Elie se réveille en sursaut, la tête dans un étau. Elle a du crier, sa gorge brûle. Elle se rappelle des yeux bleus, partout. Sent encore la panique qui l'oppresse. Essaie de respirer puis sent enfin une présence rassurante, un vrombissement doux, une petite danse biotique qui lui indique qu'Aria est là. Cette idée l'apaise un peu et elle commence à mieux respirer. Se rallonge, les yeux fermés. Puis sent la présence de l'asari, juste à ses côtés. Elle rouvre les yeux et tombent sur les yeux sombres d'Aria, inquiets, et son sourire, étrangement doux. Elle y répond par un sourire doux également. Essaie de parler, mais Aria commence avant :
« Bonjour Elie. Ces derniers temps, tu as développé une habitude à traîner un peu trop au lit…
- Désolée, Aria, je ne sais pas… Je voulais…
- Je plaisante. Tout va bien. Enfin, tout ira bien. Tu te souviens de quoi, en dernier ?
- Sha'ira, je crois, mais c'est bizarre, car cela doit faire cinq ans que je ne l'ai pas revue…
- Tu l'avais déjà rencontrée ?
- Oui, madame, et pas seulement, répond Elie, un sourire timide aux lèvres.
- Voyez-vous ça… Elie, les asaris causeront ta perte.
- Haha ! N'est-ce pas là hypocrite de votre part, madame ?
- Pas du tout, je m'inclus allègrement dedans.
- Donc Sha'ira était vraiment là ?
- Oui. Tu ne te souviens pas de la brève conversation qu'on a eu à ton retour de mission ?
- Non. Que s'est-il passé ? Je suis désolée, Aria, j'ai conscience que je ne suis pas stable en ce moment, je suis désolée…
- Du calme. Déjà, tu vas te lever, et on va prendre un petit-déjeuner. Garde ton calme. Tout ira bien, je l'ai déjà dit, d'accord ?
- Que me vaut cette gentillesse de votre part ?
- Ce n'est pas de la gentillesse. Tu as fait ton devoir, la mission que je t'ai envoyée faire a été un succès, une perfection. Allez, debout, on continuera de parler à la cuisine.
Elie obéit, difficilement, la douleur si forte, entre sa tête et le reste, qu'elle doit lutter contre une vague de nausée. Prévoyante, Aria lui tend ses pilules, qu'elle prend avec gratitude. Une fois installées à la cuisine, Aria poursuit :
- Tes hommes ont fourni leur rapport et j'ai envoyé une équipe sur place. J'ai appris pour les dispositifs audio, et les effets qu'ils ont eu sur toi.
- Oui. Je ne comprends pas encore très bien. Mais ça m'empêchait de bouger, et ça provoquait… Des visions. Les yeux…
- N'en parle pas. On y viendra plus tard. Kesanta m'a parlée du problème que tu as eu quand tu étais seule avec elle. Méfie-toi de cette asari, Elie, elle ne l'a pas fait par bonté d'âme, elle voulait que je te pense faible.
- Elle a raison. Je ne suis pas fiable si il suffit d'un putain de haut-parleur pour me mettre hors-service.
- Elle a tort et tu le comprendras plus tard. Cette commando est une manipulatrice. Je la laisse en vie car elle est efficace, mais je le répète, méfie-toi d'elle.
- Bien compris, Aria.
- Tu es un soldat, tu penses droit, vers l'objectif. Mais là, tu es entourée de personnes qui ont au minimum plus de dix fois ton âge, Elie et qui ont passé ce temps à penser sournois. C'est dangereux. Même si leur visage est doux.
- Dit comme ça, vous rendez soudain les asaris vraiment effrayantes.
- La galaxie devrait nous craindre bien plus qu'elle ne le fait déjà. Mais bon, nous ne sommes pas là pour parler de géopolitique. Cette mission, et la visite de Sha'ira, ont permis de mieux comprendre le problème que tu as, Elie. Il n'y a pas encore de solutions définitives, mais on peut éviter ledit problème, en attendant.
