Chapitre 23
En pénétrant dans la chambre de Josie, après qu'Alaric et Lizzie en soit sortis, un immense soulagement s'était emparé de Penelope, dès lors que son regard s'était posé sur le visage fatigué de sa petite-amie. La douleur avait eu raison de la plus grande partie de ses forces, Penelope le lisait sans mal sur ses traits tirés. Il lui paraissait même que l'aînée des jumelles Saltzman avait perdu quelques kilos, comme si la maladie, en plus d'avoir eu raison de ses forces, s'était alimentée du peu de graisse que Josie avait, la rendant frêle et rachitique.
Cette vision peinait l'hispanique, toutefois, son soulagement de la voir en vie était plus grand. Josie n'allait, certes, pas très bien, mais elle était toujours là et c'était tout ce qui comptait pour Penelope, qui lui rendait aussitôt le sourire tendre que la brune lui adressait.
- Hey, l'avait salué Josie de sa voix fébrile.
- Comment est-ce que tu te sens ?
Le sourire de la Saltzman se fit un peu plus grand, plus rassurant, alors que Penelope réduisait la distance qui les séparaient pour prendre place sur la chaise, à son chevet. Immédiatement, ses mains trouvèrent celle de Josie, qui s'empressait de les lui serrer en retour.
Son regard s'attardait un instant sur les traits tirés de Penelope, détaillant ainsi son visage comme si elle risquait de ne plus le voir dans les minutes à venir. C'était la première fois que la brune voyait l'hispanique avec des poches sous les yeux, rouges d'avoir beaucoup pleuré.
- Mieux, avoua-t-elle en se redressant doucement sur son lit pour s'asseoir et reposer son dos contre le chambranle.
- On t'a ramené une soupe, déclara Caroline.
De sa main libre, Josie ne s'était pas fait prier pour se saisir du gobelet chaud que sa mère lui tendait. Elle n'aimait pas les hôpitaux, mais elle avait toujours apprécié ce breuvage à base de poudre et d'eau. Probablement car, à une époque, elle avait été amenée à en consommer beaucoup, faute de pouvoir avaler quelque chose de solide.
- Merci.
- Hope et Finch sont parties effectuer des tests avec le médecin, pour savoir si elles pourraient te faire don de moelle osseuse, continua la mère de famille.
Josie avalait la gorgée qu'elle venait de prendre et hochait la tête, l'expression subitement assombrie. Elle était touchée que ses amies tiennent suffisamment à elle pour faire un tel sacrifice, mais elle était tout aussi peinée à l'idée de le leur imposer. Elles n'auraient pas dû avoir à le faire.
- Oui, papa et Lizzie m'ont déjà mise au courant, acquiesça-t-elle dans un soupir.
Un silence tombait sur la pièce suite à cette réplique. Lourd et pesant. Morbide.
Penelope baissait le regard sur ses mains, toujours liées à celles de Josie, tandis que la malade échangeait une œillade avec sa génitrice, qui ne savait pas quoi dire de plus. Mais finalement, ce fût la voix de Penelope, emplie d'une culpabilité poignante, qui fendit l'air, brisant le silence établi.
- Je voulais y aller aussi, expliqua-t-elle avec empressement. Je voulais vraiment y aller, Jojo, mais je ne pouvais pas…
- Penelope, l'interrompit-elle en serrant ses mains au creux de la sienne, la forçant à relever le regard pour croiser le sien, tu n'as pas à te justifier.
- Si. Si, il le faut.
L'hispanique secouait vivement la tête, repoussant avec force les larmes qui piquaient ses yeux.
- Tu as le droit de savoir pourquoi j'ai eu si peur quand j'ai su que tu étais malade. Et tu as aussi le droit de savoir pourquoi je ne peux pas t'aider alors que je donnerais ma vie pour la tienne si je le pouvais.
- Penelope…
- Je devrais peut-être vous laisser, déclara Caroline dans un raclement de gorge.
Cette intervention fit tressaillir l'hispanique sur sa chaise. Elle avait totalement oublié la présence de la mère de sa petite-amie, jusqu'à ce que son regard se repose sur elle. Puis, un soupir s'évadait de sa gorge, et Penelope fit quelque chose qu'elle ne serait pas cru capable de faire jusqu'à présent. Courageusement, elle avait retenu la grande blonde qui s'échappait déjà vers la porte de sortie pour leur laisser de l'intimité.
- Non, restez, lança-t-elle en faisant naître de la surprise sur les visages des deux femmes Saltzman. Vous aussi, vous avez le droit d'être au courant. Après tout, c'est grâce à vous si je suis là aujourd'hui. C'est vous qui m'avez offert une seconde chance.
Caroline hésitait. Penelope le lisait sur son visage et dans ses profondes prunelles bleutées, qui prenaient le temps de les détailler tour à tour. Mais lorsque celles-ci tombèrent dans les iris de son enfant, la blonde décidait de rebrousser chemin et de s'asseoir sur la seconde chaise présente dans la chambre d'hôpital. Car quitte à devoir écouter celle qui deviendrait sûrement sa belle-fille un jour, elle aimait autant le faire en étant assise. Penelope était si secrète sur ses sentiments et sur sa vie, en temps normal, que cette soudaine ouverture sociale ne lui indiquait rien de bon.
