Elie voit du coin de l'œil quelqu'un descendre du salon. Elle se tourne et voit Miranda, l'air brisé, abattu, et ne comprend pas pourquoi cette vision l'attriste autant. Elle la regarde partir, finit son verre, clin d'œil et coup de chapeau à Kalena, et elle monte vite rejoindre Aria. L'asari est occupée sur son omni, alors elle attend à l'entrée, en silence, sent les biotiques des deux côtés qui se saluent et dansent. Alors qu'elle est consacrée à l'observation du néant, elle entend enfin Aria qui lui dit :

« Elie, approche. Tu as failli tout faire échouer aujourd'hui, tu t'en rends compte ?

Elie ne s'attendait pas à ça et cherche des réponses dans sa confusion, aucune ne vient, alors elle répond :

- Le job est fait. Vous vouliez Lawson, vous avez eu Lawson, non ?

- Si Bray n'avait pas été là, tout aurait pu arriver. Tu as tapé avec ce tas de chair qui te sert de main gauche et la douleur t'a empêchée de finir ton job, Elie. Donc d'ici quelques jours, tu vas être opérée, mon médecin vient te mettre une prothèse.

- Non. Pardon, Aria, mais je ne veux plus… Vous savez quel est le pourcentage d'implants cybernétiques et synthétiques, de tissus, d'organes artificiels que j'ai en moi ? Soixante et un pourcent, Aria. Et c'était avant la fin de la guerre. Enlevez-moi ce bras, et il me restera quoi d'humain ?

Aria ne peut s'empêcher d'être touchée par la peur, la tristesse qu'elle ressent à cet instant chez Elie. Et ce pourcentage lui donne des frissons dont elle ignore l'origine… Mais il faut qu'elle soit pragmatique. Elle ne peut autoriser l'échec. Alors elle réplique :

- Je peux comprendre, Elie. Mais tu ne peux pas être efficace avec ce bras. Le médecin pourra regarder, mais je ne peux pas me permettre que tu te retrouves hors service en plein combat. Compris ?

Elle voit Elie flancher à ses mots et comprend qu'elle a utilisé les mauvais termes. Mais avant qu'elle puisse se reprendre, la mercenaire se redresse, l'air déterminé, et lui dit :

- Hors service ? Bien. A vos ordres, madame. Est-ce qu'il y a autre chose ?

Aria n'a jamais entendu ce ton auparavant. Froid, distant, mais sous lequel gronde une colère magistrale. Elle regarde sa mercenaire. Pas de sourire, la lumière, dans l'œil, plus forte que jamais, le visage impassible. Cela passera. Elle espère. Et dit :

- Non, c'est bon, tu peux y aller. »

Elie ne se rappelle pas être descendue, être sortie de la boîte de nuit, avoir marché. Elle se retrouve, dans un brouillard, devant un bar dans un quartier sale de l'ouest d'Oméga. Elle hausse les épaules, prend deux pilules rouges et entre. A l'intérieur, beaucoup de butariens, quelques turiens, aucun humain ni aucune asari. Elle s'approche du bar, le turien derrière le comptoir l'observe longtemps, puis lui sort une bouteille et un verre. Elle comprend, comme la dernière fois, que c'est la seule chose qu'elle pourra boire ici. Elle hoche la tête et se serre. La musique provient d'une radio asari, et les basses sont assez puissantes pour faire vibrer la cage thoracique.

Alors qu'elle boit en silence, réfléchissant à sa main, à ce qu'a dit Aria, à ce qu'elle est au final, elle en vient à la conclusion qu'étant un monstre, elle peut bien perdre encore un peu plus de son humanité. Ce n'est pas comme si ça allait changer quelque chose, de toute façon. Aria a raison, si la douleur peut la diminuer à ce point sur le champ de bataille, c'est un handicap. Et il existe de bonnes prothèses. Aria ne lui donnerait pas de la mauvaise qualité. Mais encore une chose qu'elle lui devrait. De l'agitation dans son dos la sort de ses pensées. Elle se tourne et voit quelque chose qui fait vriller son crâne, sa colonne, toutes ses idées. Le monde devient rouge.

Au fond du bar, une jeune humaine, pas plus de vingt ans, est enchaînée au mur par une chaîne en métal reliée à un collier d'esclave, dont les pointes enfoncées sous la peau transmettent aux nerfs, à la demande, des chocs électriques suffisants pour stopper un instant toute fonction motrice. Elle est nue, couverte de bleus et de coupures. Elle est assise entre deux clients du bar, un butarien et un turien qui la pincent en riant. Tout était calme pour ce petit bar miteux d'Oméga. Puis un tonnerre biotique s'y est abattu, dont le centre était le client butarien.

