Chapitre 22
La situation dépassait tous les scénarios inventés par les pires cauchemars de Penelope. Recroquevillée sur elle-même, les genoux repliés contre sa poitrine, entourés par ses bras et la tête enfouie en leur centre, l'adolescente se balançait frénétiquement d'avant en arrière sur sa chaise, l'air plus vulnérable qu'elle ne l'avait jamais été tandis que des larmes incontrôlées roulaient discrètement sur ses joues humides. Et pourtant, tout ça avait une saveur de déjà-vu pour la jeune Park. Plus les secondes s'écoulaient, et plus Penelope avait l'impression qu'elle était, elle-aussi, en train de mourir de l'intérieur. Pourquoi fallait-il toujours que tout s'écroule au moment où tout commençait enfin à aller pour le mieux ?
Le pire dans cette histoire était sûrement que, même si elle savait qu'elle n'y était pour rien et qu'il ne s'agissait que d'une épreuve de la vie, Penelope se sentait responsable de ce qui arrivait. Uniquement car ce n'était pas la première fois qu'elle se retrouvait ainsi, dans une salle d'attente d'hôpital, à se ronger les sangs pour la vie de l'un de ses proches. Et le constat était que, la deuxième fois faisait encore plus mal que la première.
Autour d'elle, plus rien n'existait, hormis l'horrible douleur présente dans sa poitrine qui l'empêchait de respirer correctement. Penelope aurait aussi bien pu être seule. A vrai dire, elle ne savait même pas réellement comment elle était arrivée là. Elle se souvenait vaguement d'avoir sauté dans l'ambulance dépêchée par les pompiers lorsque celle-ci était arrivée chercher Josie. Et elle se souvenait aussi furtivement d'avoir été conduite ici par les infirmiers, au même titre que le reste de la famille Saltzman lorsque l'aînée des jumelles avait été prise en charge par les médecins de l'hôpital. Mais actuellement, elle n'entendait plus Lizzie qui pleurait, blottie dans les bras rassurants de Hope. Elle n'entendait plus non plus la voix apaisante de Caroline qui, bien que rongée par l'inquiétude, essayait de tous les rassurer.
La seule chose qui l'avait sortie de son isolement de tristesse avait été la main qui s'était soudainement posée sur le haut de son dos, la forçant ainsi à redresser la tête pour en découvrir la propriétaire. Et contre toutes attentes, cette main avait été celle de Finch. L'adolescente aurait pu profiter de toute la vulnérabilité qui émanait alors de Penelope, mais non. Tout ce qu'elle avait fait, avait été de lui adresser un léger sourire, forcé étant donné les circonstances peu réjouissantes, et un regard bienveillant.
Cette action, aussi mince soit-elle, avait changé les choses entre elles. Pour la première fois depuis qu'elles se connaissaient, c'était là qu'elles avaient arrêté de se considérer comme des rivales. Elles n'étaient plus que deux âmes inquiètes pour quelqu'un qu'elles chérissaient, et tout réconfort était bon à prendre. Car si Lizzie avait Hope et si Caroline avait Alaric, elles, n'avaient personne d'autre.
- Hey, l'interpella-t-elle doucement, Josie va s'en sortir. Il faut que tu y croies.
Malgré toute la conviction que Finch avait mis dans ses paroles, ces dernières semblaient creuses aux oreilles de l'hispanique. Finch n'avait aucune idée de ce qu'elle avançait, même si sa foi n'en était que plus touchante.
- Elle est là-dedans depuis des heures, lui rappela Penelope, la voix entrecoupée de sanglots, tandis qu'elle jetait un œil vers l'horloge accrochée au mur.
- Ouais mais c'est de Josie qu'on parle. C'est la fille la plus forte que je connaisse. Elle va se battre. Mais elle va avoir besoin que tu te battes aussi.
