Quand Elie arrive au loft, elle sourit doucement, pas léger et tête légère. Alors qu'elle approche de l'entrée, la porte s'ouvre devant elle. Elle s'arrête un instant, son sourire s'agrandit. Aria l'a enregistrée dans son registre d'accès sécurisé. Elle avance et balaie le salon du regard, à la recherche de la pirate mais il est vide, immaculé. Alors qu'elle allait continuer à avancer elle entend enfin la voix d'Aria, autoritaire :
« Ce n'est pas parce que ça s'est ouvert que tu es autorisée à rentrer. Ressors, malpolie.
Elie s'exécute en silence, tête baissée. Aria reprend
- Bien, maintenant tu peux entrer.
- Merci, madame, répond Elie en entrant.
Elle voit enfin la Matriarche, debout au bout du salon, l'air martial, les yeux se promenant sur la mercenaire. D'un geste de la main, elle indique à cette dernière de s'asseoir et prend elle aussi place dans un fauteuil. Une fois installées, elle demande, sachant déjà la réponse :
- Qu'as-tu fait de Chambers ?
- Je l'ai assommée et laissée au hangar. Impossible d'avoir une discussion simple avec cette fille.
- Tu aurais du la tuer. Dorénavant, cette fille est sous ta responsabilité. Elle pose problème, c'est toi qui paies. Compris ?
- Oui, madame, répond Elie, sans parvenir à cacher sa confusion.
- Bien. Maintenant, parle-moi d'Alia.
Un instant, la mercenaire ne voit pas du tout qui sait et puis en un éclair, ha oui, la petite fan de Shepard !
- Personne d'important. Une gamine fan de Shepard. On a parlé, elle ne viendra plus m'emmerder.
- C'est à moi de décider qui est important ou pas, Elie. Il m'a été rapportée qu'elle a parlé avec Lawson à l'Afterlife, récemment. C'est très grave, humaine. Sache que j'ai envoyé un de mes hommes pour lui apprendre une ou deux choses. Est-ce que ça pose un problème ?
- Non, Aria, aucun, répond immédiatement Elie, sous le regard aiguisé de Aria, qui sourit. Malgré le pincement quand une main enserre doucement le cœur de Shepard, la mercenaire poursuit : Souffrance ou mort ?
La phrase, cette question, Shepard la posait pour la première fois il y a vingt ans, plus ou moins, quand un des anciens l'envoyait apprendre quelque chose à quelqu'un.
- Souffrance. Dis-moi, Elie, si ma réponse avait été différente, est-ce que ça aurait changé quelque chose ? Demande Aria, curieuse de la réponse qu'elle va obtenir, attentive à tous les signaux.
- Non. C'était uniquement pour savoir, Aria.
Aria est satisfaite, elle ne détecte pas de sournoiserie, pas de mensonge. Parfait.
- Maintenant explique-moi pourquoi tu t'es retrouvée à combattre Lawson et T'Soni chez Chambers ?
- Je suppose qu'elles ont voulu aider Kelly. Elles ont du croire que j'allais la tuer, ou quelque chose comme ça…
- Qui a appelé T'Soni, selon toi ?
- Tous mes crédits sur Miranda. Chambers n'a rencontré Liara qu'une fois. Miranda et Liara ont une relation particulière.
- Comme c'est étonnant ! Maintenant, dis-moi, comment expliquerais-tu que j'ai su que Miranda venait ici alors qu'elle était encore dans le système solaire, et que je n'ai jamais eu vent de la présence de T'Soni sur ma station ?
- Haha, simple. Liara est le Courtier de l'ombre, elle dispose de plus d'hommes, de moyens et de ressources que n'importe qui dans la galaxie, répond Elie sans réfléchir, avant de ressentir, au fond de sa cage thoracique, une immense angoisse, une terrible honte, qu'elle ne parvient pas à comprendre.
Aria reste un léger instant sous le choc de la révélation avant de réaliser. Elle connaît l'identité du Courtier de l'ombre. Son sourire devient prédateur et une vague de désir l'envahit. Le sentiment de puissance qu'elle ressent à l'instant est si exceptionnel. Elle veut jouir. Elle se lève d'un bond, laissant l'humaine l'observer, les yeux ronds, avant d'ordonner.
