Chapitre 10

Josie avait suivi Penelope avec un nœud dans l'estomac. En silence, les deux adolescentes marchaient côtes à côtes, leurs mains se frôlant parfois sans qu'aucune d'elles ne cherchent à se décaler, tandis qu'elles laissaient simplement leurs pas les porter dans cet endroit qu'elles chérissaient tant l'une l'autre : le vieux moulin. C'était ici qu'elles avaient le plus clair de leurs souvenirs. Ici qu'elles s'étaient embrassées pour la première fois, ici même qu'elles s'étaient rencontrées et, plus encore, c'était ici qu'elles s'étaient isolées pour perdre ensemble leur virginité, un an et demi plus tôt, peu avant que Penelope ne rompe avec Josie.

En clair, dès qu'un événement important était amené à se produire entre elles, c'était toujours au vieux moulin que cela se passait. Alors, au fond, la Saltzman n'était pas surprise que leurs pas les aient conduites jusque là pour cette discussion qui laissait présager un nouveau tournant dans leur relation. Et pour toutes ces choses, l'anxiété qui les habitaient déjà venait de grimper d'un cran.

A peine entrée dans la pièce principale qui constituait l'endroit, Penelope s'était mise à tourner sur elle-même pour détailler les lieux et un sourire franc, nostalgique, était apparu sur son visage. Rien n'avait changé, pensait-elle alors qu'elle se revoyait parfaitement ici avec Josie, quelques années plus tôt. Son cœur se gonflait à la horde de souvenirs qui s'insufflait dans son esprit, alors que Josie, elle, s'asseyait sur le vieux mais confortable canapé du moulin.

- Cet endroit m'avait manqué, confessa Penelope sur un ton sincère.

- Oh, je suis sûre que tu as bien dû en trouver un autre de ce genre en Belgique, supposa Josie, convaincue.

Un nouveau silence retombait entre elle et l'hispanique. Il ne dura que quelques secondes, le temps pour Penelope de venir s'asseoir près de Josie à son tour, mais il fut suffisant pour que l'aînée des jumelles Saltzman comprenne qu'elle s'était méprise. Il n'y avait pas deux endroits comme celui-ci sur terre. Et encore moins dans le cœur de la Park.

- Pas vraiment, non.

Josie se mordait la lèvre, mal à l'aise à cause de la soudaine proximité que lui imposait la brune qui s'était tournée vers elle de manière à lui faire face. L'espace d'un instant, l'aînée des deux jumelles avait fui le regard que lui portait Penelope. Intense et pénétrant.

Toutefois, son besoin de réponses, d'explications avait été plus fort que son malaise et Josie avait fini par plonger ses prunelles chocolat dans celle de son interlocutrice. Josie avait tellement attendu ce moment, tellement imaginé qu'un jour, peut-être, elle réussirait à recroiser le chemin de la Park et lui poserait ses innombrables questions que, maintenant qu'elle en avait enfin la possibilité, l'adolescente ne savait plus quoi dire. Tous ses scénarios semblaient être à des années lumières de la réalité.

- Pourtant tu avais l'air de te plaire dans ton nouveau pensionnat, si on en croit toutes les photos que tu as posté sur les réseaux.

Un sourire en coin, amer, étirait aussitôt les lèvres de Penelope. Bien sûr que Josie croyait cela, la brune s'était donnée du mal pour le faire paraître, même si la réalité en était tout autre. La dernière chose que Penelope avait voulu était que ses anciens camarades se rendent compte à quel point elle était malheureuse dans ce petit pays, à des millions de kilomètres de celui où résidait toutes ses attaches.

- Ouais et bien, l'habit ne fait pas le moine, on ne te l'a jamais dit ?

Un léger sourire amusé étirait les lèvres de Josie sur cette remarque pleine de sens, avant qu'il ne disparaisse aussi vite qu'il était venu, au profit de sa douleur intérieure. Même en froid, Penelope parvenait encore à la faire sourire. Josie se trouvait faible à cause de cela. Elle aurait dû être en colère, elle aurait dû avoir envie de renvoyer Penelope de là où elle venait, mais non. Tout ce qu'elle voulait réellement, c'était repartir du bon pied et entendre ce qu'elle avait à lui dire dans l'espoir que, peut-être, rien n'était encore perdu.