- Prends ton temps, murmura Josie dans un sourire qui se voulait rassurant.
Prendre son temps ? Se répétait Penelope. Ne l'avait-elle pas déjà assez fait ? Un soupir s'échappait de sa bouche. Elle qui avait toujours mis un point d'honneur à être le plus honnête possible avec Josie, voilà qu'il était enfin temps qu'elle laisse tomber les secrets qui l'entourait encore. Et ce, même si son cœur serré la faisait déjà souffrir rien que de penser à devoir mettre des mots sur les évènements bouleversants de son passé. Ces mêmes évènements qui avaient façonnés la personne égoïste qu'elle était devenue.
- Je n'en ai jamais parlé à personne mais, lorsque j'étais enfant, j'étais très proche de ma tante, commença Penelope en essayant de masquer le trémolo dans sa voix, sans grand succès. Tellement proche que tout le monde pensait qu'il s'agissait de ma mère. Mes parents étaient si souvent en déplacements que je passais le plus clair de mon temps avec elle. C'était elle qui me conduisait à l'école, elle qui me réveillait le matin et elle qui me couchait le soir…
L'hispanique marquait un temps de pause afin d'étouffer le sanglot qui menaçait de quitter sa gorge. Elle ne voulait pas pleurer maintenant. Il fallait qu'elle continue, sinon elle savait bien qu'elle n'aurait pas la force d'aller jusqu'au bout de ses explications.
- C'était ma deuxième mère. Puis, un jour, lorsque j'avais douze ans, elle a fait une grave crise alors que nous étions toutes les deux seules à la maison. Je ne savais pas qu'elle était malade. J'étais juste paralysée dans le salon, incapable de faire quoi que ce soit pour l'aider… et heureusement, un voisin l'a entendue crier. C'est lui qui a appelé une ambulance et qui a prévenu mes parents.
Une larme solitaire, bientôt suivie par une multitude d'autres, se mit à rouler le long de la joue de Penelope, tordant l'estomac des deux Saltzman dans leurs ventres.
- Ce n'est que lorsque mes parents nous ont rejoint à l'hôpital qu'ils m'ont expliqué qu'elle était atteinte de la drépanocytose. Quand le médecin nous as dit que le seul moyen de la sauver était de trouver un donneur compatible pour un don de moelle osseuse, je les aie suppliés de me laisser l'aider car j'avais l'impression de l'avoir trahie, puisque je n'avais pas pu l'aider lors de sa crise. Alors, le médecin m'a emmené faire une batterie de tests mais il était déjà trop tard. Elle avait refait une crise dans sa chambre d'hôpital et…
La voix de Penelope se cassait et elle dû prendre une profonde inspiration pour trouver la force de continuer, sous les regards vitreux et tristes de ses deux interlocutrices.
- La maladie l'avait emportée, murmura-t-elle, la voix traînante, avant de reprendre après avoir rageusement chassé ses larmes d'un revers de la main. Je pensais que tout était fini, mais quelques heures plus tard, alors que nous étions rentrés à la maison, mes parents recevaient un appel de l'hôpital. Les tests que j'ai passés, il y a six ans, se sont révélés positifs à la maladie.
- Tu es… malade ? S'étonna Josie.
Penelope hochait furtivement la tête, un sourire crispé sur les lèvres.
- A cinquante pourcents, précisa-t-elle. Je suis comme Lizzie. Je possède un gène dormant de la drépanocytose, ce qui fait de moi une porteuse saine de la maladie.
- Oh mon dieu, Penelope, je suis tellement désolée, s'excusa sincèrement Josie.
- Maintenant, vous savez tout, déclara-t-elle en reniflant.
Sans attendre, l'aînée des jumelles Saltzman avait déposé son gobelet de soupe sur le support plat le plus proche et avait rassemblé le peu de force qui lui restait pour attirer sa bien aimée contre elle, dans une étreinte réconfortante. Mais au lieu d'avoir cet effet sur Penelope, tout ce que cela avait réussi à faire avait été de déclencher une nouvelle vague de sanglots.
Un long silence s'était alors de nouveau abattu sur la pièce, durant lequel Josie s'était contentée de la serrer contre son corps, laissant Penelope enfouir sa tête au creux de son cou et pleurer sur son épaule. Le regard de la mère croisait doucement celui de la fille et, dans un accord tacite, Caroline s'était levée sans faire de bruit, et avait quitté la pièce en prenant soin de refermer discrètement la porte derrière elle.
Glissant l'une de ses mains dans la chevelure brune, coupée au carré, de Penelope, Josie avait entrepris de lui masser le crâne dans des mouvements circulaires apaisants. Elle ne savait pas dire combien de temps elles étaient restées comme ça, blotties l'une contre l'autre, se raccrochant à la seconde comme une bouée de sauvetage, mais au bout d'un moment qui lui avait paru interminable, les pleurs de Penelope avaient cessé. Probablement était-ce car elle ne disposait plus d'assez de larmes pour pleurer, pensait Josie, sans prendre la peine de repousser la brune pour le constater. Elle avait le cœur bien trop endolori pour cela.
C'est pourquoi, doucement, elle s'était contentée de se décaler de quelques millimètres à peine, juste assez pour pouvoir glisser ses lèvres près de son oreille et déclarer, dans un murmure tendre :
- Restes avec moi cette nuit. S'il te plaît.
