Hello !

Voici le second chapitre de Perdre, en espérant qu'il vous plaira !

N'hésitez pas à laisser une petite trace de votre passage ; j'ai pu remarquer un certain nombre de visites, jusqu'à présent, mais peu (ou pas) de manifestation de la part d'éventuels lecteurs/lectrices... Ne vous en faites pas, je ne mords pas. En plus, je suis une grande bavarde ! ;-)

Je vous souhaite une bonne lecture !


Disclaimer : L'univers de Harry Potter appartient à J.K. Rowling. Seuls les personnages OC sont le fruit de mon imagination.


CHAPITRE II

« Qu'est-ce que tu en sais, toi, d'abord ? (Le Choixpeau) t'a envoyée dans la maison des fourbes et des lâches ! » Edouard Duchesne


Ce fut un torrent de pluie morne et glaciale qui accueillit les élèves en cette rentrée 1977.

Ces derniers atteignirent rapidement le château, prêts à recevoir les nouveaux venus de première année selon le respect de la tradition.

Installés autour des quatre tables respectives des maisons Gryffondor, Serdaigle, Poufsouffle et Serpentard, ceux de deuxième à la septième année discutaient - ou hurlaient afin de se faire entendre, s'adonnaient à des accolades amicales ou encore jetaient des coups d'œil furtifs en direction de la porte de la Grande Salle.

« Vi', ton frère n'est-il pas censé entrer à Poudlard cette année ? »

La question d'Anastasiya sortit la sorcière d'origine française de sa rêverie.

« Ah, euh, oui ! Effectivement. »

La russe fronça les sourcils avant de se retourner, essayant de repérer la chose - ou la personne ? - que fixait son amie un instant plus tôt. Elle aperçut un groupe composé de quatre garçons de septième année attablé chez les Gryffondor. Un brun à lunettes, les cheveux en bataille et le sourire enjôleur, cherchait à attirer l'attention d'une très jolie rousse assise un peu plus loin, usant de ses charmes de la façon la plus ridicule qu'il fût au sens de la russe qui ne perdait plus une miette du risible spectacle.

« Cinq gallions qu'Evans cèdera aux avances de Potter avant leur départ de Poudlard, lâcha Amalia avant de boire une gorgée de jus de citrouille.

- Il s'agit de leur dernière année, fit remarquer sa sœur jumelle.

- Justement, poursuivit la première. Evans lui tombera dans les bras d'ici quelques mois, tu peux en être certaine !

- Pari tenu, ricana à son tour Anastasiya. Jamais Evans ne voudra d'un tel idiot qui se coiffe comme un Brossdur. Elle est peut-être une sang-de-bourbe, mais elle reste plutôt intelligente. »

Victoire tiqua à l'insulte, mais ne fit aucun commentaire. Elle finit par se mêler à la conversation, gardant un œil sur Potter et ses acolytes qui semblaient rire de plus en plus fort.

« Dix gallions qu'Evans et Potter sortiront ensemble d'ici les vacances de Noël.

- Sérieusement, Vi' ? Cela n'accorde même pas quatre mois à Potter pour la faire tomber dans ses filets ! »

Un sourire énigmatique étira les lèvres de Victoire, qui pointa discrètement Lily Evans du bout de sa fourchette tout en s'approchant d'une Anastasiya des plus sceptiques. À quelques mètres de James Potter et de son puéril groupe de Maraudeurs, tandis que le Gryffondor semblait avoir lâché l'affaire et discutait avec une autre fille de leur maison, Lily Evans les observait tous deux en silence, le regard perçant et les joues anormalement roses.

« Elle est déjà tombée dans ses bras depuis longtemps. Il ne lui reste plus qu'à l'admettre...

- Cela fait tout de même des années qu'il lui tourne autour... dit Ophelia en haussant les épaules.

