Jack n'est pas du matin, alors quand le contremaître du cargo qui l'amène à Oméga l'a réveillée pour lui dire qu'ils arrivaient à Oméga, elle a failli l'enfoncer dans le mur. Mais elle se maîtrise, depuis quelques temps. Oméga. Elle aime bien cette station, souvenirs plutôt doux-amers, bonnes baises, bons alcools, mais un sacré paquet de connards réunis sur un même caillou. La dernière fois qu'elle est venue ici, les Collecteurs grouillaient encore de l'autre côté du relais interdit. Elle accorde une brève pensée à Shepard. Faut absolument qu'elle boive un coup à sa santé ici. Surtout que c'est grâce à sa copine qu'elle se retrouve ici. Kalhee lui a expliquée que T'Soni, on ne sait trop comment, avait déniché une adolescente humaine sur Oméga qui avait besoin d'en partir et qui démontrait certaines facultés intéressantes. Elle n'est pas biotique, et ça a déçu Jack, mais elle n'allait pas cracher sur une balade à Oméga.

Elle descend du vaisseau et est choquée de voir à quel point ça a peu changé. Pourtant, elle a parlé avec Shepard, sur la Citadelle, de ce que Cerberus avait fait ici, et elle avait imaginé le pire pour le caillou. Comme quoi, un trou, même quand il traverse l'enfer, reste toujours le même trou au final. Elle a rendez-vous avec la gamine en début d'après-midi, alors elle décide de faire un tour au marché, voir si elle ne pourrait pas dénicher quelques modes illégaux pour son pompe.

Après une bonne balade, quelques achats, elle se dirige vers l'Afterlife. Le bar n'a pas changé. Elle reconnaît même certains clients. C'est fou cette vie, où des planètes entières sont devenues inhabitables et Oméga, elle, reste tranquille, dans sa bulle de trafic, de racket et de crime à la sauvette. Elle se pose au comptoir où travaille une jolie asari, lui sourit et commande deux bières et un whisky. Foutue Shepard, c'est pour toi ça ! Pense la biotique en vidant le whisky. La barman sourit, se penche et lui demande :

« C'est une tradition humaine, cette commande, deux bières, un whisky ?

- Quoi ? Non, pourquoi ?

- Une de mes habituées ne prend que ça, tout le temps.

L'information perturbe Jack un moment, mais elle se rattrape vite.

- On a peut-être eu la même pote qui avait la mauvaise habitude de déteindre sur les gens.

- Peut-être bien oui… Ha ben, tiens, en parlant du loup, dit la barman en montrant du menton un groupe de trois personnes, deux mercenaires asaris et une humaine, un chapeau stylé, crâne rasé, œil gris, cicatrices, bras gris, wow c'est Robocop la fille, pense Jack en souriant.

Et puis elle voit l'autre œil rouge et éclatant, ça lui rappelle Shepard un moment. Puis la fille s'arrête au bar, murmure un truc à la barman qui sourit et minaude, sert la commande, deux bières, un whisky et deux cocktails que la mercenaire s'empresse d'amener à la table où se sont assises les asaris. Quelque chose dérange Jack chez cette humaine. L'impression de la connaître mais pas vraiment. Des détails qui collent, l'œil, les traits du visage, la silhouette, la commande, le sourire et même les mimiques de flirt. Et tout ce qui ne colle pas. Le style, le sourire un peu dément, la démarche boiteuse, la lueur si vive dans cet œil qu'on dirait le rayon d'un Moissonneur. Elle boit et elle observe cette humaine, qui finit ses verres, salue les asaris et monte sans même hésiter vers l'antre d'Aria. Elle n'avait jamais vu une merc humaine oser faire ça. Elle fait signe à l'asari d'approcher et lui demande :

- Mais c'est qui cette fille ?

- La favorite d'Aria. Une mercenaire, légende locale alors qu'elle est là depuis même pas un mois. Il y a peu, elle a détruit un bar qui avait des esclaves à elle toute seule. Elle a un truc contre les butariens cette fille. Remarque, on peut pas trop lui en vouloir…

- En un mois, elle fait tout ça… C'est pas possible. Elle était déjà venue avant.

- Son nom c'est Elie Whelps, inconnue dans les Terminus ma jolie. Et, à ce qu'on dit, la plus puissante biotique du coin. Elle fait cette technique que vous avez, vous les humains, à charger comme des dingues sur les ennemis.