- Je ne comprends pas.
- Je sais que tu connais les techniques de méditation.
- Comment ? Ho… Caméras dans le vaisseau ?
- En effet. Je veux que tu prennes une pilule jaune, et que tu entres en méditation. Quand tu y seras, je m'unirai à toi et te montrerai ce que nous avons découvert sur toi, d'accord ?
- Mais pourquoi ne pas simplement me le dire ?
- Car cela provoque une réaction de stress, qui engendre le problème qu'on cherche à éviter. En méditation, et dans l'union, je serai en mesure de t'éviter d'atteindre un niveau de stress trop élevé et tu pourras appréhender la situation plus facilement. C'est clair ?
- Parfaitement. »
Elles finissent en silence le repas, puis Aria guide Elie vers le salon, où elles s'assoient toutes les deux face à la baie vitrée et entrent en méditation. Au bout d'un moment, Elie sent l'esprit d'Aria en elle, plus pondéré que d'habitude. Elle n'a jamais vécu ce genre d'union, qui commence comme une conversation. Aria lui explique les yeux bleus, partage ses mémoires et celles de Sha'ira, parle de Cerberus, des Moissonneurs, de l'Homme Trouble et de l'endoctrinement. Et dès que l'asari sent la panique, l'angoisse, l'oppression envahir l'esprit d'Elie, elle contrebalance avec de l'assurance, de la force, de la tendresse, une présence. Et ainsi, Elie comprend qu'elle a été endoctrinée, que personne ne sait comment ni quand, que Cerberus est responsable et que les yeux bleus sont ceux de l'Homme Trouble. Et quelque part au fond d'elle, un poids disparaît, dont elle ignorait qu'il lui pesait. Quand elle sort de la méditation, elle est surprise de se retrouver seule devant la baie vitrée. La Matriarche est en train de se servir un verre et la regarde doucement émerger. Elie se lève, se dirige vers elle, accepte un verre que l'asari lui tend et lui dit :
« Vous acceptez de me garder malgré les risques ?
- Quels risques ? Même dans une base de Cerberus, avec des dispositifs d'endoctrinement en fonctionnement, tu n'as pas mis en danger ton équipe, tu as donné les ordres et géré la situation. Quel risque y-a-t-il ici ?
- Je ne sais pas. Mais je suis compromise.
- Moi, ce que je vois, c'est que les moissonneurs sont détruits, Cerberus à l'agonie et les races conciliennes en train de reconstruire. Tu as gagné, pas Cerberus, pas les Moissonneurs. Ce qui veut dire que même avec ce qu'ils t'ont mis dans la tête, tu les as démolis. C'est un bel exploit, selon moi.
- C'est un point de vue intéressant.
- Le seul qui vaille la peine, Elie. On trouvera le moyen de te débarrasser de ce qu'ils t'ont fait. Mais d'ici-là, j'ai toujours confiance en toi pour faire ce qui doit être fait, bien compris ?
- Merci, Aria. Vous n'imaginez pas… C'est… Je serai digne de votre confiance.
- Je n'en doute pas, Elie. Tu n'es rien de moins qu'un être exceptionnel. Et tu es mienne. »
A peine ces mots prononcés qu'Aria embrasse Elie avec une douceur et une passion jamais rencontrées auparavant. Et la mercenaire s'y perd, s'en délecte. Les deux femmes s'embrassent longuement, puis se séparent. Aria lui dit qu'elle doit retourner au travail, que la mercenaire a sa journée. Après le départ de la Matriarche, Elie reprend une pilule jaune, se réinstalle face à l'obscurité de l'espace, et laisse partir son esprit loin des connaissances qu'elle vient d'acquérir qui lui permettent de comprendre pourquoi, parfois, son esprit paraît morcelé et lacunaire. Elle dérive dans les vents stellaires et éteint la voix en elle qui hurle au milieu du néant, dans la cacophonie des battements de cœur, qu'elle ne devrait pas être à Oméga.
