Partie IV : Marginaux
Seizième jour
Vaï avait nommé la scène du treizième jour l'accident caresses, et s'était depuis lors un peu éloigné de Ren. Il avait peur que Min, ayant très certainement compris de quoi il en retournait, en référât à Ren. Ça, Vaï n'y était pas encore suffisamment préparé psychologiquement. Il avait peur de la réaction de l'adolescent.
Lui-même, avant qu'Erwin ne lui ouvrît les yeux, n'avait jamais songé qu'il pût un jour tomber amoureux d'un autre homme. Et pourtant c'était le cas. À vrai dire, le Lakota n'avait pas de préférences amoureuses – ce genre de choses ne l'avait jamais intéressé –, et ce qui le préoccupait bien plus que d'être gay était qu'il était, finalement, tombé amoureux de quelqu'un. Il ne pouvait s'empêcher de se demander si c'était vraiment de l'amour qu'il éprouvait envers Ren, au final. Il le trouvait intéressant, beau, simple, mais il appréciait plus que tout sa détermination inébranlable.
Était-ce juste ça, l'amour ?
Et Ren, lui, que dirait-il si Vaï lui faisait part de ses réflexions ? Trouverait-il cela rebutant ? Contre-nature ?
Vaï grimaça en imaginant Ren le regarder avec dégoût. Non, le Lakota n'était pas près à avouer ses sentiments au Creek.
Alors qu'il marchait dans un des couloirs déserts du troisième étage, Vaï rentra en collision avec quelqu'un. À croire qu'il devenait comme Ren, tiens. Toujours perdu dans ses pensées, qui faisait donc totalement abstraction du reste du monde autour de lui…
Relevant la tête pour engueuler la personne qu'il avait bousculé (même si Ren déteignait sur lui, et quoi que l'on pût dire, Vaï restait Vaï, avec son caractère de chien, bien que là, ce fut lui qui était en faute), le Lakota croisa le regard azuré de Min. Oh, non, pas lui…
« Tiens, Vaï ! Tu tombes bien, je te cherchais… »
Non, non, Vaï ne tombait absolument pas bien… Le noiraud ne répondit pas, se contentant de dévisager, presque avec horreur, le blondinet devant lui. Merde, depuis quand se laissait-il déstabiliser à ce point par… par un mioche ?! Tandis que Vaï maudissait intérieurement sa faiblesse nouvelle, Min poursuivit, l'air plus grave :
« … Je voulais te parler… J'espère que ça ne t'ennuie pas. »
Vaï mit un temps à analyser la demande. D'un côté, il ne voulait pas affronter le jugement de Min, mais d'un autre, il devait aussi lui dire de ne rien répéter à Ren… Et puis, si ça se trouvait, il allait chercher trop loin, et en vrai, Min ne savait peut-être même pas pour ses sentiments à l'égard de Ren. C'était l'occasion d'en avoir le cœur net.
« Non, ne t'inquiète pas…, fit le Lakota, et sa voix ne masquait nullement toute la méfiance qu'il éprouvait quant à la discussion qui allait suivre.
– Parfait. Allons nous promener en ville, qu'en dis-tu ? » proposa Min.
Ses traits étaient froids, et lui qui d'ordinaire souriait affichait désormais un air neutre, impassible.
Vaï haussa les épaules.
« Si ça te fait plaisir… » marmonna-t-il, en réponse à la question de son cadet.
Ils quittèrent donc l'étage, puis le Jinotsu, dans un silence total. Ils traversèrent le petit pont rouge, puis descendirent dans la ville, et enfin, lorsqu'ils passaient dans une rue plutôt animée – il était environ minuit –, Min commença à parler :
« Je vais aller droit au but ; j'ai bien remarqué comment tu te comportais en présence de Ren. Tu l'aimes ? D'amour, je veux dire.
– À quoi ça te sert de poser la question ? Tu connais déjà la réponse, dit Vaï, morose.
« Bon, souffla Min, accablé par le manque de coopération dont le Lakota faisait preuve, mais tu as des projets ? Par exemple, tu veux lui déclarer ta flamme ? Sortir avec lui ? Ou c'est juste un amour passager ? »
Vaï ne dit rien. Il fixa Min, sincèrement surpris. Il… Ça ne lui était jamais venu à l'esprit d'aller aussi loin, de se projeter dans le cas de figure où Ren accepterait de sortir avec lui. Se déclarer, peut-être. Mais il n'était vraiment pas sûr. Il détourna le regard. Sortir avec Ren…
« Je ne pense pas qu'on pourrait sortir ensemble, marmotta-t-il.
