7. Carriole-stop.

Alors qu'elle a dépassé les dernières maisons jetées au bord du chemin, Elsie entend Cormac appeler son nom, et il court jusqu'à elle, et vient cogner dans ses jambes et la serrer très fort. Elsie qui a pleuré tout le long du chemin se remet à pleurer encore plus si c'est possible. Mais quelle merde ! Putain, quelle merde ! Elle s'agenouille et embrasse Cormac à l'étouffer, essayant de le rassurer alors qu'elle ne l'est pas du tout. Puis elle le relâche, essuie ses propres larmes, puis celles de son frère.

« Ca va aller, Cormac... On va continuer le chemin, et on arrivera chez Claire Fraser qui va nous aider, c'est ce qu'a dit Wendigo Donner, et c'est ce qu'ont dit les gens au village aussi. »

Cormac a les joues qui rougissent de colère.

« Je les aime pas, ils sont méchants ! »

« Oh oui, c'est que des gros cons... Mais Wendigo était gentil, il nous a prêté un cheval. Maintenant Marcus est retourné chez lui, et nous on va continuer tranquillement, et aller jusqu'à chez Claire Fraser. Je suis sûre que c'est une gentille dame. Elle va nous aider, d'accord ? »

Cormac acquiesce, se donnant un air courageux, alors Elsie et lui se relèvent et reprennent leur chemin en boitillant. Mais elle n'est pas tranquille. Elle se tourne régulièrement pour voir si personne ne les suit. Tout en marchant, elle regarde le contenu de sa besace. Il ne leur reste quasiment plus rien à manger, mais ils ont une couverture. Elsie soupire. A part son doudou, il n'y a plus rien dans le sac de Cormac non plus. Elle tâte ses poches. Son portable est encore là, et son paquet de clopes. Elle ne retrouve pas son briquet... Elle tâte ses seins. Ah si, il est dans son soutif... Une habitude qui fait lever les yeux de sa mère au ciel.

Ils marchent une bonne demi-heure quand le bruit d'un cheval la fait se retourner encore une fois. Il y a une carriole, là-bas, et une personne dedans. Craignant qu'ils ne viennent les chercher, Elsie prend la main de Cormac, et ils se fondent entre les arbres, s'éloignant le plus possible de l'espèce de route. Mais le chemin est plus difficile et Elsie boîte fort, alors elle s'arrête.

« On s'assoit un peu et on attend qu'il s'en aille, d'accord ? »

Cormac murmure alors, comme s'il pensait que la personne qui est sur la carriole pouvait les entendre.

« Tu crois que c'est des méchants ? »

Elsie hausse les épaules et secoue la tête.

« Je sais pas. Mais je préfère ne pas le savoir. »

Alors elle sourit, et son regard se pose sur la route. La carriole semble ralentir, et elle est conduite par une femme qui regarde tout autour d'elle, puis derrière elle. Elle tire sur les rênes et se lève sur son banc, mettant sa main en guise de visière. Quand son visage est tourné vers elle, la femme se fige, et fait un signe du bras, puis elle se rassoit sur son banc et reste regarder dans leur direction. Elsie se lève alors et montre sa tête. La femme lui refait un signe du bras.

« Tu m'attends, Cormac, je vais voir ce qu'elle veut, d'accord ? Je crois que c'est une gentille. »

Les mains d'Elsie viennent ébouriffer les cheveux de Cormac, et elle boitille vers la carriole, non sans se tourner plusieurs fois vers son frère, lui faisant signe d'attendre. Elsie s'approche prudemment, le visage impassible.

« Je vous ai vue là-bas. Je n'ai rien pu faire pour les empêcher. Mon mari était comme eux, mais dieu merci, il est mort. »

Elsie ne bouge pas, et garde ses yeux bleus plantés dans ceux de la dame, qui lui fait signe de monter à côté d'elle.

« Dites à votre fils de nous rejoindre, je vais vous avancer le plus possible. »

« Comment ça ? »

« Margareth m'a dit que vous vouliez voir Claire Fraser, elle est à trois jours d'ici. Je vais vous avancer, mais je ne peux pas aller jusqu'à chez elle. Dites à votre fils de nous rejoindre. »

Voyant qu'Elsie hésite encore, la dame insiste.

« Dépêchez-vous ! Je vous ai pris un peu à manger, des vêtements décents, et une couverture. Vous aurez un long voyage après. On met trois jours à cheval, entre chez les Brown et chez les Fraser. Vous pouvez compter le double à pied. Et il n'y a personne qui habite le long de la route. Appelez votre fils, j'ai pas toute la journée. »

Elsie se tourne alors et fait de grands signes à Cormac qui arrive en courant.

« Elle est gentille la dame ? »

La dame en question acquiesce en souriant.

« Tu t'appelles comment, mon petit ? Moi c'est Barbara. »

Cormac se redresse pour paraître plus grand qu'il n'est.

« Moi c'est Cormac, et je suis pas petit. »

Elsie se désigne de la main.

« Et moi Elsie. Cormac est mon petit frère. »

Elsie et Cormac montent dans la carriole et s'assoient à côté de Barbara qui émet un claquement de sa langue, et le cheval se met en route. Elsie se relève, installe la besace sous ses fesses endolories, et se rassoit.