Un soupir s'évadait des lèvres de l'adolescente venue de Belgique. Au fond, elle savait que Finch avait raison. Elle devait croire en Josie, comme elle l'avait toujours fait par le passé, même si c'était dur. Parce que si leurs places avaient été inversées, Penelope était persuadée que c'est ce que la Saltzman aurait fait pour elle. Josie n'aurait jamais perdu espoir. Jamais.
- Tu as sûrement raison, concéda-t-elle avec réserve toutefois. Mais c'est quand même plus simple à dire qu'à faire.
Le sourire de Finch s'agrandissait légèrement, prenant une furtive allure amusée.
- Ouais… je sais.
Les deux adolescentes échangèrent un long regard, découvrant pour la première fois la réelle profondeur de leurs iris et Penelope eut le courage d'esquisser un rapide sourire. Ce n'était pas grand-chose, pensait Finch, mais c'était déjà une avancée. Maintenant qu'elles n'avaient plus foncièrement envie de se sauter dessus pour s'étriper, peut-être pourraient-elles devenir autre chose. Peut-être que leur relation pourrait tendre à quelque chose comme de l'amitié, si le temps et les évènements futurs le leur permettait.
C'est alors que la porte de la salle d'attente s'ouvrait sur un homme en blouse blanche. Ses cheveux grisonnants s'accordaient parfaitement à la blancheur de sa tenue tandis qu'il tenait dans l'une de ses mains un porte document avec ce que Penelope devinait être une fiche médicale. Son regard doux se posait, tour à tour, sur chaque personne présente dans la salle d'attente et, s'ils s'étaient tous attendus à y voir se dessiner un sourire, il n'en fût rien. Son expression, bien que sympathique à première vue, demeurait grave et, l'espace d'un instant, l'hispanique avait bien cru que son cœur allait lâcher. Il n'y avait qu'une seule raison pour que cet homme soit si impassible.
- Vous devez être la famille de Josie, avança-t-il délicatement tandis que Caroline avait déjà sauté sur ses pieds pour être à sa hauteur. Je suis le docteur Hickson.
- Oui. Comment va-t-elle ?
Un petit silence lui répondait, durant lequel le médecin reprit le temps de les regarder les uns après les autres, comme s'il cherchait quelque chose, mais qu'il ne le trouvait pas. Puis, finalement, il reportait son regard sur Caroline, qu'il avait deviné être la mère de sa patiente.
- Son état est stable, annonça-t-il avec précaution, en pinçant les lèvres. Malheureusement, je crains qu'il ne se détériore rapidement si on ne lui trouve pas un donneur viable pour une greffe de moelle osseuse.
Aussitôt, les visages des trois membres de la famille Saltzman se baissèrent, au même titre que celui de Penelope, dont l'espoir durement retrouvée venait de s'échapper. Finch ne comprit pas tout de suite pourquoi, jusqu'à ce qu'elle voie le médecin relever les yeux de la fiche médicale et s'adresser de nouveau à leur petit groupe.
- Je lis ici que Josie a une sœur jumelle, se pourrait-il qu'elle puisse faire don d'un peu de moelle à sa sœur ? Les frères et sœurs sont généralement les meilleurs donneurs.
- Je ne peux pas, déclara la voix frêle et tremblante de Lizzie alors que toutes les attentions se posaient vivement sur elle. Nous avons déjà fait les tests et je suis porteuse du gène.
L'expression du professionnel de santé se décomposait à cette annonce. Voilà qui lui rendait la tâche bien plus compliquée, désormais. Dans un soupir, il se tournait lentement vers les trois autres jeunes femmes présentes dans la salle.
- Peut-être que l'une de vous le pourrait, osa-t-il dire. Bien sûr, ce n'est pas une décision à prendre à la légère mais ça pourrait sauver la vie de votre amie.
- Evidemment, s'empressa d'acquiescer Hope. Je ne sais pas pour les autres mais si je peux être compatible alors la question ne se pose pas.
