Je viens de me rendre compte que j'ai pas vraiment expliqué le titre et si ça peut intéresser quelqu'un, voilà ce que j'en dis : (E)Ren no Kamikakushi se traduit par « Le Kamikakushi de (E)Ren », ou, plus grossièrement, « Le Voyage de (E)Ren ». En fait, ça vient juste du titre original du « Voyage de Chihiro », qui est « Sen to Chihiro no Kamikakushi », le kamikakushi ne désignant pas vraiment un « voyage », mais plutôt la disparition mystérieuse d'une personne dans l'Ancien Japon, un fait que les japonais reconnaissaient comme étant de la main d'un kami (dixit Wikipédia, que je paraphrase totalement). Bref, du coup, ça sonnait plus classe en japonais.

Sinon, bonne lecture !


Partie VI : Le plan du binoclard fou


Vingt-et-unième jour

« Mon Vaïvaï ! Réunion d'urgence dans mon labo ! Min a tout plein de choses très importantes à te dire.

– Juste, pour une fois, ferme ta gueule, binoclard de mes deux. »

Vaï sentait venir la migraine, et se massa les tempes, sourcils froncés. Il venait de se réveiller, et Han lui précisa qu'il était déjà dix-huit heures et que d'habitude, il se levait bien plus tôt. Vaï avait soupiré, en effet, ça ne lui ressemblait pas de traîner autant au lit. En jetant un coup d'œil à sa droite, il avait pu voir le lit de Ren défait et vide. D'ailleurs, les seuls à dormir encore étaient Miru et Fal.

« Il faut te ménager un peu, aussi. T'as bossé jusqu'à presque dix heures, hier ! Dix heures alors qu'on est en été et donc qu'on a des journées plus courtes ! s'exclama Han, assis devant lui, vêtu d'une chemise blanche à manches courtes et d'un bas marron.

– On est au printemps, pas encore en été…, marmonna Vaï en se frottant les yeux.

– Oui, m'enfin tu devrais faire gaffe à toi ! Tu commences à devenir vieux, moi je te dis qu'il faut que tu prennes soin de toi… »

Vaï lui lança un regard noir, vexé par le "tu commences à devenir vieux" que Han avait lancé avec un monstrueux et grand sourire de psychopathe.

« Bon, si tu t'habillais ? Aussi, je t'attends dans mon labo, Min sera là, donc on aura son compte-rendu de la dernière mission, puis j'ai aussi de quoi manger ! Allez, à tout à l'heure, mon petit Vaïvaï ! »

Et Han se releva d'un bond, avant de sautiller gaiement hors du dortoir, puis dans le couloir.

Vaï soupira ; Han avait bien insisté sur le "petit" rien que pour l'emmerder… Le Lakota se leva à son tour et quitta son pyjama vert aux symboles du Jinotsu – la même couleur que ses draps – pour enfiler un tricot à manches mi-longues bleu ciel et un pantacourt noir. Il replia soigneusement ses vêtements de nuit – un maniaque restait un maniaque – et les rangea dans le placard avec ses affaires personnelles, avant de se coiffer sommairement les cheveux, puis de refaire ses draps, d'ouvrir grand les battants de la chambre et ceux du balcon pour aérer la pièce – tout en ignorant les plaintes gémissantes de Fal et Miru qui somnolaient encore –, et de partir tranquillement en direction du laboratoire de Han.

Il songea, à mi-chemin, qu'il n'avait pas vu Ren sur le balcon. Bah, il était dix-huit heures passées, c'était évident que le gosse n'allait pas passer sa vie sur le balcon à l'attendre. Cela dit, c'était le premier matin que Vaï posait un lapin à Ren. D'ordinaire, il ne manquait jamais ces moments passés ensemble.