- Pourquoi tu es revenue ?

Un soupir s'échappait de la gorge de l'ancienne pensionnaire de l'école Salvatore tandis que ses yeux se teintaient désormais d'une lueur que Josie n'aurait jamais cru voir : le doute. Pour la première fois depuis que la Saltzman la connaissait, Penelope avait l'air fragile et peu sûre d'elle. Et cette vision, bien que particulièrement troublante, fit fondre un peu plus le cœur de la brune. Peut-être que Penelope n'était pas si inhumaine, finalement.

La jeune Park avait pris soin d'éviter de croiser les prunelles inquisitrices de celle qui faisait battre son cœur lorsque, dans un élan de courage, elle avait trouvé la force d'annoncer avec sincérité :

- La Belgique est un joli pays mais quand je suis partie, il y a une chose que j'ai oublié de prendre avec moi. Mon cœur. Lui est resté ici, à Mystic Falls. Avec toi.

- Ce n'est pas l'impression que tu as donné en t'enfuyant presque sans dire au revoir, pourtant.

Les paroles acerbes et accusatrices de Josie serrèrent le cœur de Penelope dans sa poitrine, insufflant de la douleur dans l'entièreté de sa cage thoracique. Le visage de l'hispanique se faisait aussitôt plus triste. Mais comment en vouloir à la Saltzman, après tout ? Elle avait bien le droit de lui en vouloir pour ce qu'elle avait fait.

- Je sais bien, concéda Penelope dans un hochement de tête.

Elle marquait une pause, durant laquelle son visage se remontait pour rétablir le contact visuel qu'elle avait elle-même rompu. Jamais, Penelope n'avait eu à faire quelque chose de si dur que de mettre à nu ses sentiments. Avant, c'était toujours Josie qui le faisait. Car quoi qu'on puisse en dire, Josie était définitivement la plus forte d'elles deux.

- Je sais que c'était bête mais, quand j'ai appris pour… tu sais, suggéra-t-elle, incapable de finir sa phrase tant la douleur était grande, mais elle savait parfaitement que Josie avait compris puisque celle-ci venait d'hocher furtivement la tête. J'ai pensé que si je te brisais le cœur, alors ça éviterait que tu brises le mien. J'avais juste peur, Jojo. Je voulais simplement me protéger car je savais que si tu sombrais, alors j'en serais sûrement morte, moi aussi.

Les traits durs de la Saltzman s'adoucissaient à cette annonce, bien qu'elle n'en fût pas moins amère pour autant. Penelope ne pouvait pas la blâmer pour quelque chose qu'elle n'avait pas choisi de faire, ni d'avoir. Et ce même si, au fond, Josie ressentait tout de même de la culpabilité insensée.

- Je ne t'aurais jamais brisé le cœur, Penelope, rétorqua-t-elle sincèrement en secouant la tête, alors que ses yeux se brouillaient de larmes. Je t'aimais.

- Je n'aurai jamais dû m'enfuir, avoua la Park dans un soupir. C'était stupide, mais ça semblait vraiment être une bonne idée, sur le moment. Quand mes parents m'ont annoncé qu'ils avaient étés mutés en Belgique, j'ai cru que ce serait l'occasion pour moi de régler tous mes problèmes.

Penelope marquait une nouvelle pause afin d'organiser ses idées mais, surtout, de détailler la jolie adolescente qui l'écoutait avec attention, pendue à ses paroles. Peut-être que rien n'était encore perdue, pensait alors la jeune femme en provenance de Belgique.

- Au final, ça n'a fait que m'enfoncer un peu plus. Là-bas, c'était comme si tout avait perdu de son éclat. J'ai vite compris pourquoi. Et mes parents aussi puisqu'ils ont contacté ta mère.

- Ma mère ? S'étonna Josie, éberluée.