– Quoi ? demanda Min, qui n'avait pas entendu – ou n'était pas sûr de ce qu'il avait compris.
– Rien. »
Vaï secoua la tête.
« Il ne m'aime pas. »
Min le considéra, muet, et dans ses yeux semblait briller la lueur significative, celle qu'arboraient les gens lorsqu'ils comprenaient quelque chose qui échappait complètement à Vaï. Il n'aimait pas trop ce regard.
« Pas sûr, souffla simplement le blondinet.
– Comment ça, "pas sûr" ? relança Vaï.
– Ça se voit.
– Hein ? »
Min marqua un temps avant de répondre.
« Qu'il t'aime – ça se voit, dit-il. Quand on est un tant soit peu ouvert d'esprit », crut-il bon d'ajouter.
Il remit ses mains dans les poches de son pantalon en lin. Vaï haussa un sourcil.
« C'est-à-dire ? demanda-t-il.
– L'homosexualité. Il y a Fal et Kasa – je n'ai rien contre eux, mais ils sont un peu rigides sur certains points. Sinon, et excepté Ann parce que je ne la connais pas vraiment, les membres restants de l'escouade accepteraient un couple homosexuel parmi nous… Disons qu'on n'est pas intolérants. Et que ça joue sur le fait qu'on se soit rendu compte bien vite pour vous deux. Vous êtes archi transparents.
– … Tu as dit… Tout le monde sauf Fal, Kasa et Ann… Il ne reste que toi, Han et Miru, t'as remarqué ? C'est pas beaucoup », compta Vaï.
Ses doigts toujours levés, l'annulaire et l'auriculaire baissés, il contempla un instant sa main.
« Et Ren ? Tu crois qu'il est tolérant ? » demanda-t-il.
Min ne daigna pas le regarder. Il soupira.
« Honnêtement, je n'en sais rien. Je n'ai pas cherché à le savoir. »
Un nouveau silence. Vaï repensa aux bribes de leurs échanges, lâchées entre deux silences, pesants ou non, et il nota :
« Par contre… Miru, sérieusement ? »
Min eut un petit sourire. L'ambiance s'allégea un peu alors qu'il fournissait ses explications, tandis qu'ils traversaient une des nombreuses rues marchandes et animées de la Ville Fantôme.
« Quelque chose me dit qu'il y a un truc entre Historia et elle. »
Il secoua la tête, comme exaspéré, et haussa les sourcils, pinça les lèvres.
« Historia ?
– Une cliente du Jinotsu. Plutôt régulière. »
Vaï arqua les sourcils dans une moue étrange.
« Elle est très jolie, une vraie madone. Je n'ai jamais réussi à savoir si elle était plutôt une déesse, un esprit protecteur ou une nymphe, marmonnait Min, qui réfléchissait à haute voix.
– Son nom ne me dit rien… », fit Vaï.
Min rigola.
« Normal, tu passes plus de temps à récurer le sol qu'à gérer la réception. »
Vaï grogna. Normal, bien sûr. Il n'aimait pas se mêler à la foule, être courtois avec des inconnus parfois très malpolis, faire des courbettes et proférer des remerciements à tout-va. Erwin l'avait d'ailleurs compris – il était doué pour cerner les gens – ce pour quoi il l'avait assigné à la corvée nettoyage.
« Hum, fit le Lakota, sceptique, en réaction à ce que Min avait dit. Et donc, tu penses que Miru est intéressée par Historia ?
– C'est pas je pense. C'est "je constate". »
Vaï souffla du nez et se rappela soudainement de la raison pour laquelle il avait accepté de suivre Min – quoi, il n'en revenait pas de n'être intéressé à la vie sentimentale de Miru, ça le dégoûtait !
« Oï, je pourrais avoir la confirmation que tu diras rien à Ren ? » demanda-t-il brusquement.
Min eut un sourire en coin. Il avait envie de voir jusqu'où Vaï pouvait aller. L'Eldien n'était pas son ennemi, mais pas son ami pour autant. Et il avait envie de pousser à bout le Lakota, peut-être aussi parce qu'il avait une trop grande bouche et qu'il ne voulait pas la fermer.
« Qu'est-ce que tu ferais si je lui disais ? » retourna-t-il d'une œillade appuyée, en coin, vers l'autre.
Vaï n'avait jamais été réputé pour sa patience, et sa réaction ne se fit pas attendre. En un instant, il avait plaqué Min contre le mur d'une échoppe, s'était placé devant lui et le maintenait fermement de ses deux mains, qui enserraient avec brusquerie les fins poignets du blond. Les yeux du Lakota brillaient de fureur et il souffla entre ses dents :
« Tu n'as pas intérêt à lui dire. »
Min lâcha un son qui s'apparenta à un petit soupir.
