Quatre semaines plus tard...

A Serrice, sur Thessia, la reconstruction est lente. Après plus de trois mois de paix, certaines rues sont encore bloquées, de nombreux bâtiments sont condamnés, mais le cœur de la ville, qui s'est déplacé pour suivre le rythme du renouveau, bat rythmiquement, porté par une jeunesse qui a vu tellement d'horreur qu'elle n'aspire plus qu'à aimer et prospérer en paix. Dans ces dédales, Liara cherche l'adresse qui lui a été donné. Il lui a fallu près de quatre semaines pour réussir à approcher Sha'ira, et il ne manquerait plus qu'elle rate le rendez-vous parce qu'elle ne trouve pas cette maudite adresse. Quand elle commençait à se dire qu'elle allait juste biotiquement exploser un mur qui la gênait, elle trouve enfin, regagne son calme, et entre. Aethyta l'avait prévenu, la grossesse la met sur les nerfs, si la situation dans laquelle elle était ne suffisait pas. Elle est accueillie par une acolyte qui l'escorte jusqu'à la favorite. Elle attend que la porte se referme derrière elle, salue avec le respect du à une Matriarche, puis dit :

« Favorite, je viens vers vous avec une demande de faveur inhabituelle.

- J'entends souvent ça, Liara T'Soni. Que me vaut l'honneur de recevoir la fille de celle qui fut autrefois une bonne amie ?

- Vous avez voyagé, voici quatre semaines, à Oméga.

- En effet. Aurais-je une réponse si je vous demandais comment vous le savez ?

- Non, j'en suis navrée. Vous avez rencontré là-bas une humaine. Elie Whelps.

- Encore une fois, c'est exact. Mais je suis navrée, je dois vous arrêter là, demoiselle. Je ne parlerai pas de ce sujet.

- Matriarche, je vous en prie, écoutez-moi. Savez-vous qu'Elie Whelps est en fait Eléanor Shepard ?

Un très léger tressaillement est une réponse suffisante pour Liara, qui poursuit :

- Shepard est ma compagne, Favorite, et comme vous l'avez probablement constaté vous même, en difficulté.

- Je n'ai pas rencontré Shepard à Oméga. Cette Elie n'a rien caché, je n'ai senti aucune tromperie. Ce que vous dites est impossible. Je me souviens très bien de Shepard.

- Me permettez-vous de partager avec vous une mémoire ? Dans laquelle vous verrez qu'Elie et Shepard sont à Oméga. Et que vous étiez près des deux, en n'en ressentant qu'une seule.

La favorite acquiesce et fait signe à Liara de s'approcher. Elle saisit le poignet de la jeune asari, ferme les yeux puis se joint à son esprit. Liara lui montre son échange avec Elie, puis Shepard, dans le dédale de couloirs, avant qu'elle ne fuit Oméga. A la fin de l'union, Sha'ira semble très contrariée. Qu'Aria lui ait cachée l'identité de cette femme, qu'elle-même ne l'ait pas reconnue. Et que Shepard a encore plus de problèmes qu'elle ne l'imaginait.

- Voilà qui rajoute à la complexité de cette personne. Et vous, jeune demoiselle, vous avez, pour votre âge, une très dangereuse ennemie.

- Je sais, Favorite. Et je ne vous demande qu'une information. Je veux savoir le problème qu'a ma femme qui a poussé Aria à vous contacter.

Sha'ira est surprise par l'emploi du terme humain par la jeune asari, mais n'en dit rien. Elle répond :

- Recherchez l'endoctrinement par Cerberus, les yeux bleus de l'Homme Trouble. C'est tout ce que je peux vous dire. Je tairai votre visite à Aria, mais si elle l'apprend et m'interroge, je dirai la vérité. C'est ainsi, je ne peux faire autrement.

- Je comprends. Je vous remercie. La maison T'Soni vous accueillera en Armali, si jamais vous y passez.

- Merci jeune demoiselle. Voyagez en paix. »

Liara sort de chez la Favorite avec l'impression d'avoir été avalée par un trou noir et balancée à l'autre bout de la galaxie. Leurs craintes étaient fondées. Shepard a été endoctrinée par Cerberus. Ces dernières semaines, les recherches menaient toutes à cette possibilité. Et selon des études menées à la fin de la guerre sur des sujets endoctrinés par les Moissonneurs, les symptômes de Shepard auraient du passer de la dissociation à la démence pure et simple, sans maître pour donner de directions.

Et pourtant, selon les flux de données, Elie se porte comme un charme, mène à bien mission après mission, a une équipe dévouée et poursuit son étrange relation avec Aria. Alors qu'y-a-t-il de différent dans l'endoctrinement de Shepard ? Sha'ira l'a dit. Les yeux bleus de l'Homme Trouble. Un des agents du Courtier de l'ombre sur Oméga a réussi à tomber sur l'enregistrement de la nuit où Shepard a pris l'hallucinogène. En y réfléchissant maintenant, sous cette nouvelle lumière, Liara comprend un peu mieux. Il faut qu'elle rentre, étudie les données, contacte les chercheurs de la dernière étude sur l'endoctrinement et leur pose des questions.

Comme si elle n'avait pas déjà assez à faire. Un ancien membre du S.T.G s'est porté volontaire pour infiltrer et commander un groupe de mercenaires essentiellement galariens sur Oméga, dans le but, ensuite, de leur faire commettre des actions, encore indéterminées, à l'encontre d'Aria, pour leurrer Shepard et l'amener à sortir. Le calcul doit être fin, car il ne faut pas que Shepard soit envoyée avec toute son équipe. Beaucoup trop de risques que tout tourne mal. Et le temps passe, pendant lequel l'ancien spectre est empoisonné par les drogues.

Le plus grand des mystères reste de savoir quand et comment l'endoctrinement de Shepard a eu lieu. Après Bahak, le Commandant n'a plus jamais fait de mission en solitaire. Exceptée la toute dernière. Mais comment Cerberus a pu endoctriner Shepard en si peu de temps ? Il ne s'est passé, entre le moment où Marteau a été totalement décimé et le tir du Creuset qu'une heure trente. Une heure trente pendant laquelle Shepard était supposément seule. Lors des rares communications radios avec la flotte et Hackett, la spectre n'a jamais mentionné personne. Elle n'a même jamais mentionné ses blessures. Mais en écoutant bien, elle dit parfois « on », notamment quand les bras se sont ouverts, que le Creuset s'est arrimé et que rien ne se passait, elle a dit à Hackett, d'une voix déformée par la douleur et ce qui pourrait être du désespoir : « On a fait tout ce qu'on pouvait, tout. Je ne comprends pas, dites-moi ce que je dois faire... » Et ensuite, le silence, pendant sept minutes, jusqu'à la vague rouge du Creuset.

C'est ainsi que Liara se perd dans Serrice, elle qui connaissait si bien le coin jadis, pour y avoir étudié pendant des années. Certaines ruines lui fendent le coeur, les Archives, réduites en cendres et gravats, le Grand Musée, transformé en terrain vague au milieu duquel a résisté une simple colonne noire comme l'obsidienne, qui est devenue une sorte de mémorial et au pied duquel fleurissent les holos des gens qui ne reviendront jamais, réduits en poussière le temps d'une guerre éclair. Le vieux temple de Janiris, autour duquel les plus grandes festivités de Thessia avaient lieu, là où Liara, dans un petit coin de jardin, a accordé son premier baiser, pour comprendre ensuite que c'était pour la moquer, là où la toute jeune Liara avait eu pour la première fois son cœur brisé, mais comme chaque fois après ça, seulement pour renforcer sa détermination et sa volonté.