CHAPITRE 22
Novembre-décembre 2020
Ce matin-là, John toqua légèrement à la porte de la chambre d'Anna, et entra. Il ne put apercevoir d'un plumet de cheveux blonds émergeant de dessous la couette. Quatre jours après l'emménagement temporaire de John chez elle, Anna se battait toujours contre la fièvre, les courbatures et les maux de tête. La nausée et les vomissements s'étaient depuis ajoutés à ses misères, de sorte qu'elle ne quittait que très peu son lit. Heureusement elle ne présentait aucun signe de sévérité respiratoire, mais elle passait tout de même un très sale moment. John et Timmy essayaient d'entrer le moins possible dans sa chambre, mais John y allait quand même plusieurs fois par jour, pour lui apporter du thé, et vérifier son état. Après avoir déposé le plateau sur sa table de nuit, John se tourna vers la fenêtre et ouvrit un peu le rideau, laissant entrer un peu de lumière. Il ouvrit aussi la fenêtre, pour renouveler l'air de la pièce. Anna gémit et fronça les yeux contre la lumière.
- Comment tu sens-tu ce matin, demanda-t-il doucement. Du mieux ?
Anna remua un peu dans le lit, et soupira :
- Je crois que j'ai réussi à dormir quelques heures d'affilée, ce qui est un progrès…
- Bon, c'est déjà ça.
Il toucha légèrement son front et affirma :
- Je crois que tu as toujours de la fièvre quand même.
- Oui. Ça tape dans ma tête, c'est un enfer. Punaise, je n'ai jamais été aussi malade. Ça fait sept jours quand même. Je suis tellement jalouse de Sybil et Gwen. Elles n'ont rien eu, elles.
- Je suis désolé que tu doives supporter tout ça.
John passa dans la salle de bain, et revint avec une serviette humide, avec laquelle il épongea son visage. Anna l'attrapa et l'appliqua à plat sur son front et ses tempes.
- Oh mon dieu que c'est bon. Merci.
- Mais de rien.
Anna se redressa lentement pour s'asseoir contre la tête de son lit, et pris une gorgée de thé.
- Vraiment, John, merci mille fois d'être là. Rien ne t'obligeait à venir, surtout après la façon dont je me suis comportée, mais je ne sais pas comment j'aurais fait sans toi. Je crois que je ne pourrais jamais te rendre la pareille. Je prie pour que tu ne tombes pas malade toi aussi, je ne me le pardonnerais jamais.
- Tu n'as rien à me rendre. Je suis là parce que je le veux. C'est tout ce que je veux pour le futur, être là pour prendre soin de toi, et de Timmy.
Anna sourit et sa voix se brisa un peu dans sa gorge :
- C'est tellement gentil, murmura-t-elle.
John s'assit sur le bord de son lit, et prit sa main :
- Je t'aime, ma chérie. Tu m'autorises à t'appeler comme ça ?, demanda-t-il, une trace d'incertitude menaçant dans sa voix.
Elle rit doucement.
- Oui, je t'autorise, répondit-elle.
Cette manière qu'il avait, de donner sans attendre de retour, fit fondre le cœur d'Anna. Elle se devait d'admettre, que peut-être bien qu'elle l'aimait aussi en retour. Cependant, se l'admettre à elle-même, et le dire tout haut, étaient encore deux choses bien différentes.
- Allez, file te laver les mains, le gronda-t-elle gentiment.
- Oui madame !,répondit-il en imitant un salut militaire. Si tu bois ton thé.
- Promis.
- Tu veux manger un peu ? Timmy et moi on a fait des roulés à la cannelle. Tu veux en goûter un ? Tu devrais vraiment manger quelque chose.
- D'accord, je vais essayer. Merci.
x x x x
Finalement Anna commença à aller mieux, et après dix jours d'arrêt maladie, à la fin du mois de novembre, elle se sentit en état de retourner travailler. Le jour précédent, Timmy et elle-même avaient été testés négatifs, donc il put retourner à l'école, et Esther put revenir. En fin d'après-midi, le veille de son retour au travail, alors qu'elle était assise dans le fauteuil en parcourant ses e-mails (le nombre de courriers restés en souffrance dans sa boîte professionnelle pendant la durée de sa maladie la laissa bouche bée), pendant que Timmy jouait avec ses petites voitures sur le tapis, John vint s'asseoir sur le canapé et dit :
- Bon… j'ai fait mes valises, je pense que je peux rentrer chez moi maintenant. Tu vas t'en sortir.
