Chapitre 10 : A en perdre la tête

« Vous revoilà ! lança Mevanoui d'une voix traînante, dans la salle à manger du château d'Orcanie.

Oui l'Orcanie était considérée comme une terre traître au Royaume de Logres depuis qu'Arthur avait repris sa place de souverain. Depuis, le Roi Loth et la Reine Anna accueillaient les traîtres à Arthur, dont le « couple » déchu.

Lancelot s'avança devant l'âtre flamboyant, la mine sombre. Mevanoui arqua ses sourcils :

- Vous avez vu des choses intéressantes mon cher ?

- Rien qui ne vous concerne ! répliqua vivement l'ancien chevalier errant.

Un rictus se forma sur le visage de l'ancienne Reine.

- Donc, vous avez vu quelque chose qui ne vous plait pas…

La réponse de Lancelot se fit sans attendre : son poing s'éclata dans le mur de pierre le plus proche. La rage le submergeait.

- Il la tenait contre lui et elle souriait. Puis ces cris… Il a perverti son âme…

Sa femme éclata de rire :

- Arthur ? Toucher Guenièvre ?! Cette fois-ci, vous avez complétement perdu la tête…

- JE LES AI VUS ! J'AI ENTENDU SES GEMISSEMENTS ! UNE VRAIE TORTURE !

- Pas pour elle apparemment

- IL SUFFIT ! tonna Lancelot avant d'observer un moment de silence.

Ses pas résonnaient sur la pierre froide. Son esprit était imprégné d'une noirceur sans nom.

Lorsqu'Arthur lui a confié les pleins pouvoirs et qu'il fût en fuite, Lancelot pensait qu'une fois qu'il aurait retrouvé Guenièvre, tout serait limpide : c'était LA femme de sa vie.

Il aurait décroché la lune pour elle. Il était prêt à tout. Mais les choses ne se passèrent pas du tout comme prévu.

Et d'une, Mevanoui revint pleine de pouvoirs d'une magie noire ancestrale. Elle obligea l'ancien chevalier errant à la prendre pour épouse, chose qui ne le dérangea pas trop au début car elle lui apprit les plaisirs charnels, et pris en main une grosse partie du Royaume de Logres, que lui-même ne voulait pas assumer.

Et de deux, une fois Guenièvre retrouvée, il fit toutes ces choses par amour mais sa Reine lui refusa une chose : de lui donner de l'amour. Malgré les plaisirs charnels, l'ancienne Reine semblait éteinte. Il s'est dit que s'ils avaient un enfant ensemble, Guenièvre retrouverait son rôle de Reine qui lui manquait peut-être et que Mevanoui partie, tout serait magique !

Seulement, ni l'amour, ni un héritier arriva. Seulement du ressentiment, de la haine et de la force émanait de cette femme qu'il croyait fragile.

Mevanoui se sentit mainte et maintes fois en danger, au point de s'en prendre à Guenièvre physiquement, ce que Lancelot ne pût supporter. Cette dernière fût constante sur un point qui fût toujours insupportable pour l'Homme qu'il était : son amour pour Arthur.

Alors il fît installer sa belle dans les ruines du château de feu son père, le Roi Ban, par sécurité d'abord.

Puis au fur et à mesure des années, Lancelot se mura dans un idéal n'existant que dans son esprit : un idéal où sa Guenièvre se voyait charger de changer la couleur des murs de sa tour. Des après-midi à menacer des pâtissiers de faire les gâteaux préférés de sa douce.

Il semblait occulter la lascivité et le détachement de Guenièvre. Pour lui, elle était en sécurité et heureuse…et pour s'assurer qu'elle soit totalement en sécurité, Lancelot dépensa l'argent du Royaume pour traquer l'ancien Roi de Bretagne.

En son for intérieur, il savait que son ancien ami était toujours vivant et qu'il allait revenir un jour ou l'autre pour tout lui reprendre… et ce jour arriva.

Lancelot tenta de prendre les choses avec calme… jusqu'à ce qu'il entrevoit Guenièvre, sa Guenièvre avec Arthur… Lui qui ne l'aimait pas, lui qui l'avait échangé comme un sac de patates, lui qui l'avait fait cocue dans son propre lit.

Et pourtant, elle souriait, se blottissait contre ce type ! Elle gémissait des plaisirs charnels avec Lui, seulement Lui !

Un cri de de douleur et rage lui échappa et il posa son front contre la pierre fraîche.

- Que comptez-vous faire mon cher ?