Mais il avait peur. Le Lakota savait que Min avait parlé à Ren. Il ne savait pas ce qu'ils s'étaient dit, mais il avait peur que le comportement de Ren changeât dès maintenant à son égard. De toute façon, Min avait promis à Vaï, voilà déjà près d'une semaine, qu'il ne dirait rien à Ren de ses sentiments. Le Lakota sentit une bouffée de colère monter en lui. Si l'Eldien n'avait pas respecté son engagement, il se ferait un plaisir d'en faire du steak de blondinet.

Vaï souffla un coup et calma ses pulsions meurtrières ; il était arrivé devant la vieille porte en bois du labo de Han. C'était une des seules parties du bâtiment à suivre un style d'inspiration différent de celui lakota de la quasi-totalité du Jinotsu. C'était une pièce typiquement huronne, avec des murs en brique, des petites fenêtres avec des volets, des portes qui pivotaient et non glissaient, du parquet au sol, des tables hautes et des chaises.

Vaï ne frappa pas et entra directement, parce qu'il était comme ça, il n'avait aucune envie de montrer des signes de respect ou d'user la politesse avec Han.

« Ah, mon Vaïvaï, te voilà enfin ! On allait finir par croire que tu t'étais rendormi ! Ou que tu t'étais perdu – tu pourrais tout à fait, hein, petit comme tu es, le Jinotsu doit te paraître immense… Eh, tu m'écoutes ? » babilla joyeusement Han en le voyant refermer la porte dans un grincement.

Le laboratoire de Han était une suite de deux pièces ; la première, celle dans laquelle le Lakota, Min et lui se trouvaient, était remplie d'étagères, toutes fixées aux murs, allant du sol au plafond, et chacune garnie de livres aux reliures donc les couleurs variaient entre du vert marronâtre et du noir, ainsi que les trois du mur face à Vaï dédiées aux plantes et autres du scientifique. Une table trônait au centre de la pièce, munie de six chaises, et la fenêtre, depuis laquelle on voyait l'océan au loin, diffusait la douce lumière du soleil couchant.

La deuxième pièce était le vrai laboratoire de Han, avec sa table pour les expériences, les produits chimiques, les tubes à essai et tout son bazar.

Vaï s'installa sans plus de cérémonie à table, à côté de Min, et attrapa un donut dans le plateau à provisions que Han avait ramené des cuisines.

« Bon, tu lui as dit quoi, à Ren, au juste, Min, hier ? demanda le Lakota pendant que Han s'asseyait – pourquoi était-il debout, d'ailleurs ?

– … Alors, hum… Figure-toi qu'il voulait justement me voir, lui aussi, pour me parler de ce qui… n'allait pas chez lui à cause de toi, commença Min, qui ne savait pas vraiment comment en venir aux faits.

– Et ? » l'encouragea Vaï, puis il vit, du coin de l'œil, que Han écrivait dans un petit carnet.

Un doute prit place dans l'esprit du noiraud.

« Oï, binoclard, me dis pas que t'es en train de noter ce qu'on raconte ? »

Han releva lentement la tête avec – de nouveau – son immense sourire de psychopathe binoclard fou.

« Bien sûr que si, mon petit Vaïvaï ! C'est quand même vachement intéressant, ce qui se passe entre Renren et toi… Si tu veux mon avis, ça ferait un excellent yaoi…, dit-il d'une voix mielleuse.

– Putain, pourquoi tu passes ta crise de foutu yaoiste sur Ren et moi ?! s'exclama Vaï, révulsé.

– … Tu me feras lire, Han, n'est-ce pas ? demanda Min, dangereusement intéressé.

« Si tu veux, Minmin ! J'ai déjà plein d'idées pour le lemon… » fit Han.

S'il n'avait pas l'air d'avoir un minimum de retenue, songea Vaï, le binoclard serait sans doute en train de baver. Non, même, cen'était pas sans doute, c'était "il serait en train de baver". Décidément, le yaoi était quelque chose de vraiment dangereux… pensa à présent Vaï. Les adeptes de ce genre d'histoires étaient IRRÉCUPÉRABLES…

« Bon, peut-on se concentrer, MERCI, sur ce pourquoi je suis ici avec vous, les agités du bocal, déclara Vaï en coupant court les discussions lemonesques des deux autres – d'abord, c'était quoi, un lemon ? songea-t-il ; puis en fait, non, il ne voulait pas le savoir.