Anna posa son portable, et le regarda.
- Je suppose, répondit-elle. Par contre… ça veut dire qu'on ne va plus pouvoir se voir du tout. Confinement de merde. Tu vas me manquer…
- Tu vas me manquer aussi. Mais je vais être content de retrouver mon lit, pour être honnête, dit-il avec un sourire taquin. Sans vouloir insulter ton canapé, mais mon dos en a marre.
- Je suis désolée…, dit-elle. Bon, eh bien on va devoir retourner au bon vieux temps de nos papotages par Whatsapp.
- On dirait bien, approuva John. Gloire à l'inventeur de Whatsapp.
Ils pensaient tous deux de façon évidente à l'autre option qui s'offrait à eux, qui était bien sûr que John reste avec Anna et Timmy, mais aucun d'eux n'osa l'exprimer à haute voix. Cela aurait signifié qu'Anna propose à John de partager son lit, et c'était quelque chose qu'elle ne se sentait pas prête à faire. Même quand ils avaient été « amis-amants », elle ne l'avait jamais invité à le faire dans son lit, ni même dans son propre appartement, en fait. C'était une limite qu'elle n'avait jamais voulu lui laisser franchir, et bien qu'elle sache maintenant qu'un jour viendrait où cela arriverait, ce n'était pas encore à l'ordre du jour pour elle. Cela était très frustrant pour eux que le confinement ne leur laisse pas faire les choses progressivement, comme n'importe quel autre jeune couple, en se retrouvant d'abord à l'extérieur, et en allant l'un chez l'autre pour de courts moments. Pour le moment, la seule alternative était de tout partager, ou rien.
x x x x
- Oh, salut Anna !, s'exclama Ed le matin suivant quand elle arriva pour prendre sa première garde en réanimation. Comment vas-tu !?
- Je reviens à la vie, soupira Anna. Lentement.
- Tu nous as donné du souci !, ajouta Phyllis. Ça va mieux maintenant ?
- En quelque sorte. Je suis pas encore dans ma meilleure forme, mais je commence à me remettre…
- C'était si pire que ça ?, demanda Gwen.
- Tu n'as pas idée.
- Non, en vrai, je ne sais pas, répliqua l'infirmière rousse. Je sais que j'ai eu de la chance.
- Eh bien, si je me rappelle la pire grippe que j'ai eue… c'était environ cent fois pire. Et j'ai toujours l'impression d'avoir vingt ans de plus…
- Pfiou… ma pauvre, compatit Gwen. Bon, on va essayer d'être sympa avec toi alors.
- Bon, dit Anna, qu'est-ce qui s'est passé ici, pendant ce temps-là ?
- Environ toujours la même chose, grimaça Ed. Il y a quelques patients qui étaient déjà là avant que tu ne tombes malade. On a gagné un trente-deux ans, aussi.
- Punaise…, soupira Anna. Bon, ben allons-y, dis-moi tout.
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La journée fut longue et éprouvante pour Anna, mais cela lui fit du bien de pouvoir à nouveau bouger et penser. Malheureusement, comme Ed l'avait prévenue, la situation dans le service était toujours la même. Le nombre de patients qui nécessitaient l'intubation ou l'Optiflow était toujours élevé, et elle retourna à sa routine habituelle avec un sentiment doux-amer.
Ce soir-là, alors qu'elle marchait depuis l'arrêt de bus jusqu'à son immeuble, (elle se sentait encore trop faible pour faire le trajet en vélo), Anna reçut un appel de Mary. Elle mit ses écouteurs et lui parla en marchant.
- Salut Mary, quoi de neuf ?
- Eh bien laisse-moi te retourner la question. Tu as survécu à ton retour au boulot ?
- Oh, oui, oui. Je suis fatiguée, mais c'est gérable. Et toi, comment ça va ?
- Ça va. Mon kiné vient de m'annoncer qu'il pense qu'on peut arrêter les séances. Il dit que je suis guérie.
- Oh, c'est génial ! Quelle bonne nouvelle ! Je suis trop contente.
- Je suis contente aussi, punaise qu'est-ce que ça a été long. Bon… ça c'était la bonne nouvelle.
