Far West.

Cormac a mangé sa compote, la moitié du paquet de gâteaux et une pomme. Elsie n'a rien touché, ayant la crainte de quand sera son prochain vrai repas.

« Elsie, j'ai froid... »

La jeune fille ôte la besace de son épaule et la fait glisser autour de sa taille, puis enlève la veste de l'indien qui sent l'homme et pas le savon, et la fait enfiler à Cormac. Elle en referme les boutons. Pour la énième fois de la journée, elle consulte son téléphone et voit s'égrener le pourcentage de batterie. 37%. La nuit est presque tombée et Elsie arrête le cheval en tirant sur les rênes.

« La paysanne était tellement fatigué que son frère le preux chevalier décida de camper en bord du chemin pour qu'elle se repose. La nuit était presque noire, mais la forêt était paisible. »

Elsie saute du cheval en grimaçant. Elle essaie de plier le genou mais n'y arrive pas, et le tâte. Il est chaud et mou. C'est pas terrible. C'est pas terrible du tout.

« Allez, viens, Cormac. On va se poser par là. »

Elle tourne la tête autour d'elle mais ne voit rien d'autre que ces arbres innombrables, ce chemin discret qui serpente, saignant la forêt. Il n'y a rien. Absolument rien autour d'eux. Ils sont seuls au monde. La nuit s'emplit de bruissements, et de bruits d'animaux, mais le cheval ne manifeste aucune peur, alors Elsie pense qu'ils sont en sécurité. Elle tend alors les mains à Cormac qui vient attraper ses bras tendus, et se laisse descendre du cheval.

« Bien, Marcus, je vais t'attacher à un arbre, on ne voudrait pas que tu te perdes aussi, maintenant que l'on t'a retrouvé. »

Tout en devisant avec le cheval, elle attache les rênes à un arbre, mais il essaie de brouter les herbes. Ça mange quoi, d'ailleurs, un cheval ? Elle farfouille dans les sacoches attachées à la selle et trouve une longue corde qu'elle attache à une boucle du licol. Elle détache les rennes, et le cheval se met à brouter.

Il fait presque nuit noire et Elsie a du mal à voir quoi que ce soit. Ils auraient du s'arrêter plus tôt. Mais bon. Elsie frissonne et claque des dents.

« On va dormir là, Cormac. Tu as besoin d'aller aux toilettes ? »

Cormac se frotte les yeux et Elsie regarde encore une fois son téléphone. Il indique toujours 00:00 et la même date farfelue.

« Tu veux regarder des photos de papa, maman et Jessie avant de dormir ? Je te raconterai une histoire. »

Cormac acquiesce mais a une mine boudeuse.

« J'ai besoin de faire pipi. »

Elsie empoche son téléphone et prend la main de Cormac. Ils se dirigent vers un arbre un peu éloigné d'eux, parce qu'elle a en tête de dormir pas trop loin du cheval, si jamais ils tombent sur un autre prédateur, il les avertira. Elle l'aide à se défaire et à remonter son pantalon, et ils retournent à côté du cheval. A tâtons, Elsie cherche un endroit un peu confortable. De la mousse, ou de la terre, mais pas de racines ou de pierres. Quand elle en trouve un, elle récupère leurs affaires sur le cheval, et rejoint Cormac qui s'est mis à pleurnicher.

« J'ai peur du noir... »

Il hoquette et pleure à gros bouillons quand les bras d'Elsie se referment autour de lui. Elle frissonne et essaie d'atténuer ses grelottements. Grimaçant, elle caresse d'une main les cheveux de Cormac.

« Tu ne crains rien parce que je suis là. Et Marcus aussi. Tu as appelé le cheval comme le pompier de Pat Patrouille, c'est le plus courageux dalmatien que je connaisse ! »

Les hoquets de Cormac se calment et il sèche ses larmes avec ses poings serrés.

« Allez, viens, on va s'asseoir par terre, se mettre au chaud sous la couverture et dormir là. Tu vas voir comment papa, maman et Jessie seront fiers de nous quand on leur racontera notre nuit de camping ! »

Elsie se met à chatouiller Cormac qui se marre en se tordant dans tous les sens. Ses petites mains potelées essaient aussi de chatouiller Elsie au cou, et elle se laisse faire, et la nuit emporte leurs rires et les jette au ciel qui les surplombe.

La nuit a été froide, emplie de bruits tous plus inquiétants les uns que les autres. Elsie aurait pensé qu'elle n'avait pas fermé l'oeil de la nuit, mais un fort bruit d'eau la réveille, puis l'odeur âcre de l'urine de cheval. Elle secoue la tête, cligne des yeux plusieurs fois, essayant de se souvenir pourquoi elle a dormi par terre en salopette et tee-shirt en plein milieu des bois avec son petit frère dans les bras.

« Cormac... Cormac. »

Elsie secoue son petit frère et se prend une quinte de toux avec l'impression d'avoir avalé du gravier. Elle a attrapé froid. Cormac commence à s'agiter dans ses bras.