Encore un détail qui colle. Et qui ne devrait pas. Déjà, c'est Jack, quand elle est à Oméga, la biotique la plus puissante du coin, et puis… Une porte-étendard ? Qui commande toujours deux bières et un putain de whisky ? Merde. Jack se dit qu'avant d'aller voir la gamine, il faut qu'elle appelle T'Soni. Il y a des choses qui ne collent pas et Jack n'aime pas ça. Elle sent qu'on ne lui a pas tout dit. Et ça, Jack aime encore moins. Elle remercie l'asari et sort en vitesse. Se posant dans une alcôve, elle appelle Liara, qui répond rapidement :

« Bonjour Jack, un problème ?

- Peut-être. Qu'est-ce que je fais à Oméga, T'Soni ?

- Je ne sais pas, Nought, répond innocemment Liara en essayant de cacher le sourire dans sa voix.

- Liara, je déconne pas. Qui est-ce que je viens chercher ?

- Quelqu'un qui s'est mis en danger pour une amie commune, Jack.

- Cette amie commune, elle s'appellerait pas Elie Whelps par hasard ?

- Je ne peux rien dire, pas tout de suite. Récupère cette personne, pars d'Oméga, et rappelle-moi, je t'expliquerai tout, Jack.

- T'as intérêt T'Soni, parce que les putains d'intrigues d'espion à la con, j'aime pas, ok ?

- D'accord. Désolée. A très bientôt. Et salue la jeune fille de ma part. »

Jack n'a pas tout compris. N'arrive pas à arranger ses idées. A ranger ses pensées de façon logique. Alors elle arrête de réfléchir, regarde l'heure, se dit qu'il vaut mieux qu'elle aille au rendez-vous et qu'en marchant tout ira mieux. Mais en sortant de son alcôve, elle s'arrête immédiatement. La mercenaire est ressortie, avec sa démarche tordue, son sourire, ce sourire joueur. Ce sourire qu'elle connaît bien. Elle la voit monter dans une voiture flambant neuve, piloter comme une furie vers les sommets d'Oméga, disparaître. Jack ne cherche pas à attester ce que son cerveau lui crie. La gamine. Sa mission. Le reste, tout ce putain de reste, on verra plus tard.

Alia a un quart d'heure d'avance. Elle a dit au-revoir à ses amis, leur a promis de revenir un jour, de les aider un jour. Et elle y croit. Elle le fera. Mais là, elle commence à paniquer. Elle voudrait que sa mère soit là. Qu'elle lui dise quoi faire. Ou qu'au moins elle a fait le bon choix. Madame Sanders lui a envoyée la photo de la personne qui vient la chercher. C'est une femme qui fait un peu peur, crâne rasé, sauf en haut, où une queue-de-cheval couvre une partie de ses tatouages. Mais ce qui intimide, c'est le regard. On dirait que cette femme est prête à sauter sur le photographe, et pas pour plaisanter, non pour le dévorer. Mais Alia, malgré la panique et l'allure de cette femme se dit que c'est la meilleure décision. Elle n'a pas revue Shepard depuis l'épisode du bar butarien. Ni personne d'autre d'ailleurs. Liara et Miranda doivent être loin maintenant. Tant mieux, d'un côté. Oméga a tendance à tout détruire. Et plus c'est beau, et plus la destruction est monumentale. Alors qu'elle tape du pied, elle voit la dame de la photo qui arrive. Elle a l'air contrarié. Elle regarde une photo elle aussi. Alia sourit, elles font toutes les deux la même chose. Elle respire un grand coup, prend son courage à deux mains et sort de l'ombre.

Jack a cinq minutes d'avance et l'esprit en ébullition. Elle retrouve la photo de la gamine qu'elle doit embarquer. Elle la regarde bien puis regarde autour d'elle, se tourne… Et voit la gamine qui approche doucement d'elle un sourire timide aux lèvres. Jack lui sourit de toutes ses dents et lui dit :

« T'es Alia.

- Vous êtes mademoiselle Nought.

- En théorie, oui, mais on m'appelle Jack. Enchantée, poursuit-elle en tendant sa main.

L'adolescente se dit qu'elle va bien aimer cette Jack et la lui serre. Jack reprend :

- Allez, viens, on m'a dit que tu avais bien envie de voir du pays.

- C'est vrai, ça. Je n'ai jamais rien vu d'autre que cette station.

- Tu vas voir, la galaxie est incroyable.

- Je vous crois, Jack... »

Et les deux inconnues discutent, en se dirigeant vers un nouvel avenir, hâtivement, comme si elles craignaient que les ténèbres de l'endroit, sentant qu'une des âmes qui y baignait va vers la lumière, pourraient tout tenter pour l'empêcher d'y arriver.