Chapitre 17

Les paroles d'Alaric, mêlées à celles de Penelope, ne cessaient de se répéter en boucle dans l'esprit de Finch, désormais forcée de croire la vérité. L'adolescente avait l'impression qu'on venait de lui couper l'herbe sous le pied. Bien sûr, ce n'était pas la première fois qu'elle ressentait cela vis-à-vis de Josie, mais c'était la première fois que, vraiment, elle mesurait à quel point toute leur relation avait été basée sur un énorme mensonge.

En silence, trop occupée à penser pour ne serait-ce que parvenir à entendre ce qui se disait devant elle, Finch avait suivi Alaric et Penelope jusqu'au bureau de ce dernier et s'était laissée nonchalamment tombée sur l'un deux des fauteuils face au proviseur. La jeune femme ne savait pas vraiment dire pourquoi elle était là, à cet instant. Était-ce car elles allaient être punies pour s'être ainsi battues et avoir mis sans dessus dessous la cuisine ? Ou était-ce simplement pour pouvoir discuter plus intimement du sujet qui les contrariaient tous les trois ?

S'il s'agissait de la première hypothèse, Finch n'en avait que faire. Mais s'il s'agissait de la seconde, alors, elle avait énormément de questions à poser au père de son ex-petite-amie.

Contrairement aux deux adolescentes, Alaric, lui, n'avait pas immédiatement pris place sur son fauteuil hyper confortable de directeur, - et que Penelope lui aurait volontiers subtiliser si elle avait pu le faire -.

Dans l'atmosphère pesante qui régnait, le proviseur avait regagné le fond de son bureau, où trônait un superbe meuble rustique en bois, et sur lequel était disposé toute une multitude de bouteilles transparentes d'alcools en tout genre, sûrement plus forts les uns que les autres. Prolongeant le silence qui régnait déjà en maître dans la pièce, Alaric avait récupéré l'une des bouteilles, que Finch parvenait à voir comme étant du whisky, avant de s'en servir dans des verres.

Puis, contre toutes leurs attentes, l'homme d'une cinquantaine d'années s'était alors retourné, les trois verres dans les mains, les avaient déposés sur son grand bureau avant d'en pousser un devant chacune de ses élèves, le visage grave.

- Je ne suis pas sûr qu'il soit coutume pour un professeur d'alcooliser ses étudiants mais on dira qu'à circonstances particulières, dispositions particulières.

- Merci, s'était empressée de répondre Penelope en se servant du verre pour un vider une gorgée, sous le regard incrédule de sa camarade.

Finch ne comprenait pas comment la brune à ses côtés pouvait paraître à la fois si détachée et si contrariée par la raison qui les amenaient ici. Mais contrairement à elle, Finch n'avait fait que jeter un œil furtif sur la boisson devant elle, avant de le reporter sur son professeur qui, lui aussi, en avait profité pour descendre une gorgée de son whisky. Était-ce ça, leur façon de faire face au problème ? N'existait-il donc pas quelque chose de plus productif ?

Finch secouait vivement la tête, outrée. Elle refusait de rester assise là à attendre alors que, dans une chambre à l'étage, Josie était seule, perdant de précieuses minutes de sa vie déjà comptée.

- Alors quoi, on va juste rester ici et boire ? S'indigna-t-elle, les sourcils froncés. Ne devrions-nous pas chercher un moyen de la sauver, plutôt ?

Un mince sourire se dessinait immédiatement sur les lèvres d'Alaric. Pensait-elle donc qu'il n'avait pas tout envisagé ? Bien sûr qu'il l'avait fait. Néanmoins, il ne lui en voulait pas de se montrer ainsi rude envers eux. Finch ne savait pas aussi bien que lui, aussi bien que Penelope, ceux par quoi ils étaient déjà passés, et ce dont la brune à ses côtés avait elle-même été si souvent témoin.

- Josie est atteinte d'une maladie qu'on appelle la drépanocytose, expliqua-t-il doucement à l'intention de Finch. Est-ce que tu en as déjà entendu parler ?

L'adolescente secouait de nouveau la tête. A vrai dire, elle n'était même pas sûre d'être capable de reprononcer ce nom si on le lui demander. Alors savoir ce que c'était… Non, il était clair qu'elle n'en avait aucune idée.

- Je m'en doutais, acquiesça-t-il avec ce même petit sourire coupable.

