CHAPITRE 2

Mars 2020

15h15

Anna profitait enfin de quelques minutes de pause bien méritées, engloutissant son déjeuner, quand son téléphone de garde sonna, encore. Donc, oui, ça avait bien explosé… Sans aucun doute. Elle soupira, avala rapidement sa bouchée de pâtes et répondit :

- Oui ?

A l'autre bout de la ligne, c'était Gwen, sa collègue infirmière.

- Anna, c'est Gwen, désolée pour ta pause, mais on a une nouvelle entrée, arrivée du domicile par les ambulanciers. Femme de soixante-treize ans, antécédents cardiaques, dyspnée aiguë depuis deux jours. Forte suspicion de Covid-19.

Anna soupira de nouveau, posa sa fourchette, et se frotta les paupières du bout des doigts .

- OK, j'arrive.

Elle referma son tupperware et le fourra dans le frigo de la salle de repos. Puis elle remit son masque, ses lunettes de protection et sa blouse chirurgicale, et repartit au front.

Depuis environ deux semaines, le Covid avait commencé à envahir la Grande-Bretagne, la ville de York ayant eu l'« honneur » d'être le lieu où les deux premiers cas britanniques avaient été détectés. Maintenant les patients arrivaient quotidiennement à l'hôpital de York. Il y avait eu un nombre incalculable de réunions entre le personnel médical, technique et administratif, pour réorganiser toutes les unités, libérer des places pour les patients atteints de Covid, séparées des unités non-Covid. Les chirurgies planifiées avaient été annulées, pour libérer des places pour les hospitalisations. C'était dur, mais une énergie positive circulait parmi toutes les catégories d'employés, pour unir leurs efforts devant cette situation totalement inédite. Tout le monde avait accueilli le challenge avec bonne volonté. Anna avait été assignée à une unité de réanimation Covid de huit lits, aux côtés d'une équipe de médecins, d'infirmières, d'aides-soignants et de kinésithérapeutes. Ils avaient rapidement appris à être bien plus prudents qu'à l'accoutumée avec leurs équipements de protection personnelle. Les masques FFP2 avaient remplacé les masques chirurgicaux, les lunettes de protection, portées en général seulement lors de la réalisation de certains gestes spécifiques, étaient maintenant portées en permanence. On s'inquiétait des possibilités de rupture de stock de certains équipements. On leur avait d'abord demandé de changer de masque toutes les deux heures, puis les recommandations avaient progressivement évolué à quatre heures, puis on leur avait dit de garder le même masque pour toute leur garde de douze heures. Six de ses huit lits étaient déjà occupés par des patients atteints de Covid, et elle se préparait maintenant à admettre la septième. Elle traversa l'unité, jusqu'au lit où les ambulanciers étaient en train d'installer la nouvelle arrivée. La vieille dame portait un masque à oxygène, et sa respiration était de toute évidence difficile. Gwen était déjà à ses côtés, avait mis un tensiomètre à son bras, et un oxymètre sur son doigt. Elle était maintenant occupée à lui poser une perfusion.

Anna prit le dossier médical que l'ambulancier lui tendait, et les remercia alors qu'ils les quittaient. Elle feuilleta les quelques pages, qui lui apprirent le nom, l'âge et les antécédents médicaux de sa patiente. Il n'y avait que peu d'informations médicales, et elle pensa qu'elle devrait appeler le médecin traitant de la patiente, plus tard, pour en récolter davantage. Son nom lui sembla vaguement familier, mais elle n'avait pas le temps de se pencher sur la question. Elle se tourna vers la dame :

- Bonjour, Mme Bates, je suis le Dr Anna Smith. Je vais m'occuper de vous pendant votre séjour avec nous en réanimation. Si vous pouvez parler, pourriez-vous m'expliquer ce qui s'est passé ces derniers jours ?

Entre deux respirations laborieuses, Margaret Bates réussit à raconter à Anna :

- Eh bien… J'ai eu… comme des symptômes de grippe… Pendant environ cinq jours… vous savez… fièvre, mal à la tête, des courbatures… J'ai trouvé ça bizarre… Je suis vaccinée contre la grippe… Et puis avant-hier… ça s'est empiré… J'ai commencé à me sentir… très essoufflée au moindre effort… Alors aujourd'hui… quand mon fils m'a vue… Il a appelé le 999…

- Oui, je pense que ce n'est pas la grippe, Mme Bates, mais peut-être le Covid-19. Vous avez entendu parler de ça je suppose ?, demanda Anna.

- J'ai… Vous croyez que j'ai le Covid ?!