- Oui ?, demanda Anna d'un ton hésitant. Je suppose que ça veut dire qu'il y en a une mauvaise ?
- Eh bien… il semblerait que mon cher époux vient de recevoir un résultat de PCR positive…
- Oh non ! Mais c'est pas vrai !
- J'en ai bien peur.
- Mon dieu, mais ça ne va jamais s'arrêter ?! Comment il a pu l'attraper, je croyais qu'il ne travaillait qu'à la maison ?
- Oui, principalement, mais il doit quand même aller au tribunal environ deux fois par mois pour des audiences ou des procès. La semaine dernière il est rentré en maudissant un procureur qui n'arrêtait pas de descendre son masque pour parler… Et voilà. Cinq jours après il avait mal à la tête et des courbatures.
- Mais ces gens sont complètement stupides, j'en peux plus. Comment va-t-il ?
- Pas trop mal. Il prend du Doliprane de temps en temps, mais il arrive encore à travailler.
- D'accord, bon, j'espère que ça ne va pas empirer comme ça l'a fait pour moi. Ou pour toi, d'ailleurs.
- Oui, moi aussi ! Je suis vraiment pas en état de gérer un autre séjour à l'hôpital. J'en ai ma claque !
- Tu m'étonnes. Bon, ben tiens moi au courant s'il te plaît.
- Promis. Et… on peut parler de John et toi ?
Anna sourit. Son amie curieuse était de retour. Elles n'avaient pas tellement discuté pendant le séjour de John, principalement parce qu'Anna n'était pas en état. John avait tenu Mary au courant régulièrement de l'état de son amie.
- Quoi, John et moi ?
- Oh, ne joue pas à ça avec moi, Anna Smith. Vous en êtes où, tous les deux ?
- Eh bien, d'abord, merci de me l'avoir envoyé. Il m'a vraiment sauvé la mise, je n'étais tellement pas en état de m'occuper de Timmy.
- De rien.
- Ensuite… bon, si tu dois tout savoir, on s'est mis d'accord pour tout reprendre à zéro, et y aller doucement.
- Oh, Dieu merci, tu as ENFIN vu la lumière ! Alors, on a le droit d'utiliser le mot « sortir avec » maintenant ?
Anna pouffa.
- Je suppose. Quoi qu'il ne va pas y avoir beaucoup de sorties pour l'instant, vu que, tu sais, ce petit inconvénient qu'on appelle le confinement ?
- Il est rentré chez lui ?
- Évidemment. On ne vit pas ensemble.
- Pour l'instant.
- Tu m'as entendue quand je viens juste de dire qu'on allait y aller doucement ?
- Oui, pardon.
- Bon. Allez, dis-moi, comment va ma petite Alicia chérie ?
Un bon vieux changement de sujet, c'était ce qu'il lui fallait là tout de suite.
- Oh, c'est un amour. Elle sourit maintenant, c'est tellement mignon. Et, elle dort bien, ce qui ne gâche rien.
- Je veux des photos ! Je suis tellement déçue de ne pas pouvoir la voir en vrai…
- Je vais t'en envoyer, promis.
- D'accord, merci. Bon, j'arrive chez moi, Mary, je dois raccrocher. À plus tard ?
- OK. Bonne nuit. Prend soin de toi.
- Oui, toi aussi, et tiens moi au courant pour Matthew.
- Je n'y manquerai pas.
Anna sourit en enlevant les écouteurs de ses oreilles. Il semblait que son amie avait finalement réussi à tisser des liens avec sa petite fille. Cela la remplissait de joie. Mais cette joie était gâchée par un peu d'inquiétude au sujet de Matthew. Elle pria le ciel pour que la foudre ne touche pas deux fois la même famille.
x x x x
Heureusement, Matthew n'alla pas plus mal au cours des deux semaines suivantes. Décembre arriva, et avec lui la période des fêtes, qui s'annonçait assez particulière cette année. Ayant été absente dix jours en novembre, et afin de laisser ses collègues prendre un peu de repos, Anna ne demanda pas de congés entre Noël et le Nouvel An. De toute façon elle ne pourrai pas aller chez les Carson, trop inquiète qu'elle était de pouvoir leur passer la maladie. Elle n'était pas sûre si elle pouvait toujours porter le microbe bien que l'ayant déjà eu. Il se trouva donc qu'elle allait être de garde les 24 et 25 décembre, en horaires de jour. Elle avait par contre le soir du 24 libre, donc Mary l'invita avec Timmy, puisque tous les adultes avaient déjà été malades dans leurs deux foyers.