- La drépanocytose est une maladie génétique héréditaire, se permit d'intervenir Penelope en attirant le regard des deux autres sur elle. Elle touche déforme les globules rouges, ce qui les fragilisent et les rends rigides. Elle provoque de l'anémie, des AVC et augmente le risque d'infection du sang comme la septicémie.

Pour la première fois depuis le retour de Penelope dans cette école, Finch lui avait donné l'impression de l'avoir réellement écoutée. Et pour cause, il fallut plusieurs secondes à l'adolescente avant qu'elle ne prenne la parole à son tour, après avoir longuement assimilées les paroles de sa camarade. Ce n'est qu'à ce moment-là que Finch tournait enfin la tête vers son professeur, le regard interloqué, et demandait avec hésitation :

- Si c'est génétique et héréditaire… ça veux dire que Lizzie l'a aussi ?

- Non, la rassura Alaric. Etant donné que ni sa mère ni moi, ne sommes atteints de la maladie, ça signifie que nous sommes porteurs sains. La drépanocytose affecte les chromosomes 11. Lizzie n'est pas atteinte de la maladie et il s'avère qu'elle a hérité des deux bonnes gênes codant ses chromosomes. Josie n'a pas eu cette chance, malheureusement.

Finch secouait la tête de plus belle. Pourquoi fallait-il toujours que ce soient les meilleurs qui se tapent les problèmes les plus merdiques ? Josie ne méritait pas ça. C'était égoïste, évidemment, mais Finch trouvait sincèrement que la vie avait choisi la mauvaise sœur. Contrairement à Lizzie, Josie avait toujours été si gentille, si attentionnée…

Le karma est une salope, pensait l'adolescente en serrant les dents pour ne pas le dire à voix haute.

- Qu'est-ce qu'on peut faire pour la sauver ? S'enquit-elle alors, le cœur déjà gros tandis qu'elle connaissait déjà la réponse de son proviseur, au fond d'elle-même.

Alaric échangeait un long regard plein de tristesse avec Penelope. Et à cet instant, plus que jamais auparavant, alors que son regard tombait dans celui de l'adolescente venue de Belgique, Finch la comprenait. Elle comprenait pourquoi Penelope s'était enfuie. Elle comprenait la peur que celle-ci avait dû ressentir au fin fond de son être, puisqu'elle y faisait elle-même face, aujourd'hui. Mais plus encore, pour la première fois depuis qu'elle posait ses yeux sur l'hispanique, elle ressentait une certaine admiration. Parce que malgré tout ce qu'elle avait enduré, malgré la douleur qu'elle avait dû ressentir, Penelope était revenue. Elle avait combattu sa peur, était parvenue à accepter la maladie de Josie, et était revenue se battre pour être à ses côtés.

Finch respectait ça. Plus que personne ne pourrait sûrement jamais le comprendre.

- On ne peut quasiment rien faire, déclara Penelope, la voix cassée par l'émotion alors qu'ils essayaient tous deux de retenir leurs larmes désormais. La drépanocytose est une maladie invasive, au plus le temps passe et au plus elle met l'organisme de Josie a mal. Il y a…

L'adolescente marquait une pause pour renifler.

- …des complications chroniques qui peuvent se déclarer. Et elles peuvent toucher presque tous les organes, à commencer par les reins, le foie, les poumons…

Alaric hochait la tête avant de reprendre le relais.

- Tout ce qu'on peut essayer de faire pour elle, c'est de lui rendre la vie meilleure. On fait tous très attention à sa santé, elle prend beaucoup d'antibiotiques dès qu'elle se sent mal et elle est parfois transfusée avec le sang de sa sœur lorsque c'est nécessaire, mais ça ne fait pas de miracles…

- C'est pour ça qu'elle rate parfois plusieurs jours de cours avec Lizzie, en déduisit Finch en retenant l'amertume de ses paroles.

Alaric poussait un long soupir avant d'approuver d'un signe de tête. Que pouvait-il bien faire d'autre, de toute manière ?

- La seule solution… osa Penelope avec hésitation, en croisant le regard de son directeur.

- Serait de lui trouver une greffe de moelle osseuse, termina Alaric pour elle, sans grand espoir dans la voix. Mais ce genre d'intervention est très rare et elle n'est pas sur la liste des priorités cliniques pour le moment…