CHAPITRE 23

31 décembre 2020

Les quelques moments qu'elle avait partagés avec John la veille de Noël avaient réchauffé le cœur d'Anna pour plusieurs jours. Et elle en avait grand besoin, car la situation à l'hôpital allait de mal en pis. Le variant nouvellement baptisé « variant anglais » était en train de se répandre dans tout le pays, avec de plus en plus de cas, et des personnes de plus en plus jeunes qui se présentaient à l'hôpital. Les médecins et les politiques demandaient instamment à la population de limiter les rassemblements de personnes pendant la période des fêtes, mais le personnel de réanimation redoutait fortement les semaines à venir. On parlait d'un nouveau confinement dans peu de temps, probablement peu après le Nouvel An. La semaine entre Noël et le Nouvel An fut un long tunnel de gardes pour Anna, qui voyait à peine son fis, ou qui que ce soit d'autre d'ailleurs, à part ses collègues de travail.

Alors qu'elle quittait l'hôpital le 31 décembre au soir, elle se prépara à rentrer dans son appartement vide. Elle avait été invitée par Mary, qui avait pris Timmy pendant les quelques jours de congés d'Esther. Mais elle avait décliné, trop épuisée pour apprécier une nouvelle soirée de fête. Elle n'avait qu'une envie, se blottir sous un plaid et regarder un film stupide. Elle ne voyait rien à célébrer dans l'arrivée de cette nouvelle année. En sortant de la douche, elle enfila ses vêtements les plus confortables, et se prépara à traîner sur le canapé. Elle attendait que la bouilloire chauffe, quand elle sursauta au son de quelqu'un qui frappait à sa porte. Haussant les sourcils, elle attrapa rapidement un masque et l'enfila avant d'aller ouvrir la porte.

- John ?!

- Bonsoir Anna, dit-il, un grand sourire derrière son propre masque.

- Mais… Que fais-tu là ? On n'avait rien prévu ?

- Non, on n'avait rien prévu, mais… Mary m'a dit que tu restais toute seule ce soir, alors… si tu veux bien, j'aimerais rendre cette soirée un peu spéciale ?

Anna resta sans voix pendant quelques secondes, ne sachant pas quoi répondre, alors que des dizaines de pensées contradictoires traversaient son esprit. John le remarqua et dit :

- Ou… si tu ne veux pas, je peux rentrer chez moi, pas de souci, ne t'inquiète pas. Je ne veux pas que tu aies l'impression que je m'incruste chez toi.

En parlant, il avait ramassé les sacs qu'il avait déposés à ses pieds sur le seuil de l'appartement d'Anna. Anna attrapa son bras, répliquant rapidement :

- Non, non, ne t'en va pas ! C'est juste… je suis un peu déchirée entre le cœur et la raison, si je peux m'exprimer comme ça. J'adorerais plus que tout passer la soirée avec toi, mais… j'ai quand même peur de te refiler un cadeau empoisonné, tu vois. Et je ne pense pas qu'on puisse honnêtement se promettre de passer la soirée sans se toucher et en restant masqués, ajouta-t-elle, en lui lançant un regard de défi.

- Oui, en effet, probablement pas, approuva-t-il. Mais bon, quel est le risque, sérieusement ? Tu as été malade il y a quelques semaines, tu ne peux pas l'avoir de nouveau si rapidement, non ? Et tu t'es lavée et changée depuis ton retour de l'hôpital, donc…

- Tu as sans doute raison…

- Tu sais, Anna, je ne suis pas quelqu'un de très sociable, ça ne me gêne pas de ne voir quasiment personne en ce moment. Mais… la seule personne avec qui j'ai envie d'être, c'est toi. Je prendrai le risque, s'il y en a un, pour être avec toi.

Les yeux d'Anna se brouillèrent soudainement à cette confession. Pour dire la vérité, elle ressentait exactement la même chose. Elle sourit et se pencha pour ramasser le sac de provisions qu'il avait apporté, et retira son masque.

