Voici la Partie I ! Bonne lecture !
Partie I : Le Palais des Bains Jiyû no Tsubasa
Eren ne bougea pas.
Erwin était assis derrière son bureau, une autre personne se tenait dans le fond de la pièce. Erwin était blond, il était grand et athlétique. Ses yeux cyan sondaient Eren avec froideur sous ses épais sourcils et son sourire en coin sonnait faux. Il était calculateur.
« Alors, comment t'expliquer clairement la situation – je suppose que tu aimerais avoir des explications, non ? Tu es passé d'un monde à un autre, pour faire simple. D'Atolatonan à Afshak, en fait. Hum, autant pour passer d'Atolatonan à ici, les chemins sont courts et multiples, autant ceux en sens inverse sont restreints. Ce qui veut dire que maintenant que tu es ici, autant y rester. »
Il fit une courte pause, croisa les doigts et se pencha un peu.
« Au Palais des Bains Jinotsu*, notre credo est, plus ou moins, d'accueillir "ceux qui ont tout perdu". À titre personnel, je pense que c'est pour ça que certains originaires d'Atolatonan passent à Afshak. C'est comme ça que je définirais notre monde… "un endroit pour ceux qui ont tout perdu". »
[* contraction de mon cru de « Jiyû no Tsubasa », les Ailes de la Liberté. J'espère que ça ne veut rien dire de particulier en japonais^^]
Il s'interrompit une seconde fois et scruta, l'air pensif, l'adolescent qui lui faisait face. Eren se demanda s'il était si transparent que cela – il y avait une question qui l'interpelait depuis tout à l'heure et il attendait juste qu'Erwin eût fini de parler pour la poser.
« Je me demandais…, commença-t-il. Concrètement, où sommes-nous ? Où se trouve Afshak ? Je n'en ai jamais entendu parler. »
À vrai dire, Eren se demandait un peu s'il ne délirait pas. Ou peut-être était-il mort ? Était-ce cela, le paradis ? Il n'avait pas pu échapper à une horde de Titans primaires enragés. Et encore moins espérer tomber sur cet étrange endroit.
« Je ne vais pas entrer dans les détails, mais disons qu'Afshak est un autre monde, plus ou moins situé entre Atolatonan et le monde des kami. Si tu veux, Afshak est plutôt la demeure des yôkai – j'en suis un moi-même. »
Il marqua une pause puis reprit :
« Originellement, nous ne sommes pas censés accueillir d'Atolatoniens ici, mais, pour ceux comme toi qui n'ont nulle part ailleurs où aller, j'ai obtenu une autorisation. Je suis bien sûr informé de ce qui se passe à Atolatonan, c'est pourquoi j'ai posé des limites ; les Mahrs et les Hurons ne sont pas autorisés à rester. De toute façon, puisqu'ils n'ont aucun mana, ils se transforment en ombres, celles qui peuplent la Ville Fantôme. »
Il lâcha un discret soupir.
« Je pense avoir fait le tour des points qui nécessitaient des précisions. As-tu des questions ?»
Eren ne bougeait toujours pas. Il fixait un point au sol, approximativement proche du bureau d'Erwin, et il releva la tête. Son esprit était confus, engourdi par des pensées sombres, parasité, mais il se força à répondre :
« Non… C'est bon. Merci. »
– Bien, sourit Erwin. Dans ce cas, tu peux disposer. Han t'expliquera tout.»
L'homme (ou la femme) adossé au mur dans le fond de la pièce se redressa, et Eren le suivit alors qu'il quittait les lieux.
La porte du bureau d'Erwin se referma sur eux.
Désormais, il s'appelait Ren. C'était mentionné dans le contrat d'Erwin, "Ton nom te sera pris, et tu garderas celui que le maître des lieux – Erwin Smith – t'aura attribué." À présent, c'était Ren, et plus Eren. Le jeune homme ne comprenait pas l'utilité de dérober un nom, mais il n'avait rien dit – il s'en fichait un peu. Il avait laissé couler, simplement.
Il marchait à présent dans les couloirs de l'étage de résidence d'Erwin, aux côtés de Han, un brun – ou une brune ? – aux lunettes ovales et au regard fou. Ils regagneraient rapidement l'ascenseur, avait dit Han, puis ils visiteraient en priorité les quartiers résidentiels du personnel, à la recherche de vêtements plus adaptés pour le travail demandé au Jinotsu.
« Tu es bien silencieux, dis-moi », fit soudain Han, sans doute pour meubler le silence.
