« Avons perdu les cibles, ici, nord-est, est, probabilité de planques dans deux quartiers, surveillance renforcée. Temps estimé de repérage des cibles après apparition sur caméra, maximum quatre-vingt deux secondes. Devez connecter omni avec traqueur numérique pour suivre la cible. Conseille breuvage, et observation. »

Elie écoute, très amusée, le briefing du galarien en tête du système de surveillance. Elle est impressionnée par ce qu'elle voit. Au lieu de suivre son conseil, elle fait le tour de la pièce. Mémorise, sans trop y faire attention, des plans de quartiers, des emplacements de caméras de surveillance, les noms de certains agents d'Aria sur le terrain, les emplacements de nombreux systèmes de défense, l'emplacement de portes dérobées menant à des souterrains. En regardant cette pièce, elle se rend compte des talents d'Aria. Meneuse d'hommes, tacticienne, brillante analyste. Elle avait vu un soupçon de ça pendant la libération d'Oméga. Et elle sait prendre le meilleur en chaque chose. La salle en elle-même, c'est une architecture turienne, ainsi que le système de gestion logistique et de sécurité. La défense est gérée selon des codes asari, c'est le choix parfait. La surveillance et le renseignement sont galariens jusqu'au bout des ongles. Et ce qui fait naître un sourire, c'est que la planification stratégique est absolument, divinement humaine. Ce mélange de techniques militaires est imparable. Impossible de faire des prédictions sur ce qui n'existe nulle part ailleurs. Aria est un génie militaire. Et cette pensée donne un frisson d'extase à Elie.

Alors qu'elle s'est posée en retrait, fumant une cigarette appuyée sur une console éteinte, Elie est sortie de sa torpeur par des alarmes et de l'agitation du côté de la surveillance. Elle s'approche des écrans et des techniciens qui s'affolent devant et observe. Au bout d'un moment, elle voit l'objet de cette agitation. Sa cible. Un sourire prédateur sur les lèvres, Elie écoute les instructions du galarien, lance le traqueur numérique, avale deux pilules rouges et sort pour pratiquer un sport qu'elle n'a pas fait depuis longtemps, la chasse.

La cible est à quatre minutes, et ça déçoit presque Elie, qui voulait tester son véhicule en mission. Elle avance vite, indifférente des visages et des formes qu'elle croise, qu'elle bouscule parfois. La cible ne bouge plus depuis une minute et demi et Elie s'en approche doucement. Elle ressent en elle un mélange de hâte, ce qu'elle comprend, et d'angoisse, ce qui la rend un peu confuse. Elle secoue la tête, comme si ça allait chasser ces sensations étrangères, et continue. Elle tourne à l'angle d'une rue et confirme enfin le visuel sur la cible. Elie ne peut s'empêcher de penser que même avec cette tenue de technicienne, cette coupe au bol, cette couleur de cheveux, Miranda reste magnifique. Sans s'en rendre compte, elle s'est arrêtée de marcher et admire simplement.

Miranda sent qu'on l'observe. Depuis qu'elle est sortie de l'hôtel en fait. Mais là… Elle observe alentour et là, en bas de la rue, elle voit. Shepard est là. Non pas Shepard. Le sourire maniaque, l'œil rouge éclatant, la posture de prédateur, Elie est en train de l'observer. Miranda sent un frisson traverser tout son être. Elle s'efforce de ne pas montrer la peur qui doucement s'infiltre sous les pores de sa peau pour glacer son sang. Quand Elie se met à marcher, instinctivement, elle se retourne et commence à repartir, elle ne sait pas où, juste à s'éloigner. Mais elle entend la course derrière elle, les cris de surprise des passants écartés violemment. Alors elle s'arrête à nouveau. Entend la course devenir des pas lourds, irréguliers. Et s'arrêter juste derrière elle.

Elie est presque déçue que Miranda n'ait pas fui plus longtemps. Elle est juste derrière la biotique et teste un petit peu ses nouveaux dons, curieuse de voir la réponse chez une humaine. Elle envoie des pics, des vagues, mais ce qu'elle reçoit en réponse n'est qu'un chaos indescriptible. Elle arrête de jouer et saisit le bras de la scientifique, la retourne. Dans les yeux de la femme en face d'elle, elle voit quelque chose qui serre un peu son âme, ou autre chose, en elle. Elle rompt le contact visuel, observe le reste de son visage. Elle connaît trop Miranda pour que celle-ci puisse lui cacher sa peur. Et là encore, le fait de savoir que Miranda a peur d'elle tord un petit quelque chose, au fond de sa cage thoracique. Sans un mot, Elie se retourne, tire la femme par le poignet et les dirige toutes les deux vers l'Afterlfe.

Miranda ressent quelque chose d'étrange au niveau de son poignet, là où Elie la tient. On dirait que ses biotiques sous sa peau, sont attaqués, non, ce n'est pas violent, sont caressés par les biotiques d'Elie. Et elle se dit que c'est impossible. Elle a déjà utilisé ses biotiques avec Elie, dans de nombreuses situations, même intimes, mais elle n'a jamais su faire ça. Aucun humain ne sait faire ça. Et ce qui effraie, dérange Miranda, c'est que ce jeu commence à exciter ses sens et elle ne veut pas de ça, elle se sent comme violée, attouchée d'une façon qu'elle ne désire pas par une personne qui l'effraie. Et alors que ça continue, que les sensations augmentent, ce sont les réflexes primaux, face à ce genre de situation, qui prennent le contrôle et Miranda frappe, d'un coup surchargé par les biotiques, le bras qui la tient. Le grognement qui en résulte est celui d'une bête.