- Je ne suis pas encore sûre, on va devoir faire des tests pour le savoir, mais c'est une possibilité. Pour l'instant je vais vous examiner, et ensuite on vous descendra à la radiologie pour faire un scanner des poumons.

Quelques heures plus tard, quand Anna eut obtenu les résultats du scanner de Margaret Bates, et de sa PCR Covid, qui était bien entendu positive, elle alla s'installer dans le bureau médical, à la recherche de calme, avant d'appeler son fils pour le tenir informé. Elle soupira, espérant que le gouvernement prendrait bientôt des mesures drastiques pour arrêter l'extension de l'épidémie. Elle avait entendu des discours sur « l'immunité de masse », et se demanda combien de vies seraient perdues à la poursuite de cet objectif. Elle composa le numéro inscrit dans le dossier de Mme Bates.

- Allô ?, répondit une voix masculine inquiète.

- Allô, M. Bates ?

- Oui ?

- Je suis le Dr Anna Smith, de la réanimation de l'hôpital de York. Je suis le médecin qui s'occupe de votre mère, Mme Margaret Bates.

- Oui. Oui, comment va-t-elle ? Est-ce que c'est vraiment le Covid-19 ?

- J'en ai bien peur. Son test PCR est revenu positif, et son scanner pulmonaire montre des images compatibles avec un SARS, c'est-à-dire un syndrome de détresse respiratoire aigu. Ses poumons sont très abîmés, ajouta-t-elle, pour être plus claire. Et de ce que je comprends, son cœur était déjà fragile…

- Mon dieu…, soupira John à l'autre bout de la ligne. C'est sérieux alors.

- Ça l'est, M. Bates, je suis navrée.

Quelques secondes de silence passèrent, puis John demanda :

- Pensez-vous qu'elle va s'en sortir ?

- Nous allons faire de notre mieux, M. Bates, vous pouvez en être sûr. Mais c'est une maladie nouvelle, et grave, et nous sommes encore en train d'apprendre comment la traiter. J'ai peur de pas pouvoir vous faire de promesses.

- D'accord. Je comprends, répondit John, la gorge serrée. Et… je ne peux pas venir lui rendre visite, je suppose.

- Je suis désolée, non, les règles de l'hôpital interdisent les visites pour le moment. Pour votre propre sécurité.

- D'accord, répéta-t-il. Est-ce qu'au moins je peux lui apporter des affaires ?

- Bien sûr. Vous pouvez les apporter à la porte du service, nous les lui ferons passer.

- D'accord, merci.

- Je suis désolée, M. Bates. Une fois encore, soyez assuré que nous donnerons les meilleurs soins possibles à votre mère.

- S'il vous plaît, faites-le. Elle est la seule famille qui me reste.

- Je vous le promets. Nous vous tiendrons informé au moins une fois par jour, ou plus si nécessaire, que ce soit moi ou un autre médecin si je ne suis pas là.

- Bien. Merci Dr Smith. Au revoir.

- Au revoir.

Anna raccrocha le téléphone, et ferma brièvement les yeux. Elle avait l'habitude, après plusieurs années de réanimation, d'annoncer de mauvaises nouvelles aux proches des patients. Cependant elle essayait, d'habitude, autant que possible, de le faire face à face, et non au téléphone. Mais le Covid rendait cela impossible, puisque les familles étaient interdites d'accès dans l'unité, pour tenter de prévenir la dissémination de la maladie. Cette mesure était très difficile à faire respecter, et les familles étaient souvent très contrariées de ne pas pouvoir être auprès de leur proche, surtout si les choses tournaient mal. Certains suppliaient, ou criaient au téléphone, certains venaient quand même et exigeaient d'être admis à l'intérieur. Le service informatique avaient fourni des tablettes pour que les patients, du moins ceux qui étaient conscients, puissent communiquer avec leur familles par Whatsapp ou Skype, mais ce n'était vraiment pas pareil.

Anna se leva en remettant son téléphone dans la poche de sa tenue de bloc, et jeta un coup d'œil à son reflet dans le miroir au dessus du lavabo qui se trouvait au mur du bureau médical. Elle avait de profondes marques rouges sur le nez et les joues, là où le masque et les lunettes appuyaient sur sa peau. Ça faisait mal, mais il n'y avait pas d'autre moyen de se protéger efficacement. Elle massa son visage pendant un moment, puis remis le masque et les lunettes et retourna dans l'unité. Alors qu'elle traversait le service, elle croisa Joe Molesley, le kinésithérapeute.

- Salut Joe, comment ça va ?

- Oh, bonjour Dr Smith, ça va bien, merci. Je fais mon tour de vos patients.