Ren ne dit mot. Il se sentait éteint. Fatigué. Il avait vu des choses horribles aujourd'hui, des choses que, pensait-il, il ne lui arriverait jamais. Toutes ces images sanglantes défilaient encore et toujours devant ses yeux. Pouvait-il les oublier ? Tout allait trop vite et il ne pouvait s'empêcher de douter. Il fronça les sourcils, perdu.
« N'en viens pas à regretter ton choix, moi, je pense que tu as bien fait de venir ici, lui dit doucement Han, qui devait sentir le malaise et l'état intérieur du plus jeune.
– Qu'est-ce qui vous fait dire ça ? demanda Ren, peu assuré – d'ailleurs, cela s'entendait dans sa voix, il préférait vouvoyer l'étrange personnage.
– Personne ne te fera de mal, ici… En tout cas, tu peux compter sur moi pour te protéger si quelqu'un te cherche des noises ! » assura presque joyeusement Han.
Ren n'eut rien à y répondre car l'ascenseur venait d'arriver. Han l'invita à y entrer, puis le suivit.
« Bon, nous allons au quatrième étage. Plan rapide du bâtiment ! Le Jinotsu est composé de huit étages. Tout en haut, ce sont les quartiers d'Erwin. Juste en dessous, et à l'étage encore en dessous – celui où nous allons –, ce sont les quartiers du personnel, avec chambres, bains, salles de restauration. C'est moins chic que les étages réservés aux clients, mais c'est confortable quand même. Les trois étages en dessous sont respectivement dédiés aux salles de restauration, aux salons de détente, aux bains individuels ou communs. Ensuite, on a deux sous-sols, qui servent de garde-manger, ainsi que la salle de chaufferie », exposa rapidement Han, tandis que l'ascenseur filait.
Ren l'écoutait sans mot dire.
« La priorité pour le moment, ce serait de trouver des vêtements plus adéquats, bien que tu ne sois pour l'instant qu'observateur. Tu imagines, quels monstres on serait si on te laissait travailler dès le premier jour ! Comme il y a plus de yôkai que d'originaires d'Atolatonan ici, on nous – puisque j'en fais partie –, on nous compte sur les doigts de la main et nous formons l'escouade Han ! Tu resteras avec nous, on t'intègre à l'équipe. On travaille dans des domaines différents avec lesquels tu vas te familiariser. Comme ça, d'ici une semaine ou deux, tu pourras me dire quel domaine te tente le plus pour te spécialiser dedans. Pigé ? »
Ren hocha affirmativement la tête, bien qu'un peu étourdi par le flot de paroles de l'autre, tandis que la porte de l'ascenseur s'ouvrait sur un couloir. Le jeune homme n'était pas contre changer de vêtements. Sa tunique beige était devenue grise, ses chaussures étaient en piètre état, et son bas n'en menait pas large non plus. Pour ce qui était de domaines et de travail… Il verrait en temps et en heure. Han partit devant, sans même vérifier si l'adolescent suivait. Ren, voyant la couette brune de l'autre se balancer vivement au rythme de ses foulées rapides, courut pour la rattraper.
« Au fait, Han, dit-il.
– Oui ? répondit l'autre en se tournant vers lui, une expression étrange de dérangé mental sur le visage, soudainement en extase que le jeune homme se mît à lui parler.
– Euh, vous êtes de quel peuple, vous ?
– Ah, ça ! Tutoie-moi, je te prie, nous sommes entre amis – je suis Huron, mais qu'est-ce que je rêverais d'être Eldien !
– … Pourquoi ?
– Pour les TITANS ! »
La joie illuminait le visage de Han, qui avait même hurlé le dernier mot – heureusement que les couloirs des dortoirs étaient déserts à cette heure… Le Huron sembla se calmer en voyant la mine de Ren.
« Oh, désolé… C'est vrai que tu viens de réchapper à une attaque de Titans primaires…
– Non, non, ne vous – t'inquiète pas pour moi, je vais m'en remettre ! Si je reste bloqué sur ça et que je suis incapable de faire le deuil, je ne pourrais plus avancer ! » fit Ren en secouant la tête de droite à gauche, fronçant durement les sourcils pour refouler ses larmes qui menaçaient de couler, son visage figé dans une expression de colère et de détermination, le fond malgré tout teinté de tristesse.
Il baissa la tête et se mordilla la lèvre inférieure, fort. Han l'observa sans mot dire – peut-être ne savait-il que faire pour l'aider ? Puis le Creek se redressa, soupira longuement et ses lèvres tremblèrent alors qu'il esquissait un sourire forcé. Il tenta de reprendre :
« Ah, et j'aurai une autre question…
– Quoi donc ? demanda Han, de nouveau réceptif.
