Chapitre 2
De la réserve
L'arrière-boutique apparaissait comme trop petite... Pour un Nain. Enfin, c'était les premières pensées qui vinrent à l'esprit de Thorin lorsqu'il posa le pied dans l'espace qui lui donnait la sensation d'être tout bonnement écrasé. Le grand barbu ne savait pas trop où se mettre en attendant le maître des lieux. Ce dernier, s'étant faufilé parmi plusieurs étagères dans l'avant-salle après avoir mené le Nain jusqu'à la réserve, avait totalement disparu pour aller faire le thé. Écu-de-Chêne fut bien embêté par cet hôte impromptu qui, en plus de l'envoyer paître concernant le travail promis par Gandalf, abandonnait son invité soudainement. Le prince déchu soupira profondément. Quelle guigne il avait là, vraiment !
Mirant ses godillots couverts de boue séchée, le robuste luron détailla la pièce où il se tenait, gauche et maladroit : le sol était couvert d'un parquet brut, ciré parfaitement, et sur lequel les bottes laissaient s'écailler la terre. D'autres meubles, semblables mais plus grands et plus profonds que ceux dans la boutique, couvraient les murs dont on ne percevait même pas l'enduit. Des bocaux s'y alignaient, remplis de fécules, d'épices et d'herbes pour accompagner les repas et parfois, entre deux, étaient calées des viandes salées. Il devait y en avoir pour des semaines de denrées, pensait Thorin en scrutant la nourriture attentivement. S'il pouvait prendre une demie douzaine de ces pots, ça lui donnerait peut-être quelques jours de...
« Hum-hum... Je ne voulais pas vous sortir de votre... Euh... Rêverie, mais voici le thé et.. J'ai cru bon amener de quoi vous sustenter, ami Nain ! »
Écu-de-Chêne se retourna, surpris, son cœur avait fait un énorme bond dans sa poitrine dans l'étonnement. Bilbon, le vendeur, ne comprit pas de suite pourquoi le visage de son invité se voyait autant marqué par une sorte de peur. Le visiteur décontenancé, et ne voulant pas perdre de son crédit devant un simple marchand de bric-à-brac, se justifia sur-le-champ :
« Maître épicier, quelle discrétion dans votre arrivée ! Enfin, faut-il dire par la même que vos rayons m'impressionnent par leur fourniture !
- Oh, ça ? Questionna distraitement le Hobbit. Ce ne sont que les marchandises pour la semaine : tout part très vite, ici, à La Comté. »
Bilbon tira une chaise pour le Nain et prit place juste en face. Il versa le thé dans deux tasses – celle de Thorin lui semblait bien petite, comme tout dans le magasin, le tenancier comprit – et disposa une assiette avec des petits pains entre les deux récipients fumants. Le robuste invité posa son énorme carcasse sur le siège avancé par l'épicier et, s'installant comme il le pouvait, le grand type sentit l'assise craquer sous son poids. Bien qu'il ait perdu de sa masse dans ses pérégrinations et dans ses travaux payés au lance-pierre, le fils de Thrain se voyait encore assez massif pour de l'ameublement Hobbit.
Entendant le bruit significatif, l'hôte esquissa un sourire qui ne disait rien de bon : il paraissait sur le point de laisser échapper un amusement retenu ou bien une remarque Teintée d'amertume. Thorin fronça les sourcils, parce qu'il estimait que ce n'était pas à ce Bilbon d'être si dérangé, mais bien à lui, roi sans terres et en errance. Il voyageait pour des clopinettes, et cette route jusqu'à La Comté lui avait revenu cher. La moindre de ses économie ne fut plus que poussière au moment où le Nain se voyait presser le pas vers l'échoppe du marchand.
« Donc, vous disiez être venu ici pour quérir du travail, c'est bien cela ? Interrogea Sacquet en reposant sa tasse après avoir soufflé sur le thé trop chaud. Je ne comprends pas de quelle marque vous parliez, plus tôt, vraiment.
