Les cris de la foule sont vivifiants. Depuis une semaine et demi, Elie a lancé un tournoi de combats, biotiques uniquement, à mains nues. Elle a demandé à Aria si elle pouvait acheter le bar des butariens esclavagistes et le transformer dans cette optique. Aria a ri, puis accepté. Les combats font du bien au moral. Et les paris sont un excellent business. Quand Aria lui a demandé comment elle avait fait pour économiser autant, Elie lui a expliqué : la mercenaire ne sait tout simplement pas comment dépenser son argent. Elle a un logement, un véhicule. Ses seules dépenses sont dans la drogue et l'alcool, et dorénavant, elle ne paie même plus les verres dans les bars où elle va. Et les missions sont très lucratives. Celle de la base de Cerberus lui a rapportée cent milles crédits, et entre trente et cinquante milles pour chacun de ses hommes. Alors Elie a acheté le bar, mis en place le ring, embauché du personnel et tous les soirs, des combattants biotiques viennent se battre, jusqu'au ko.

Elie sait qu'il y a beaucoup de Red Sand qui se trafique entre participants et gangs, que certains des combattants ne sont pas forcément réellement volontaires. Elle a été, sur Terre, dans les tournois biotiques. Elle se faisait souvent réduire en poussière avant les matchs finaux, mais le gang était content, elle rapportait quand même de l'argent. Elle participe aussi. Jusqu'ici, elle tient le ring. Certains sont mécontents et disent que c'est à cause de ses parties synthétiques. Alors, ce soir, pour le spectacle, elle a dit à la foule qu'elle combattrait avec le bras gauche dans le dos. Elle est au coin du ring. Son adversaire est une asari hors norme, très musclée, grande. Elle a tendance à utiliser majoritairement le haut de son corps et ses frappes biotiques sont puissantes, mais peu concentrées. Elie sait déjà comment la battre. Il faut juste qu'elle ne s'approche pas trop près. Elle prend deux pilules rouges, une noire, fait signe au galarien qui arbitre le combat, et les hostilités commencent.

Elie était peut-être un peu trop confiante. Avec son bras dans le dos, ses mouvements sont compliqués. Elle se prend directement un énorme uppercut dans le menton qui fait vibrer ses dents. Elle se redresse et décide de charger directement, poussée minimale mais avec le poing prêt à pulvériser ce qui sert de plexus solaire aux asaris. Elle sent les os qui se fracturent un peu. Les deux combattantes s'éloignent et Elie doit maintenant attaquer les points faibles de l'asari. Ses jambes. Alors qu'elle évite une pluie de coups biotiquement suffisants pour lui briser la mâchoire, elle plonge et avec sa jambe droite fauche son adversaire par l'arrière des genoux. L'asari tombe face contre terre, ralentit à peine sa chute avec ses biotiques qu'Elie continue, d'un coup de pied au milieu du dos, elle l'écrase et reste appuyée. De sa main libre, elle frappe la tempe, puis la crête de l'asari, les pires endroits, niveau douleur et incapacité. Elle cesse tout mouvement, pensant l'avoir mise ko, mais l'alien se retourne subitement, saisi le pied qui était encore sur son dos il y a quelques instants, le retourne, ça craque et Elie tombe aussi. Quelques coups violents dans les côtes n'empêchent pas la mercenaire de se relever et sur le chemin d'envoyer un énorme coup de pied dans la gorge de l'asari. La mercenaire a mal, elle est énervée. Elle charge biotiquement un coup de poing et l'abat contre la mâchoire de son adversaire, de toutes ses forces. Cette fois, elle ne bougera plus. Les cris de la foule lui rappellent tellement son enfance. Autant que le goût du sang dans sa bouche. Les douleurs dans son corps. Et l'idée parfois terrifiante qu'elle ne sait pas ce qu'elle fait mais qu'elle est juste lancée, comme ça, comme un objet qu'on a jeté dans l'espace. Elle sourit de ses dents sanglantes à la foule, boit un verre qu'on lui offre, puis va au bar en ignorant ses os qui hurlent souffrance, paie sa tournée.