- Merci Joe. Et tu sais que tu peux m'appeler Anna ! Et me tutoyer !

Joseph Molesley avait environ cinquante ans, plutôt amical et souriant, mais aussi timide et assez formel. Il travaillait en réanimation depuis environ six mois, mais Anna avait du mal à obtenir qu'il l'appelle par son prénom. La kinésithérapie était une partie très importante de la réanimation. Les kinésithérapeutes s'assuraient que les patients, qui restaient immobiles au lit la plupart du temps, perde le moins possible de muscle, que leurs articulations ne deviennent pas trop raides, et qu'ils ne fassent pas d'escarre. Alors qu'elle s'éloignait, Anna entendit Joe la rappeler :

- Oh, euh, Anna ?

- Oui ?

- As-tu vu Mme Baxter ?

Anna sourit : Phyllis Baxter était la cadre infirmière de la réanimation et à peu près tout le monde dans le service savait que Joe avait un penchant pour elle, sauf elle, apparemment. Les gens prenaient des paris sur combien de temps il faudrait à Joe pour finalement l'inviter à sortir.

- Dans son bureau, je pense, répondit Anna.

- Oh, oui, merci, dit Joe, avant de s'éloigner.

x x x x

Anna était en partance pour se changer en habits civils avant de quitter l'hôpital, quand la sonnette extérieure du service retentit.

- J'y vais !, cria-t-elle à ses collègues, afin que l'équipe de nuit sache qu'elle s'en occupait.

Elle décrocha le récepteur de l'interphone :

- Oui ?

La même voix masculine qu'elle avait entendue quelques heures plus tôt au téléphone dit :

- Bonsoir, je suis le fils de Margaret Bates, on m'a dit que je pouvais lui apporter des affaires personnelles.

- Ah, oui. C'est le Dr Smith qui vous parle. Je viens les récupérer.

- Merci.

Anna se rendit à l'entrée du service, et sortit dans le couloir extérieur, en restant à bonne distance du fils de la patiente. Il était grand et large d'épaules, avec des cheveux sombres et de doux yeux noisette. Il lui montra un grand sac plastique.

- Voilà, tout est là.

- OK, je vais lui apporter.

- Merci beaucoup. Pourriez-vous lui dire…, ajouta-t-il, mais sa voix s'éteignit, et ses joues rougirent discrètement.

- Lui dire quoi ?, demanda Anna gentiment, en souriant, bien que John ne puisse pas voir son sourire derrière son masque.

Il remarqua cependant, que le sourire qu'il ne pouvait pas voir se reflétait dans ses yeux bleu clair. Il se sentit immédiatement en confiance, et sut que sa mère était en de bonnes mains.

- Juste… Dites-lui que je l'aime, dit-il, apparemment un peu honteux.

- Je lui dirais, promis Anna.

Alors que John s'en allait, elle ajouta :

- Il n'y a pas de mal à dire à sa mère qu'on l'aime, M. Bates. Pas de quoi avoir honte. Je lui dirais bien sûr, et je suis sûre qu'elle sera heureuse de l'entendre.

John sourit un peu et répondit :

- Merci Dr Smith, avant de partir pour de bon.

Anna ramassa le sac, et retourna à la chambre de Margaret Bates. La vieille femme lui sourit quand Anna approcha de son lit. Sa respiration s'était plus ou moins améliorée avec la bonne dose d'oxygène, et Anna espérait que cela continuerait comme ça.

- Bonsoir, Mme Bates. Votre fils est venu, il a apporté tout cela pour vous, dit-elle, en lui montrant le grand sac. Il m'a aussi demandé de vous dire qu'il vous aime.

Les yeux de Margaret brillèrent.

- Ce cher garçon, répondit-elle. Je l'aime aussi. Beaucoup. Il est ma seule famille, vous savez, Dr Smith.

Anna se rappela que John Bates lui avait dit la même chose au téléphone.

- Pas d'autre enfant ? Pas de petits-enfants ?, demanda Anna.

Elle aimait s'enquérir de l'histoire personnelle de ses patients, pour ceux qui pouvaient parler, en tout cas. Margaret secoua la tête.

- Non, ma chère. John est fils unique. Je suis veuve depuis trente-trois ans maintenant, et je ne me suis jamais remariée.

Margaret pris un instant pour reprendre son souffle, puis continua :

- Et pour les petits-enfants, j'adorerais en avoir, mais John est divorcé depuis cinq ans, et heureusement qu'il n'a pas eu d'enfant avec cette affreuse ex-épouse. Je n'aurais pas aimé qu'il doive partager un enfant avec cette sorcière. Une vraie saleté, celle-ci.