« Vous connaissez Claire Fraser ? »

« C'est une guérisseuse. C'est la femme la plus extraordinaire que j'ai rencontré de ma vie. »

« Wendigo Donner nous a dit qu'elle pouvait nous aider à retrouver nos parents. »

Les yeux d'Elsie se posent sur ceux de Barbara.

« Il faut se méfier de ce que dit cet homme. Mais Claire Fraser est une femme gentille, et si elle peut vous aider à trouver vos parents, elle le fera. C'est qui, vos parents ? »

« Elliott et Fiona Innes. On habite à Gretna avec notre sœur Jessy. »

« Gretna ? Je connais pas... »

« C'est à mi-chemin entre Carlisle et Dumfries, quand on prend la nationale... »

Elsie rougit violemment et se tait.

« A côté de Greensboro ? »

Elsie acquiesce.

« Ouais, par là... »

Cormac se tourne vers la jeune femme et lui tire la manche.

« J'ai faim. »

Barbara se met à éclater de rire.

« Elsie, regardez derrière, j'ai pris du pain, du fromage et des fruits. Je pense même qu'il y a un pot de miel. Et des vêtements décents. Vous ne pouvez pas vous balader comme ça, cela donne des idées aux hommes. »

« Je vais me changer » marmonne Elsie qui enjambe le banc, pour aller sur le plateau de la carriole. Elle trouve la nourriture qu'elle passe à Cormac, qui a tellement faim qu'il ne rechigne pas devant les pommes flétries. Elsie lève les yeux au ciel en voyant la robe de mormonne qu'elle se met à enfiler par-dessus ses vêtements poisseux. Elle garde ses converses rouges, et fouille sans vergogne dans ce que Barbara a installé à l'arrière de sa carriole. Elle tend alors les bras à Cormac.

« Quand tu auras fini ta pomme, tu mets ça, Cormac, c'est plus chaud, d'accord ?

Elle échange de place avec son petit frère, et, hésitante, chuchote à Barbara.

« Mais tout ce que vous nous donnez, cela ne va pas vous manquer ? »

La jeune femme secoue la tête.

« La robe était à Margareth, mais elle est a grandi et est devenue une femme. Et les vêtements sont trop petits pour mon plus jeune fils. Ils ne nous manqueront pas. Vous avez des vêtements de mon défunt mari. S'il ne tenait qu'à moi, j'aurait tout brûlé. Mais si cela peut vous servir... »

Barbara fait un signe de la main derrière elle, et Elsie se lève et récupère des vêtements raides de crasse. Ils puent, et sont couverts d'une espèce de boue brune. Elsie pâlit en se rendant compte que c'est du sang.

« Je suis désolée, j'ai fait au plus vite, ils ne sont pas propre. Mon mari est mort dans ces vêtements, et c'était sans doute l'un des plus beaux jours de ma vie. »

Elsie a un moment d'arrêt avant de fourrer tout cela sans la besace. Claquant de la langue pour faire accélérer son cheval, Barbara précise.

« Mettez les vêtements en trop dans la couverture, et vous faites un baluchon. Et mettez la nourriture dans la besace. Vous avez des armes ? »

Elsie fouille dans le fond de la besace et soupire, soulagée. Le couteau de Wendigo est là.

« Gardez-le précieusement. Les ours se réveillent et ont faim. Vous êtes sur leur territoire jusqu'au croisement. Ensuite, c'est celui des loups. Mais la forêt leur fournit suffisamment de gibier pour qu'ils viennent grignoter vos cuisses... »

Barbara éclate de rire et couvre sa bouche, en s'excusant.

« Faites un feu, la nuit. »

Elsie emmagasine toutes ces informations en acquiesçant, avec toujours ce sentiment d'étrangeté qui ne la quitte pas. Au bout de quelques heures, les arbres laissent un peu de place autour de la route et Barbara arrête sa carriole, puis se tourne vers Elsie avec un air désolé.

« Je vais devoir vous laisser, Elsie et Cormac Innès. Si je ne rentre pas avant la nuit, je vais subir le même sort que vous. Il vous reste cinq jours de marche. »

« Mais, Wendigo avait dit trois jours entre chez vous et chez les Fraser... »

« Trois jours de cheval, oui. Mais à pied, c'est le double. Restez sur la route, il passe parfois une charrette ou des hommes à cheval. »

Quand Elsie se lève du banc de bois, récupère Cormac et ses affaires pour marcher, elle ressent sur sa peau la brûlure des coups de ceinture. Elle est courbaturée de partout et doit faire peur à voir.

« Bon retour, Barbara. Merci pour tout. »

La jeune femme sourit.

« Vous saluerez Claire Fraser de la part de Barbara Brown. J'aurai aimé vous accompagner plus, Elsie. »

Elsie dessine un sourire courageux sur ses lèvres alors qu'elle meurt de trouille mais elle fait semblant, parce que Cormac ne doit pas avoir peur. Et elle regarde la carriole faire une boucle et s'éloigner avec regret, se sentant plus seule et démunie que jamais.