- Et Potter n'est pas si vilain à regarder, surenchérit Amalia. Il est de sang-pur. Capitaine de l'équipe de Quidditch de Gryffondor. Ses résultats scolaires sont stables, si ce n'est très bons. Je ne vois pas pourquoi Evans le repousse.

- Ce type et ses amis sont de vrais chats noirs ! contredit Anastasiya. Partout où ils passent, ils sèment un chaos sans nom. L'été t'aurait-il fait oublier toutes les blagues douteuses et les plans foireux qu'ils ont déjà mis en place contre les autres élèves, et surtout contre notre maison ? »

La mention des idioties enfantines des Maraudeurs eut pour seul effet de faire rire les jumelles, sous l'air contrit de la russe qui chercha appui chez Victoire, assise à sa gauche. Le sourire naissant sur les lèvres de la blonde lui fit perdre espoir et patience.

« Malgré son sang impur, j'ai de l'estime pour Lily Evans, confia Anastasiya à voix basse, jetant un coup d'œil autour d'elle pour être sûre qu'elle n'était pas écoutée. Elle est vive d'esprit, raisonnée, et remplit parfaitement son rôle de préfète. Je ne lui en veux même pas d'avoir raflé le titre de préfète-en-chef que j'espérais obtenir... Mais sortir avec l'un de ces quatre crétins ? Alors, elle sera tombée bien bas ! Je ne sais pas ce qui est le pire, à vrai dire être une sang-de-bourbe, ou s'afficher au bras de James Potter ou de Sirius Black ? »

Victoire ferma les yeux. Elle tolérait Evans pour les mêmes raisons que celles énoncées par son amie. Elle n'appréciait en revanche ni Potter ni Black plus que de raison, mais elle trouvait Anastasiya bien dure dans ses paroles ce soir-là.

Si elle était habituée à sa transparence et sa franchise inégalables, la véhémence d'Anastasiya la stupéfiaient. Depuis quand employait-elle aussi facilement que fréquemment l'infâme appellation « sang-de-bourbe » pour désigner les nés-moldus ? Victoire n'était pas crédule : elle n'approchait pas les sorciers de cette ascendance, ne souhaitant pas se mêler à eux à l'image de n'importe quel sang-pur respectueux de son nom et de son rang. Cependant, ni elle ni ses trois amies n'avaient jamais prononcé entre elles ce terme insultant à l'égard des nés-moldus. C'était-il passé quelque chose, durant l'été, pour qu'Ana agisse de cette manière même en aparté ?

Victoire avait su dès l'instant où le Choixpeau l'avait placée à Serpentard qu'il serait difficile de s'intégrer parmi ses pairs aux valeurs surfaites, qui étaient pourtant celles que prônait sa famille depuis bien des générations. La rencontre avec Anastasiya Karkaroff puis les sœurs Dhont, avec qui elle partageait les dortoirs depuis son arrivée à Poudlard, avait été salutaire de bien des façons.

Anastasiya, la russe envoyée à Poudlard par sa famille alors qu'elle aurait dû être scolarisée à Durmstrang. Victoire s'était vite retrouvée en elle, l'étrangère en mal d'intégration qui suivait tant bien que mal le diktat de la société sorcière et de sa famille. Amalia et Ophelia, provenant d'une famille sang-pur nettement moins élevée que la leur dans la société, ce qui leur octroyait davantage de liberté, le simple nom de Dhont attirant beaucoup moins l'attention sur leurs faits et gestes. À leurs côtés, Victoire avait l'impression de pouvoir baisser la garde se permettre quelques écarts, s'approcher de qui elle était réellement. Elle ne devait toutefois jamais oublier les mots que son père ne cessait de lui répéter : « Poudlard est ta dernière chance. Ne me déçois pas. »

La sorcière franco-britannique, qui n'écoutait plus le débat de ses amies sur l'affaire Potter-Evans, balaya une nouvelle fois du regard la table de Gryffondor, côté Maraudeurs.

