Chapitre 7

Josie avait été réveillée par des éclats de voix, ce matin-là. Son sommeil, toujours aussi léger que ces derniers mois, lui avait fait défaut ce jour-là. Josie s'en souvenait parfaitement et, avec le recul, si on lui posait la question désormais, elle savait que sa réponse aurait été partagée entre l'envie de revivre ce moment, et celui de l'effacer à jamais de sa mémoire.

Lorsqu'elle s'était endormie dans les bras de Finch, la veille, après avoir enfin eu le courage de se confier sur son passé, Josie avait espéré que, peut-être, cette audace lui permettrait d'aller de l'avant. Mais elle était loin d'imaginer qu'elle allait être si brusquement réveillée par la colère de sa sœur, en provenance du salon, a seulement six heures et demie du matin.

- Oh non, s'était écriée Lizzie tandis que la porte d'entrée venait de claquer, tu ne peux pas réellement être là ! Il est hors de question que tu détruises ce Noël comme tu l'as fait avec tout les autres, espèce de monstre ! Repars brûler en enfer, Satan.

Un rire avait accueilli cet esclandre. Amusé. Presque diabolique. Bien trop familier. Et le sang de Josie s'était immédiatement glacé dans ses veines alors qu'elle ouvrait précipitamment les yeux pour se concentrer sur ce qui allait suivre, incertaine.

- Moi aussi je suis ravie de te revoir, Lizzie. Est-ce que tu continues à prendre ton traitement ? Tu as l'air encore plus cinglée qu'il y a un an.

Cette voix… Josie l'aurait reconnue entre milles. Ses yeux, déjà ronds, s'ouvraient un peu plus sous le poids de la surprise tandis que son cœur cessait soudain de battre dans sa poitrine. Avait-elle rêvé ? Oui, c'était forcément cela, elle était indéniablement en train de devenir folle, elle aussi.

Toutefois, son corps, lui, ne semblait décidé à la laisser croire une chose pareille sans s'assurer de la véracité des faits. Josie avait toujours été comme ça. Elle aimait ce qui était concret. Elle avait besoin de preuve. Et c'est pourquoi, sans même qu'elle n'ait le temps de s'en rendre compte, elle avait quitté les bras chauds et rassurants de Finch pour sauter sur ses pieds et courir vers la porte entrouverte de la chambre, une douleur lancinante dans la poitrine.

- Josie ?

La voix endormie de sa petite-amie s'élevait dans la pièce, retenant la jeune Saltzman dans sa fuite, qui se figeait, le souffle court.

- Mais où est-ce que tu cours comme ça ?

Finch était éberluée. Josie n'avait même pas besoin de lui jeter un coup d'œil pour le savoir. Mais comment lui en vouloir ? Ce n'était pas tous les jours qu'elle était ainsi réveillée, elle non plus.

- Sérieusement, va-t'en, maugréa Lizzie depuis le salon. Personne ne veut de toi ici !

- Désolée, annonça Josie d'une voix perdue, je… il faut que j'aille voir ce qu'il se passe en bas.

Sans même laisser le temps à sa belle de lui répondre, l'aînée des jumelles Saltzman était sortie de la chambre et s'était précipitée dans les escaliers, seulement vêtue de son petit pyjama nullement adapté pour la fraîcheur ambiante de l'hiver. Pourtant, Josie n'avait pas froid. Ce timbre, si suave, et si renversant, qui lui était parvenu avant qu'elle ne se lève lui avait fait oublier la neige qui tombait dehors et avait réchauffé son être tout entier.

Josie n'était pas arrivée en bas de l'escalier lorsque soudain, son regard s'était posé sur elle. Incapable de faire un mouvement de plus, l'adolescente s'était figée sur l'une des marches, le regard encore plus incrédule qu'il ne l'était déjà, malgré qu'il soit automatiquement tombé dans les pupilles noisette de la nouvelle venue. Satan, résonnait la voix de Lizzie dans sa tête.

Son esprit n'en revenait pas. Et pourtant, elle était bien là. Devant Josie, se tenait la personne qu'elle avait rêvé pouvoir revoir depuis des mois. De longs et d'interminables mois de douleur et de peine. Cela ne pouvait pas être réel. Ou du moins, c'est ce que la brune s'évertuait à penser, jusqu'à ce que le visage de leur invitée ne se fende de cet éternel sourire qui l'avait toujours fait craquer. Ce même sourire, tendre et délicat, sincère, dont elle était tombée amoureuse, chaque jour, durant deux longues années.

Mais ce n'était même pas ce sourire qui avait permis à Josie de réaliser que ce n'était pas un tour mesquin que lui jouait son esprit. Non. C'était son parfum, un doux mélange sucré de lavande et d'assouplissant que Josie avait si souvent humé par le passé. Son cœur, aussi figé que l'étaient ses muscles tendus et son corps crispé, s'emballait aussitôt dans sa poitrine, en des pulsations irrégulières et si significatives.

Elle était là. Josie n'était pas en train de rêver. Et elle le savait car, même dans ses rêves les plus réalistes, les effluves de son parfum n'avaient jamais eu cette trace d'authenticité qui faisait se nouer son estomac comme il l'était à cet instant.

- Penelope…

La voix cassée, traînante, et teintée de surprise de Josie fit s'accroître le sourire présent sur les lèvres de la dénommée. Jamais quelqu'un ne lui avait autant manqué que l'aînée des enfants Saltzman. Josie n'en doutait même pas, car elle était capable de le lire dans les prunelles si expressives de son ex-petite-amie. Penelope avait toujours été un mystère pour tout le monde, hormis pour Josie, qui était bien la seule capable de lire en elle comme dans un livre ouvert.

