Alia court depuis plus de dix minutes. Cela fait plusieurs virages qu'elle ne reconnaît plus ce qui l'entoure et agit à l'instinct. Elle a appelé un des contacts de Liara dès qu'elle a vu Malo arriver dans son quartier. On lui a répondu immédiatement en lui envoyant un programme traqueur à activer juste avant de fuir. Et c'est ce qu'elle a fait. Elle se retrouve maintenant dans une vieille zone désaffectée, étroite, encombrée. Malo, malgré sa taille court extrêmement vite et la talonne depuis le début. Alors qu'elle va pour tourner à droite, elle ne voit pas les caisses sur le sol juste après. Elle trébuche, tête la première sur le métal. En trois enjambées, Malo est au-dessus d'elle. Il saisit l'adolescente par le col et la soulève comme une plume, avant de repartir un peu en arrière. Il lui donne un léger coup dans le ventre puis la jette au sol. Elle tousse, pleure, mais ne le quitte pas des yeux. De sa voix rocailleuse, il explique :

« Aria ne tolère pas que l'on agisse contrairement à ses intérêts et ceux de ses alliés. La mercenaire à l'œil gris n'a qu'un seul nom pour toi, Elie Whelps. Et tu n'approcheras plus de la mercenaire à l'œil gris. Désobéis, et tu finis dans l'espace. Est-ce clair ? »

Alia hoche vigoureusement la tête, terrifiée, la tête douloureuse, le ventre douloureux. Elle croyait que ce serait fini mais Malo la reprend par le col et lui inflige quatre coups violents, lentement, encore une fois dans le ventre, avant de la jeter au loin et de repartir doucement de là d'où il venait, en sifflotant un air butarien. Dans les boyaux immondes du fond d'Oméga, une orpheline pleure et se recroqueville, une orpheline qui n'a plus qu'un vœux, qu'on oublie qu'elle existe.

Liara a presque démit l'épaule de Miranda en sortant de l'hôtel. Elle court dans les rues de la ville, relisant le message, vérifiant le traqueur. Elle n'a jamais couru plus vite, à part peut-être ce dernier jour de la guerre, dans le no man's land… Elle prie pour ne pas arriver trop tard, depuis qu'elle est partie le signal s'éloigne. C'est bon signe, la petite court toujours. Elle continue. Ça ne va plus, depuis trois minutes, le signal ne bouge plus. Elle accélère, elle approche, terrifiée de ce qu'elle pourrait trouver. Elle ignore totalement où elle est. A l'entrée d'une allée très étroite, elle s'arrête. Dans la semi-obscurité, elle voit une forme sur le sol, immobile. Affolée, elle la rejoint, pour être immédiatement rassurée, quand elle voit qu'elle respire et qu'elle pleure, yeux fermés.

Liara enlève son casque et doucement, s'assoit près d'Alia. Avec délicatesse, elle soulève la tête de la jeune fille et la dépose contre elle. Immédiatement, l'adolescente la sert contre son visage, pleurant doucement. De sa main gantée, Liara caresse les cheveux sales d'Alia, et elle commence à se détendre. Liara pleure aussi, une paire de larmes, à la fois de tristesse et de rage. Alia, ouvrant les yeux, observe le visage de l'asari, et se dit : elle est vraiment parfaite, Shepard, tu avais raison. Et sa main monte doucement, pour chasser de la joue du Courtier de l'ombre, une larme de tristesse ou de rage, elle l'ignore. Elle dit doucement :

- Elle a dit que vous étiez magnifique… Elle a raison.

- Ha oui, elle a dit ça ? Elle exagère sans cesse. Comment vas-tu ? Tu as besoin d'un médecin ? Demande Liara, les joues s'assombrissant, un triste sourire aux lèvres.

- Ça va aller. C'est juste… J'ai eu très peur, c'est tout.

- C'est normal d'avoir peur. Tu es sûre ? Je peux te trouver un médecin…

- Oui, c'est bon. Merci d'être venue. Vous n'étiez pas obligée.

- Pardon ? Shepard m'aurait tuée si je n'étais pas venue.

- Vous l'avez vu, vous lui avez parlé ? s'exclame Alia, pleine d'espoir.

- Je… Alia, je n'ai vu qu'Elie, le monstre. Je n'ai pas pu trouver Shepard.

- Mais… Vous l'aimez… Elle vous aime. Ça devrait… Elle devrait être revenue…

- Parfois, l'amour ne suffit pas, Alia.

- Mais ce n'est pas la chose la plus puissante de l'univers ? C'est ce que disait ma mère ?

- L'amour est puissant, oui. Mais il existe des forces capables de briser même cette puissance…

- Je suis sûre qu'Oméga est une de ces forces.

- Moi aussi, Alia, moi aussi.

Doucement, les deux âmes tristes s'échange un doux regard, partageant compassion, tendresse et même un petit peu d'espoir. Puis Liara soulève délicatement la tête d'Alia et se lève, imitée par la jeune fille. L'asari la regarde, sérieuse, et lui dit :

- Écoute. Les choses vont devenir… Compliquées pour Miranda et moi. Aria sait que nous sommes là. Il se pourrait que nous ne nous revoyons pas. Alors je vais te donner le contact d'une dame, Kalhee Sanders, elle gère une école pour humains. Je voudrais que tu l'appelles, que tu lui parles, si tu veux bien. Elle est prête à te proposer une place dans son établissement. Un appel, et quelqu'un viendrait te prendre. Tu vas y réfléchir ?

- Pourquoi cette femme, et même vous, pourquoi vous feriez ça pour moi ? Quel est le prix à payer ?

- Aucun prix à payer, aucune condition. Tu restes libre de tes choix. C'est comme je t'ai dit, les amis de Shepard, sont mes amis. Et Kalhee Sanders est aussi une amie de Shepard. Alors, tu y réfléchis ?

- D'accord. Si vous me promettez que vous ne laisserez pas Shepard sombrer ici. Qu'elle aura une chance aussi. Elle mérite pas ça.

- C'est promis. Personne ne mérite ça, Alia. Une dernière chose. Quel est le nom de la personne qui t'a frappée ?

- C'est Malo, le géant butarien, la brute préférée de Aria.

Dans sa tête, Liara range le nom de Malo, le géant butarien, dans un casier avec quelques autres noms. Au dessus du casier, une étiquette stipulant : noms à donner aux assassins.

- Merci. Je te conseille d'obéir à Aria, et surtout, de ne pas hésiter à appeler Madame Sanders. Juste un appel, sans engagement. Mais ça peut changer ta vie. D'accord ?

- Oui, Liara. Merci. J'espère que vous arriverez à retrouver Shepard. Bon courage. »

Et sur ces mots, l'adolescente disparaît dans le dédale où elle avait couru auparavant. Liara plaque les mains sur son ventre, s'assoit lourdement et se remet à pleurer, doucement. J'espère aussi, Alia, j'espère aussi. Elle reste assise là, les yeux fermés, fatiguée. Elle pense à tout ce qui pourrait mal tourner, à tout ce qui pourrait arriver, à tout ce qu'elle pensait, espérait qu'elle ferait aujourd'hui quand elle se battait aux côtés de Shepard, pour cet avenir qui semble encore tellement lointain. Dans les boyaux du fond de la station des Terminus, une asari lance des bouteilles à la mer, à l'espace, vers un amour perdu, un cœur qui noircit et se serre.