Le souffle lui manquait depuis longtemps déjà quand Diane décida enfin de s'asseoir pour prendre une pause. Il était navrant de constater à quel point sa condition physique s'était détériorée en l'espace de quelques années : l'ancienne poursuiveuse qui sommeillait en elle en pleurait d'impuissance. C'était pénible de voir que quelques heures de rangement et deux, trois cartons pouvaient venir à bout d'elle et de ses poumons. Peut-être la bouteille de whisky, à moitié vide, n'y était pas pour rien. Néanmoins, même si Diane avait la nausée et le souffle court, le travail était fait : le rez-de-chaussée du Manoir était vide, prêt à accueillir de potentiels futurs locataires.
L'idée lui trottait déjà dans la tête depuis un bon moment, mais l'ancienne Serdaigle n'avait jamais pu s'y résoudre. Diane avait pourtant longtemps cherché un appartement moins coûteux sur le Chemin de Traverse, appartement qui lui aurait permis de louer la maison familiale et de rentrer dans ses frais. Néanmoins, rien n'avait jamais convenu, et la jeune femme avait cessé de se voiler la face : si elle quittait un jour cette maison, c'était parce qu'elle n'aurait plus le choix. Et aujourd'hui, aussi difficile que ce fut de l'admettre, c'était le cas, alors il avait bien fallu faire du tri, et vite : elle risquait de partir très bientôt.
Cela faisait un peu moins d'une semaine que Diane était allée retrouver la professeure McGonagal au Chaudron Baveur un peu moins d'une semaine qu'elle avait accepté le poste de professeure de Potion, sous l'emprise d'une folie furieuse, très certainement. Il lui avait bien fallu quatre jours pour digérer l'information : elle avait passé ce temps dans la chambre d'hôpital d'Anna, cachant son anxiété croissante sous une considération exagérée pour sa sœur. Finalement, c'était le médicomage Dawson qui l'avait virée de l'hôpital en lui recommandant sèchement d'aller mettre ses affaires en place – de toute évidence, il avait plus qu'hâte qu'elle ne traîne plus dans ses pattes.
Le cinquième jour, Diane l'avait passé avachi dans son lit. Puis, après avoir descendu une énième fiole de potion anti-ivresse au matin du sixième jour, elle s'était mise au travail : elle avait rédigé une annonce qu'elle avait placardé un peu partout sur le Chemin de Traverse puis elle était rentrée et s'attelait depuis à ranger le rez-de-chaussée, ce qui était désormais chose faite.
Noyée dans le silence de plomb qui régnait sur la maison, Diane observait le grand salon avec des yeux vitreux, bouteille en main. Son esprit tanguait dans l'inertie ambiante, entre passé et présent. Vider cet endroit avait été plus pénible que prévu, même après trois ans. Le sofa était toujours là, de même que le fauteuil de son père et l'immense cheminée de marbre rose, le rocking-chair de sa mère… mais le tapis avait disparu. Cet immense tapis tissé qui avait coûté une fortune à ses parents, ce tapis qu'ils avaient ramené d'un de leur voyage en Egypte… Après la bataille, quand Diane et Anna étaient revenues chez elle, l'aînée avait brûlé cette chose. Elle se rappelait encore l'odeur âcre de la fumée, et celle, métallique et plus entêtante, du sang…
Diane avala son verre d'une gorgée et eu une folle envie de l'envoyer s'écraser contre le mur. Mais à quoi bon ? Du verre brisé ne lui rendrait pas ce qu'elle avait perdu ce jour-là. Aussi se contenta-t-elle d'agiter sa baguette et de quitter la pièce, une dizaine de cartons suivant ses pas hésitants en flottant doucement. Diane entassa tant bien que mal tout le bardas au premier étage, où se trouvait sa chambre et celle d'Anna il lui faudrait en bloquer l'accès quand elle partirait.
Alors qu'elle s'apprêtait à redescendre l'escalier principal qui donnait sur le grand hall, Diane s'arrêta et embrassa la pièce du regard. Le Manoir était diablement froid, comme il ne l'avait jamais été du temps où ses parents vivaient encore ici. Ses murs, qui avaient autrefois vu tant de joie, ne transpiraient plus aujourd'hui que solitude et abandon, répandant un sentiment glacé. Anna lui avait maintes fois conseillé d'aller vivre ailleurs, de demander à un de leurs amis de l'héberger, au moins un temps impossible. Malgré la terreur des premières nuits, malgré les crises d'angoisse à répétition, Diane était restée, avait continué à dormir dans sa chambre, à manger dans la cuisine. Elle s'était même forcée à passer des après-midis entiers dans le grand salon, à fixer le sol, chaque jour un peu plus saoule que le précédent.