- Faire couler le sang. »


En Carmélide, l'heure était aux réflexions profondes.

D'un côté, Guenièvre réfléchissait de plus en plus à la place qu'elle souhaitait occuper en son statut de Reine. Elle ne voulait plus juste s'occuper des tentures, ornements et autres joyeusetés de femme futile.

Elle voulait épauler Arthur. Elle ne savait pas encore de quelle manière, mais en tout cas, pas en brodant ou en assistant à des conseils de guerres où elle ne se sentait pas à l'aise.

Outre leurs séances un peu plus intimes où elle découvrait avec délice ce qu'Arthur lui avait longtemps refusé et ce que Lancelot lui avait forcé à ressentir Guenièvre voulait aussi un temps où elle serait dévouée à une cause plus juste comme les violences faites aux femmes du Royaume.

Mais tout ceci était seulement en projet dans sa tête. Avant tout, la Reine voulait se sentir en sécurité et voulut parler de l'idée qu'elle avait eu à son mari, qui lui, avait d'autres tourments en tête.

En effet, Arthur commençait à se sentir en vie. Bien sûr, il fallait entrainer les troupes, reconstruire Kaamelot, mais avec sa femme à ses côtés, cela devenait moins pesant.

Il appréciait les moments aussi fugaces et bons soient-ils avec sa femme… Seulement, suite à la découverte du plaisir par Guenièvre, il se faisait réveillé toutes les nuits par cette dernière qui gémissait des paroles glaçantes à destination de Lancelot.

Les premières nuits, il décida de la tenir contre lui et de la bercer doucement, ce qui arrivait à la calmer mais, la nuit dernière, sa bien-aimée avait prononcé des mots qui avaient instauré un doute glaçant dans son cœur. Il avait besoin de savoir une chose bien précise, ce qu'il fit un soir, dans leur chambre, à l'abri des quolibets.

Guenièvre venait de se coiffer pour la nuit et lui allait se dévêtir mais profita d'apercevoir le regard de sa douce et… ils s'exprimèrent ensemble :

« Au fait Arthur je voulais vous parler de quelque chose.

- J'ai besoin de savoir quelque chose Guenièvre.

Les époux se sourirent. Arthur leva une main en disant :

- Dites-moi ça.

La reine se frottait les mains, mal l'aise.

- Voilà. Je sais que vous avez fait un grand effort en m'invitant aux réunions décisives. J'apprécie vraiment votre geste…seulement… je ne me vois pas tenir un rôle important devant notre peuple. Après tout, je n'ai toujours rien capté, je suis vraiment une gourde…

Le Roi se sentit mal tout à coup. Un souvenir lui revint. Un souvenir où il traitait sa femme de gourde. Il voulut s'en excuser mais cette dernière leva la main pour le faire taire :

- C'est sûr que vous n'avez jamais été délicat avant et je ne vous en retiens aucune rancune. Oui je n'ai jamais été douée pour comprendre les enjeux se tramant à Kaamelot, et désolée pour vous, je ne vais pas l'être maintenant.

Arthur s'approcha d'elle et lui sourit :

- Comme il vous plaira. Je veux que vous soyez libre de faire ce que vous souhaitez.

- Merci mon aimé.

Le Roi adorait ces douces paroles. Elles étaient comme des élixirs l'aidant à faire taire sa dépression. Il fut sorti de sa pensée par la voix de la Reine :

- J'ai une idée à ce propos mais vous vouliez me demander quoi avant que je ne vous coupe ?

Arthur se sentit mal de nouveau car ce qu'il voulait demander n'était pas chose aisée. Guenièvre était dans l'attente d'une réponse mais son mari détourna ses yeux.

- Non laissez tomber ce n'est rien.

- Si ce n'est rien, dites toujours ?

Le Roi leva lentement ses yeux torturés vers sa femme. Celle-ci perdit son sourire. Elle savait que ça ne sentait pas bon mais il fallait qu'elle sache la question qui torturait son Roi.

- Demandez-moi ce qui vous tracasse Arthur.

Ce dernier avait du mal à poser cette question. Il lui fallut beaucoup de minutes avant de la poser, des minutes où la Reine ne dit rien, attendant.

- Lancelot a-t-il voulu un héritier de vous ?

Des souvenirs assaillirent de nouveau la belle brune qui pâlit, mais qui resta droite comme un piquet. Limite détachée.