Anna rit doucement. Donc la vieille dame n'avait pas aimé sa belle-fille.

- Mais j'espère toujours qu'un jour, peut-être, vous savez, je serai grand-mère.

- Peut-être, oui, dit Anna d'un ton neutre.

- Et vous, ma chère, avez-vous des enfants ?

- J'ai un fils, répondit Anna. Il a quatre ans.

- Oh, il doit être si fier de sa maman docteur.

- Oh, je ne sais pas, il a plutôt tendance à râler que je rentre à la maison trop tard… Voulez-vous que je vous sorte les affaires de ce sac, ajouta Anna, pour changer de sujet.

Elle aimait bien en savoir un peu sur ses patients, mais elle n'aimait pas vraiment leur parler de sa propre vie personnelle.

- Mais ne devriez-vous pas rentrer chez vous ? Votre garçon doit vous attendre ! Vous avez eu une longue journée déjà.

- Je ne suis pas à cinq minutes près, assura Anna.

Elle posa le sac au pied du lit de Margaret, et regarda dedans. Tout d'abord, elle en sortit un cadre photo, qui contenait une photo de John et Margaret, radieux devant un paysage sauvage et majestueux.

- Oh, c'est une très belle photo. Où a-t-elle été prise ?

- Les Highlands écossais, répondit Margaret. John et moi avons fait un voyage là-bas il y a trois ans, pour mes soixante-dix ans. Je suis écossaise de naissance, voyez-vous, et je voulais qu'il connaisse la terre de ses ancêtres. J'aimerais en faire autant avec mes petits-enfants si j'en avais.

- Je vois.

- Connaissez-vous l'Écosse, Dr Smith ?

- J'ai peur que non, répondit Anna, un peu embarrassée.

Bien que la frontière écossaise ne soit pas si loin du Yorkshire, elle n'y était jamais allée.

- Voulez-vous que je pose ce cadre sur votre table de nuit ?, demanda-t-elle.

- Oui, s'il vous plaît, ma chère.

Margaret semblait un peu essoufflée d'avoir trop parlé. Anna sortit ensuite un petit lecteur CD, avec quelques CD. Elle remarqua que la plupart d'entre eux étaient des CD de musique écossaise. Elle posa également le lecteur et les disques sur la table de nuit, à côté du cadre. L'objet suivant qu'elle sortit du sac était un grand plaid très doux.

- Aaaah, dit Margaret, mon tartan favori. Vous savez que les couleurs et les lignes des tartans sont spécifiques de chaque clan ? Ceci est le tartan de mon clan. Je suis une Keith, annonça fièrement la vieille dame.

- D'accord, dit Anna, amusée.

Elle se rappelait vaguement quelques éléments sur les clans et les tartans.

- Alors, vous aimez vraiment l'Écosse, donc ?

- Mon cœur et mon âme vivent dans les Highlands écossais, annonça Margaret avec emphase. Quand mon heure viendra, je veux reposer là-bas, sur la terre de mes ancêtres.

Anna acquiesça, espérant que ce moment n'était pas encore venu. Elle sourit, essayant de le faire paraître dans ses yeux, et suggéra :

- Voulez-vous que j'étale le tartan sur le lit ?

- Oui, s'il vous plaît.

Quand elle l'eut fait, Anna regarda de nouveau dans le sac. Il ne restait plus qu'un petit objet au fond. Elle l'attrapa et le tendit à Margaret.

- Ah, mon chapelet. Merci ma chère.

La vieille dame prit le chapelet et l'entremêla autour de ses doigts.

- En ces heures difficiles, gardons foi en notre Seigneur, dit-elle avec confiance.

Anna posa le sac vide dans un coin de la pièce, et dit :

- Bien, Margaret, je vais y aller maintenant. Voulez-vous que je vous mette un CD ?

- Non, merci ma chère. Merci mille fois d'avoir pris un peu de temps avec une vielle femme comme moi. Maintenant retournez vite auprès de votre petit garçon.

Anna serra doucement la main de Margaret et s'en alla.

x x x x

La nuit était déjà tombée quand Anna émergea de l'hôpital sur son vélo et rentra chez elle. Elle était un peu en retard, mais Timmy et sa nounou Esther avaient l'habitude. Esther finissait de faire la vaisselle quand Anna entra dans son appartement, aux environs de neuf heures.

- Bonsoir Esther, désolée, je suis en retard.

- Pas de problème Mme Smith.

- Est-ce que tout va bien avec Timmy ?

- Très bien ! Il est au lit depuis environ une demi-heure, mais je pense qu'il ne dort pas encore. Il disait qu'il voulait vous attendre.