« Je n'en avais pas l'intention, dit-il avec franchise. Je me demandais seulement jusqu'où tu pouvais aller pour – comment dire ?… pour préserver ton amour. »
Il fit un clin d'œil absolument arrogant à Vaï alors que ce dernier desserrait un peu sa prise sur ses poignets – il ne s'excusa pas de lui avoir fait mal ; Vaï ne s'excusait pas (non pas qu'il refusât, mais il avait toujours l'esprit trop occupé par des dizaines de choses pour songer alors à demander pardon). Min poursuivit, guilleret, avec un aplomb surprenant :
« Tu veux lui dire toi-même, hein ? »
Vaï serra les dents et s'écarta de lui.
« Non. Même pas en rêve.
– Je peux essayer de te convaincre ? » lança, joyeux, Min en se décollant du mur.
Il se massa les poignets, que Vaï avait lâché, et il sourit de plus belle. Ses yeux brillaient de malice et d'intelligence. Vaï grogna et lui attrapa le bras – il le tira vers lui pour lui intimer de continuer à marcher.
« Pourquoi tu souris comme ça, gamin ? marmonna le Lakota en zieutant le blond du coin de l'œil.
– Parce que je peux t'aider ! Et que j'en ai envie ! Tu veux bien ? »
Actuellement, Min ressemblait bel et bien à un gamin. Vaï soupira et roula des yeux. Il le regarda un court instant, pensif.
« Tu comptes faire quoi ? » demanda-t-il en faisait mine de ne pas y toucher.
L'Eldien eut un rictus vicieux qui, bien que n'allant pas jusqu'à l'enlaidir particulièrement, ne l'embellissait pas spécialement non plus. Et ce rictus-là n'augurait rien de bon.
« Quelle question ! Han est ton complice, non ?
– Ouais… » marmonna Vaï en lui lançant un regard en biais, peu sûr de lui.
Peu sûr de la réaction de Min, aussi. Il était méfiant. Qu'est-ce que le blond mijotait encore ? Le sourire démoniaque de l'Eldien s'étira encore plus.
« Alors la réponse est toute trouvée : je vais écrire des yaoi avec Han ! »
Vaï arqua un sourcil. Il n'avait strictement aucune envie de savoir que Min écrivait des yaoi avec Han, d'autant plus que ça ne résolvait absolument pas la question – et ne demandez pas à Vaï comment il avait eu vent de l'existence des yaoi. Peut-être était-ce, à l'origine, Min et Han qui trafiquaient avec Erwin et Naile des produits en provenance d'Atolatonan (entre autres, tels que ces mangas, et ils avaient forcé Vaï à les lire). Enfin, bref, là n'était décidément pas la question.
« Pourquoi ? » demanda, sceptique, le Lakota en haussant son deuxième sourcil.
Pourquoi écrire des yaoi ?
Min eut un nouveau sourire retors et il répondit malicieusement :
« Parce que l'écriture, ça favorise l'expression littérale, ça nourrit la culture générale – vu que personne ne va à l'école ici, – et ça développe l'imagination. Le yaoi, c'est un choix comme un autre. C'est un genre littéraire ! »
Vaï soupira et mit les mains dans ses poches. Toujours pas convaincu.
« Tu sais, ça pourrait être un bon compromis : on écrit des yaoi, on développe notre imagination et on te concocte un plan pour que tu te déclares ! tenta d'expliquer Min, joyeux et un peu enfantin.
– Mais j'en veux pas, merde, grogna Vaï en le foudroyant du regard.
– … Si tu n'acceptes pas mon offre, j'irais tout raconter à Reêen… » chantonna Min, pas gêné du tout de marchander quelque chose d'aussi ignoble.
Et, manifestement, Vaï aussi avait parfaitement saisi la bassesse des paroles de l'Eldien – et il n'approuvait pas du tout ce genre d'ultimatum exécrable. Mais il n'avait pas vraiment le choix, c'était là tout le problème d'un ultimatum.
« Fais comme tu veux, souffla le Lakota, mécontent d'en être réduit à cette extrémité, qui, honnêtement, ne l'enchantait pas complètement. Mais je veux être tenu au courant de chacune de vos magouilles.