- OK, essayons de passer une bonne soirée, et d'oublier un peu le reste du monde un instant.

- Ça me paraît un bon plan, répliqua-t-il, en la suivant dans son appartement.

- Mais d'abord, laisse-moi aller me changer. Je ne peux pas te recevoir pour le réveillon du Nouvel An vêtue de mon jogging le plus moche.

- Ça ne me gêne pas du tout, tu sais, affirma-t-il.

- Moi ça me gêne, dit-elle.

- Tu n'as pas besoin de faire des efforts pour moi.

- Tu as fait toi-même des efforts pour préparer tout ça, alors je peux en faire un et enfiler une tenue décente.

Quand elle revint de sa chambre, les yeux de John s'ouvrirent grand et sa mâchoire tomba légèrement. Elle fit un tour sur elle-même, montrant la jolie petite robe noire qu'elle avait enfilée. Elle avait aussi relevé ses cheveux, et mis de belles boucles d'oreilles et un collier assorti.

- Alors ?, demanda-t-elle avec un sourire en coin.

- Waouh, soupira John. Tu… Tu es époustouflante.

Elle rit.

- Flatteur… Tu es plutôt élégant toi aussi, je dois admettre, dit-elle joyeusement, en attrapant sa main pour l'emmener dans la cuisine.

Quelques instants plus tard, ils étaient tous deux absorbés dans la préparation du repas de fête que John avait prévu. Ils s'affairaient ensemble dans la cuisine, en bavardant de façon détendue. Pour la première fois, John s'autorisa à faire tous ces petits gestes tendres qu'il s'était retenu de faire depuis si longtemps, comme caresser la joue d'Anna, passer ses doigts dans ses cheveux, ou encercler sa taille de son bras. Chacun de ces petits gestes emplissait son cœur de joie et d'amour, surtout quand il constata qu'Anna les acceptait avec plaisir, et les lui rendait.

- Bon, dit Anna finalement. Je crois qu'il ne nous reste plus qu'à attendre que ce soit prêt. Qu'est-ce que tu veux faire en attendant ?

- Et si on jouait un peu de piano ?

- Oh, oui, bonne idée. Ça fait si longtemps qu'on n'a pas joué ensemble.

Ils allèrent s'asseoir côte à côte sur le tabouret de piano.

- Je voudrais te jouer la Sonate au Clair de Lune, dit Anna. En remerciement, pour tout ce que tu as fait pour moi cette année. Ce n'est pas juste un morceau de musique que tu m'as aidé à reconquérir. C'est tout une partie de ma vie que j'ai retrouvée grâce à toi. Tu m'as appris à ouvrir mon cœur et écouter les sentiments qui y étaient cachés.

Alors qu'elle parlait, elle avait enfoui sa tête au creux de son cou. John entoura ses épaules de son bras, et sa main serra gentiment le bras d'Anna.

- Je dois admettre que j'ai fait ça un peu égoïstement, t'aider à écouter ton cœur, répondit-il. Vu que, tu sais, j'étais carrément amoureux de toi.

Anna pouffa. Elle tourna sa tête vers John, et déposa un baiser sur sa joue. Elle ajusta la partition, et se mit à jouer. La main de John était descendue se poser sur sa hanche, la caressant doucement pendant qu'elle jouait. Il se dit qu'il n'avait jamais connu un moment si parfait dans sa vie. Quand elle eut fini, elle demanda :

- Est-ce qu'on peut la rejouer, ensemble ?

- Bien sûr.

Elle joua la partie de la main droite, pendant qu'il jouait la gauche. Ils constatèrent qu'il n'était pas facile de coordonner deux mains qui n'étaient pas reliées au même cerveau, et durent recommencer quelques fois. Ils continuèrent avec plusieurs autres morceaux, jusqu'à ce que l'alarme du four sonne, et qu'ils retournent à la cuisine. John avait apporté tout le nécessaire pour dresser une table de fête, avec une nappe, des bougies et autres choses de ce genre.

