Disclaimer : les personnages et lieux mentionnés ici sont bien entendu issus de l'imagination de Pierre Bottero, et non pas de la mienne !

Al-Poll

Ellana suffoquait.

Jamais elle ne s'était sentie aussi entravée, et une sourde angoisse faisait cogner douloureusement son coeur dans sa poitrine.

Il y avait d'abord cette paralysie infligée par les Ts'liches. Réduite à l'état de statue, tout comme Duom et Artis à ses côtés, elle avait été figée dans un mouvement de surprise, sa main sur le poignard qui pendait à sa ceinture.

La sensation n'avait rien à voir avec celle du chant marchombre qui permettait d'immobiliser une ou plusieurs personnes. Les Ts'liches déversaient un pouvoir écrasant et douloureux sur leurs victimes, et la marchombre sentait chaque muscle, chaque cellule de son corps protester contre cette volonté. Rien n'y faisait, elle avait beau se concentrer, elle ne parvenait pas à se libérer de l'emprise des monstres.

Et surtout, il y avait Edwin. Le Frontalier menait un combat qui resterait gravé dans l'histoire, quelle qu'en soit l'issue: il était seul contre quatre Ts'liches. Ces derniers ne se ménageaient pas pour le mettre en difficulté.

Il virevoltait, paraît et tailladait, comme muni d'un sixième sens qui lui permettait d'anticiper les mouvements de ses adversaires. Jamais Ellana n'avait vu quelqu'un se battre avec une telle dextérité. Le sabre qu'Ewilan lui avait dessiné était certes merveilleusement tranchant et équilibré, mais Ellana comprit ce que Jilano avait voulu lui dire des années auparavant. Les Frontaliers étaient des armes. Aucun geste d'Edwin n'était laissé au hasard, chaque mouvement qu'il exécutait était calculé à la perfection pour frapper à un endroit précis.

A plusieurs reprises, l'un des Ts'liches fit mine de les éventrer, Duom, Artis ou elle-même, mais Edwin parvenait à parer le coup in extremis et le combat reprenait de plus belle. Le Frontalier accentua progressivement la pression de ses attaques, gagnant en rapidité pour submerger ses adversaires. Il perça enfin la défense des créatures.

Un premier Ts'liche s'effondra, égorgé dans un râle atroce, puis un deuxième dans la foulée, dont les membres furent découpés méthodiquement par le sabre du maître d'armes.

Mais Edwin fatiguait. La marchombre le voyait à sa respiration erratique et au tremblement presque imperceptible de son bras, sans compter les nombreuses blessures qui saignaient à travers ses vêtements de cuir, et son visage couvert de sueur.

Les Ts'liches le remarquèrent aussi, leurs attaques se firent plus insistantes. Le sang du maître d'armes gicla lorsqu'il fut touché à l'épaule, et il laissa échapper un cri de douleur.

Ellana réalisa qu'elle ne supporterait pas de le perdre.

La puissance de l'amour qu'elle ressentait pour lui déferla soudainement sur elle. L'angoisse s'intensifia, nouant sa gorge, serrant son coeur.

Elle prit la mesure du lien qui s'était créé entre eux ces dernières semaines, de la complicité qui les liait, de la tension délectable qui planait constamment et qui chatouillait son ventre lorsqu'elle croisait son regard.

La douceur de sa bouche contre la sienne. Leurs souffles mêlés en une seule respiration.

La flamme qui brûlait en elle se transforma en glace.

Les fantômes des personnes qu'elle avait tellement aimé apparurent nettement dans son esprit.

Ses parents. Nahis. Entora. Hurj. Jilano…

Elle avait tant appris d'eux, et tant perdu lorsqu'ils étaient morts. Elle s'était juré de ne plus se lier avec la même force, de ne plus jamais dépendre des autres, et surtout de ne laisser personne dépendre d'elle.

Sa Voie était la liberté. La solitude.

Edwin fit tournoyer son sabre et l'enfonça dans le coeur du troisième Ts'liche, qui s'effondra.

En quelques semaines seulement, Ellana avait failli à sa propre promesse et ne s'en était pas suffisamment inquiétée. Elle s'était liée profondément à Ewilan, qui lui rappelait Nahis et qu'elle considérait comme sa petite sœur. Elle avait pris Salim sous son aile et allait en faire un marchombre d'exception. Elle s'était prise d'affection pour Bjorn et Maniel, avec qui elle aimait plaisanter, surtout Bjorn qui était devenu un ami précieux. Elle aurait donné sa vie pour sauver Duom ou Artis, malgré les altercations qui les avaient opposés.

Et il y avait Edwin.

Le Frontalier acheva le dernier Ts'liche d'un coup à la gorge. Il tomba à genoux devant le cadavre de la bête, épuisé, les yeux clos et la respiration sifflante.

Ellana aurait pleuré si elle avait pu.

Pleuré de joie, de le voir en vie.

Pleuré d'émotion devant la beauté du combat qu'il venait de leur offrir.

Pleuré encore, en voyant Ewilan et Salim revenir, la jeune fille brillant d'une maturité nouvelle.

Ewilan se jeta dans l'Imagination et brisa en mille morceaux l'étau qui compressait son corps et celui d'Artis et Maître Duom. Ellana dut se faire violence pour ne pas tomber à genoux et éclater en sanglots, perdue entre soulagement et désespoir. Elle resta silencieuse, refoulant ses émotions en inspirant lentement.

Elle s'était emprisonné elle-même dans cette toile d'affection. Elle avait baissé sa garde, s'était laissée attendrir par la chaleur de l'amitié, par l'excitation et la douceur de l'amour.

Mais ce n'était pas la voie qu'elle avait choisi. Elle devait rectifier sa trajectoire, avant qu'il ne soit trop tard.

Les Figés avaient retrouvé leur liberté; il était temps pour elle de retrouver la sienne.

Quelques heures plus tard, quand tous prirent la décision de se rendre à la Citadelle des Frontaliers, Ellana annonça sa décision au groupe, évitant soigneusement de regarder Ewilan ou Edwin.

-Je pars demain, et Salim m'accompagne.