- Debout, humaine. Déshabille-moi. »
Elie s'exécute immédiatement, rangeant l'angoisse, et le reste dans l'obscurité d'un coin de son âme. Debout, tout contre l'asari, elle s'attelle religieusement à la tâche. Chaque bout de tissu retiré se voit remplacer par ses baisers sur la peau dénudée. Les biotiques des deux amantes se caressent, dansent, se pénètrent, se nourrissent les uns des autres. L'humaine explore, avec les mains et les lèvres délicatement, cou, poitrine, tétons, ventre, pelvis, fesses, cuisses, se délectant des muscles roulant sous le contact, des frissons, des gémissements sourds qu'elles créent. Au bout d'une éternité de caresses et de danses biotiques, la Matriarche repousse Elie, s'assoit, nue et régalienne, sur son fauteuil devenue trône, écarte les cuisses et ordonne, d'une voix basse de désir
« A genoux. Fais-moi jouir. »
Elie obéit avec déférence, même si le mouvement réveille les douleurs dans sa jambe. Elle s'agenouille au plus près du fauteuil, le visage et ses lèvres près des cuisses de la Matriarche. Ses mains descendent, caressent les chevilles, remontent doucement, s'interrompent sous les genoux, le temps d'un baiser, à l'intérieur des cuisses. Les mains reprennent leur visite, douce exploration des cuisses, des fesses, des hanches. Nouvelle interruption, d'un baiser un peu plus haut. Aria grogne, et Elie comprend l'impatience. Pendant que ses mains continuent leur ascension, atteignant l'une le ventre, l'autre, les seins, pinçant délicatement les tétons, la bouche s'approche, chaleur exquise, de l'entrecuisse de l'asari. La Matriarche, parcourue d'énergie biotique, caressée par celle de son humaine, regarde avec fascination une bouche humaine déposer un baiser sur son sexe. Réponse instinctive, elle bouge le bassin, ordre silencieux à l'humaine d'aller plus loin. Quand elle sent la langue sortir, lécher, se promener, une main bleue lâche le fauteuil pour se saisir de la tête d'Elie. Et violemment, sauvagement, l'asari ordonne à sa mercenaire de la dévorer, sans un mot, ordre primal des gestes et des mouvements. Et la mercenaire obéit. La Matriarche tremble, ferme les yeux, ressent tant de sensations qu'elle en gémit. Quand elle rouvre les yeux, noirs de jais, son autre main saisit une main humaine, et dans un autre ordre silencieux, l'amène sur son sexe, rejoindre la langue et les lèvres qui la dévorent. Quand des doigts puissants la pénètrent, elle joint son esprit à celui de la mercenaire, y ressent tellement de douleur et d'excitation qu'elle jouit immédiatement, une première fois, se nourrit des sensations que l'humaine perçoit, dévore tout ce qu'elle peut de plaisir, jouit encore, murmure, doucement « Mienne » et puis enfin, se retire de l'union.
Du bout du pied, elle repousse sa mercenaire, qui, surprise, se rattrape sur sa main gauche et en gémit de douleur. Aria, prise de pitié et se souvenant la souffrance, s'excuse et Elie lui sourit simplement. Aria récupère de ses orgasmes et observe Elie. La mercenaire est toujours à genoux, et regarde le corps de l'asari avec une admiration, une dévotion, un désir, tels que la Matriarche pourrait presque en jouir à nouveau. Mais au lieu de ça, elle se lève lentement, dévoilant son corps sous le regard de l'humaine attentive. Avec des gestes mesurés, elle se rhabille. Puis ordonne à Elie de se lever. Elle voit la mercenaire obéir avec difficulté, tenir sa jambe blessée, s'empresser de prendre un cachet. Aria comprend alors la douleur qu'elle a ressenti dans l'union. Cela passera. Mais elle ne peut s'empêcher de se sentir un peu coupable. Elle n'aime pas infliger de la douleur dans le sexe, sans consentement et si le supplicié n'en tire aucun plaisir. Elle lui fait signe de la suivre et part doucement dans la cuisine. Là, elle sert deux verres d'un doux cocktail asari et récupère des fruits. En tendant un à Elie, elle croque dans le sien, puis dit :
« Bien… Reprenons. Que t'ont dit Lawson et T'Soni ?
- Globalement, des conneries. Plus sérieusement, elles m'ont demandée pourquoi j'étais là ? Et après… Je sais plus trop…
- Et tu as répondu quoi ? Demande Aria, cette question ayant une portée énorme pour l'asari.
- Je leur ai dit que j'appartenais à cet endroit. Que c'était ma place.
Ce n'est pas exactement la réponse que la pirate attendait, mais c'est plutôt bien.
- C'est à moi que tu appartiens, humaine. Ne l'oublie jamais.
- Évidemment, cela va de soit, madame.
- Et toi que leur as-tu dit ?
- Qu'elles devaient partir, quitter Oméga. Que cette place n'est pas pour elle.
- Et pourquoi cela ? Demande Aria, intriguée, plutôt satisfaite jusque-là.
- Parce qu'elles ne sont pas des monstres, Aria, évidemment. Cette place… J'y appartiens car j'en suis un. Elles, elles n'ont rien à faire ici.
