Chapitre 19
- Parfois, un acte vaut milles paroles.
C'était la phrase que Josie n'avait de cesse de se répéter à voix basse, assise sur ce lit, après que sa mère soit sortie de la pièce.
Depuis plusieurs quinzaines de minutes, ou peut-être était-ce des heures, Josie scrutait chaque pant de mur de la chambre de Penelope comme s'ils détenaient les réponses qu'elle cherchait. Mais ce n'était pas le cas. Ou du moins, ça n'avait pas l'air d'être le cas, pensait-elle en retenant un soupir.
Une vague de désespoir s'emparait de l'adolescente, d'autant plus qu'elle savait que, dans le salon, tout le monde attendait qu'elle descende enfin et fasse son choix afin d'être libérés de cette situation chaotique. C'était tout ce qu'il leur manquait pour pouvoir enfin fêter correctement ce Noël : un choix. Un choix qui effacerait définitivement les ambiguïtés et qui permettrait à Josie de se tourner vers l'avenir plutôt que de ressasser le passé. Et pourtant, malgré tout ce qu'il s'était passé jusqu'à lors, malgré le cœur de Josie qui tambourinait dans sa poitrine à chaque fois qu'elle reniflait l'odeur présente dans la pièce, l'adolescente avait toujours obstinément des doutes.
En baladant davantage son regard dans la pièce, Josie finissait par comprendre pourquoi.
Dans une lenteur tellement extrême qu'il lui avait bien fallu deux bonnes minutes pour arriver au bout de ce qu'elle avait entreprit, Josie s'était levée du lit de Penelope et avait traversé la pièce, à pas feutrés, jusqu'à atteindre l'objet qui avait attiré son attention. Sur l'une des étagères, face au lit, sur laquelle trônait différents livres allant du manuel scolaire au journal intime, se tenait, à moitié caché, un cadre photo.
D'une main tremblante, Josie l'avait délogée de sa cachette et, après avoir repoussé la poussière qui y trônait de sa main libre, l'adolescente avait redécouvert les motifs familiers taillés sur le bois. Elle ne l'avait pas vu depuis près d'un an maintenant et pourtant, elle avait l'impression de l'avoir caché là hier. Avec le recul, Josie aurait même osé dire qu'il s'agissait du bien le plus précieux qu'elle possédait. Alors, certes, il ne s'agissait pas de grand-chose, mais comme à chaque fois qu'elle posait ses yeux dessus, le cœur se serrait aussi agréablement que douloureusement dans sa poitrine, et un sourire véritable venait fendre ses lèvres.
Josie se souvenait du jour où Penelope le lui avait offert comme s'il s'agissait de la veille. Il faisait froid, la neige avait commencé à recouvrir la pelouse du pensionnat et le mois de novembre touchait à sa fin. À cette époque, tout allait pour le mieux dans la vie de Josie. Elle était en parfaite santé, elle avait une petite-amie merveilleuse et sa mère était de retour en ville pour une durée indéterminée. Tout le monde était heureux.
Et c'est d'ailleurs ce que reflétait la photo qui trônait toujours au centre du cadre. Au premier plan, se dessinait le visage souriant de Josie qui, elle s'en rappelait, venait de demander à tout le monde de bien vouloir jouer le jeu pour prendre un selfie. Le bras tendu vers l'avant, l'adolescente avait alors préparé son appareil photo mais personne ne l'avait écoutée, hormis Penelope. Et pour cause, toute la petite famille était bien trop occupée à construire un bonhomme de neige juste derrière elle. Alors, l'hispanique avait posé avec Josie et s'était empressée de déposer un baiser sur la joue de celle-ci tandis qu'elle prenait la photo.
Cette même photo que la jeune Saltzman était désormais obligée de cacher loin de sa vue pour ne pas déprimer. Cette même photo qu'elle s'était maintes et maintes fois retrouvée à regarder lorsqu'elle venait d'apprendre une mauvaise nouvelle. Cette même photo qu'elle avait souvent envisagé de brûler sans y parvenir, néanmoins.
Et pourtant, c'était bel et bien en redécouvrant ce cadre, cette image figée dans le temps d'un passé heureux, que l'esprit de Josie s'était enfin éclairé de certitudes.
Prestement, Josie avait reposé le cadre sur l'étagère et s'était précipitée dans l'escalier, le cœur battant. Elle savait ce qu'elle devait faire, maintenant. Même si c'était terrifiant. Il était grand temps qu'elle arrête de se voiler la face comme elle le faisait jusqu'à présent. Après tout, comment pourrait-elle être heureuse si elle ne prenait aucun risque ?