– Oui, bien sûr, mon petit gnome adoré, sourit Han, et Vaï aurait sans doute explosé sa tête contre la table si Min n'était pas intervenu illico presto en reprenant :

– Bon ! Donc, nous disions – encore une fois, pardonne mon écart de conduite, le pouvoir du yaoi, tu sais ce que c'est… – j'ai fait prendre conscience à Ren qu'il était amoureux de toi. Il l'a un peu mal pris car pour lui, l'homosexualité est contre-nature. Je lui ai fait comprendre que non, mais il avait encore du mal à s'en remettre. Il m'a demandé de partir et de le laisser seul pour qu'il puisse réfléchir à tête reposée, mais il avait l'air pas mal angoissé quand je suis retourné au Jinotsu. Depuis, je ne l'ai pas recroisé, sauf hier soir dans le dortoir, mais il a fait semblant de dormir en me voyant arriver. Alors j'ai préféré ne pas le déranger. Fin de l'histoire. Quelle tragédie, c'est désolant, n'est-ce pas, mon cher ? » raconta Min en se tamponnant les yeux, tour à tour, à l'aide d'une serviette en papier qui traînait auparavant sur la table, à la recherche de larmes inexistantes à essuyer, tandis que Han étouffait dans sa main un gloussement, avant d'écrire frénétiquement sur une page de son carnet.

« Mon conseil, donc, cher Vaï, serait que tu retrouves Ren et que… tu lui déclares ta flamme ! » annonça Min.

Alors qu'au début, sa voix était neutre, il avait limite hurlé la fin de sa phrase, s'était redressé, main gauche à plat sur le bois de la table, et pointait l'index de la droite, accusateur, vers la figure de Vaï.

Ce dernier le regarda, estomaqué.

« Genre… C'est tout ? T'es sérieux ? T'es même pas sûr qu'il m'aime, vu comment t'as dit qu'il avait l'air angoissé, et ton meilleur conseil, c'est de me déclarer ? » fit-il, incrédule.

Et lui qui considérait Min comme une sorte de génie, ou un truc du genre…

« Parfaitement, commença le blondinet. Et je t'ai déjà dit que je suis sûr qu'il t'aime, il n'en avait juste pas encore conscience ! Alors fonce, n'attends pas que Kasa te le pique !

– Pourquoi Kasa ? demanda Vaï en arquant un sourcil.

– Parce qu'il fallait quelqu'un, fit Min en haussant les épaules avec désinvolture. Ah, et surtout, n'oubliez pas de vous protéger, ajouta-t-il, l'air le plus sérieux du monde.

– … Pourquoi tu me sors ça, comme ça ?…, demanda le Lakota, ahuri.

– Parce que c'est bien connu, dans une romance, lorsque les deux protagonistes s'avouent leur amour, ils couchent ensemble dans l'heure qui suit. (Vaï grommela un « Jamais entendu parler de ça… » mais Min n'y prêta pas attention.) Oui, donc, si tu veux, je peux demander à ce que le dortoir soit désert, rien que pour vous deux, expliqua le blondinet d'un air expert en passant son majeur sur l'arête de son nez, remontant des lunettes imaginaires. Oh, et puis, je parle de "romance", mais bien entendu, ça marche aussi dans les yaoi ou les yuri. »

Sauf qu'ils n'étaient ni dans un yaoi, ni dans un yuri… C'étaient juste des mangas. Irrécupérables… Il était entouré de deux yaoistes irrécupérables…Vaï soupira. De son côté, Han continuait d'écrire comme un fou – ah, mais en fait, c'en était un. Avec un nouveau soupir très exagéré, Vaï se leva, prit un gâteau dans le plateau et dit :

« Bon, je vous laisse dans vos délires chelous, il reste encore tout le rez-de-chaussée à nettoyer – et puis le troisième étage, tant qu'à faire… »

Han releva la tête.

