Cela fait deux jours que Kelly s'efforce de reprendre des activités normales. Elle a repris ses rendez-vous, et se rend compte qu'aider ses patients est plus cathartique que de se calfeutrer dans son appartement. Elle se dit qu'elle aimerait tout de même déménager. Ne plus voir l'endroit où Shepard l'a jetée sans ménagement. Mais en attendant, elle travaille, et ça lui fait un peu de bien. Jusqu'au moment où, alors qu'elle se dirige vers le domicile de son prochain patient, encore trop faible pour sortir de chez lui, elle voit Bray, le butarien peu fan de fouet biotique, approcher d'elle. Tout son corps tremble et elle arrête de marcher. L'alien s'arrête près d'elle, lui dit qu'Aria veut la voir. Kelly sait que ce n'est pas une demande, qu'elle ne peut pas refuser, alors elle hoche la tête et le suit, tout son corps parcouru de frissons d'angoisse.

Étonnamment, elle n'est pas conduite à l'Afterlife, comme elle l'imaginait, mais au pied d'une grande tour, dans un des quartiers les plus riches d'Oméga. Ils montent dans l'ascenseur et quand les portes s'ouvrent, Bray reste derrière et lui fait signe d'avancer. Elle entre. Se retrouve sur un palier. Elle avance un peu et la porte s'ouvre sur Aria, et Kelly est choquée de voir la reine d'Oméga l'air perdu et contrarié, presque vulnérable. Mais cela ne dure qu'un instant. La Matriarche remet son masque. Fixe Kelly de ses yeux sombres puis lui fait signe de la suivre dans l'appartement. Kelly la suit, confuse quant à sa présence dans ce loft luxueux. Elle voit une autre asari dans le salon, qui boit un thé en regardant un datapad, ignorant totalement sa présence. Aria l'amène dans une chambre et s'arrête devant un lit. Kelly s'approche, voit la forme sous les draps, se précipite près d'elle et s'exclame :

« Shepard ! Mon dieu, que lui avez-vous fait ?

- Doucement, Chambers. Vous êtes là parce que je me dis que vous pourriez être utile. Mais maîtrisez votre langage. Elie a un problème. Grave.

Alors qu'Aria parle, Chambers ausculte la forme inerte sur le lit. Puis dit :

- Elle ne répond pas, complètement catatonique, pupilles dilatées. Vous lui avez donné quelque chose ?

- Un médecin lui a donné un décontractant musculaire, sinon, il était impossible de l'allonger.

- Quoi ? Mais que s'est-il passé ?

- Venez au salon, vous devez voir quelque chose pour comprendre, et peut-être aider.

Kelly se relève et suit la pirate jusqu'au salon, où l'autre asari se lève et salue la psychologue d'un hochement de tête. Aria reprend :

- Sha'ira va vous montrer deux mémoires, c'est ce qu'il se passe actuellement dans l'esprit d'Elie. Nous avons besoin d'aide et j'ai pensé que votre connaissance de son dossier pourrait être utile.

- D'accord.

La favorite s'approche doucement de Kelly, lui saisit délicatement la main, ferme les yeux et la rouquine sent immédiatement que l'on veut pénétrer son esprit. Elle ouvre, et Sha'ira partage, doucement, la mémoire qu'Aria lui a montrée et ce que Sha'ira elle-même a vu dans l'esprit de la forme. Après l'échange, Sha'ira se retire doucement. Kelly s'effondre sur un fauteuil, les images, les sensations qu'elle a ressenti, trop puissantes pour être appréhendées rapidement. Doucement, elle respire. Puis réfléchit. Aria s'impatiente, et demande :

- Alors, pouvez-vous nous dire quelque chose, par rapport à ce que vous avez vu ?

- C'est vraiment dans son esprit ? Là, maintenant ? Demande Kelly, des sueurs froides la faisant trembler.

- Oui. Vous avez une idée de ce qui lui arrive ? De ce que sont les yeux bleus ? Demande Aria.

- Ce qui lui arrive… Pas vraiment. Les yeux bleus me font étrangement penser aux yeux de l'Homme Trouble, Aria. Et je n'aime pas cette idée. Je ne l'aime pas du tout.

- L'Homme Trouble, cet être ridicule et arrogant. Sait-on si il est encore en vie ? Ce serait lui, le responsable de son état ?

Kelly réfléchit. Ce qu'elle a vu, elle ne saurait l'expliquer. D'un côté, elle n'est pas une alien capable de voir dans l'esprit des gens, c'est tout nouveau, ça. Mais les yeux, la tempête, le sentiment d'oppression, d'angoisse, la forme infantile prostrée, c'est clair, pour elle, c'est la troisième « personnalité » de Shepard. Elle doit demander une question très personnelle à Aria, et tout en elle le redoute. Mais elle se lance, pour son ancien Commandant :

- Aria, je dois vous demander quelque chose et je vous demande pardon pour l'aspect très privé de la question. Quand vous vous unissez à Elie, habituellement, voyez-vous les yeux bleus ? Ressentez-vous une angoisse latente ou quoique ce soit ?