Une petite étincelle de lumière avait fait son apparition dans l'actualité, avec l'arrivée du premier vaccin contre le Covid. Mais il était toujours très peu disponible, et dans le même temps, un nouveau variant du virus semblait émerger en Grande-Bretagne. Les sentiments au sujet des mois à venir étaient donc plutôt mitigés.
Peu avant minuit le 24 au soir, alors que les Crawley, Timmy et Anna avaient terminé leur repas de réveillon et étaient en train d'ouvrir les cadeaux, la sonnette de la porte d'entrée retentit. Mary et Matthew se regardèrent d'un air surpris, se demandant qui pouvait bien arriver à cette heure-ci. Mary alla ouvrir la porte, et rit. Elle se tourna vers l'intérieur de la maison, et appela :
- Anna, je pense que c'est pour toi !
Anna, qui était assise sur le canapé, câlinant Timmy sur ses genoux, leva ses sourcils de surprise.
- Pour moi ?
- Assurément, répondit Mary, en faisant un clin d'œil au visiteur imprévu.
Anna vint à la porte, et sourit largement :
- Oh, John, quelle jolie surprise ! Que fais-tu là ?
- Je… J'espérais qu'on pourrait aller marcher un peu dehors, juste nous deux ? Je ne veux pas m'imposer chez les Crawley.
- Euh, oui, d'accord, pourquoi pas. Laisse-moi attraper mon manteau.
Anna retourna au salon, et embrassa Timmy.
- Il paraît que je vais faire une petite promenade.
- Quoi, maintenant ?, commenta Matthew, interloqué. Est-ce que John ne veut pas entrer plutôt ?
- Il dit qu'il ne veut pas s'imposer.
- Je parie qu'il veut plutôt t'avoir pour lui tout seul, affirma Mary. Amusez-vous bien alors. Mais essayez de ne pas geler !
En effet l'air dehors était glacial, et Anna apprécia d'avoir des gants chauds, une écharpe et un bonnet de laine. Anna et John marchèrent côte à côte en silence pendant un moment. John lui offrit son bras, et elle le prit avec un sourire. Au bout d'un certain temps, ils arrivèrent sur une place éclairées par des lumières de Noël, où se trouvait une église décorée pour l'occasion. La place était déserte et silencieuse, car tout le monde était soit chez soi, soit dans l'église, pour ceux qui assistaient à la messe de minuit. De petits flocons commencèrent à tomber, et ils pouvaient entendre des échos de l'orgue qui jouait à l'intérieur de l'église.
- Bon. C'est un Noël un peu moisi, celui-ci, affirma Anna.
- Oui, d'un certain point de vue.
- Oh ? Et d'un autre ?
John relâcha son bras et se tourna pour faire face à Anna :
- D'un autre côté, il neige, ces lumières sont magnifiques, et tu es là juste à côté de moi. Donc, je suppose que ça pourrait être pire.
Anna sourit, et attrapa la main de John.
- En effet, ça pourrait, murmura-t-elle.
John serra tendrement la main qu'elle lui offrait. Son autre main vint se poser sur sa joue, et le cuir de son gant réchauffa sa peau glacée. Leurs regards plongèrent l'un dans l'autre alors qu'ils se rapprochaient lentement. Anna ferma les yeux juste une seconde avant que leurs lèvres ne s'effleurent doucement. Ses yeux brillaient de larmes de joie et de bonheur quand elle les rouvrit.
- Je pense que mon cœur peut exploser à n'importe quel moment, prévint John.
Elle laissa échapper un rire très spontané.
- Le mien aussi, possiblement, approuva-t-elle.
- Joyeux Noël Anna, sourit John.
- Joyeux Noël, John. J'espère qu'on pourra passer le prochain ensemble pour de bon.
- Je l'espère vivement aussi.
Il ouvrit grand ses bras pour elle, et elle vint s'y blottir, fermant les yeux de nouveau pour profiter de la chaleur et du confort de sa poitrine, alors qu'ils écoutaient ensemble sonner les cloches de minuit.