« Te fatigue pas, Erwin ne rentre que dans une semaine, dit-il.

– Raison de plus pour se dépêcher. Une semaine, c'est court », marmonna Vaï avant de claquer la porte.

Han soupira à son tour.

« J'espère vraiment qu'il se déclarera. À part le Sans-Visage, ça manque cruellement d'action, ici… », maugréa-t-il.

Min ne dit rien.


Le soir même

Ren errait dans la Ville Fantôme. Il avait passé la journée à fuir les autres, mais le soleil ne tarderait pas à se lever, et le Creek n'avait pas vraiment envie de revenir au dortoir. Ou même au Jinotsu. Il tenait surtout à éviter Min et Vaï. Min parce qu'il savait tout, et Vaï parce que… parce que c'était Vaï, et Ren ne savait plus comment se comporter en sa présence désormais, de même qu'il avait peur que le Lakota devinât immédiatement ses sentiments, ou même encore que Min lui eût tout raconté – ce qui, en soi, était vrai.

« Bah, Ren, pourquoi tu es tout seul à déprimer dans ton coin ? »

Ren, alors adossé au mur d'une boutique, se redressa et prit appui sur sa béquille. Fal arrivait vers lui, Ann juchée sur son épaule – bien qu'elle débordât un peu.

« Je déprime pas, mentit Ren lorsque l'Eldien arriva à son niveau.

– Tes oreilles sont baissées », déclara Fal en haussant les sourcils, l'air de signifier qu'il voyait clair dans son jeu.

Ren grommela. Maudites oreilles qui le trahissaient !

« Bon, et donc, pourquoi t'es là ? T'es venu déprimer avec moi ? relança-t-il.

– Non, j'veux comprendre ce qui t'arrive. On t'a pas vu de la journée, et Vaï est d'une humeur massacrante ! » annonça le jeune homme, et Ren remarqua l'étrange proximité qu'entretenait Ann avec son oreille droite.

Était-elle en train de lui parler ? Que lui disait-elle ?

« Ça change quoi que tu m'aies pas vu de la journée et que Vaï soit d'une humeur massacrante ? Désolé, mais je vois absolument pas le rapport… », gronda Ren, sur la défensive.

Il avait tiqué à l'entente du prénom du Lakota, et se demanda si Fal savait. Puis il se ressaisit en se disant que Min n'était pas du genre à raconter ses problèmes à n'importe qui.

« Ben, je pense qu'on l'a tous remarqué – Ann, tu confirmes ? –, mais depuis que t'es arrivé ici et que Vaï et toi êtes devenus amis, il est beaucoup plus cool. Avant, c'était un vrai tyran, crois-moi, expliqua Fal, et Ann hocha la tête en se décalant subtilement de l'oreille de l'Eldien.

– Je confirme », dit-elle.

Ren grogna.

« Alors, tu nous racontes ? » relança Fal comme si de rien n'était.

Il se tut un instant, l'air de réfléchir, puis ajouta :

« Sinon, va voir Vaï et plaide notre cause… tu verras, j'suis persuadé que dès qu'il t'aura vu, il sera vachement plus sympa ! »

Ren le regarda sans un mot.

« Bon, j'vais le voir. J'avoue cependant que je ne te crois pas plus que ça… » marmonna-t-il en s'en allant.

Ce n'était pas tant qu'il ne croyait pas Fal, mais qu'il espérait pouvoir le croire. Penser que Vaï se montrait gentil seulement grâce à lui le ferait presque ronronner de bonheur.

Fal et Ann regardèrent le Creek partir, au loin.

« … Il n'empêche que je n'ai toujours pas compris à quoi ça servait que je dise ça ? Même si c'est la vérité que Vaï est plus cool quand Ren est là, à quoi ça sert qu'il aille le voir maintenant ? demanda l'Eldien.

– Ce sont Han et Min… Je crois qu'ils ont tout manigancé dans le dos des deux autres, répondit Ann.