« Hé, coucou, doux prince... Tu as bien dormi ? Tu n'as pas eu froid ? »

Cormac tourne son petit visage pâle vers elle, les cheveux de l'arrière de sa tête sont presque dressés, ayant frotté toute la nuit contre la poitrine d'Elsie. Ses yeux bleus sont ouverts et il sourit en se jetant dans les bras de sa sœur.

« J'ai faim... »

Elsie sourit, fouille dans le sac Pat Patrouille et lui tend une compote et la moitié du paquet de gâteaux qu'ils se partagent tous les deux. Elle n'a rien mangé depuis la veille à midi. Elle frissonne puis se tâte la gorge. Elle trouve ses amygdales un peu gonflées et renifle. Le soleil commence à se lever, et Elsie se demande l'espace d'un instant de quel côté il est supposé être. Le pays du soleil levant, c'est à l'Est, et eux, ils vont vers l'Ouest sur le chemin. Il lui semble aussi que les mousses et lichens poussent sur le tronc des arbres au Nord, ce qu'elle vérifie, en étendant ses bras. C'est donc vrai, sourit-elle. Cormac la regarde d'un drôle d'air, alors elle lui explique ce qu'elle vient de faire, puis observe le ciel qui est dégagé, et repère l'étoile polaire, qui est une des dernières étoiles à briller. Elle est bien au Nord elle aussi. Quelque part, cela la rassure, de trouver les points cardinaux, cela lui donne l'illusion de ne pas être si perdue que cela.

Elsie se frotte les bras pour se réchauffer un peu, puis tend la main à Cormac.

« On y va, doux prince ? »

Cormac acquiesce, encore ensommeillé. Elsie prend son téléphone et regarde où elle en est de la batterie, mais en appuyant sur le bouton central, elle ne peut que constater qu'il est définitivement éteint. Quelque part, cela l'attriste plus que de raison, non parce qu'elle est si accro à son téléphone, mais là, elle se rend compte qu'ils sont définitivement seuls. Elle soupire puis cueille Cormac qu'elle soulève et dépose sur la selle. Elle décroche le cheval de la branche, et le mène avec la bride jusqu'à une souche. La bride toujours en main, elle ramasse les affaires par terre qu'elle range dans les sacoches, puis grimpe en grimaçant sur une souche et se hisse sur le cheval.

« Et c'est reparti, doux prince. Le preux chevalier monta sur sa fidèle monture avec sa sœur la paysanne, et ils reprirent leur route dans les bois, sur le fin chemin de terre séparant le monde des hommes de celui des fées. »

Elsie a toujours eu un regard particulier sur le monde, un regard de rêveuse, dirait son père, elle qui trouve toujours une histoire à raconter dans la moindre feuille morte à la forme étrange, dans le moindre visage d'un passant. L'inconnu ne lui a jamais vraiment fait peur, mais là, la situation serait autre si Cormac n'était pas là. Elle a tellement peur pour lui.

Elle resserre ses bras autour de Cormac qui s'est endormi contre elle, et s'abreuve de cette lumière particulière qui baigne toute la forêt. Des rouges, des ocres, des jaunes, le ciel bleu si clair qu'il en paraît blanc, et quelques traînées nuageuses, cotons étirés vers l'horizon.

Et dans son esprit tournent ce que lui a dit Wendigo. Aller jusqu'à la ville des Browns qui l'aideront à appeler ses parents, puis aller jusqu'à chez Claire Fraser qui est comme eux et l'aidera.

Tout cela n'a absolument aucun sens.

Et pourquoi ce mec lui a pris son bracelet ?

S'agaçant, elle serre les jambes autour des flancs de Marcus qui s'arrête, alors elle claque de la langue et lui met de petits coups de talons, l'encourageant à reprendre la route. Et, comme si une bête l'avait piqué, ce fichu canasson se met à trotter sur le chemin, puis à galoper franchement. Elsie serre les dents, referme ses bras autour de Cormac et attrape la crinière fermement.

« Accroche-toi, preux chevalier, on dirait que ton cheval a envie de faire la course avec le vent, pour arriver le plus tôt au banquet des fées, avant que les portes de leur royaume ne se referment à jamais. »

Elsie est hors d'haleine et Cormac hilare. Il se tourne vers sa grande sœur, la bouche grande ouverte sur un sourire qui lui fend les joues en deux, et les yeux pétillant d'excitation. Elsie sent les foulées du cheval diminuer, son petit coup de folie doit être en train de se calmer, et il continue sur un trot qui les fait rebondir sur la selle, ce qu'elle apprécie moyennement, étant donné qu'elle n'est pas très épaisse et a de petites fesses. Une main gardant celle de Cormac et empoignant toujours la crinière de Marcus, elle serre les jambes autour des flancs du cheval et détache son autre main pour attraper les rênes qui sont forcément tombées, l'obligeant, ainsi que Cormac, à se coucher sur le cheval. Une fois les rênes en main, elle tire dessus doucement et le cheval s'arrête, et souffle.

Si elle l'avait su, elle aurait pris des cours d'équitation au collège, et pas les cours de dessin qui ne servent à rien à part faire du bien à son âme.