Un petit sourire en coin étirait les lèvres de Penelope tandis qu'elle hochait simplement la tête.

- Ouais, ils ne savaient plus quoi faire pour que je redevienne comme avant.

Josie fronçait les sourcils et un profond soupir s'échappait de la gorge de Penelope.

- Quand ta mère est arrivée au pensionnat, je ne sais pas vraiment ce qui lui a pris. Elle ne m'avait jamais beaucoup aimé elle non plus et pourtant, quelque chose a changé dans son attitude lorsque je suis rentrée dans le bureau du proviseur où elle m'attendait. Peut-être qu'elle a vu à quel point j'étais devenue une épave, je ne sais pas. Peut-être qu'elle l'a senti.

Penelope haussait les épaules pour donner un peu plus de vie à son discours.

- Toujours est-il que je n'ai même pas eu besoin de lui parler réellement. Au bout de quelques minutes, elle m'a proposé de rentrer avec elle et de réintégrer l'école Salvatore. Et honnêtement, je crois que je n'avais jamais été aussi heureuse de toute ma vie, à part peut-être lorsque j'étais avec toi.

Josie restait un moment sans voix, prenant doucement pleinement conscience de toutes les informations que l'hispanique venait de lui servir sur un plateau. Et au fond, elle n'avait même pas besoin d'aller questionner sa propre mère pour savoir que Penelope n'était pas en train de lui mentir. Car même si elle ne voyait que peu souvent Caroline, Josie avait parfaitement conscience de ce que la blonde avait dû voir et ressentir en présence de Penelope. La jeune Park avait simplement dû être le parfait reflet de Josie et de l'état dans lequel celle-ci était perpétuellement depuis le départ de Penelope.

- Rappelle-moi de remercier ma mère quand je la verrai, avait-elle prononcé dans un murmure, davantage destiné à elle-même qu'à l'adolescente qui lui faisait face.

Un réel sourire, franc et sincère, étirait immédiatement les lèvres de l'hispanique, qui ne prononçait pas un mot de plus pourtant. Son regard brun tombait automatiquement dans celui de Josie, comme attiré par un aimant et son estomac se tordait aussitôt dans son ventre, à l'image parfaite de celui de la Saltzman.

Sans qu'elle ne s'en rende réellement compte, Josie avait bougé sa main et l'avait instinctivement placée sur le poignet de Penelope, provoquant des frissons le long de son échine. La peau lisse et douce de la brune sous ses doigts lui avait manqué plus qu'elle ne le pensait. Et c'était sans parler de la soudaine lueur de convoitise qui venait de percer dans les prunelles sombres de Penelope face à cette marque d'affection.

Pendant quelques secondes, elles étaient restées ainsi, le cœur battant frénétiquement dans leurs poitrines. Voilà que Josie se retrouvait, pour la deuxième fois de la journée, dans l'un de ses surprenants moments suspendus entre deux possibilités. Et la jeune Saltzman savait qu'elle aurait dû se reculer pour éviter le même type de dérapage que ce qu'elle avait vécu avec Hope. Pourtant, elle n'en avait pas eu la force.

Une puissante déception s'emparait alors de ses tripes toutes entières lorsque Penelope eût un mouvement de recul, mettant fin à toutes les possibilités. Et ce sentiment puissant, qui altérait la lueur dans les yeux de Josie, ne fût pas manqué par l'hispanique. Josie ne l'avouerait sûrement pas mais Penelope savait. Elle savait que celle-ci aurait voulu retrouver la douceur de ses lèvres dans un baiser appuyé, que seule Penelope savait lui offrir comme elle les aimait. Mais, même si l'adolescente qui venait de Belgique en mourrait aussi d'envie, pour la première fois de toute son existence, elle avait décidé d'être raisonnable : l'embrasser maintenant était sûrement la pire des idées qu'elle pouvait avoir.

A ce moment, face à tant de déroute dans le regard de celle qu'elle aimait, Penelope se faisait une promesse : si Josie voulait lui voler un baiser, alors elle devrait le faire elle-même.