- Tu as vraiment planifié tout ça, apprécia Anna.

- Ben tu sais, on n'a pas tant de loisirs en ce moment, donc… j'ai eu le temps de préparer.

- C'est charmant, sourit-elle, en apportant les deux assiettes d'entrées sur la table.

John remplit leurs verres, et leva le sien. Anna l'imita, et il suggéra :

- À une prochaine année moins pourrie ?

- J'espère bien !

Son visage s'assombrit lorsqu'elle ajouta :

- Je n'en suis pas si sûre en fait…

La main de John vint recouvrir la sienne, et il sourit :

- Au moins maintenant on est ensemble. Ce n'est pas rien.

- Tu as raison. Ce n'est pas rien.

Elle sourit aussi, et ils attaquèrent leurs assiettes.

Quand le plat principal fut terminé, John apporta le dessert, et Anna proposa :

- Si on allait s'installer sur le canapé pour regarder un film ?

- Oh, OK, tu veux regarder quoi ?

- Tu aimes les films de Noël ?

- Je ne peux pas dire que j'en aie vu beaucoup, pour être honnête.

- Tu as vu « Love Actually » ?

John réfléchit une seconde.

- Je ne crois pas. Tu l'aimes bien ?

Elle opina avec enthousiasme.

- C'est très bizarre en fait, parce que quand on y réfléchit, l'histoire est problématique à plein de niveaux, et il y a plein de bizarreries, et pourtant je ne peux pas m'empêcher de l'adorer.

- D'accord, rit John. C'est un peu bizarre en effet.

- Tu veux te faire ton opinion ?

- Pourquoi pas. Comme ça on pourra discuter ces bizarreries.

Ils déménagèrent sur le canapé avec leur verre et leur assiette à dessert,et regardèrent le film blottis l'un contre l'autre. Quand le générique de fin arriva, au son de « All I Want for Christmas is You », John se tourna vers Anna :

- OK, je vois ce que tu voulais dire. Il y a vraiment du pour et du contre. Je ne saurais même pas choisir la situation la plus improbable, tellement il y en a…

Anna rit, et ils partagèrent une conversation animée au sujet du film pendant un long moment. Puis Anna se leva et ramassa leurs verres et leurs assiettes vides pour les rapporter dans la cuisine et les mettre au lave-vaisselle. Pendant qu'elle faisait ça, John connecta discrètement son téléphone à l'enceinte Bluetooth d'Anna, et rechercha une chanson en particulier. Lorsqu'elle revint, il l'entoura de ses bras et la fit tourner en l'air, avant de murmurer :

- Est-ce que cette dame me ferait l'honneur d'une danse ?

- Danse ?, demanda-t-elle, surprise.

Les premières notes de la chanson se firent entendre, et elle rit en la reconnaissant.

- C'est la chanson originale, dit John, pas la reprise débile du film.

- J'en suis ravie, répondit Anna.

Elle mit un bras autour de son cou, pendant qu'il encerclait sa taille, et de l'autre côté, leurs mains se joignirent. Ils commencèrent a bouger doucement au son de la musique.

« I feel it in my fingers
I feel it in my toes
Love that's all around me
And so the feeling grows

It's written on the wind
It's everywhere I go, oh yes it is
So if you really love me
Come on and let it show, oh

You know I love you, I always will
My mind's made up by the way that I feel
There's no beginning, there'll be no end
'Cause on my love you can depend

I see your face before me
As I lay on my bed
I kinda get to thinking
Of all the things you said, oh yes I do

You gave your promise to me and I gave mine to you
I need someone beside me in everything I do
Oh, yes I do

You know I love you, I always will
My mind's made up by the way that I feel
There's no beginning, there'll be no end
'Cause on my love you can depend »