– Euh, tu es un homme ou une femme ? interrogea Ren, tout à coup timide, en affichant une moue confuse, tête penchée et yeux pensifs.
– Ah, mystère. Peut-être suis-je un homme, peut-être suis-je une femme, mais tu n'en sauras jamais rien.
– Pourquoi ?
– En tant que Huron, je n'ai aucun mana. Il me faut bien une particularité, à moi aussi », répondit gaiement Han.
Puis il poursuivit, tout aussi joyeux :
« Oui, donc, quand tu parles de moi, tu peux dire "il", "lui"… Je suis peut-être un homme, peut-être une femme, mais en attendant l'invention miracle d'un pronom mixte, utilise un genre et puis c'est tout*. Tu captes le principe ?
– Oui, oui…», dit Ren en hochant la tête.
[* Chez nous, il existe bien sûr le pronom iel, mais je pars du principe qu'il n'existe pas sur Atolatonan, et donc par conséquent à Afshak (comme ils sont une civilisation un peu en retard par rapport à la nôtre). 'Fin voilà, j'me sentais obligée de le préciser.]
Décidément, Han était un drôle de personnage. L'adolescent espérait secrètement qu'ils ne fussent pas tous comme ça dans cet endroit.
Han et lui, après plusieurs bifurcations dans un dédale de couloirs, parvinrent devant des portes coulissantes closes. Ren observa un peu son environnement, ce qu'il n'avait pas fait auparavant, et il constata surtout que tout était en bois.
« Je n'avais pas vraiment remarqué avant, mais ce bâtiment est d'inspiration lakota ? fit-il, interrogateur.
– Hé oui. T'as l'œil, dis-moi, mon petit Ren, répondit Han avec un sourire, tout en remontant ses lunettes sur son nez.
– Je ne suis pas si petit que ça…, marmonna Ren en feignant de bouder.
– Sûr, moins qu'une personne de mon entourage, en tout cas…, dit malicieusement Han. Bon, allons-y. Devant toi, tu as le dortoir de l'escouade Han ! On est six à dormir dedans, c'est petit, donc on se marche un peu dessus, mais je pense qu'on a de la place pour une septième personne », annonça le Huron.
Ren hocha une nouvelle fois la tête de haut en bas, et suivit Han lorsque celui-ci poussa le battant de droite. Comme l'avait dit le brun, "on se marchait un peu dessus" dans ce dortoir. Les lits étaient à même le sol, comme le faisaient les Lakotas, et il y avait peu de place pour circuler entre deux couchettes. Ren se demanda béatement s'il aurait vraiment l'espace suffisant pour installer un lit supplémentaire (qui lui serait destiné) au milieu de tout ce bazar.
« Mais ils sont pas croyables ! J'leur avais dit de ranger les lits quand ils se levaient ! Tu m'étonnes que les placards soient vides, si on range plus les choses là où elles doivent aller ! pesta Han tout en progressant dans la pièce. Bon, Ren, ne reste pas à l'entrée, viens voir ! » appela-t-il ensuite.
Le garçon sursauta, étonné que l'on s'adressât à lui soudainement, puis obéit. Han le regarda, pensif.
« Tu fais quelle taille, à peu près ? demanda-t-il.
– Euh. Je dirais, un mètre soixante-dix ? estima Ren, dubitatif.
– Ah, en fait, tu fais la même taille que moi ! » s'exclama Han en passant sa main au-dessus de sa tête et de celle du Creek, en face de lui, pour mesurer approximativement la différence.
Il se tourna ensuite vers le placard devant lui, et farfouilla dedans, à la recherche, certainement, d'un vêtement du même genre que le sien une tunique blanche, par-dessus laquelle il mettait un tablier vert décoré du symbole du Jinotsu (deux ailes, une bleue sombre et une blanche, qui se croisaient), et un bas vert également, qui laissait les chevilles apparentes.
« Tiens, enfile-moi ça, c'est à ta taille normalement, fit Han en tendant quelques habits à Ren, le nez encore plongé dans le placard.
– Merci, mais… Euh… Tu pourrais te tourner pendant que je les mets ? » demanda timidement Ren en saisissant les vêtements.
Han se tourna vers lui, et le considéra un instant, une expression étrange sur le visage, à mi-chemin entre le "tu me donnes un ordre" incrédule, et le "en quoi c'est gênant que je te regarde ?". Puis il haussa les épaules et se détourna de l'autre côté.