Et maintenant, elle allait quitter tout ça. Le soulagement se disputait à la peur, et l'alcool qui parcourait son sang ne l'aidait pas à penser posément. La cloche de l'entrée non plus.
Il fallut un long moment à la jeune femme pour comprendre qu'un visiteur tentait de signaler sa présence. Quand le tintement fit enfin sens dans l'esprit de l'ancienne Serdaigle, la panique enfla brusquement en elle, la faisant reculer de plusieurs pas précipitamment, avant de la pétrifier sur place plus efficacement que le regard d'un Basilic.
Qui est-ce que ça pouvait être ? Les journalistes avaient arrêté de venir près du Manoir depuis un moment déjà. Alors qui ? Un locataire, si vite ? Si c'était le cas, elle devait aller ouvrir, c'était le but de la manœuvre après tout. Mais si c'était bel et bien un journaliste, ou un curieux comme il y en avait tant ? La simple idée de se retrouver face à un inconnu la terrorisait, dans tous les cas.
Paniquée, Diane tâta ses poches avec des mains plus tremblantes que jamais, jusqu'à sentir la forme cylindrique d'une fiole. Elle tira la potion grisâtre de son jean, en but le contenu cul-sec. La sensation d'égarement disparu, ainsi que l'hypersensibilité qui assaillait la jeune femme l'instant d'avant la peur, elle, resta, bien ancrée dans sa poitrine. D'un geste sec, elle jeta la fiole loin puis tira sa baguette d'une autre poche. Ses mains tremblaient affreusement et Diane savait qu'elle ne saurait pas se défendre correctement si c'était nécessaire.
Un nouveau tintement lui glaça le sang. La cloche semblait s'énerver, la menacer. La raison de la jeune sorcière lui hurlait d'aller ouvrir, mais la panique la paralysait sur place. Elle n'était pas prête. Diane n'était définitivement pas prête à voir de nouvelles personnes débarquer ici après si longtemps. C'était trop étrange, trop soudain. Alors elle resta là, au milieu du hall, et attendit.
Au bout d'un moment, la cloche ne retentit plus. Diane laissa passer une minute, deux minutes, à la troisième elle commença lentement à s'approcher, et elle arriva à la porte à la fin de la quatrième. Aussi silencieusement que possible, la jeune femme s'appuya contre le battant, regarda par le judas. Son cœur fit une embardée brutale quand elle vit une silhouette de l'autre côté qui, bras croisés, semblait bien décidée à attendre là que la propriétaire des lieux se décide à venir lui ouvrir.
Toujours en silence, Diane fixa plus attentivement l'intru. Il lui disait férocement quelque chose et la curiosité disputait la place à la prudence et à sa panique précédente. Ce n'était pas un de ses anciens amis, ça, Diane en était certaine : elle les aurait reconnus immédiatement. Pas un journaliste non plus, puisqu'elle n'en connaissait aucun, ni quelqu'un d'important. Mais alors, qui ?
Il fallut encore une longue minute avant que l'homme ne daigne relever la tête dans un geste d'impatience. Et alors, la lumière se fit dans l'esprit de Diane : ce visage, cet air arrogant, insupportablement fier de sa personne, ces yeux… Une colère froide enfla brusquement chez la jeune femme, prenant le pas sur tout le reste. Elle avait réouvert sa maison le matin même et voilà que cette sangsue faisait déjà son grand retour ? Il se payait sa tête ? La dernière fois qu'elle l'avait vu, elle avait dû le virer de la propriété à grand coup de sortilèges aux fesses. Diane avait installé les sortilèges le lendemain de cet accident et ne les avait plus jamais enlevés jusqu'à aujourd'hui. Cet homme avait patienté deux longues années, guettant le moment où elle baisserait sa garde pour repasser à l'attaque. Jamais la jeune femme n'avait vu créature plus ignoble : toujours là à se repaître du malheur et de la déchéance des autres…
Pitoyable. Méprisable. Et pourtant, il lui fallait faire face à ce démon : il ne quitterait pas son perron avant de l'avoir vu, c'était une certitude.
Baguette brandie, Diane entrouvrit la porte. L'odeur de musc qui la prit à la gorge lui donna envie de vomir.
- Je te donne une minute pour retraverser le domaine et transplaner loin d'ici. Passé ce délai, je tire à vue.
- Turman Compagnie perdrait ainsi son actionnaire majoritaire et s'écroulerait pour ne plus jamais se relever.
