Shepard ne comprend pas comment elle est arrivée au cimetière de vaisseaux. Sur ses genoux, son Carnifex. Elle regarde sa nouvelle main qui passe ses doigts sur l'arme blanche. Vous êtes un monstre. Il en fallait un pour contrôler les monstres. C'est pour cela qu'on vous a faite. Alors je vous contrôle. Prenez le contrôle. Donnez-le moi. Monstre. Vous salissez tout. Vous transformez les gens. Une archéologue qui devient assassin. C'est le pouvoir d'un monstre. Pas de l'amour. Monstre. Je vous contrôle. Vous avez tué Anderson. Monstre. J'ai le contrôle. Monstre.
Et puis Shepard n'est plus là. Sur le siège du pilote, une forme prostrée, recroquevillée sur elle-même, entend cette voix qu'elle n'entend jamais. Ses muscles se tordent, ses nerfs sont en flamme et sa bouche ne s'ouvre pas alors ses cris sont des gémissements de panique. Monstre. Les yeux grondent. Et la forme tremble, perdue en elle, dans cette tempête éternelle. Rien n'est plus solide que ces murs érigés dans son esprit, qui l'enferme et doucement, petit à petit, l'oppresse. Un jour, la forme sait qu'il n'y aura plus rien à oppresser. Et la forme se languit de ce jour. Alors peut-être qu'il n'y aura plus de douleur. Plus de peur. Plus d'yeux bleus. Plus de monstre.
La forme n'entend pas Bray qui dit à deux grandes asaris « Elle est là-bas, elle ne bouge pas. » La forme est aveugle, et sourde. Elle ne voit pas Aria se glisser à ses côtés et prendre sa main. Elle ne l'entend pas murmurer des paroles rassurantes mais peu assurées. Elle ne sent pas la main froide d'une autre asari se poser sur sa joue. Elle ne sent pas non plus cette asari visiter son esprit, en sortir en hâte, étouffer un sanglot. La forme reste prostrée sur le siège du pilote, tordue, enflammée, perdue.
Aria regarde son amie sortir de l'union. Voit les larmes qui se pressent dans ses yeux. Cette vue la terrifie. Les deux Matriarches restent longtemps près de la forme prostrée, en silence, vigiles de sa souffrance. Puis Aria passe doucement un bras sous ses jambes, l'autre sous sa nuque. La soulève délicatement, puis les deux amies partent doucement, mettre la forme à l'abri, la protéger de l'extérieur quand à l'intérieur elle se dévore.
« Que comptes-tu faire Aria ? Ce que j'ai vu… Je n'ai pas de solution pour ça. Je ne sais même pas ce dont il s'agit.
- Je ne sais pas Sha'ira. Mais cette femme n'a jamais laissé quelqu'un dans la détresse. Je dois au moins essayer. Je lui dois au moins ça, dit-elle, les yeux perdus dans la contemplation du visage de la forme.
- Je vais t'aider, autant que je le peux, mais je crains que ce ne soit pas assez. Des fois, aider n'est pas soigner, mais faire cesser les souffrances, tu le sais, Aria, dit doucement la favorite, perturbée de voir la pirate si bouleversée par le sort d'une humaine.
- Je le sais très bien. Mais on peut encore chercher une solution. Elle n'abandonnerait pas, si les rôles étaient inversés. Il y a peut-être une humaine qui pourra l'aider. Mais je crains de l'avoir terrifiée », dit Aria, alors que le véhicule, conduit par Bray, prend les airs.
C'est ainsi que deux grandes Matriarches asaris, qui ont connu trop de guerres et de morts, s'unissent encore une fois pour sauver une forme qui appartenait autrefois à une héroïne de guerre, qui n'est plus aujourd'hui que terreurs et tremblements.