Ren se débarrassa vite fait de ses vieux vêtements usés, avant d'enfiler en quatrième vitesse ceux propres que Han lui avait donné.
« Ah, et aussi, commença Han, qui fixait toujours le mur face à lui, chez nous, c'est pieds nus et cheveux attachés. »
Ren lui répondit d'un bref « d'accord », avant de retirer ses chaussures abîmées et de prendre l'élastique autour de son poignet pour nouer ses cheveux longs, qui lui parvenaient alors jusqu'au bas de la nuque.
« Han ? J'en fais quoi, maintenant, de mes anciens habits ? » demanda Ren.
À ces mots, le Huron se retourna vers lui, heureux qu'il eût fini de se changer, et répondit :
« Tu peux les poser dans le placard du bout, là-bas. Il est vide, vu que personne ne range ses draps… J'irai les mettre à laver quand j'y penserai. Ou tu pourras t'en charger toi-même. En attendant, laisse-les là. »
Ren obéit tandis que Han retournait à un des placards, pour en sortir des draps propres, bleu pâle avec, pour motif, des sortes de petits mille-pattes blancs.
Ren, qui avait posé ses affaires là où Han le lui avait indiqué, fit la moue en voyant ce qui allait être ses draps.
« Oh, allez, ne fais pas cette tête, ce sont les draps du Jinotsu, on y peut rien… Regarde donc autour de toi, ils ont tous des motifs bizarres », dit Han en apercevant l'expression faciale du plus jeune.
Avec un temps de retard, Ren regarda la pièce dans son ensemble. Effectivement, tous les draps avaient des motifs particuliers : celui aux pieds du Creek était bleu nuit, avec pour motif, des petits cercles dans lesquels trois épées se croisaient de manière à former un triangle ; l'autre à côté, entièrement vert, couvert de centaines de minuscules blasons du Jinotsu ; un autre plus loin, avec des aigles dessus – c'était d'ailleurs le plus beau à ses yeux, décida Ren ; celui tout au fond, bleu couvert de petits grimoires marrons ; un autre, noir uni, et un dernier, orange pétant. Le moins que l'on pût dire, c'était qu'Erwin avait bien dû s'embêter, pour trouver des draps différents pour chaque membre de son personnel – à moins que ça ne fût pas lui qui se chargeât de ça, mais, sur le coup, Ren se disait que ce devait être lui.
Han, ayant fini d'étendre le lit de Ren comme il le pouvait, lança :
« Allez, maintenant, il faut te présenter à l'équipe ! »
Ren se tourna vers lui et hocha la tête, avant de le suivre hors de la pièce.
« Alors, commença Han tandis qu'ils progressaient dans le couloir, en direction (à nouveau) de l'ascenseur, l'escouade Han officie dans plusieurs domaines. On gère la réception, le nettoyage, un peu la cuisine aussi, et… c'est tout. Enfin, dit comme ça, ça a l'air très sélectif, mais c'est varié. En plus, on est pratiquement les seuls à avoir des congés, glissa Han, soudain fier.
– C'est-à-dire ? Les autres n'ont pas de congés ? Ils ne travaillent que dans un domaine en particulier ? demanda Ren, curieux (surtout parce que, si lui aussi pouvait avoir des congés, ce ne serait pas de refus).
– Alors, comme je t'ai dit, non, les autres n'ont pas de congés, ou alors, seulement pendant les périodes de fermeture du Jinotsu, qui n'arrivent que rarement, et oui, ils ne travaillent que dans un domaine en particulier. Comment ça se fait que nous, on ne fait pas ça ? En fait, c'est parce qu'on est un peu les bouche-trous d'Erwin, en plus de compter dans nos rangs plusieurs acharnés du travail. Donc il ne fait appel à nous qu'en cas de grande nécessité, et le travail est toujours d'une qualité impeccable », expliqua Han.
Ren l'écoutait, fasciné.
« Mais si vous ne travaillez pas, comment se fait-il que nous n'ayons vu personne, dans le dortoir, tout à l'heure ? fit-il.
– Ça, c'est parce qu'on a repris il y a deux jours… »
Han semblait presque déprimé.
« Et toi, tu ne m'as pas dit dans quel domaine tu travaillais. Tu fais comme les membres de ton équipe, tu es multi-tâches ? demanda Ren.
– Haha, ouais, on peut dire ça !…, rigola Han. Je me spécialise plutôt dans la recherche.
– C'est-à-dire ?
– J'ai un labo, en bas, et je fais des recherches.
– Sur ?