« Tu sais ce qui se passe entre Ren et Vaï, donc ?

– Ouais, mais j'ai pas le droit de le dire.

– Même pas à moi ?…

– Surtout pas à toi. »

Tu comprendras en temps et en heure, se retint d'ajouter Ann. Rien que pour le bonheur de Vaï, elle espérait que le plan du Huron serait un succès.


Ren atteignit le Jinotsu. Pourquoi se laissait-il aussi facilement mener à la baguette par Fal ? D'habitude, il l'aurait repoussé sec, mais… mais il était question de Vaï, présentement. Donc Ren ne savait pas comment réagir. D'un côté, c'était de sa faute s'il ne s'était pas montré de la journée, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même pour ça.

Le Creek décida donc d'aller voir Vaï, simplement. Ils pourraient passer du temps ensemble, comme d'ordinaire. Et Ren aurait juste à se cacher. Ne rien laisser paraître. Bien enfouir ces sentiments tout au fond de lui. Il ne voulait pas risquer de perdre Vaï en tant qu'ami à cause d'un amour très probablement pas réciproque.

Lentement, le jeune homme entra dans le hall, et regarda autour de lui. Il poursuivit son chemin, et tomba sur Min qui passait la serpillière. Celui-ci releva la tête en l'entendant arriver.

« Hey, Min, je… hum, je cherche Vaï, tu saurais où il est, par hasard ? demanda Ren, tout à coup timide.

– Oh, oui, je sais où il est. Pourquoi, tu veux lui déclarer ta flamme ? C'est un peu tôt, non ? » fit le blondinet avec un sourire moqueur.

Voyant que la plaisanterie ne faisait pas rire Ren, et, même, qu'il semblait un peu anxieux, Min enchaîna rapidement :

« Enfin, euh… C'était une blague, hein !… (Toujours pas de réaction de la part de Ren.) Tu, euh, tu as… enfin… Tu as réussi à accepter tes sentiments envers lui ? Ou ça te rebute toujours ? »

Ren cligna des yeux, et sembla reprendre contenance.

« Oh… euh… Ça restera entre nous ? » demanda-t-il timidement.

Min acquiesça.

« … Bon, alors, je sais que c'est surprenant, et moi-même, je ne sais pas pourquoi, mais je crois que j'ai réussi à les admettre et les accepter. Je trouve toujours que c'est bizarre pour deux hommes de s'aimer, mais… euh… J'aime quand même Vaï. Dis, Min, les chances pour que mes sentiments soient réciproques sont quasi-inexistantes, n'est-ce pas ? Pour qu'on en parle comme d'une maladie dans mon village, c'est qu'il ne doit pas y avoir beaucoup de gens qui aiment des personnes de même sexe qu'eux… Je ferais mieux de renoncer à mes sentiments… »

Min dévisagea le Creek, épaté. D'une part, c'était une sacrée aubaine pour Vaï – comme pour Ren – que l'adolescent eût pu accepter tout ce qu'il ressentait, mais d'une autre, il fallait impérativement rassurer le jeune homme, parce que sinon, il allait baisser les bras.

« Bon, Ren, je suis très heureux que tu aies accepté ça, mais détrompe-toi sur un point ; les chances pour que tes sentiments soient réciproques sont plutôt élevées… »

Ren haussa un sourcil d'incompréhension, et Min se hâta de préciser sa pensée :

« Vaï, je pense, est quand même plus attiré par toi que par les autres. Après, je ne connais pas la nature exacte de ses sentiments envers toi, mais je pense que tu as tes chances. … Puis, quant à l'amour entre des personnes de même sexe… Bon, c'est vrai que c'est moins courant que l'amour entre des personnes de sexe opposé… Mais, à vrai dire, je ne pense pas que tu sois vraiment homosexuel. Sinon tu t'en serais rendu compte avant. À mon avis, tu es juste attiré par Vaï, et s'il avait été une femme, ç'aurait été la même chose. Quoiqu'en femme, il ne se comporterait peut-être pas exactement de la même manière – il aurait peut-être un comportement plus efféminé, du coup ?… Enfin, ce que je veux dire, c'est que tu l'aimes sans doute plus pour son caractère que pour son physique – même si ça doit jouer un peu quand même –, et que lui aussi doit éprouver un certain intérêt à ton égard. »

Ren, qui l'avait écouté dans un silence total, et qui semblait à nouveau repartir loin, très loin dans ses pensées, revint brusquement sur terre.