Elie est aveuglée par la douleur et la rage. Elle ne s'attendait pas à ça. Elle se retourne en un instant, charge Miranda, qui se retrouve propulsée sur plusieurs mètres et atterrit douloureusement par terre. En quelques secondes, Elie est au dessus d'elle, fulminante de rage, l'adrénaline boostant tous ses sens. Ses biotiques sont furieux et elle aussi. Alors elle frappe. Un premier coup sur la tempe, pour étourdir, le second dans le ventre, pour couper le souffle, le troisième sur le côté, pour incapaciter. Et un quatrième, dans la mâchoire, parce que putain j'en ai juste envie ! Sa main gauche saigne, elle l'a utilisée elle ne sait quand pour frapper, la douleur va être abominable. Elle est penchée sur Miranda, qui semble sonnée pour le moment. Son visage est tuméfiée, une grande coupure saigne au niveau de sa tempe. Et cette vision fait trembler le monde entier d'Elie…

Miranda ne se souvient pas avoir un jour été battue de la sorte. Elle a l'impression que toutes les douleurs qu'elle ressent, combinées, pourraient la tuer. Elle sent Elie au dessus d'elle. Elle ouvre les yeux, lutte un instant contre la nausée, et voit le visage de son agresseur. Mais à cet instant, quand elle pose les yeux sur cette personne, Miranda se rend compte qu'elle ne regarde pas Elie. Non, elle regarde un être dévasté par la culpabilité, qui pleure, horrifié par ses propres actes. Elle regarde Shepard et elle se sent effondrée. Elle essaie de dire un mot mais ce qu'elle voit, cette souffrance visible sur ce visage scarifié lui tord tellement le cœur qu'elle ne peut que regarder. Et d'un coup, elle entend, si doucement qu'elle croit rêver, une très faible voix, tremblante et cassée, lui murmurer « Miranda, je suis vraiment désolée ». Et Shepard s'écroule sur elle, dans un cri déchirant de douleur. Miranda, effrayée, se dégage et observe.

Shepard n'a jamais ressenti autant de douleur en un seul point de son corps. C'est comme si toutes les blessures qu'elle a subi depuis sa naissance étaient réunies dans sa main gauche, là où les nerfs sont presque à vifs, coupés, charcutés, brûlés. Et elle se retrouve au sol, à hurler, incapable de trouver les moyens, la force d'atteindre les pilules noires, d'arrêter la douleur. Elle entend du bruit derrière elle, se retourne un peu, dans le flou de sa douleur, elle voit Bray qui jette Miranda au sol et s'approche d'elle, fouille dans ses poches, lui donne deux pilules noires, une rouge et retourne vers Miranda, la tenant en joue. Shepard, à cette vue, son cœur noir et son âme étouffée, se brise encore, combien de morceaux reste-t-il, se demande-t-elle, avant de disparaître à nouveau.

Elie se redresse d'un coup. La douleur dans sa main gauche est incroyable mais elle va gérer. Elle ne comprend pas comment Bray est arrivé. Lui pose la question. Il la regarde comme si elle était dingue et Elie se dit qu'elle doit l'être. Elle regarde Miranda. La femme a pleuré. Des sillons se sont formés sur ses joues pleines de poussière, de sang et de saleté. Qu'est-ce qui s'est passé ? Ha, peu importe. Elle a un boulot à faire. Elle remercie Bray et lui dit qu'elle va continuer sans lui. Il l'observe un long moment puis acquiesce. Elie sait qu'il sera dans son ombre, quelque part, au cas où. Est-ce qu'Aria la surveille, ou la protège ? Là est la grande question. Elle s'approche de Miranda, toujours au sol, et lui tend sa main droite, en disant :

« Debout Lawson, vous avez un rendez-vous.

- Shepard ?

Un seul regard et Miranda comprend que ce n'est plus la femme qu'elle aime devant elle. Elle saisit la main offerte et se redresse. Elie demande :

- Vous allez être civilisée maintenant ou je dois vous assommer pour vous amener à Aria ?

- Parce que tu crois que c'était civilisé, ce que tu me faisais, quand tu me tenais ? C'était une intrusion, une violation…

Les deux femmes se mettent à marcher, Elie tenant fermement le coude de Miranda, qui marche doucement, le corps douloureux.

- De quoi vous parlez ?

- De ce que tu fais avec tes biotiques, monstre.

Elie s'arrête, se place devant Miranda, et la fixe droit dans les yeux en disant :

- Vous me parlez une fois de plus comme ça, et je vous coupe la langue. Aria veut vous parler. Cela ne veut pas dire qu'elle veut forcément vous entendre. Compris ?

Miranda sait, au plus profond d'elle-même que ce n'est pas une menace, c'est une promesse. Elle déglutit, et répond.

- Compris. Allons-y. »

Et les deux femmes marchent en silence. Elie voudrait couper sa main gauche, Miranda voudrait revoir un instant cette femme qui s'est excusée, et les deux restent perdues dans des pensées tourmentées, l'une par la douleur, l'autre par la tristesse. L'Afterlife se dessine au loin et Miranda se demande ce que lui réserve la reine d'Oméga, à elle, qui l'a trompée en changeant d'identité juste sous son nez. Miranda sait qu'elle va payer. Elle espère juste qu'elle saura vivre avec le prix donné.