- Salut, Jojo, déclara-t-elle avec une douceur que la brune lui avait presque oubliée, mais qui la fit frémir du plus profond de son être.

- Mais… qu'est-ce que tu fais là ?

- Elle s'en va ! S'exclama de plus belle Lizzie en s'empressant d'aller ouvrir la porte d'entrée pour lui montrer la sortie.

Le silence s'abattait entre les trois adolescentes au passé si tumultueux, ne laissant plus que le souffle d'un courant d'air frais les ramener à la réalité saisonnière. Josie frissonnait, le corps subitement glacé alors que Finch apparaissait à ses côtés après avoir pris le temps d'enfiler un gilet chaud. Le regard de cette dernière accrochait aussitôt celui de Penelope, dont le sourire se transformait en un rictus mauvais, témoignant qu'elle avait déjà compris la nature de la relation qui l'unissait à Josie.

- Tu n'es pas contente de me voir ? S'enquit-elle dans un vain espoir auprès de son ex-petite-amie.

Penelope n'obtint jamais de réponse.

Dans un geste délicat et tendre, Josie avait simplement glissé sa main dans celle de Finch et avait entrelacé leurs doigts comme elle avait eu si souvent l'habitude de le faire avec celle qui lui faisait face, une lueur douloureuse dans le regard. Avec dédain, Penelope n'avait pas pu s'empêcher de remonter le menton, ce qui lui donnait cet air hautain qu'elle avait toujours revêtu lorsqu'elle était encore à l'école Salvatore.

C'est bon, tu as vu qu'elle était passé à autre chose, tu veux bien prendre la porte maintenant ? S'agaça Lizzie, qui l'avait maintenue ouverte sur le dehors durant tout ce temps. On commence à se peler.

Le rictus qui habillait déjà les lèvres de Penelope se fit un peu plus mauvais encore. Néanmoins, durant un instant, elle avait considéré cette option. Mais elle n'avait pas fait la route jusqu'ici pour repartir aussi facilement. Dieu merci, c'était le moment exact qu'avaient choisi Alaric et Caroline pour sortir de la cuisine, un verre de lait de poule à la main et des airs contrariés sur le visage.

- Lizzie, chérie, ferme cette porte, la réprimanda le père de famille en lui faisant les gros yeux. On ne vous a pas élevées à être si désagréables.

La tête de Caroline se hochait sur ces sages paroles alors qu'un profond soupir quittait les lèvres de l'adolescente blonde, avant que la porte ne claque à nouveau, close. Et si Josie et Lizzie pensaient être au bout de leur surprise, quelle ne fût pas leur étonnement lorsque leur mère se tournait vers Penelope avec un sourire bienveillant.

- Bienvenue, Penelope. Nous sommes heureux que tu sois de retour.

L'espace d'un instant, Josie avait été persuadée que Lizzie allait répliquer. Les deux sœurs échangèrent un regard tacite, dans lequel chacune prenait connaissance des sentiments de l'autre. La blonde n'avait jamais eu besoin que son aînée lui parle pour comprendre ce qu'elle ressentait même si, la plupart du temps, elle oubliait aussi vite ce qu'elle avait réussit à lire dans ses yeux. Mais là, c'était différent. Dans les belles prunelles chocolat de Josie, toujours pleines de vie et soucieuses des responsabilités qui lui incombaient, ne régnait plus qu'un chaos sans nom. Lizzie ressentait toute la détresse de sa sœur, toute sa douleur, toute sa peur, même, comme s'il s'agissait de la sienne. Un truc de jumeaux, pensait-elle intérieurement. Et cette sensation qui la prenait déjà aux tripes ne fût que plus exacerbée lorsque, d'un coup d'œil vers les mains liés du couple, Lizzie percevait celle de Josie trembler.

De quel droit Penelope se permettait-elle de revenir ainsi dans leurs vies, dans la vie de Josie, et d'y foutre le bordel ? Pourquoi fallait-il aussi que Josie ressente toujours ses sentiments si dévastateurs et co-dépendants à l'égard de l'adolescente qui lui avait déjà fait tant de mal par le passé ? Pire, était-ce donc cela que l'on devait ressentir en tombant éperdument amoureux de quelqu'un ?

Lizzie n'avait jamais ressenti cela pour personne. Elle s'en voulait, d'ailleurs. Car alors, peut-être que si cela avait été le cas, elle aurait su quoi faire ou quoi dire pour apaiser sa jumelle, comme celle-ci parvenait toujours à le faire lorsque les rôles étaient inversés.

La plus jeune des soeurs Saltzman s'apprêtait à ouvrir une nouvelle fois la bouche, et se préparait même à devoir renvoyer Penelope en Belgique elle-même, mais elle n'eut pas l'opportunité de faire quoi que ce soit. A l'étage, une porte claquait lourdement, attirant toutes les attentions en haut de l'escalier alors que Hope, les cheveux dotés d'une drôle de couleur rousse et dans un état de colère tel qu'ils en avaient rarement étaient témoins, se précipitait déjà dans l'escaliers.

- Josie, l'interpella-t-elle avec empressement, avant de jeter un regard noir et furtif à l'égard de la seconde jumelle, il faut sérieusement qu'on parle avant que je ne tue quelqu'un.