Chapitre 5
Comme à chaque fois que Caroline Forbes était de retour à Mystic Falls, l'attitude des jumelles Saltzman changeait.
Josie devenait plus calme, plus réservée, bien qu'elle le soit déjà naturellement. Le son de sa voix ne brisait plus que rarement le silence et elle n'osait pas réellement se mêler aux conversations qui l'entouraient, comme si la présence de sa mère éclipsait davantage la sienne. Et pour cause, comme toutes les fois où elle retrouvait celle qui l'avait mise au monde, Josie ne savait plus à quelle genre de personne elle allait avoir affaire car, même si Caroline restait toujours la même femme que celle qu'elle avait toujours connu, la distance qui les séparaient le reste de l'année cultivait une crainte profonde dans le cœur de l'adolescente : celle que sa mère ait changé.
Lizzie, elle, devenait irrémédiablement plus agréable, plus joviale et plus collante. Il avait suffi que Caroline fasse un pas dans le salon pour que l'adolescente blonde ne la lâche plus d'une semelle. Pour qu'elle se mette à lui raconter en long, en large, et en travers, toutes les étapes de sa vie, même si l'historienne les connaissait déjà car elle prenait toujours le temps de téléphoner à ses enfants, au minimum une fois par semaine. Et pourtant, rien de tout cela ne semblait déranger Caroline. Au contraire, toute sa joie à l'idée de retrouver ses filles atténuait sa fatigue. Lizzie aurait pu lui expliquer une centième fois de quelle manière elle s'était encore battue avec Hope que la blonde l'aurait écouté avec autant d'attention que la première fois.
Le dîner battait son plein depuis une bonne heure déjà lorsqu'enfin, Lizzie s'arrêtait de parler. Un bonheur pour les oreilles, pensait intérieurement Josie, qui avait la désagréable impression que sa tête allait exploser si elle entendait encore sa sœur expliquer une énième histoire qu'ils connaissaient tous déjà par cœur. Le brouhaha qui avait régné jusque-là lui avait donné la migraine. Tournant distraitement la soupe dans son assiette à l'aide d'une cuillère, cela faisait plusieurs minutes déjà que l'aînée des jumelles avait perdu le fil de ce qui se racontait autour de la table. Ses yeux, fixés sur son met qu'elle avait à peine goûté, s'étaient perdus dans le vague à mesure qu'elle se remémorait son dernier, et chaotique, Noël.
A sa gauche, Finch dévorait son plat de soupe et, à vrai dire, ça n'aidait pas la jeune femme à se sentir bien. Les manières brusques qu'avait sa petite-amie de manger l'avaient toujours dérangée, mais elle ne lui avait jamais rien dit pour autant. Elle préférait toujours se concentrer sur autre chose. Mais cette fois, tandis qu'elles partageaient pour la première fois un repas de fête en famille, le reste de la tablée ne semblait pas vouloir lui offrir l'opportunité de penser à autre chose.
- Josie ? L'interpella Caroline d'une voix douce. N'as-tu pas quelque chose à nous raconter, toi aussi ?
L'entente de son prénom avait fait bondir l'adolescente sur sa chaise, la ramenant ainsi brusquement à la réalité. Pendant une microseconde, son regard passait d'un visage à l'autre autour de la table. Il s'attardait rapidement sur Lizzie, avant de remonter dans celui de Hope qui la gratifiait d'un sourire encourageant, pour finalement s'ancrer dans les pupilles claires et si profondes de sa mère.
- Oh euh… non, pas vraiment, répondit-elle sur un ton volontairement évasif.
Qu'aurait-elle bien pu raconter, de toute manière ? Rien n'en valait le coup. Josie ne faisait jamais de bêtises, elle ne se prenait que rarement la tête avec quelqu'un d'autre que sa sœur et était particulièrement bonne élève. Elle ne sortait pas du pensionnat et n'allait à aucune fête, hormis celles faites au sein de l'établissement et où, honnêtement, il ne se passait jamais rien d'intéressant, selon elle. Alors non, elle n'avait réellement rien à raconter autour de cette table.
Caroline semblait deviner que son enfant ne mentait pas car ses lèvres s'étiraient d'un petit sourire rassurant, avant qu'elle ne reporte son attention sur l'adolescente qui accompagnait son aînée.
- Donc j'imagine que tu dois être la fameuse Finch, dit-elle joyeusement à son égard.
- Oui, madame.
- Oh je t'en prie, appelle-moi Caroline, la réprimanda-t-elle gentiment.
Le sourire de la blonde s'était teinté d'amusement à l'entente de cette marque de respect, qu'elle ne pensait pas mériter étant donné ses nombreuses absences.
- Je ne pensais pas voir quelqu'un l'accompagner de sitôt après le désastre de l'année dernière, avoua-t-elle de plus belle avec énormément de sincérité.
Son attention se portait alors sur Josie, qui s'était figée sur sa chaise, une expression crispée sur son visage. Elle savait pertinemment ce qui allait suivre et, au plus profond d'elle, même si elle ne cherchait pas à empêcher sa mère de prononcer ces mots, elle aurait voulu qu'ils ne soient jamais dits.
- Ça fait plaisir de te voir avec quelqu'un d'autre que Penelope. Tu as remonté la pente, c'est bien.
Seul le silence répondait à Caroline et aussitôt, son regard s'assombrissait alors que celui de Josie s'était mis à la fuir avec ferveur. Il n'en fallait pas plus à la mère de famille pour comprendre qu'elle était bien loin du compte. Finch était là, certes, mais il lui semblait désormais évident que son enfant n'avait pas oublié son ex-petite-amie comme elle s'évertuait à le faire croire.
L'évocation du prénom de cette dernière suscitait instantanément de la curiosité dans les yeux de Finch. L'adolescente ouvrait la bouche, prête à poser la seule question que Josie avait encore moins envie d'entendre que le reste.
Dans une maladresse qui ne trompait personne tant elle avait été faite exprès, Hope était venue à la rescousse de son amie. Feignant de vouloir attraper de l'eau afin de remplir son verre déjà plein, la Mikaelson avait renversé son bol de soupe sur Lizzie. Celle-ci, horrifiée d'être salie, avait bondit de sa chaise avec fureur et avait gratifié Hope d'un regard noir, tandis que celui que lui avait adressé Josie était rempli d'une reconnaissance sans fin.
- Non mais t'es vraiment une catastrophe ambulante, ma parole ! Même manger, tu n'es pas foutue de le faire correctement !
- Elizabeth ! S'écria leur père en lui faisant les gros yeux.
La colère de Lizzie redescendait aussi vite qu'elle était montée. Poussant un profond soupir, la jeune femme s'était saisie de toutes les serviettes qui traînaient sur la table pour éponger la maladresse de Hope, puis s'était rassise en pestant.
- Bon, je pense qu'il est temps que nous passions au plat de consistance, déclara Caroline en coupant court à cette mésaventure. Je vais aller le chercher dans la cuisine.
- Non, ne bougez pas, s'exclama Finch en se mettant debout avec son plus grand sourire. J'y vais.
Un éclair de surprise naquit sur le visage de Caroline, mais l'expression enjouée de la seule personne qu'elle ne connaissait pas vraiment autour de cette table suffisait à la convaincre de rester assise.
- Tout ce repas, c'est en votre honneur, ajouta l'adolescente. Vous devez profiter de cet instant en famille.
- Merci, Finch, acquiesça-t-elle.