La porte claqua durement contre le mur, emportée par la rage de la jeune femme qui s'était précipitée sur l'intru. Les yeux irradiant d'une colère sans commune mesure, la baguette presque plantée dans la carotide de cette vermine, Diane avait l'air d'une folle. L'homme, au contraire, était parfaitement serein. Parce qu'il se savait dans le vrai ; il savait aussi que Diane ne prendrait pas le risque de le blesser : elle avait beau le haïr de toute ses forces, c'était grâce à lui que l'entreprise de ses parents était toujours à flots. Sans lui, Turman Compagnie ne valait plus rien. Et il adorait pouvoir lui agiter sa réussite sous le nez, même si ce n'était pas le but premier de sa visite.
- Hors de ma propriété, siffla Diane, écumante de rage.
- Quoi, déjà ? Je n'ai même pas le droit à un café ?
- Tu veux du cyanure avec ?
L'homme esquissa un sourire ironique. Au moins avait-elle toujours autant de répondant. Cependant, peu impressionné par la menace, il se contenta de repousser la baguette du bout des doigts Diane résista, mais faiblement.
- Qu'est-ce que tu me veux, Howard ? demanda-t-elle
- Entrer. Ce serait déjà un bon début, tu ne crois pas ? Oui, je sais, ma présence n'est ni requise ni appréciée, coupa-t-il lorsque Diane montra les crocs, prête à répliquer. Néanmoins… je pense que tu pourrais être intéressée par la proposition que je viens te faire.
Diane tiqua. Encore un qui voulait lui faire une proposition ? Elle avait comme la sale impression qu'elle n'allait pas apprécier celle-ci autant que celle de la directrice. A vrai dire, la jeune femme n'avait aucune envie d'entendre ce qu'Howard Colton avait à lui dire. Mais elle le connaissait suffisamment, et depuis suffisamment longtemps, pour être certaine de le voir revenir chaque jour sur ce perron jusqu'à ce qu'elle l'ait écouté. Partir à Poudlard aurait au moins ça de positif : elle n'aurait plus à faire à cette sangsue.
Cela lui coûta, mais Diane finit par baisser sa baguette. Elle se rappelait avoir admiré cet homme lorsqu'il travaillait avec ses parents, dans les débuts de leur carrière elle se rappelait aussi la déception quand son véritable visage avait fait surface lors de la chute de l'entreprise. Le faire entrer ici la répugnait, mais Diane s'écarta tout de même sans un mot, le foudroyant du regard tandis qu'il passait le pas de la porte. Elle ne referma pas le battant derrière eux : ce ne serait pas utile, il n'allait de toute façon pas s'attarder.
- Alors ? siffla la jeune femme, bras croisés, debout au milieu du hall.
Howard ne lui répondit pas, trop occupé à tout examiner autour de lui. Son regard vif analysait tout, comme cherchant une faille, un quelconque signe de faiblesse. Diane avait envie de le mettre à la porte sans plus attendre, sans écouter un mot de ce qu'il avait à dire. Il avait déjà l'entreprise de ses parents dans sa quasi-totalité, qu'est-ce qu'il voulait lui prendre de plus ?
- Eh bien… Je ne m'attendais pas à ça, je dois dire, finit-il par déclarer.
- A quoi ?
- A un manoir si bien entretenu, répondit Howard en écartant les bras, englobant l'entièreté de la pièce dans ses propos. Tu vis seule ici, n'est-ce pas ? Quel travail que de tout entretenir…
Diane fronça les sourcils, brusquement méfiante.
- Arrête de tourner autour du pot et viens-en au fait. Vite.
- Bien, bien, je tentais juste d'être courtois.
- C'est raté, et inutile, répliqua Diane. Dépêche-toi.
Avec un soupir théâtral, Howard tira sur un des pans de sa veste et sortit un papier de sa poche intérieure. Diane le reconnut presque immédiatement et eut brusquement envie de tout détruire, à commencer par ce sale traître qui se tenait devant elle.
- Avant que tu ne me sautes à la gorge, déclara Howard avec un calme impressionnant, laisse-moi m'expliquer, veux-tu ?
- Dégage de chez moi, siffla la jeune femme en réponse.
L'homme soupira, l'air navré. Il jouait si bien la comédie.
- Pas avant de t'avoir fait une offre. Sincèrement, ça pourrait t'intéresser, et même te soulager. Laisse-moi une minute et je t'explique tout. Tu pourras ensuite me jeter dehors à coup de chauve-furie si ça te chante, mais je ne partirai pas avant.