Aria réfléchit, les yeux plongés dans les yeux verts de la psychologue. Elle ne comprend pas où cette réponse va les mener. Mais elle accepte de répondre quand même :

- Non. Les yeux bleus n'apparaissent jamais. Et je ne ressens aucune angoisse, aucune peur. De la douleur, oui, mais pas cette terreur. C'est comme si cette forme, dans ce lit, n'était pas Elie. Mais quand je lui en fais mention, des yeux bleus, elle panique. Et aujourd'hui, elle s'est enfuie et nous l'avons retrouvée prostrée dans cet état.

- Ce n'est pas Elie dans ce lit, Aria. Ce n'est pas Elie, cet esprit oppressé par les yeux bleus. Je ne sais pas de qui il s'agit vraiment, mais cela a un rapport avec l'Homme Trouble. Les yeux bleus, ce sont ses yeux.

Sha'ira interrompt alors la psychologue :

- Une de mes acolytes m'a partagée une mémoire un peu avant la guerre. Me permettez-vous de vous la montrer ? Elle pourrait se révéler pertinente.

Kelly hoche la tête et Sha'ira recommence les gestes. Kelly est témoin cette fois d'un esprit entouré d'obscurité, de fumée et de cris. De murmures permanents, bas et sombres, sur une plaine désolée, et au fond, oppressif, gigantesque et menaçant, l'œil rouge d'un moissonneur. Sha'ira cesse l'échange et Kelly replonge dans l'angoisse. Au bout d'un moment, sentant le regard des deux Matriarches, elle soupire et dit :

- En effet, Sha'ira. Je suppose que vous m'avez montrée l'esprit de quelqu'un d'endoctriné par les moissonneurs, n'est-ce pas ? On voit les ressemblances. Et on peut clairement noter les différences. Cela voudrait dire qu'Elie est endoctrinée par Cerberus, Aria.

A ces mots, Aria sent une rage incroyable parcourir ses veines. Elle se contient et dit :

- Qu'est-ce qu'on peut faire ?

- Je l'ignore. Je n'ai jamais été confrontée à quelqu'un d'endoctriné. Il existe des études depuis la guerre, vous devriez pouvoir y accéder. Et si ces accès de catatonie sont déclenchés par quelque chose, il faut déterminer le déclencheur, et empêcher qu'elle y soit confronter. Et ne jamais permettre à une cellule de Cerberus de mettre la main sur elle. Dieu sait ce qu'ils pourraient lui faire.

Pendant qu'elle parle, Sha'ira murmure quelques mots à l'oreille d'Aria puis disparaît dans une des chambres de l'appartement. Alors que Kelly se demande encore qui cette asari peut bien être, Aria demande :

- Vous dites que ce n'est pas Elie, là, dans le lit, mais vous dites aussi que si Elie était confrontée à un déclencheur, cette… Chose pourrait revenir. Je ne comprends pas.

- La psyché humaine est très différente de la psyché asari. D'après ce que je sais, pour votre race, il est impossible, physiologiquement autant que psychologiquement que votre esprit se retrouve fragmenté. Chez les humains, cela est possible. Mon avis c'est que Shepard, Elie et cette chose, sont trois produits de la psyché d'Eléanor Shepard. Vous comprenez ?

- Vous me dites qu'Elie n'est pas Shepard. Et Shepard n'est pas Eléanor Shepard ? Je ne comprends pas.

- Regardez cela comme un rocher. Eléanor Shepard est le rocher dans son entièreté. Des traumatismes, des abus de substance, des blessures, cet endoctrinement, ont fragmenté le rocher. En trois, ou peut-être en plus. Chacune de ces trois parties est Eléanor, mais pas entièrement. Vous voyez ?

- Je vois. Donc si on garde Elie loin des déclencheurs de son endoctrinement, loin de Cerberus, ça ira pour elle ?

- Le mieux serait d'essayer de défragmenter sa personnalité, Aria, vous ne pensez pas ?

- Vous avez raison. Je vous remercie, Kelly. Bray va vous raccompagner maintenant.

- Attendez, je… »

Mais la Matriarche est déjà partie dans la chambre et la porte d'entrée s'ouvre sur le butarien. Kelly observe la pirate s'agenouiller près du lit où gît la forme, dans une démonstration incroyable de tendresse, avant d'être emmenée loin de l'héroïne au cerveau brisé qui a perdu beaucoup plus qu'elle ne croyait au nom d'une paix qu'elle ne savoure pas.