« … Hum, d'accord. », dit-il simplement.

Puis il fronça les sourcils, semblant sur le point de demander quelque chose, ce qui ne tarda pas :

« … Et… Pour notre différence d'âge ? »

C'était vrai, maintenant qu'il y pensait ; Vaï avait beau sembler aussi jeune qu'un adolescent d'une quinzaine d'années, à première vue, les rides légères sous les yeux et les angles marqués de son visage indiquaient immédiatement qu'il était plus vieux.

Min observa quelques secondes le visage frustré et nerveux de Ren, méditatif, puis il répondit honnêtement :

« À Atolatonan, il y aurait certainement des gens pour te juger sur ça – comme pour le fait que tu aimes un homme – mais ici nous sommes à Afshak. Les seuls à ne jamais avoir mis le pied à Atolatonan ici sont les membres de l'escouade Han, et je t'assure que nous n'aurons jamais aucun préjugé de ce genre ! » affirma-t-il, mains sur les hanches et regard assuré.

Il ajouta ensuite :

« Vaï est dans la salle H, au troisième étage. »

Ren hocha la tête, et en se rappelant soudain de ce pour quoi il avait quitté sa balade morose dans la Ville Fantôme. Au Jinostu, les salles étaient nommées par des lettres. Ren grommela en montant dans l'ascenseur. La salle H était super loin de la porte d'ascenseur, presque à l'opposé du bâtiment ! Le Creek se traîna jusqu'à la pièce, hésita un peu une fois arrivé devant, mais avant qu'il n'eût pu jeter un coup d'œil à l'intérieur, quelqu'un sortit de la salle I, juste à côté, et s'exclama :

« Ah, je me disais bien que j'avais entendu des bruits de pas ! et Han surgit près de Ren. Tiens, Ren ?! Qu'est-ce que tu fais là ?

– Je… euh… cherche Vaï. Il est bien dans la salle H ? demanda timidement le garçon.

– Ah, non, il est dans la salle I ! s'exclama Han.

– Ah bon ?! Bah, Min m'a dit qu'il était dans la salle H…, grommela Ren, mal à l'aise.

– Ah, bah ça, c'est qu'il a dit à Min qu'il était dans la salle H il y a quinze minutes, et comme il a fini de la nettoyer de fond en comble, il est passé à la I, expliqua Han.

– Ah, ouais, logique, quoi, réalisa Ren.

– Ouais, logique », répéta le Huron.

Puis il partit.

Ren resta un moment seul, dans le couloir, méditatif. Pourquoi était-il venu voir Vaï, déjà ? Ah, oui, soi-disant parce qu'il était d'une humeur massacrante. Pendant une fraction de seconde, il se dit qu'il pourrait partir, mais il se ressaisit, et songea qu'il avait assez évité Vaï pour la journée. Le matin, il n'était même pas allé sur le balcon, comme d'habitude, alors que peut-être Vaï l'avait attendu, après, seul. Oui, il lui devait des explications. Mais pas question de révéler ses sentiments – il n'oserait pas, il était quand même timide au sujet de certaines choses ; l'amour en faisait partie.

Toutefois, et malgré tout ce que Min avait dit, il avait peur de dégoûter Vaï.

Ironiquement, Vaï aussi, pendant un temps, avait eu peur de dégoûter Ren. Jusqu'à ce que Min ne vînt lui assurer que ses sentiments étaient réciproques.