Aria a observé le combat, depuis son bureau à l'Afterlife. Elle a menacé son chimiste de choses bien pires que la mort depuis que le comportement d'Elie est devenu beaucoup trop instable. Il faut qu'il change certaines choses car les besoins de violence de la mercenaire ne font qu'augmenter. En mission, c'est tolérable, mais Aria n'a pas mille ennemis par jour à terrasser. Alors quand Elie a proposé l'idée du tournoi, elle a accepté. Du bon business, un bar, des combats, des drogues et des paris, c'est toujours bon. Un moyen de recruter des talents, même si Elie leur cassent les dents. Et un moyen de canaliser les accès de violence de sa mercenaire.

L'asari s'est relevée et Elie dit à l'arbitre galarien de l'amener au bar. Elle rejoint Elie en titubant, mais avec le sourire. L'humaine l'observe, lui tend un verre puis lui dit :

« On a pas eu l'occasion de se présenter, asari, moi c'est Elie !

- Sael, et je sais qui vous êtes.

- Voyez-vous ça… Et qui suis-je donc ?

- La merc d'Aria. L'humaine à l'œil gris, celle qui réduit ses ennemis en nuages de chairs.

- Wow, ça va, j'aime ces titres. D'où viens-tu, Sael ?

- D'une petite colonie dans le secteur de Parnitha. Pourquoi ?

- Pour faire la conversation, pardi ! Sérieusement, où as-tu déjà travaillé ?

- Pendant la guerre j'étais à Dassus avec la Garde civile. Je commençais à peine ma formation. Mais Dassus est de l'histoire ancienne. J'étais réfugiée dans cette petite colonie ensuite, où j'ai juste aidé à survivre, puis à reconstruire un peu. Mais j'en ai eu marre, alors me voilà…

- Ça te dit de bosser pour Aria ? Merc, pas de gang, pas de salaire régulier, payée à la mission, mais extrêmement bien payée ?

- Pourquoi tu me proposerais un job alors que tu viens de m'exploser avec un bras dans le dos ?

- Parce qu'être meilleure que toi sur le ring ne veut pas dire que tu ne peux pas être un atout en dehors. Tu sais te battre. Tu frappes fort. Et tu as su voir mes faiblesses rapidement. Même si tu n'as pas pu en profiter. Allez, Sael, tu verras, les missions sont géniales. »

Aria observe l'échange. Elle aurait fait exactement pareil que la mercenaire. Et probablement dit presque les mêmes mots. Et, il y a quelques mois, aurait usé de ses charmes pour tester toutes les compétences de cette asari. Depuis quelques semaines, depuis qu'Aria lui a dit qu'elle pouvait recruter, les troupes de la pirate se trouvent renforcées par des personnalités atypiques mais puissantes que la Matriarche n'aurait pas pu attirer. Il faut le magnétisme de cette humaine hors du commun pour recruter deux turiennes de la Cabale, comme Nyreen l'était, plusieurs krogans hors clans mais aux talents biotiques conséquents, un butarien qui s'avère être un hacker-magicien, et des anciens membres du STG qui vouent une haine équivalente à celle d'Elie envers la Dalatrasse.

Elie sourit quand Sael accepte le job, lui offre un verre, lui fournit des contacts puis se lève et sort du bar. Le combat était rude et son corps est en souffrance. Elle sait qu'elle devrait rentrer dormir. Demain, elle a du boulot. Mais, comme depuis trois semaines, elle grimpe dans son véhicule pour foncer jusqu'au fond du cimetière d'épaves. Là, elle s'installe devant un couple de vaisseaux, presque encastrés l'un dans l'autre. L'un est turien et l'autre est humain. Elle sait, après avoir fait quelques recherches, que ces deux vaisseaux ont été portés disparus au même moment lors de la guerre du Premier contact. Et depuis, elle imagine l'histoire de ces deux équipages, qui ont fini ici, deux ennemis blessés, à l'agonie, qui se retrouvent en terrain hostile. Est-ce qu'ils se sont sautés dessus dès leur arrivée sur la station ? Est-ce qu'ils se sont observés, se sont dits, autant honorer les guerriers qui nous ont mis en déroute et puis se sont serrés la main ? Elie espère qu'ils ont bu ensemble, car un bon adversaire, dans la vie comme dans la guerre, devient le meilleur des alliés dans la paix comme dans l'adversité.