– Les peuples magiques, je trouve ça passionnant ! Dis, Ren, tu veux que je te parle de mes récentes découvertes sur les Cocopas ? Eh bien, il s'avère que j'ai une bonne piste pour prouver que leur taille est bien due à une présence excessive de mana dans leur sang et que par conséquent cela signifie que-… Oh, on est arrivé. Dommage… »
Ren ne dit rien, mais il était plutôt soulagé que Han se fût tu. Il n'était pas sûr d'avoir suivi le cheminement de ses pensées scientifiques. Il sortit en suivant le Huron lorsque les portes de l'ascenseur s'ouvrirent, parvenu au premier étage. Une pancarte, à côté de la porte, indiquait : "Salons de détente".
« À quoi est dédié cet étage ? » demanda le Creek, qui n'avait pas vu ladite pancarte, occupé plutôt par le long couloir qui s'étendait face à lui.
Han se tourna vers l'adolescent et dit :
« Euh… Comme indiqué sur le panneau, aux salons de détente – je n'y vais pas souvent mais ce sont plus ou moins les salles de massage, de jeux, ce genre de choses… Ah, ce que je peux te préciser, par contre, c'est qu'on a un système de changement de pièces régulier, ce qui veut dire qu'il y en a souvent quelques unes qui sont inoccupées le temps qu'on les nettoie… Généralement, Erwin demande au personnel disponible de s'en charger mais comme aujourd'hui, personne n'est disponible, c'est la faction nettoyage de l'escouade Han qui s'y colle. C'est d'ailleurs elle que nous allons voir… »
Ren le suivit donc à travers de nouveau couloirs, lorsque Han s'exclama finalement :
« Ah, nous sommes arrivés à destination ! »
Ren observa le lieu avec intérêt. C'était une grande pièce, tout en bois à nouveau, entièrement dépourvue de mobilier. Il y avait bien deux personnes présentes dans cette pièce et Ren ne put s'empêcher de noter leur façon singulière (mais qui semblait néanmoins efficace) de passer la serpillière – ou, du moins, le linge humide qui y ressemblait. Les deux travailleurs parcouraient la salle de long en large, à quatre pattes tandis que leurs jambes poussaient et les faisaient avancer, et que leurs mains étaient fermement posées sur la serpillière.
« Ohé, Vaï, Kasa ! » les appela Han, les mains en porte-voix de part et d'autre de sa bouche.
Les deux interpellés relevèrent la tête et s'approchèrent de lui.
« Qu'est-ce que tu veux encore, binoclard ? » demanda le garçon en croisant les bras sur son torse.
Ren l'observa. Il était petit, tout du moins ce fut ce qui frappa en premier le jeune homme en le voyant. Ses cheveux d'un noir de jais étaient lisses et propres, courts, parsemés de discrets reflets bleutés. Ses yeux étaient mi-clos, ils avaient une étrange couleur bleu acier – envoûtant. Sa peau était pâle ; ses traits marqués et l'on devinait, malgré sa petitesse, une carrure imposante sous ses vêtements. Ren se surprit à s'y attarder un peu plus longtemps que recommandé, et il détourna prestement les yeux, effrayé à l'idée que quelqu'un – voire même ce Lakota (ce devait en être un au vu de ses oreilles pendantes et des longs bijoux qui les décoraient) – l'eût vu.
Il remarqua ensuite la jeune fille à côté de lui. Elle était grande, ses cheveux, de la même couleur que ceux de l'autre, étaient noués en queue-de-cheval. Elle affichait le même air neutre, presque méfiant, que le Lakota (Ren supposa qu'elle en était une elle aussi), mais ses yeux étaient noirs, sans aucun reflet. Elle arborait une fine et courte cicatrice sur sa pommette droite, sous son œil.
« Je vous présente le nouveau membre de l'escouade Han : Ren ! s'exclama Han, et le Creek se recentra sur ce qui se passait. Ren, voici Vaï et Kasa, ce sont des Lakotas et ils se chargent principalement de tout ce qui est ménage et propreté, même s'ils aident aussi à entretenir les bains », présenta Han.
Ren hocha la tête, Vaï soupira, blasé, et Kasa ne bougea pas. Et Han se pencha pour souffler à Ren :
« Et, tu vois, Vaï est un Lakota mais je pense qu'un truc a merdé dans son hérédité, parce qu'on sait tous que les Lakotas sont grands, n'est-ce pas ?
– Tu sais que je t'entends et que tu vas te prendre mon pied dans la tronche, Han ?
– Et aussi, il est horriblement grossier, ne prends pas exemple sur lui, moi je te le dis ! »
Ren, ne sachant trop quoi faire, hocha simplement la tête, et Vaï lâcha un "tss" agacé.