D'ailleurs, Vaï, grâce à son ouïe sur-développée, avait tout de suite su que Ren était là, dans le couloir – et, sans elle, il aurait tout entendu quand même ; Han parlait vraiment fort. Le Lakota n'osait pas venir voir le Creek, par peur de lui imposer sa présence, et préférait attendre que l'adolescent se décidât de lui-même : voulait-il vraiment voir le noiraud ?

De toute manière, tout ça était un plan manigancé par Min et Han pour forcer Vaï à se déclarer.

Ren souffla un coup, et entra dans la pièce. Vaï, qui passait le balai, leva la tête. Le Creek resta un moment immobile, sans trop savoir quoi dire, piégé par le regard métallique et scrutateur de Vaï.

« Euh, hum… Salut, Vaï… » commença-t-il, gêné et angoissé au possible.

Il était tellement transparent, il était grillé, Vaï allait tout comprendre juste en voyant comment il bégayait piteusement.

« Je… euh… voulais te dire que je suis désolé pour ce matin, j'ai… je ne me sentais pas trop d'humeur à t'attendre sur le balcon. »

Il s'interrompit. Constatant que Vaï ne prenait pas la parole, il poursuivit, précipitamment, affolé, et son cœur battait bien trop vite ; il craignait d'avoir dit quelque chose de blessant ou de vexant :

« Mais ne va pas croire que c'est contre toi, hein ! Je… euh… J'avais besoin d'être un peu seul. J'espère que tu ne m'en veux pas de t'avoir faussé compagnie. »

Vaï continua de rester silencieux pendant un petit moment, puis sourit et eut un petit rire.

« Ne t'inquiète pas pour ça. Si tu veux savoir, je me suis réveillé aux alentours de dix-huit heures, et j'ai cru aussi que tu m'avais peut-être attendu avant de partir en voyant que je n'arrivais pas. … Pour tout dire, tant mieux que ni toi ni moi ne soyons venus, je m'en serais voulu de t'avoir laissé seul. »

Ren sourit timidement en retour. Un silence s'installa, et Vaï soupira avant de se passer la main dans les cheveux. Puis il se lança :

« Alors, euh… Je ne sais pas trop par où commencer…

– Par le début ? suggéra Ren avec une pointe d'ironie, et le Lakota le foudroya du regard pour la forme, avant de s'adoucir et de relancer, léger :

– Pourquoi pas, c'est une bonne idée. (Il redevint sérieux.) Alors… Bon, il faut que tu saches que si tu es là, c'est parce que Min et Han ont mis en place une stratégie débile pour… pour que je t'avoue quelque chose. »

Il marqua une pause.

« Je… »

Sa voix se bloqua. C'était moins facile à dire que ça y paraissait. Il n'osait même pas croire qu'il allait proférer quelque chose d'aussi stupidement niais, mais il devait le faire. Et Vaï était comme ça, il avait le sens du devoir. Alors il inspira profondément, expira doucement, et lâcha :

« Je t'aime. »

Un silence assourdissant suivit ces deux mots. Ren ne dit rien. Il s'attendait à tout sauf à ça. La première chose qui lui vint à l'esprit fut que c'était la blague la moins drôle qu'il lui eût été donné d'entendre.

Vaï, voyant que Ren n'avait pas l'air de le prendre au sérieux, décida de tout raconter :

« J'ai commencé à trouver que je n'agissais pas avec toi comme avec les autres le premier matin après ton arrivée, lorsqu'on s'est retrouvés tous les deux sur ce balcon. D'habitude, je… j'suis pas vraiment le genre de personne extravertie qui a souvent besoin d'avoir du contact avec les autres. Alors ça m'a surpris quand je t'ai caressé la joue. Après ça, j'ai tenté de mettre de la distance entre toi et moi. Je me suis montré détestable avec toi pendant environ quatre jours. »

Il eut un petit rire, qui, s'il n'avait absolument rien de joyeux, était à la fois désolé, nerveux, triste, anxieux, presque désespéré.