La tête d'Anna reposait sur la poitrine de John, et elle pouvait entendre son cœur battre contre son oreille. Alors que la chanson arrivait à son terme, elle déplaça sa main sur l'arrière de son cou, chatouillant la racine de ses cheveux, et elle l'attira doucement vers elle. Leurs lèvres se rencontrèrent, légèrement au début, mais bientôt ils intensifièrent leur baiser, et ils partagèrent leur premier « french kiss » depuis la rupture, le premier depuis toujours en dehors des instants de sexe, en réalité. Les mains de John parcoururent son dos et ses flancs, et elle gémit discrètement quand ses doigts frôlèrent le bord de son sein. Elle rompit le baiser, haletante, les yeux baissés vers le sol. Elle se lécha les lèvres, et inhala profondément, avant de relever ses yeux vers John, et de murmurer :

- Viens.

Elle attrapa sa main et l'emmena vers sa chambre. Elle ôta rapidement ses chaussures et se retourna vers lui, et saisit l'encolure de sa veste pour la retirer de ses épaules. Mais John prit ses poignets et arrêta son mouvement.

- Anna… On n'est pas obligés de faire ça. Ce n'est pas pour ça que je suis venu ce soir. Je n'attend rien de toi.

Elle sourit, et posa sa main sur sa joue, avant de chuchoter :

- Je sais. Je te fais confiance. Et ça me donne encore plus envie de le faire. Sauf si tu ne veux pas, évidemment. Je n'attends rien de toi non plus.

- Oh, j'en ai envie. J'en rêve toutes les nuits.

Anna rit de sa confession.

- Alors, ça je crois que c'est un peu trop d'information.

John rougit un peu, alors qu'elle terminait de retirer sa veste, et elle la laissa tomber au sol, avant de s'atteler à défaire les boutons de sa chemise.

- Faisons-le pour de vrai alors.

Ils parvinrent en effet très bien à oublier le monder autour d'eux dans l'heure qui suivit. Ils prirent leur temps pour redécouvrir le corps de l'autre après cette longue période de séparation. Les choses s'échauffèrent progressivement, et ils finirent par trouver l'extase ensemble, en se serrant fort, et, pour la première fois, en y mettant tout leur cœur et tous les sentiments qu'ils avaient l'un pour l'autre. Juste alors qu'elle redescendait sur Terre, Anna murmura à l'oreille de John :

- Je t'aime John.

Il se releva sur son coude, en observant son visage. Il remit une mèche de cheveux blonds égarés derrière son oreille, et demanda sérieusement :

- Tu le penses vraiment ? Ou tu dis ça, tu sais, dans le feu de l'action ? S'il te plaît, ne le dis pas si tu ne le penses pas vraiment.

Elle sourit et répondit :

- Je le pense vraiment.

Un sourire immense éclaira le visage de John, alors que ses yeux brillaient de joie.

- De toute ma vie, je n'ai jamais pensé que je serai aussi heureux que je ne le suis à cet instant, admit-il.

- Je suis assez heureuse aussi, dit-elle, en lui rendant son large sourire. Et je dois dire, faire l'amour c'est tellement meilleur que juste le sexe.

Il fronça les sourcils :

- Je croyais que tu aimais le sexe ?

- Oh, oui, ne te méprend pas, j'appréciais beaucoup, le rassura-t-elle. Mais ça c'est complètement différent. C'est un monde nouveau. Ce n'est pas que le plaisir physique, c'est comme si nos cœurs étaient connectés, et que nos âmes fusionnaient pendant quelques instants.

- C'est très joliment dit, et je suis complètement d'accord.

- Tu sais, cette soirée a surpassé de loin les attentes que j'avais. Merci de m'avoir fait cette surprise.

Il sourit et l'embrassa sur le front.

- De rien, ma chérie. Ce fut avec plaisir.

- Là tout de suite, je voudrais que cette nuit dure toujours, et que demain n'arrive jamais, dit-elle, en se blottissant dans ses bras, sous la couverture.