Diane hésita. Howard n'était certainement pas un duelliste accompli, mais il n'était pas non plus un sous-doué de la baguette. De plus, il était en forme, comparé à elle. Le mettre dehors par la force pourrait se retourner contre elle. Et il fallait dire ce qui était : elle n'avait pas la force de lancer un affrontement, même si elle en brûlait d'envie. Aussi, se haïssant de tant de faiblesse, la jeune femme garda le silence, donnant tacitement son accord pour écouter davantage les perfidies de ce sale rat. Un sourire éblouissant étira les lèvres d'Howard.
- Je savais que tu te montrerais raisonnable. Et crois-moi, tu le serais d'autant plus si tu acceptais ma proposition. Alors voilà… Tout ça…
Howard fit un tour sur lui-même, les bras écartés.
- … je suis prêt à te le racheter. Au montant qui te plaira.
Diane serra les poings. Elle bouillonnait de rage, d'une haine vive telle qu'elle n'en avait plus connu depuis la fin de la guerre. Une haine immédiate, qui ne réclamait que dédommagement, à grand coup de poing dans ce visage si propret qui lui faisait face et qui venait de souiller son nom par sa proposition. Mais elle resta immobile, se contentant de le haïr en silence.
- Sincèrement, je ne vois pas quelle meilleure proposition tu pourrais recevoir. Ce manoir, je suis prêt à dépenser des millions de gallions pour l'avoir. Et ça te ferait tellement de bien, pas vrai ? questionna Howard, un faux air compatissant sur le visage. Tu veux vraiment voir cet endroit souillé par des dizaines de familles qui vont venir en profiter comme d'un vulgaire pavillon de vacances ? Je veux te le racheter, Diane. Dis-moi ton prix, il sera le mien.
Plutôt crever.
- Sors de chez moi, Howard, siffla-t-elle.
- Diane…
- DÉGAGE !
Le cri avait résonné dans le grand hall vide tel un coup de fouet, perçant les tympans. Il en fallait malheureusement beaucoup plus pour terrifier la vermine, et Howard, ayant seulement reculé d'un pas, se reprit immédiatement, l'air bien moins affable qu'avant. Il la toisa un instant, puis fit quelques pas vers la porte, se rapprochant de Diane. Il s'arrêta devant elle.
- Tu es au courant, maintenant. Je ne retirerai pas ma proposition. Si jamais tu changes d'avis, tu sais où me trouver.
- Va-t-en avant que je ne t'y force.
Howard eut un petit sourire méprisant, l'air de dire « mais bien sûr », puis il se dirigea définitivement vers la sortie. Au moment de franchir le pas de la porte, il se retourna une dernière fois, la salua d'un hochement de tête, puis s'en alla, plein d'une assurance qui la révulsait.
En un instant, Diane se retrouva seule de nouveau et ce fut comme si tout ça n'avait qu'un rêve – ou plutôt, un cauchemar, aussi pénible qu'il fut court. Ce sale rat… Et dire qu'il avait été un temps l'homme de confiance de ses parents ! Enfant, Diane l'avait souvent côtoyé, ici, au Manoir. Il venait manger à la maison après le travail, avant de s'enfermer dans le bureau avec son père pour discuter de l'entreprise. Et puis, à la fin de la guerre, il avait révélé son vrai visage : voir la poule aux œufs d'or lui passer sous le nez au profit d'une gamine d'à peine vingt cinq ans, toute héritière qu'elle fut, n'avait très certainement pas dû lui plaire.
Ce qu'il ne comprenait pas, c'était qu'il n'avait jamais eu aucun droit sur l'entreprise de ses parents. Si cela n'avait pas été pour Anna, pour ces soins, et par manque de moyens, jamais Diane ne lui aurait cédé des parts de l'héritage que lui avaient laissé ses parents. Mais, incapable de reprendre la production, elle avait été obligée de céder. Elle lui avait donc vendu des parts de ses droits puis elle avait cédé d'autres parts à d'autres actionnaires. Il ne lui restait aujourd'hui qu'une misère de Turman Compagnie, et voilà que, maintenant, il voulait la dépouiller de sa maison.
- Sale chien, cracha-t-elle, seul le battant de la porte entrouverte lui répondant d'un long grincement.
Diane le haïssait sans plus avoir la force de le faire pleinement. La fatalité lui écrasait les épaules et ce fut donc voûtée sous le poids de sa propre vie qu'elle prit le chemin de la cuisine, ouvrit le placard et en tira une bouteille.
Elle préférait oublier.