« Il va dormir avec nous ? demanda Kasa, agacée que les bagarres verbales entre Han et Vaï reprissent.
– Ren ? Oui, son lit est même déjà installé, répondit Han. Il sera en observation les deux ou trois premiers jours, puis il passera à la pratique avant la fin de la semaine.»
Kasa hocha la tête d'un air entendu.
« Bien, compte sur nous, dit-elle.
– Et en quel honneur on devrait t'obéir ? grommela Vaï.
– Parce que c'est moi le chef, méchant Nain », fit Han en lui tirant la langue comme le gamin qu'il était sûrement au fond.
Et avant que Vaï eût le temps de répliquer, entamant une nouvelle guerre, Han se sauva en emportant Ren avec lui.
« Vite, Ren, fuyons la colère du roi des Minus ! » s'écria le Huron en parcourant les couloirs jusqu'à l'ascenseur avec vélocité.
Il se faufila dans la cabine, le Creek à sa suite.
« Maintenant, on va au rez-de-chaussée, mais sois discret, Ren, car nous sommes en service à cette heure, et ça doit être blindé de monde ! » déclara Han alors que l'ascenseur descendait.
Le trajet fut de courte durée, et la porte s'ouvrit sur un petit couloir menant à un grand hall, d'où parvenaient des éclats de voix. Han fit signe à Ren de le suivre alors que la foule, dense, les cernait de toutes parts. Ils longèrent les murs et Han jeta des coups d'œil répétés partout autour de lui. Ils parvinrent à atteindre un couloir, bien moins peuplé, où, à une intersection de deux autres couloirs, se trouvait un garçon blond, dont les cheveux longs étaient noués en queue-de-cheval (à croire que tous avaient les cheveux longs ici). Attablé à une sorte de petit stand, il tendait des plaquettes noires à des employés (Ren se dit que c'en était) qui venaient le voir.
Si Han fut surpris de le voir en cet endroit, il n'en montra rien.
Levant un instant ses yeux azurés, le garçon aperçut le Huron et Ren. Le brun, remarquant que le blondinet était désormais disponible, partit le voir.
« Ren, voici Min, essentiellement à la réception. Il est Eldien. Min, voici Ren, le nouvel employé, il rejoint notre équipe. Il est Creek », présenta Han.
Le dénommé Min fit le tour du comptoir et partit serrer la main de Ren. Celui-ci y répondit, un peu récitent au début, mais le sourire angélique que le blond lui lança abolit ses craintes.
« Oh, oui, c'est vrai que ce n'est peut-être pas une très bonne idée de te présenter à des Eldiens trop tôt… », marmonna Han.
Ren se tourna vers lui, et Min demanda ingénument :
« Pourquoi donc ?
– Ren vient de réchapper à une attaque de Titans primaires, et tout son village a été décimé…, murmura Han, nerveux, en se mordillant anxieusement la lèvre inférieure.
– Oh ! Je vois ! Je suis désolé pour toi, Ren, toutes mes condoléances… » dit Min, et Ren le prit en pitié en voyant sa mine attristée.
Après tout, les Eldiens n'étaient pas tous mauvais, il en avait la preuve devant lui.
« Ce… C'est… Pas la peine de t'excuser, tu sais…, bafouilla-t-il, gêné et à la fois peiné.
– De toute façon, tu n'as pas à t'en faire, Ren, car Min en a dans la tête, et, crois-moi, son Titan n'a rien à voir avec un primaire », annonça Han en posant affectueusement sa main sur l'épaule du Creek.
Ren sourit.
« Ah bon ? demanda-t-il. Comment est-il ?
– Gigantesque. Au bas mot, une soixantaine de mètres. Et il n'a pas de peau. Il peut dégager de la chaleur, et aussi se transformer partiellement… Et… Et… »
Les yeux de Han brillaient étrangement alors qu'il parlait avec exaltation et émotion.
« C'est bon, Han, je crois qu'il a compris, l'interrompit Min, à son tour gêné, n'aimant pas trop que l'on vantât toutes les capacités de son Titan.
– Il n'empêche, ton Titan est incroyable ! Le coup de la chaudière nous a été très utile ! Tu t'en souviens ? continua Han, de plus en plus enjoué.
– Oh oui, je m'en souviens. Cet hiver-là, j'ai passé les deux jours suivants alité tant j'étais à bout de force, souffla Min, mains sur les hanches.
– Et que s'est-il passé ? demanda Ren, sourcils froncés, intrigué car ne comprenant pas grand-chose.