- Moi aussi, renchérit aussitôt Finch avant de jeter un regard entendu à la première et de se tourner vers son ancienne ennemie, assise à ses côtés. Et je suis sûre que Penelope dira la même chose.
A peine ces mots avaient-ils été prononcés que l'hispanique déglutissait, prise d'un haut le cœur. Naturellement, toutes les paires d'yeux la scrutait, en attente de sa réponse et, bien malgré elle, aucun son ne voulait sortir de sa bouche. L'estomac retourné, le cœur douloureusement serré, une multitude de larmes refaisaient son apparition dans ses prunelles sombres et, à cet instant, Penelope aurait tout donné pour mourir, pour effacer cette atroce souffrance qui la saisissait comme si on essayait de lui arracher le cœur de la poitrine.
- Penelope ? L'interpella de nouveau Finch, les sourcils froncés à cause de son silence.
Ce fût dur, très dur, mais finalement des mots parvinrent à sortir de sa bouche, si peu audibles que les autres ne furent même pas sûrs d'avoir correctement entendu. Et pourtant, ils avaient bel et bien été prononcés, sonnant comme le glas morbide et glaçant d'une église un jour de funérailles.
- Je ne peux pas, avait-elle assuré comme si cela lui coûtait la vie. J'ai passé les tests il y a six ans et mon ADN ne me permet pas d'être donneuse.
- Il y a six ans ? Avait répété Lizzie sans prendre de pincettes. Mais tu n'étais même pas encore arrivée au pensionnat il y a six ans, tu ne pouvais pas connaître Josie.
Un interminable silence reprenait possession de la pièce, durant lequel les larmes de Penelope se remirent à couler le long de ses joues, laissant ses épaules tressauter au rythme de ses sanglots. Et alors, tous les visages se firent plus graves tandis que, doucement, les paroles de l'hispanique commençaient à prendre tout leur sens dans leurs esprits.
- Je ne la connaissais pas, confirma-t-elle tout bas.
- Quand pourrons-nous voir Josie ? Demanda aussitôt Caroline, consciente qu'il était temps pour eux de changer de sujet.
Penelope gratifiait la mère de sa petite-amie d'un regard reconnaissant, tandis qu'un sourire apparaissait enfin sur le visage du médecin.
- Vous pouvez y aller, mais pas plus de deux à la fois. Elle a besoin de se reposer. Sa crise a été particulièrement violente. Elle est dans la chambre 531.
Les visages se hochèrent, mais tous se levèrent d'un même mouvement, prêts à se rendre à la chambre de la blessée.
- Vous deux, reprit-il en se tournant vers Hope et Finch. Pouvez-vous me suivre ? Les tests ne seront pas long.
- Oui, évidemment, acquiesça la rousse.
Légèrement déçue de ne pas pouvoir voir leur amie dans l'immédiat, les deux adolescentes avaient tout de même suivi le médecin sans protester. Elles savaient bien qu'elles auraient tout le temps de la voir après, et encore plus longtemps si l'une d'elle pouvait réussir à lui sauver la vie.
Penelope, elle, s'était empressée de se diriger vers la sortie, au même titre que les trois autres membres de la famille Saltzman, tous pressés de retrouver Josie. Mais avant que l'adolescente venue de Belgique n'ait le temps de tourner dans le couloir pour se diriger vers la chambre de sa bien-aimée, une main douce à la poigne ferme s'emparait de son bras pour la retenir. Immédiatement, tournant la tête sur le côté, Penelope découvrait qu'il s'agissait de celle de Caroline, qui lui adressait un sourire léger et franc.
- Attends, la retint-elle. Est-ce que tu veux bien m'accompagner jusqu'au distributeur de boisson ? Josie a toujours aimé la soupe à la tomate de l'hôpital, je suis sûre qu'elle aimerait qu'on lui en rapporte une tasse.