La charge est si puissante qu'Elie en jouit presque. Le butarien est un amas de chair contre le mur. Tout le bar s'est mis à bouger en un instant, des tables se jettent, barricades temporaires, des armes se dressent. Elie s'en fout, son fusil à pompe posé dans le cou du turien aboie et la tête disparaît dans un nuage de chair. L'esclave hurle, horrifiée, et Elie s'en fout aussi. Son sang bout, enrage, cogne à ses tempes. Elle ne perd pas de temps, charge et détone une nova sur les trois butariens qui s'étaient réfugiés derrière une table non loin. Elle les finit à coup de pompe et poursuit son chemin. Le barman loge une balle dans son abdomen, mais elle ne sent presque rien. Elle l'attrape, et commence à le frapper au sol, de sa bonne main. Encore, et encore, et encore. Puis elle s'arrête et regarde autour d'elle. Les autres clients sont partis. Lâches. Elle va détacher l'esclave et la pousse dehors. Retourne à l'intérieur, trouve la porte des bureaux. Là où il y a un esclave, il y en a d'autres. Elle descend, tue un garde qui se planquait derrière un pilier et continue. Au bout du couloir, trois butariens sont retranchés. Elle n'a pas de grenades, sa blessure commence à se faire remarquer, mais elle doit continuer. Alors elle observe. Un conduit part, à ses pieds, vers la gauche des butariens. Elle n'aime pas ramper, mais n'a pas trop le choix. Elle s'avance et tombe dans une petite pièce sombre, un stockage. Elle fouille rapidement, tombe sur des fumigènes, les prend, au cas où. Et poursuit dans le conduit. Elle arrive enfin dans un couloir. Elle doit être un peu derrière les trois butariens maintenant. Elle sort doucement et avance vers l'embranchement.

En un regard, elle est rassurée. Ils ne restent que deux gardes, le troisième est plus loin, en train de la chercher. Elle se met derrière eux, sourit, ferme les yeux puis charge, détone une nova directement dans la colonne vertébrale d'un des gardes. Voit la chair s'éparpiller dans un spectacle de couleurs incroyables. Les sensations en elle sont tellement puissantes qu'il lui faut un instant pour se remettre en route. Elle a rejoint le dernier garde alors qu'il commençait à peine à la viser. Elle lui explose la gorge d'un coup de fusil à pompe et prend enfin un instant pour respirer, avaler une pilule, se recentrer. Alors qu'elle observe le cadavre, elle voit à son côté une lame cérémonielle butarienne, un bel objet denté, conçu pour faire souffrir. Elle se l'approprie. Après un moment, elle poursuit son exploration. Il n'y a plus personne dans les salles qu'elle parcourt. Jusqu'à ce qu'elle arrive près d'un grand sas verrouillé. Son instinct lui dit que les esclaves sont derrière, et qu'ils ne sont pas seuls. Elle doit faire attention. Elle déverrouille le sas, attentive au bruit. Quand il s'ouvre, elle n'est pas visible, blottie près de caisses de marchandises, elle observe, elle attend les réactions.

Quelques secondes après l'ouverture du sas, un turien sort de la pièce, fusil mitrailleur en main. Il balaie du regard le couloir, ne voit rien, se retourne pour parler à quelqu'un puis continue à fouiller. Elie ne bouge pas encore. Le turien s'approche encore d'elle. Quand il est à portée, elle se lève d'un coup et lui tranche la tête avec la dague cérémonielle, propulsée par ses biotiques. Elle se remet derrière les caisses, attend. La personne à qui il a parlé sort également, un très grand butarien, un des plus grands qu'Eli ait pu voir dans sa vie. Elle n'attend pas qu'il voit le cadavre de son collègue, pompe en main, elle se lève et charge, puis tire. Mais le coup est dévié par une armure solide et le butarien fait tomber son pompe. Un coup de poing de géant envoie Elie un mètre en arrière, tombant brutalement sur le dos. Elle se relève rapidement mais le garde est déjà sur elle. Instinctivement, elle lève le bras gauche et la main du géant se referme sur ses nerfs à vif.

La douleur est telle qu'un instant tout ce qu'elle voit est blanc. Et puis la rage et le rouge et le sang. Le butarien la pousse violemment contre un mur, cherche à atteindre son arme, sa main toujours serrée autour du poignet d'Elie qui a fini par ne plus rien sentir. Elle reprend la lame cérémonielle et l'abat sur le bras qui la torture, la lame le déchire, mais entame également le poignet de la mercenaire, sur plusieurs centimètres et elle hurle, autant que le butarien qui cherche à arrêter le saignement de son membre diminué. Un boost d'adrénaline nourri par la douleur et les biotiques réveille les instincts d'Elie qui relance une charge, immédiatement détonée en nova. Elle sent que son poignet gauche ne vit pas bien les mouvements à la fin de l'attaque. Elle tombe par terre, entourée de morceaux de chairs et de sang. Elle regarde enfin son bras gauche. Le poignet ne tient plus à grand-chose, complètement déchirée par la lame dentée. Elle observe un moment le sang, les os, les muscles et les nerfs. Trouve une certaine beauté là dedans. Et puis elle repense aux esclaves. La mission n'est pas finie.

Elle trouve un morceau de tissu, dans un coin, le noue autour de son poignet. Manque s'évanouir de douleur. Respire encore, longtemps, prend des pilules, elle ne sait même pas quelle couleur. Essaie de se lever, n'y parvient pas, décide de ramper doucement en attendant. Elle arrive devant la dernière salle. A l'intérieur, six humaines, attachées au mur comme celle qui était en haut. Elle fouille la pièce du regard. Ne trouve pas de clés pour les colliers. Elle détache les chaînes, leur dit de monter et de sortir puis s'assoit dans un coin, incapable de bouger plus, ne se souvenant déjà plus de pourquoi elle a fait ça. Se disant qu'elle a mal et que demain, ce sera dur de se lever. Et au fond d'une cave d'esclavagistes butariens, dans un vieux quartier d'Oméga, un chevalier qui ignore qu'il est chevalier sombre dans l'inconscience et doucement disparaît.