– Pas de problème ! Cela va de soi, mon cher Vaï ! »
Guilleret, Min se tourna vers lui et tira son bras pour lui serrer la main. Il débordait d'enthousiasme et s'éloignait déjà en direction du Jinotsu, probablement pressé d'aller écrire ses yaoi avec Han. Il se retourna néanmoins vers Vaï et s'exclama :
« On compte sur toi, bien sûr ! »
Le Lakota songea – et cela l'étonna un peu – que, tout compte fait, ça ne le gênait pas vraiment de faire partie des complots tordus de Min et de Han. Il soupira, roula des yeux et partit à son tour – le cœur, néanmoins, indéniablement plus léger.
Ann rentrait satisfaite de cette journée. Et pour cause : elle avait pris en filature Vaï et Min lors de leur sortie en ville. Depuis le jour où Vaï avait été contraint de faire des caresses à Ren, voire même avant, en fait, quand le Lakota était redevenu (ou simplement devenu ?) sympathique avec le Creek, la Cocopa avait remarqué qu'un truc avait changé chez son ami.
Si elle avait su que Vaï aimait Ren ! Elle n'en revenait pas. C'était assez invraisemblable pour quelqu'un qui disait détester l'autre. Mais bon, visiblement, il devait vraiment l'aimer, pour demander à Min de ne rien dire, et même accepter que l'autre revendiquât ce qui lui chantait en échange.
Ce n'était pas l'homosexualité des deux hommes qui rebutait Ann, mais plutôt le fait qu'elle était désormais seule à ne pas apprécier Ren. Ce qu'elle lui reprochait ? De s'incruster, comme ça, alors que personne n'avait rien demandé, et… En fait, elle ne savait pas exactement pourquoi elle ne l'aimait pas. Peut-être parce qu'il était faible. Bon sang, c'était un Creek, réputé pour sa force physique impressionnante, qui, en plus, contrôlait le mana de la terre ! Et il n'était même pas fichu de sauver ne serait-ce qu'un autre habitant de Shiganshina des griffes des Titans primaires ?!
Ann n'avait cependant rien à dire, étant une Cocopa, elle n'aurait jamais pu sauver quelqu'un avec sa taille minuscule et sa force tout aussi minuscule. De toute façon, ce n'était pas comme si elle avait envie de sauver quelqu'un si un danger les attaquait. Tant qu'elle se sauvait, elle. Les autres lui importaient peu, puisqu'elle importait peu aux autres. C'était juste de la logique.
C'était d'ailleurs pour ça que Vaï et elle s'étaient tout de suite bien entendus. Ils étaient des incompris, des personnes à part, des marginaux, à l'écart de la normalité, reclus dans leur solitude. Sauf que, visiblement, seule Ann était réellement marginale. Vaï, lui, était compris par Min et Han.
Ann s'en fichait. Ouais, elle se fichait de Vaï. Depuis la mort de son père, la solitude, c'était son quotidien. Même avant la mort de son père, elle était seule. Alors elle s'en foutait. Vaï n'était plus son ami. Sa seule amie, c'était la solitude.
O
Alors qu'elle voletait dans les jardins du Jinotsu, parce qu'elle avait toujours apprécié ces endroits si prompts à la solitude, Ann entendit des bruits de pas derrière elle. En se retournant, elle vit Vaï s'approcher d'elle, mains dans les poches de son bas noir.
« Qu'est-ce que tu veux ? » demanda-t-elle.
Elle espérait intérieurement que l'animosité dans sa voix se fît bien ressentir par le Lakota.
« Tu crois que j'ai pas remarqué que tu nous suivais ? fit-il de but en blanc.
– Comment tu pourrais ? Tu as du mana d'eau, toi. C'est avec celui d'air qu'on parvient à percevoir les masses et les volumes qui nous entourent, déclara Ann, incrédule.
– C'est pas grâce à mon mana, j'ai juste des oreilles sensibles, et le bruit du battement de tes ailes est facilement identifiable, même dans une rue agitée, expliqua Vaï. Mais bon, c'est pas pour ça que je suis là. Je veux savoir pourquoi tu nous as suivis.
– … Je n'ai pas envie de justifier mes actions », souffla Ann, menaçante.
Vaï arqua ses sourcils, l'air profondément ennuyé.
« Fais gaffe, si je me rends compte que tu me suis en permanence, je vais finir par croire que tu éprouves un intérêt particulier à mon égard, dit-il.
– Arrête deux secondes de t'y croire. Y'a que toi qui aimes quelqu'un. Mais personne qui t'aime. Mets-toi bien ça dans le crâne », lança Ann, furieuse.