- OK. Je vais aller le voir alors. Merci Esther, bonne soirée.

Anna se rendit en silence jusqu'à la chambre de son fils, et s'arrêta devant la porte. Elle risqua un coup d'œil à l'intérieur, espérant voir si Timmy dormait sans se faire voir, mais Timmy était aux aguets, et l'appela :

- Maman ?

Anna sourit et entra.

- Eh ben, mon cœur, tu devrais dormir ! C'est tard pour les petits garçons ! Et il y a école demain…

- Je sais mais je voulais que tu me fasses un bisou de bonne nuit !

Anna sentit son cœur se serrer dans sa poitrine. Parfois elle culpabilisait de ses horaires de travail, et avait l'impression de voler à son fils le temps qu'il était en droit de passer avec elle.

- Je suis désolée chéri, il y a beaucoup de gens malades en ce moment.

Elle s'allongea sur le lit de Timmy, pris sa tête au creux de son bras, et caressa ses cheveux blonds.

- Alors, raconte-moi, qu'as-tu fait aujourd'hui ?

Quand Timmy lui eut raconté les hauts faits de sa journée à l'école maternelle, ils restèrent allongés l'un contre l'autre, Anna chantant une berceuse, jusqu'au moment où elle comprit, à la respiration profonde et régulière de Timmy, qu'il s'était endormi. Elle se releva doucement, attentive à ne pas le réveiller, et se dirigea vers la douche.

En pyjama, Anna se rendit dans la cuisine et chercha dans le frigo de quoi grignoter. Elle se souvint qu'elle avait oublié sa lunchbox à moitié mangée dans le frigo de la salle de repos de la réanimation. Avec une tasse de thé et un sandwich au fromage, elle s'assit à sa table de cuisine, en parcourant les réseaux sociaux sur son téléphone. A peu près partout, les gens parlait du Covid. De plus en plus de posts appelaient les gens à « aplatir la courbe », c'est-à-dire, à porter un masque dans les lieux publics, et pratiquer la distanciation sociale. Des politiciens et des scientifiques en appelaient au Premier Ministre pour qu'il prenne le problème plus au sérieux. Anna sursauta quand son téléphone sonna, en affichant le numéro de Mary.

- Allô ?

- Oh, Anna, salut, je me disais bien que tu ne dormirais pas encore.

- Ben, je viens juste de rentrer du boulot.

- Oui, à ce propos, c'est vrai que tu as reçu Margaret Bates aujourd'hui ?

Anna fronça les sourcils.

- Euh, comment tu es au courant de ça ? Tu la connais ?

- C'est la mère de John Bates !

Anna ne comprenait toujours pas la connexion.

- Oui, et donc ? Tu le connais ?

- Anna Smith ! John Bates est un des plus anciens amis de mon père ! Ils se connaissent depuis qu'ils étaient dans l'armée ! Il travaille pour nous au domaine de Downton.

Enfin Anna eut une illumination. Elle savait bien qu'elle avait déjà entendu ce nom quelque part, mais elle n'avait pas réussi à retrouver où jusqu'à présent. Mary avait dû parler de lui à l'occasion, mais elle ne l'avait jamais rencontré avant ce jour. Elle était proche de Mary, mais pas spécialement de ses parents, et elle n'avait aucune raison de rencontrer leurs amis.

- Oh, oui, c'est vrai. Maintenant que tu me le dis, je m'en souviens.

- Alors ? Comment va-t-elle ? C'est grave ?

- Euh, Mary, je suis désolée, bien que tu sois mon amie, je n'ai pas le droit de te parler de ça. Tu n'es pas un membre de sa famille. Il existe un truc qui s'appelle le secret médical, tu sais. J'ai dit tout ce que j'avais à dire à John Bates, donc je te suggère de lui demander directement.

Elle pouvait entendre Mary faire la moue à l'autre bout de la ligne. Mary Crawley n'avait pas l'habitude de ne pas obtenir ce qu'elle demandait.

- D'accord, d'accord. Je lui demanderai. Ou Papa le fera, en tout cas. On se voit demain ?, demanda-t-elle, changeant de sujet.

- Euh, attends, laisse moi réfléchir. Je suis de nuit demain soir, mais il faut que j'aille faire des courses demain matin, et ensuite j'ai une réunion de boulot sur Zoom à treize heures, puis je récupère Timmy à l'école à quinze heures trente. Tu veux qu'on se retrouve après l'école au parc avec George ? C'est le seul moment disponible que j'ai, je crains…

- OK, on se retrouve au parc après l'école alors. Bonne nuit, Dr Smith.

- Bonne nuit Mary. A demain.