.
- Leur intervention d'hier à été salvatrice, ajouta-t-il.
Ellana leva les yeux vers les Dentelles Vives, impressionnante masse sombre dans l'obscurité. Cela faisait quelques temps maintenant qu'elle n'avait pas grimpé, et les falaises abruptes qui lui faisaient face réveillaient son envie de se jouer de la pesanteur. Elle sentait toutefois que son corps avait besoin de repos, aussi ne céda-t-elle pas à cette idée.
L'eau frémit dans la casserole, et la marchombre servit deux tasses, une bonne odeur de plantes sucrées se répandant autour d'eux. Elle tendit une tasse au maître d'armes, et leurs doigts s'effleurèrent lorsqu'il s'en empara. Ils évitèrent soigneusement de se regarder et se concentrèrent sur les flammes.
Ellana savait que l'affrontement ne s'était pas déroulé comme Edwin l'avait voulu. Ewilan s'était mise en danger pour rester auprès de Salim, et s'ils étaient tous de bons combattants, cela n'avait pas suffit. Sans intervention extérieure, ils auraient été vaincus par les Raïs.
Edwin devait avoir suivi le même train de pensée, car il reprit la parole.
- Lorsque nous arriverons à Al-Jeit, notre compagnie va devoir se séparer. On ne peut pas risquer la vie d'Ewilan comme nous l'avons fait aujourd'hui. Sa sécurité est ma principale préoccupation, et…
Ellana se tourna vers lui, prête à encaisser les mots qui allaient suivre et qui allaient très certainement piétiner son orgueil. Le Frontalier sembla hésiter en croisant son regard et chercha ses mots.
-… aussi doués et sympathiques que vous êtes, toi, Bjorn ou Maniel, vous n'avez pas l'efficacité d'une phalange de soldats de la Légion Noire.
- Tu ne m'auras même pas laissé l'opportunité de payer ma dette, rétorqua Ellana. Pourquoi ne nous laisserais-tu pas continuer avec toi et Ewilan, tout en consolidant notre groupe avec tes soldats ?
- Parce qu'Ewilan est trop attachée à vous et n'hésitera pas à se mettre en danger et à ignorer mes ordres pour vous sauver. La situation de l'Empire est trop grave pour que nous prenions le moindre risque d'échouer à libérer les Figés. Sil'Afian sera d'accord avec moi.
La marchombre reposa sa tasse et contempla Edwin. Il lui rendit son regard, d'un air décidé. Il n'attendait pas de discussion, il lui annonçait des faits et elle sentit qu'elle ne pourrait rien lui opposer. Jilano lui avait toujours dit qu'elle était butée comme un âne, mais l'entêtement d'Edwin lui paraissait encore bien plus fort que le sien. Il était capable de faire abnégation de ses propres émotions pour faire ce qu'il estimait être juste.
Pourtant, elle décelait quelque chose d'autre en lui, sans parvenir à mettre un nom dessus. Son intuition lui soufflait qu'il avait enterré son impulsivité et sa liberté sous les obligations que lui imposaient son rang et ses fonctions.
Ellana s'allongea en arrière, sur ses coudes, et lui sourit.
- Tu n'as jamais eu envie de tout envoyer balader ? De suivre ton propre chemin, libéré de toute obligation, de faire les choses par envie et non par devoir ?
Il se tourna vers elle, l'air surpris.
- Je n'ai jamais eu l'opportunité d'y penser, répondit-il sincèrement.
Il semblait troublé par la tournure que prenait leur discussion. Ellana se redressa, réduisant la distance entre eux par la même occasion.
- Une bonne chose que tu n'aies que quarante ans alors, souffla-t-elle en souriant. Il te reste encore pas mal d'années pour l'envisager.
Le maître d'armes laissa échapper un petit rire, et lorsqu'il plongea son regard dans celui de la jeune femme, elle en oublia de respirer.
Une bûche craqua dans le feu, les faisant sursauter. Ils se redressèrent et Ellana leur servit une deuxième tasse de tisane pour se donner une contenance.
Que venait-il de se passer ? Avait-elle lu dans le regard d'Edwin le reflet de son propre désir, ou l'avait-elle juste imaginé ?
L'un de leurs compagnons laissa échapper un ronflement sonore, mettant fin à la tension qui régnait entre eux. Edwin et Ellana échangèrent un regard amusé, et Ellana repris le fil de leur discussion.
- Crois-tu vraiment qu'Ewilan va te laisser la séparer de Salim sans résister ?
Edwin haussa les épaules.
- Elle comprendra que sa quête est plus importante que tout le reste. De toute façon, je ne compte pas lui laisser le choix.
Ellana s'esclaffa devant l'aplomb du maître d'armes qui lui lança un regard noir.
- J'ai hâte de voir ça ! S'exclama la jeune femme.
Elle était persuadée qu'Ewilan n'allait pas s'écraser devant Edwin, aussi impressionnant soit-il. La jeune fille était la seule qui avait les moyens de faire plier le maître d'armes, et Ellana croisa les doigts pour qu'elle y parvienne, car elle avait vraiment envie de continuer cette aventure. Une telle quête ne se présentait pas plusieurs fois dans une vie. Edwin se leva pour nettoyer la casserole et leurs deux tasses, et inspecter les environs afin de s'assurer qu'il n'y ait pas de danger.
Ellana s'étendit sur le dos, les bras croisés derrière la tête. Elle observa les étincelles de leur feu monter vers la voûte céleste, dans laquelle brillaient des centaines d'étoiles. La nuit était calme, troublée uniquement par quelques oiseaux nocturnes et les bruits des chevaux attachés un peu plus loin. Si les Faëls étaient toujours là, ils ne se faisaient pas remarquer.
Edwin revint s'asseoir aux côtés d'Ellana et, suivant le regard de la marchombre, leva la tête vers les étoiles.
- Tu peux aller te coucher, lui dit-il, je m'occupe de monter la garde cette nuit.
Ellana, profitant du fait qu'il regarde ailleurs, contempla les lignes de son visage tout en méplats, ses pommettes saillantes et son nez droit. Les flammes se réverbéraient dans le gris de ses yeux, accentuant leur magnétisme.
Elle répondit quelques secondes plus tard, et sa propre voix lui parut lointaine.
- Je n'ai pas vraiment envie de dormir.