– Oh, ça, c'était fabuleux ! Je te raconte ! fit Han. C'était il y a un an, on avait eu un hiver très froid, et le vieux Pixis, le chauffagiste, n'arrivait pas à faire chauffer l'eau, enfin, tu vois, pas assez. Min a eu l'idée de se transformer en Titan ! Son Titan a dégagé énormément de chaleur et on a pu alimenter tous les bains ! Aucun client ne s'est plaint de quoi que ce soit ! »
Ren avait du mal à se représenter la scène – il fallait dire que les explications de Han n'étaient pas des plus claires pour ce faire, mais surtout ; comment faire tenir un Titan de soixante mètres dans les chaufferies du Jinotsu ? Cela n'empêcha pas le Creek de se tourner vers Min pour le dévisager, fasciné. Ce dernier, embarrassé devant le regard admirateur de Ren, rougit en détournant les yeux.
« Oui, c'est fabuleux, tout ça… Min, j'peux avoir une plaquette ou t'en as encore pour longtemps ? » lança une voix féminine et traînante.
Ren se tourna vers l'origine de celle-ci. C'était une fille, brune avec des taches de rousseur, aux cheveux courts. Ses yeux mi-clos étaient marrons et ses lobes d'oreilles pendants.
« Oh, bonjour Miru, dit poliment Min.
– Bonsoir, répondit la dénommée Miru avec un rictus moqueur.
– Tiens, Miru, tu tombes bien ! s'exclama Han. Voici Ren, notre nouveau membre ! Ren, voici Miru, qui est principalement à la réception. C'est une sang-mêlée Lakota et Eldienne. Elle peut se changer en Titan tout comme elle utilise le mana de l'eau, c'est prodigieux… »
Ren écoutait sans mot dire. Enfin, quand même, l'escouade Han était incroyable ! Tous ses membres avaient des qualités surhumaines – même Vaï et Kasa, ils semblaient différents des Lakotas lambda –, alors que lui, le nouveau, il savait à peine manier son mana de la terre sans provoquer des catastrophes, et, à part pour le corps-à-corps, sa force physique ne lui était en rien utile…
« Oui, si tu as fini de vanter mes mérites, on va pouvoir passer à autre chose… Min, tu me files une plaquette, steup'…, souffla Miru lasse et exaspérée, semblait-elle.
– Que veux-tu que je te dise, Miru ? Sers-toi, répliqua Min en haussant les épaules.
Et la brune, après un temps, prit une plaquette, puis elle s'en alla. Ren la suivit des yeux, et Han l'interpella :
« Bon, maintenant qu'on a fini ici, allons voir les derniers membres de l'équipe ! Ah, et aussi, Min, Ren sera en observation au début de la semaine, et on passera à la pratique vers la fin, pour qu'il choisisse son affectation. »
Min hocha la tête, et Han se figea, semblant soudain se rappeler d'un truc.
« D'ailleurs, qu'est-ce que tu fais là ? C'est pas le contremaître qui doit se charger de la distribution des plaquettes ? demanda le brun.
– Si, mais il m'a laissé sa place juste après l'ouverture de ce soir, je crois qu'il voulait rester à la réception…, répondit Min.
– Sérieusement ?! Mais il doit en référer à Erwin avant de changer de poste, comme ça ! s'exclama Han. Bon, enfin bref, ce n'est pas à moi de gérer ça… Viens, Ren, allons-y », poursuivit-il.
Il entraîna le Creek, qui, après un petit salut de la main à Min, se décida à le suivre. Ils prirent une nouvelle fois l'ascenseur, pour aller au deuxième étage.
« Ce sont les salles de restauration, ici, n'est-ce pas ? demanda Ren tandis que Han le tirait à sa suite.
– Oui, mais nous allons plutôt en cuisine », dit le brun.
Il traversa plusieurs couloirs, jusqu'à parvenir dans une grande pièce, meublée de plans de travail, plaques de cuisson, et où la vaisselle (propre ou sale, telle était la question) s'entassait un peu n'importe où, sans compter tout le personnel agglutiné là, qui préparait les plats, parlait fort et courait à travers la pièce.
Han stoppa un homme-grenouille (« Ça existe, ces trucs-là ? » se demanda Ren), et lui demanda quelque chose que le Creek, cerné par le bruit des couverts s'entrechoquant et des paroles des autres, n'entendit pas. Puis Han l'attrapa par le bras et le conduisit vers le fond de la pièce. Là, dans un coin à l'écart, un garçon lavait des bols. Il avait les cheveux châtain clair, coupés courts, ses yeux semblaient soucieux tandis qu'il s'attelait à sa tâche. Il semblait jeune, à peine la dizaine.