Lorsque Josie arrivait en bas de l'escalier en bois, à l'entrée du grand salon, une sensation de déjà-vu l'envahissait. Répartis sur les différents fauteuils et canapés au centre de la pièce, l'ensemble de la petite famille l'attendait. Et ils attendaient tous la même chose. Il était indéniablement temps pour Josie de prendre sa décision. Et autant dire que tous les regards qui la scrutait soudainement ne l'aidait pas vraiment à trouver le courage d'annoncer tout haut ce qu'elle avait déjà décidé tout bas.
- Ah enfin te voilà ! S'exclama Lizzie avec réprobation. C'est bon, maintenant ? Est-ce que tu peux te dépêcher pour qu'on passe à autre chose ?
- Lizzie ! La réprimanda Caroline en lui faisant les gros yeux.
Josie aurait menti si elle avait assuré que cette remarque de la part de sa jumelle ne l'avait pas ébranlée. Toutefois, un simple échange de regard avec celle-ci lui indiquait qu'en réalité, la blonde était tout aussi anxieuse qu'elle. Et maintenant, Josie savait pourquoi : Hope.
Un petit sourire se dessinait alors sur les lèvres de la plus âgée des jumelles Saltzman. Peut-être pouvait-elle faire quelque chose pour aider sa cadette, même si celle-ci lui en voudrait sûrement ensuite.
- Hope.
L'interpellation de Josie surprenait tout le monde. De tous les prénoms qu'ils s'étaient préparés à entendre, celui de Hope était bien le dernier. Les sourcils froncés, la rousse avait plongé son regard dans celui de Josie, sous les airs tantôt déçus, tantôt estomaqués des autres. Il y avait même de la peur dans l'expression faciale de Lizzie.
- Tu es ma meilleure amie, annonça alors Josie, soulageant la plupart des faciès avoisinants, à commencer par celui de la seconde sœur Saltzman. Je sais que ce n'est pas la réponse que tu souhaitais, mais je ne peux pas te donner plus que cela. Je suis désolée.
- Je comprends, assura-t-elle avec un sourire rassurant.
Josie le lui rendait aussitôt, le cœur un peu plus allégé de savoir que la rousse ne semblait pas lui en vouloir plus que cela.
Puis, dans un mouvement raide de rotation sur elle-même, Josie s'était tournée de manière à faire face à Finch. Un doux et faible sourire attirait immédiatement les lèvres de celle-ci et, dès lors que leurs regards s'ancrèrent l'un dans l'autre, elles s'étaient comprises. Aucun mot n'avait besoin d'être prononcé.
Néanmoins, Josie avait tout de même essayé d'ouvrir la bouche, car peu importe qu'elles se soient comprises, ce n'était pas le cas des autres. Mais Finch la devançait, probablement car l'idée de se faire recaler en public ne lui plaisait pas trop, pensait l'aînée des jumelles.
- C'est bon, Jo, la rassurait-elle à son tour avec un hochement de tête. On sait tous que ton cœur ne m'a jamais vraiment appartenu.
Josie ne pouvait retenir une grimace à cette annonce. Elle s'en voulait toujours de ne pas avoir été honnête avec Finch.
Toutefois, maintenant que le plus dur était fait, Josie ne comptait pas s'éterniser davantage sur cette conversation. Effectuant une nouvelle rotation sur elle-même, elle se retrouvait enfin devant la seule fille qui avait de l'importance pour elle, ce matin-là.
Les mains moites, le souffle écourté par l'anxiété, Josie était restée quelques secondes immobiles, à sonder l'âme de Penelope qui avait rivé son joli regard sombre dans le sien. Et étrangement, pour la première fois, Josie n'y lisait pas cette éternelle lueur hautaine et sûre d'elle qui y régnait toujours. Non, tout ce qu'elle lisait dans les prunelles de Penelope, c'était un mélange d'espoir et de crainte.
Alors, lentement, Josie s'était accroupie face à l'hispanique, de manière à se retrouver à sa hauteur et, les seuls mots qui avaient réussis à franchir ses lèvres avaient été les suivants :
- Promets-moi que tu ne m'abandonneras plus jamais et que tu te battras pour moi, quoi qu'il arrive.
Il y avait une certaine vulnérabilité dans les paroles de Josie, presque murmurées. Les tripes de Penelope en furent tellement retournées, qu'elle ne put même pas lui répondre tout de suite. Mais lorsque ce fut le cas, personne n'eut la capacité de contester sa sincérité tant elle était évidente.
- Je t'en fais la promesse, Jojo. Plus jamais je ne te laisserai tomber. Jamais. Je suis là, maintenant, et je ne vais nulle part.
Un petit silence accueillait les paroles de Penelope, durant lequel Josie semblait scruter son âme à la recherche de la vérité. Et heureusement pour Penelope, ce que Josie y lisait semblait convaincant puisque, sans qu'elle ne prononce un mot de plus, l'aînée des jumelles avait scellé ses lèvres aux siennes dans un baiser tendre et significatif.