Cette fois, Aria ressent un petit pic d'inquiétude. Le timbre de voix, la lueur dans son œil, ses intonations. Çà ressemble au discours d'une personne proche du précipice.
- Et tu insinues par là que je suis un monstre ?
- Milady, bien sûre. Vous en êtes la reine. Ma reine.
Cette voix ce sourire, ce ton. Tout excite et tout angoisse Aria en même temps. Elie n'est pas stable. Il va falloir surveiller ça.
- D'accord… Maintenant, dis-moi. Ce problème est le tien, vu qu'elles sont là à cause de toi. Comment ferais-tu pour leur faire quitter Oméga, si tu étais à ma place ?
Elle observe le langage corporel de la mercenaire et voit que sa main gauche a des spasmes, ainsi que les nerfs entourant l'œil gris. Elle attend, doucement. Au bout d'une minute, la mercenaire répond, d'une voix lointaine :
- Elles sont bornées. Comme tout le monde, elles n'écouteront pas simplement. Il faut les menacer avec quelque chose qui leur est cher…
Elle s'interrompt, une douleur lancinante lui enserrant le cœur. Pas le sien. Celui de Shepard. Elle le sent se recouvrir un peu plus de noir et la douleur est terrible. Aria observe, en silence, son inquiétude grandissante. Elie tousse, puis dit, la voix cassée :
- Les menacer. Par exemple, c'est facile, Oriana, pour Lawson… Et pour T'Soni…
Cette fois, le cœur s'assèche et la douleur empoigne Elie autour des poumons. Aria est à ses côtés en un instant, en silence, ne sachant ni ce qui se passe ni quoi faire.
- Pour T'Soni. Son réseau, Aria », murmure Shepard d'une voix basse et blanche, tremblante.
Et d'un coup, la mercenaire se recroqueville sur elle-même, comme si elle voulait se dévorer, muscles si tendus qu'ils roulent sous la peau. Aria observe, apeurée, n'ayant jamais vu un humain, ou même un être vivant subir… Ce qu'est en train de subir la mercenaire, quoique ce soit. Elle saisit une main rigide alors que le corps s'arrête de bouger, prostré dans une position absolument sans confort. Et étrangement, Aria, en tenant cette main, a la sensation totalement glaçante qu'elle ne tient pas du tout la main d'Elie à cet instant. Que cette main entre les siennes est celle d'une créature étrangère. Alien. Doucement, la Matriarche inspire, expire, puis pénètre avec précaution l'esprit de l'humaine. Ce qu'elle voit la stupéfait autant que ça la terrifie. Elle est entourée d'une tempête de fumée noire et de biotique. Au loin, prostrée au sol, un peu comme le corps d'Elie, une forme infantile. Et ce qu'il y a de plus effrayant, au loin, mais gigantesques, des yeux bleus électriques. Aria essaie d'aller au-delà de la tempête mais ne tombe que sur de grandes barrières très solides, plus solides que celles d'avant, sans fissure, sans fuite. Elle fait tout cela en sentant sur elle les yeux bleus électriques qui la suivent du regard. Lentement, elle sort de l'union et s'effondre par terre, aux côtés du corps prostrée de sa mercenaire.
Aria n'a jamais vécu, vu ce genre de choses. En des siècles d'existence, en des milliers d'unions, forcées ou non, elle n'a jamais expérimenté une telle scène d'angoisse. Elle est persuadée d'une chose, avant ce soir, elle n'avait jamais uni son esprit à celui de ce corps, celui qui est là en ce moment, et ça, Aria ne le comprend pas. Cela la met mal à l'aise. C'est impossible. Elle aurait du sentir Elie, elle lui tenait la main, c'est elle qu'elle a rejointe. Et pourtant, rien n'était familier. Rien n'était marquée par son propre passage. Aria observe la forme qui est à côté, comme toute craquelée, retournée sur elle-même et se dit que la guerre a probablement pris encore plus à Shepard que ce qu'elle a pu en découvrir. Elle se souvient alors des enregistrements audio de la nuit où Shepard a pris l'hallucinogène. Elle se souvient les hurlements, rien que ce souvenir lui glace le sang, les bruits de coups, les suppliques, et ces mots qui revenaient tout le temps, qu'elle prenait pour un délire de drogué : « les yeux bleus, les yeux bleus, ils sont là, dans le coin. » Elle caresse doucement la joue balafrée d'Elie, qui n'est pas vraiment là, oui, Elie, ils sont là les yeux bleus, partout en toi… Elle se lève doucement, saisit le corps de la mercenaire, si léger étrangement, et dans une cuisine luxueuse tout en haut d'Oméga, une reine transporte le corps brisé de son chevalier vers un repos qu'il ne connaîtra jamais.