Les deux femmes échangèrent un court regard, lourd de sens, avant que Penelope ne soupire, résignée. Elle n'avait aucune envie d'accompagner Caroline jusque ce fichu distributeur. Tout ce qu'elle voulait, maintenant, était de retrouver Josie et de s'assurer qu'elle allait bien. Son cœur en avait besoin, et son esprit aussi. Penelope ne serait pas tranquille tant qu'elle ne l'aurait pas vue. Néanmoins, l'adolescente savait aussi qu'elle la retrouverait. Elle ne pouvait décemment pas refuser quoi que ce soit à Caroline, d'autant plus que c'était grâce à elle si elle était là aujourd'hui. Grâce à l'engagement que la blonde avait pris auprès de ses parents, restés en Belgique.
Alors, Penelope avait simplement hoché la tête et s'était laissée emmenée jusqu'au distributeur de boisson. Pendant une bonne dizaine de minutes, aucune d'elles n'avait dit quoi que ce soit. La jeune femme de dix-huit ans s'était contentée de sécher ses larmes et Caroline, elle, s'était mise à réfléchir au meilleur moyen pour elle d'aborder le sujet dont elle voulait parler avec celle qui partageait la vie de sa fille aînée.
Finalement, ce n'était qu'une fois arrêtée devant la machine, que la voix de Caroline brisait le silence établi. Délicatement, alors qu'elle venait de mettre une pièce dans l'encoche du distributeur et d'appuyer sur le bouton de la soupe, la mère de famille avait de nouveau plongé sa main au creux de son sac et en avait ressorti un petit cadeau, fièrement emballé, et l'avait tendu à Penelope.
- J'ai pensé que tu aurais aimé le récupérer pour le lui offrir toi-même, indiqua-t-elle avec douceur. Puisqu'elle n'a pas eu le temps de l'ouvrir, tout à l'heure.
- Comment avez-vous su qu'il était de moi ? S'étonna Penelope en le récupérant avec précaution.
Le léger sourire qui trônait sur les lèvres de Caroline prenait une teinte amusée.
- Tu n'as pas arrêté de le tripoter durant tout notre voyage en avion, lui rappela-t-elle comme s'il s'agissait d'une évidence.
Le visage de Penelope se crispait et son regard retrouvait prestement le gobelet qui se remplissait de la soupe qu'elles avaient commandé.
- C'est vrai...
- Est-ce que c'est indiscret de te demander ce que c'est, au juste ?
L'hésitation traversait les traits de l'adolescente à cette demande. Puis, elle se rappelait que, de toute manière, la blonde l'aurait su si Josie avait pu l'ouvrir avant d'avoir sa crise.
- C'est une espèce de… tradition familiale, avoua-t-elle en reportant courageusement son regard sur le visage de Caroline, tout en tripotant nerveusement le cadeau dans ses mains. Mon père est indonésien et depuis des générations, chaque homme de ma famille, du côté paternel, a pour habitude d'offrir un bijou en corail d'Indonésie à la femme qu'ils veulent épouser. En général c'est une bague de fiançailles.
Penelope marquait une pause et constatait, sans grande surprise, que les sourcils de Caroline s'étaient froncés face à son explication. Ce qui fit naître un léger sourire anxieux sur les lèvres de l'adolescente, qui se dépêchait de reprendre afin de clarifier la situation :
- Ne vous en faites pas, je n'ai pas prévu de demander Josie en mariage. Pas tout de suite, du moins.
Un soupir de soulagement s'échappait aussitôt des lèvres de Caroline, bien qu'en réalité, elle n'était pas sûre d'être foncièrement contre l'idée, dans quelques années, de préférence.
- Mais dans cet esprit, j'ai voulu lui offrir un bracelet fait de pierres de corail. On dit que le corail aide à la circulation de l'énergie vitale, qu'il apporte inspiration et confiance en soi, et qu'il protège des cauchemars. J'espères juste que Josie l'aimera.
- Elle va l'adorer, lui assura Caroline en plongeant son regard au fond du sien, sincère.