« Salut Fal ! » s'exclama Han.
Le garçonnet sursauta et manqua de faire tomber le bol bleu qu'il tenait à la main. Il le rattrapa in extremis et darda un regard étonné sur Ren.
« Bonjour Han. Dis-moi, qui est-ce ? fit-il en pointant du doigt le Creek.
– C'est Ren, notre nouvelle recrue ! Ren, lui, c'est Fal ! Le plus jeune membre de l'escouade Han, et c'est un Eldien, présenta Han.
– Enchanté, Fal », dit amicalement Ren.
Le garçon eut un sourire timide et répondit :
« Moi de même, Ren. »
Le Creek sourit. Fal avait l'air amical. Han se décida à poursuivre, expliquant à Fal, brièvement, ce qu'il avait expliqué à Vaï, Kasa et Min précédemment. Le jeune Eldien hocha juste la tête d'un air entendu.
« Bien, maintenant, il ne reste plus qu'une personne à aller voir… Mais je me demande où elle est… » dit Han, pensif.
Ren réfléchit un instant, puis demanda :
« Euh, encore une personne de ton équipe ?
– Oui, pourquoi ? »
Han le regarda sans comprendre.
« Ben, tu m'as dit que vous n'étiez que six… Il me semble qu'on a vu tout le monde…, fit Ren.
– Oh, j'ai dit qu'on était que six ? Mince, elle ne va pas être très contente… Heureusement qu'elle n'a pas entendu, marmonna Han, semblant soudain anxieux.
– Détrompe-toi, j'ai tout entendu… », dit une voix.
Ren se retourna, surpris. Cependant, il ne vit personne.
– Ann… On te cherchait… », soupira Han.
Ren observa la petite fée avec intérêt. Elle avait les cheveux vert pâle, presque blonds, noués en chignon, un nez crochu et des yeux ennuyés, d'un bleu presque identique à ceux de Min. Deux ailes roses s'épanouissaient dans son dos, dont la naissance devait être au niveau de ses omoplates, à peu près. Elle était vêtue de l'uniforme du Jinotsu.
« Ren, c'est Ann, le dernier membre de la team. C'est une des rares – pour ne pas dire la seule – Cocopas qui travaille ici. Elle gère… tout ce qu'elle peut gérer avec sa petite taille. Mais comme elle utilise le mana de l'air, comme tous les Cocopas, elle peut se rendre utile, dit Han. Accessoirement, elle est un de mes plus précieux instruments de recherche sur son peuple…»
Ledit instrument afficha une grimace de dégoût.
« Ravi de te rencontrer, Ann…, fit poliment Ren.
– Plaisir non partagé, répliqua sèchement la Cocopa.
– Oh, fais un effort, Ann…, soupira Han, déçu.
– Il faut être gentil avec les nouveaux, marmotta Fal dans son coin, qui nettoyait une grande assiette – il n'avait pas dit mot depuis qu'Ann était apparue que Ren avait oublié sa présence.
– De quoi tu te mêles, demi-portion ? gronda Ann, en colère.
– Demi-portion ? Tu t'es vue ? » ne put s'empêcher de répliquer Fal, à voix basse.
Ren bâilla un coup, silencieusement, sans même penser à couvrir sa bouche de sa main. Alors que les larmes qui étaient apparues au coin de ses yeux se résorbaient et qu'il battit des paupières, il eu l'espoir vague que personne ne l'eût vu.
« Oh, en voilà un qui est fatigué… » murmura Han, qui le regardait en cet instant.
Bon, raté.
« Normal, j'ai eu une journée chargée, moi… Je travaille pas de nuit…, fit le Creek en sentant ses paupières s'alourdir.
– Pas encore, corrigea gentiment Han. Allez, viens, je te raccompagne au dortoir. Tu commenceras à travailler demain », ajouta-t-il.
Il conduisit donc Ren jusqu'à l'ascenseur, puis au dortoir, où il le laissa se dévêtir un peu pour dormir.
Ren s'endormit, exténué. C'était étrange, tout ça lui paraissait très loin de ce qu'il avait vécu l'après-midi même. Un peu comme si… comme si sa mère et ses amis étaient déjà morts depuis longtemps… Le jeune homme décida de ne pas y penser, et se laissa emporter dans les limbes du sommeil.
To Be Continued…
J'espère que ce chapitre vous aura plu !
La Partie II dans une semaine !