Elle ne comprenait pas bien ce besoin d'être méchante gratuitement envers l'homme qu'elle avait considéré comme un précieux ami, mais elle le faisait – ça la défoulait de le blesser, elle lâchait un peu de toute cette énergie négative qu'elle emmagasinait depuis toujours.
Vaï, de son côté, ne dit rien. Il sentit juste son cœur se serrer. Qu'est-ce qui lui prenait de réagir comme ça ? C'était Ann qui venait de lui parler. Pas Ren. Non, Ren ne dirait jamais quelque chose comme ça à son égard. Pour la simple et bonne raison que… ils étaient amis. Et, entre amis, on ne se disait pas ce genre de choses. Ann… elle ne le considérait plus comme un ami ?
Vaï comprit soudain. Il hasarda alors :
« T'es jalouse parce que je te laisse de côté ?
– Hein ? » lâcha la Cocopa.
Elle, elle ne comprenait pas. Jalouse, avait-il dit ? L'avait-il bien regardée ? Avait-elle la tête que quelqu'un de jaloux ? Avait-elle eu des propos dignes de quelqu'un de jaloux ? Non, bien sûr que non, pensait-elle. Elle était juste résolument, irrémédiablement, seule.
Vaï ne tint pas compte de son malaise – ou ne le vit pas. Un minuscule sourire vint éclairer son visage. C'était si rare et ça le rajeunissait de quelques années, déjà qu'il ne faisait pas son âge. Ses yeux, empreints d'une douceur aussi soudaine qu'imprévue, brillaient à présent et reflétaient enfin ses émotions. Il parla d'une voix attendrie, qui lui ressemblait si peu, mais il savait que c'était comme ça qu'il fallait qu'il dît les choses :
« … Tu seras toujours mon amie, Ann. Après tout, on est deux asociaux et incompris, pas vrai ? »
Et Ann ne dit rien. Elle ne comprit pas plus lorsque ses lèvres s'étirèrent en un mince sourire – elle qui ne souriait jamais d'ordinaire. Mais tant pis. Parce qu'elle avait compris quelque chose d'autant plus important. Ren ne lui avait pas volé son meilleur ami, et Min était loin de tout connaître sur Vaï. Puis, en y réfléchissant, Ann se dit que Fal était un de ses amis, à sa manière.
En fait, elle non plus n'était pas si marginale que ça.
Dix-huitième jour
Ça, c'était du jamais-vu. La veille, Erwin avait annoncé qu'il prenait des vacances, chose qu'il n'avait encore jamais faite depuis la décennie et quelque qu'il gérait le Jinotsu. Soi-disant pour décompresser un peu, ou quelque chose dans le genre. Ses raisons n'étaient pas très claires, mais, exceptionnellement, il fermait le Palais des Bains.
Tous les employés étaient donc en congé, et une bonne moitié en avait profité pour aller voir de la famille. Si Ren avait bien compris, ceux qui pouvaient se permettre ce genre de choses étaient ceux qui vivaient à Afshak. Soit ceux qui n'avaient jamais mis le pied à Atolatonan, le monde terrestre. Ren, à l'instar de toute l'escouade Han, ne faisait pas partie de ces gens-là, et restait donc au Jinotsu avec ses amis – il n'avait de toute façon plus aucune famille à qui rendre visite.
Ainsi donc, voilà comment, avec une majeure partie du personnel en moins, et parce que Vaï avait une peur viscérale des microbes et autres saletés, toute l'escouade Han était de corvée nettoyage, alors que, merde, c'étaient leurs congés, quoi ! (Dixit Han, vexé comme un pou que le Lakota se permît de donner des ordres à sa place, d'autant plus pendant une période de fermeture.) Mais Vaï avait dit que de toute façon, ils étaient en congé toute l'année, et que ce n'était en aucun cas une raison pour laisser les locaux dégueulasses.
Ann, mourant de chaud dans la pièce qu'elle balayait – avec ses soixante centimètres, tu parles d'un calvaire ! –, décida d'ouvrir la porte extérieure. Elle poussa le battant, et laissa l'air frais entrer. Ce qu'elle ne vit pas, ce fut le Sans-Visage qui attendait, dans l'ombre, dehors.
Ann reprit son ouvrage, et partit de la pièce une fois qu'il fut fini. Elle laissa la porte ouverte derrière elle.
Grave erreur, et ça, elle allait bientôt s'en rendre compte.
Bertolt regarda la petite Cocopa s'éloigner. Elle ne l'avait pas vu. Il resta immobile un long moment, bien après même que l'autre eût quitté la pièce. Puis il entra par la porte ouverte.
To Be Continued…
Je sais pas pourquoi... Armin, je le vois trop être yaoiste...