« J'ai pas réussi à tenir plus longtemps. Après encore, je me suis bien rendu compte que quelque chose allait pas avec moi, alors j'en ai parlé à Erwin, un ami de longue date. Il… m'a aidé à ouvrir les yeux, et j'ai pris conscience que je t'appréciais plus que je ne le pensais – en fait, que je t'aimais. Han m'a poussé à regagner ta confiance, et Min a deviné mes sentiments quand j'ai dû me plier à l'expérience de Han, il y a plus d'une semaine. Il m'en a parlé, et m'a dit qu'il t'aiderait à prendre conscience de tes sentiments. »

Il se tut à nouveau pour reprendre son souffle.

« Du coup, je sais pas trop ce que tu penses de tout ce que je viens de dire, j'sais même pas moi-même comment j'ai pu trouver le courage de dire tout ça, parce que quand on y pense, c'est super confidentiel et super gênant, mais en gros, je… connais tes sentiments envers moi, Min m'a tout dit. Ne lui en veux pas, il a fait ça pour t'aider. Voilà, donc… Min s'est dit que maintenant qu'on avait la certitude que tu m'aimais, je pouvais me déclarer. Ce que je viens de faire… Et… Je… Du coup, on pourrait… sortir ensemble ? » osa Vaï.

Il ne comprenait même pas comment il pouvait sortir des choses pareilles, comment il pouvait raconter tout ça, lui qui d'ordinaire intériorisait absolument tout, les mots comme les sentiments. Durant sa tirade, il n'avait par ailleurs pas osé regarder Ren, presque gêné. Effrayé tant par ses propres dires que par la potentielle réaction de son cadet. Et tout ça à cause d'un foutu binoclard ne perdait rien pour attendre.

Timidement, le Lakota releva la tête, et ce qu'il vit l'ébranla. Ren le fixait, lèvres étroitement serrées, joues rouges et yeux perdus. Son regard exprimait mille et une émotions différentes dans lesquelles Vaï se noyait ; doute, crainte, confusion, espoir, tendresse, et, plus que tout, une passion brûlante – de l'amour. Puis ses yeux se firent plus durs, déterminés, lorsqu'il s'approcha de Vaï. Une fois qu'il ne fut qu'à une dizaine de centimètres de l'autre, il s'immobilisa pour l'observer.

Son regard glissa des yeux surpris du noiraud jusqu'à son nez fin, puis ses lèvres. Inconsciemment, il passa sa langue sur les siennes. Vaï ne le quittait pas des yeux, et, sans échanger la moindre parole, la tête de Ren se pencha vers celle du Lakota, le Creek l'inclina vers la droite. Le noiraud combla les quelques millimètres qui les séparaient encore, et leurs lèvres se rencontrèrent.

Le temps semblait s'être figé. C'était la première fois que Ren embrassait quelqu'un sur la bouche. C'était agréable. Les lèvres de Vaï étaient douces, tellement en contraste avec son caractère revêche. Elles bougeaient contre celles de l'adolescent, et, sans qu'ils sussent trop comment, le Lakota passa ses bras autour de son cou, tandis que le jeune homme glissait avec tendresse ses mains sur les joues de son vis-à-vis.

Ils se séparèrent au bout d'un moment qui sembla durer une éternité, mais en même temps quelques millisecondes à peine. Aucun n'eut besoin de parler lorsque leurs regards se croisèrent : ils s'étaient parfaitement compris.

Ren esquissa un sourire timide, qui devint plus franc lorsque Vaï lui sourit en retour.

Le Lakota songea qu'il aurait à remercier deux yaoistes totalement barrés pour leur aide.

Le Creek, lui, se dit qu'il aurait deux ou trois mots à toucher à un certain blondinet à propos de sa manière très atypique de garder quelque chose secret.

Mais ils ne regrettaient rien ; ni ça, ni tous ces putains d'efforts, de prise sur soi, pour en arriver là.

C'était le meilleur aboutissement possible.


Il reste deux chapitres avant la fin.