- C'est une inscription, sur votre porte, vous n'avez rien vu ? Elle y est, pourtant, et c'est bel et bien Gandalf l'auteur de ce signe. Il m'a parlé de vous et de votre commerce. Le magicien pensait certainement que vous voudriez m'aider, enfin... Ce vieux fou me l'a assuré, plutôt. »
Bilbon leva un sourcil, très haut, lorsque les mots du prince Durin frappa son oreille. Jamais il n'avait été question de fournir du travail à qui que ce soit dans ses discussions avec le sage à la longue barbe grise. Non, ils avaient toujours échangé à propos des feux d'artifices de Gandalf à La Comté, ou encore de leur entreposage dans l'arrière-boutique du magasin Sacquet. Mais jamais, ô grand jamais, l'éventualité d'un saisonnier n'avait fait irruption dans leurs paroles.
Tout à fait intrigué, cependant, par la venue du Nain, l'hôte le relança rapidement sur le sujet de son voyage, et aussi de ce qu'il attendait d'un emploi – pour quelles raisons un gaillard comme lui prêtait ses services au premier venu, quelles types de tâches il pouvait effectuer, et éventuellement les compensations qu' Écu-de-Chêne souhaitait.
« … J'avais l'idée de fonder une Compagnie, avec l'argent amassé, pour reprendre Erebor, expliqua Thorin en grattant son menton couvert d'une épaisse toison noire. C'est là où ma Khiluz... Ma famille habitait, autrefois. Il s'agit de ma maison, et on me l'a prise. On m'a tout pris. Et je ferais tout pour reconquérir ce qui nous revient de droit, aux autres et à moi.
- Vous m'aviez l'air bien sombre, quand j'ai aperçu votre tête en sortant. Toutefois... Le cas présent est plus que compréhensible : le retour à votre terre vous semble primordial, et vous faites votre possible afin de réunir les vôtres à nouveau. C'est très noble de votre part, Thorin. »
Déstabilisé, le prince de sous-la-montagne balbutia de maigres remerciements. Il n'espérait rien de plus du maître épicier qu'une sorte de simple compliment. Après tout, le bougre n'avait-il pas énoncé n'avoir jamais désiré le moindre employé ? N'avait-il pas clamé le fait d'une erreur de la part de Gandalf ? Écu-de-Chêne balaya l'idée d'une empathie amplifiée, chez le Hobbit, par l'évocation brève de son histoire. Il boirait le thé en bon invité avec son hôte, et ce serait tout. Ô, et qu'il ne manqua pas cette éventualité !
En effet, il n'y eut pas la moindre poursuite de conversation, pas un mot de plus suite à cette approbation vaine de la part de Monsieur Sacquet. À la place, un long silence s'était insinué entre les deux hommes, s'installant jusqu'à ce que Thorin ait fini le fond de sa tasse et la moindre miette de petit pain – dont il avait fait un goulu repas, affamé par sa vie de triste nomade. Bilbon, de son côté, s'employait à rester tempéré dans ses faits et gestes, appréciant la boisson et la seule pâtisserie qu'il pu sauver de l'appétit féroce du Nain. Après s'être assuré de n'avoir rien tâché – nappe tout comme habit – le Hobbit se leva de table pour la débarrasser. Écu-de-Chêne l'imita et fut sur ses quilles en un bond.
« Je vous remercie de votre hospitalité, Bilbon Sacquet, prononça presque solennellement l'exilé d'Erebor en inclinant sa tête dans un geste poli. Que votre commerce fleurisse et soit prospère, maître épicier.
- Merci bien, l'ami, répondit le semi-homme avec un sourire. J'espère que votre emploi vous hissera bien haut pour l'épreuve qui vous attend, en retour ! »
Thorin crut, l'espace d'un très court instant, rire jaune. Le petit bonhomme lui souhaitait comme la bonne chance dans sa quête d'une tâche contre menu salaire. Un véritable toupet ! Cependant, en bon prince, le déchu ravala salive et sarcasme bien au fond de sa gorge. Puis, penaud, prit la direction de la porte d'entrée de la petite épicerie en songeant se rendre à Bree pour servir, peut-être, en tant que forgeron.
« Pardonnez-moi, monsieur Thorin, mais que faites-vous ? Hasarda Bilbon, tasses à la main. Ne me dites pas avoir mal compris, mon brave, mon engagement envers vous, puisque vous voulez m'offrir le vôtre ! Allons bon, une épicerie comme celle-ci ne peut décidément plus tourner sous mon seul travail. Posez vos affaires, prenez un tablier, et commençons ! »