- Oui. De toute façon, les seules fois où j'ai été enceinte, j'ai tout fait pour perdre l'enfant. D'ailleurs la dernière fois j'ai failli y passer !

La torpeur se lut dans les yeux d'Arthur. Il avait envie de vomir, de hurler à en perdre la tête, de casser tout ce qui pouvait passer entre ses mains. Guenièvre semblait lointaine, nonchalante.

- Combien de fois ?

- Quatre … Mon dieu, pourquoi je continue de vous torturer ?! N'écoutez pas mes sottises…

La voix du Roi tonna d'un coup :

- CE NE SONT PAS DES SOTTISES MERDE !

Guenièvre recula d'effroi contre la porte de la chambre. Voir son mari si énervé, si froid la terrifiait mais elle préféra monter au fer et avança en hurlant de tout son saoul :

- VOUS VOULEZ TOUT SAVOIR ?! OUI ! QUATRE FOIS ET A CHAQUE FOIS J'AVAIS ENVIE DE M'OUVRIR LES VEINES DANS UN BAIN COMME VOUS ! SURTOUT QUAND JE ME DEBARASSAIS DES PETITS QUE JE SENTAIS DANS MON VENTRE !

Cette fois-ci, c'est le Roi qui recula, choqué par ce qu'il entendait et aussi par le cran de sa femme.

- ET ENCORE, L'AUTRE CON NE M'A PLUS TOUCHER QUAND IL A COMPRIT QU'IL N'AURAIT JAMAIS D'HERITIER DE MOI ET SURTOUT DE L'AMOUR. IL AURA MIS SIX ANS POUR LE COMPRENDRE CE MALADE MENTAL, SIX ANS POUR ENFIN ME COLLER DANS UNE TOUR ET NE PLUS ME FORCER A QUOI QUE CE SOIT A PART VENIR DE TEMPS EN TEMPS POUR S'ASSURER QUE JE NE M'OTE PAS MA MISERABLE VIE !

Le silence remplit de nouveau la chambre. Un silence lourd, douloureux pour les deux époux blessés. Guenièvre se sentait mal mais se rapprocha d'Arthur. Le temps de la guérison avait sonné. Elle lui prit les mains.

- Je suis désolée de vous avoir crier dessus. Et je suis désolée pour les mots que vous venez d'entendre.

Elle prit la main de son époux et l'incita à s'assoir sur leur lit. Les mains du Roi tremblaient et Guenièvre s'aperçu que son mari pleurait silencieusement. Son cœur en prit un coup mais elle décida de montrer une once de force. Ils en avaient besoin tous les deux.

- Si vous voulez tout savoir, je respecterais ce choix Arthur. Mais je pense qu'il est temps d'avancer. Oui nous avons vécu tout deux des choses atroces. Oui cela nous hante encore. Oui nous avons eu envie tout deux d'arrêter ces choses d'une manière fatale. Mais ce qui change aujourd'hui, c'est nous.

Guenièvre sourit à son mari.

- Vous avez grimper cette tour pour moi et j'ai été chercher cette couronne de fleurs pour vous. Nous commençons enfin à apprendre à nous connaitre et à nous aimer. Il est temps de laisser le passé…

- Je vous ai entendu dans votre sommeil parler d'enfant… et je sais que Lancelot vous cherche.

La Reine arrêta sa tirade, piquée au vif par cette annonce.

- Quand on était dans les bois, j'ai entendu quelque chose et je suis sûr que c'était Lancelot.

Cette fois ci, Guenièvre se leva, agacée.

- Ah non ! Mais vous m'avez dit que c'était surement un animal ?!

- Ben j'ai menti, voilà ! Et votre père a sondé les villages alentours. Lancelot est bien vivant et il clame à qui veut l'entendre qu'il veut vous arracher à mes griffes. Mevanoui est avec lui et complote quelque chose.

- Ah parce qu'elle est toujours vivante celle-ci ?!

- Oui.

- La charogne c'est coriace ! lança froidement la Reine.

Elle jeta son regard au loin un court moment avant de reprendre la parole, scrutant le regard de son mari :

- Eh bien, qu'ils essaient de venir ici, on les affrontera ! Je m'en remets aux dieux quant à notre sort. Après tout, ils m'ont bien amené à vous.

- Non.

- Comment ça non ?!

Arthur serra les mains de sa femme et parvint à lui sourire légèrement.

- Ils m'ont donné les clés pour venir à vous. Pour une seconde chance que je compte bien saisir. Acceptez-vous de devenir ma femme de nouveau Guenièvre ? »