James Potter avait changé de place et était à présent de dos, ne laissant entrevoir que son profil, tout comme son ami plus petit et trapu à ses côtés. Peter Pettigrew. Victoire ressentit une once de pitié à la vue du garçon, si différent des trois autres du groupe. Petit de taille, très discret, un physique disgracieux, aucun talent notable pour la magie. Elle s'était souvent demandé comment il était parvenu à intégrer l'horriblement célèbre cercle des Maraudeurs et s'il était réellement heureux, entouré de si fortes personnalités qui l'effaçaient irrémédiablement. Face à eux se tenait le second préfet-en-chef ; Remus Lupin. Victoire renifla de dédain en l'apercevant. Sous ses traits fatigués et en dépit de ses cernes creux, Lupin était doté d'un visage aussi doux et bienveillant que son tempérament. Ce devait être ce qui agaçait le plus la jeune fille chez lui. Sous cette façade sage et réfléchie se cachait le complice de toutes les farces et bêtises dont Potter et Black étaient auteurs. Préfet-en-chef... Quel choix des plus stupides. Enfin, son regard glissa vers le dernier, dont les cheveux noirs et mi-longs contrastaient étonnamment avec ses yeux d'un magnifique gris clair. Des iris si semblables à celles qui la tourmentaient, jour et nuit, depuis maintenant plusieurs semaines...

Victoire sentit une vague de panique la submerger lorsque Sirius Black vrilla ses yeux gris et insondables dans les siens, la surprenant en train de le regarder. Comme à chaque fois qu'elle voyait ou imaginait ce gris d'acier typique de la famille Black, elle commença à suffoquer, une boule se formant au niveau de sa cage thoracique, l'air semblant s'obstruer dans ses poumons. Elle détourna son attention du groupe et agrippa soudainement la manche d'Anastasiya, ce qui interpela la russe.

« Vi', que se passe-t-il ? » murmura-t-elle face à la détresse de son amie.

Victoire inspira profondément, tentant de se calmer, consciente du regard de Black sur elle qui semblait ne plus la lâcher.

Des exclamations s'élevèrent alors dans la Grande Salle ; les élèves de première année venaient de faire leur entrée, passant avec émerveillement l'immense double-porte afin de pénétrer dans les lieux enchanteurs du réfectoire de Poudlard. Victoire profita de l'occasion pour se concentrer sur son petit frère qui se trouvait dans les rangs et patientait devant Minerva McGonagall, la professeure de Métamorphoses et directrice de la maison Gryffondor. À la vue de la tête blonde d'Edouard et de sa mine admirative devant la Grande Salle, l'angoisse de la jeune fille retomba peu à peu.

Le Choixpeau entama sa joyeuse ritournelle, puis vint le moment que tous attendaient impatiemment ; la répartition. Les premières années défilèrent au fil de leurs noms, applaudis par leur nouvelle maison, et lorsque vint le tour de son frère, Victoire lui adressa un sourire encourageant.

« Edouard Duchesne », appela le Professeur McGonagall en jetant une œillade au garçon blond qui s'avançait, droit et fier. Victoire se concentra sur lui ; il était un peu plus grand que les autres premières années, et sa stature révélait son ascendance sang-pur malgré son jeune âge. Et comme bon nombre d'enfants issus de ces anciennes familles sorcières, son chemin était déjà tout tracé. Nul doute qu'il serait réparti à Serpentard et qu'il ferait honneur à ses ancêtres.

Edouard n'hésita pas une seconde avant de s'asseoir. Il sonda un instant sa sœur de ses yeux bleu clair, puis le contact fut rompu par le Choixpeau posé sur sa tête, trop grand, retombant sur ses paupières. Victoire sentit une main se poser à plat sur la sienne, à même la table, et s'aperçut qu'elle appartenait à Ophelia. Un signe ferme, réconfortant, que la jeune fille accentua par un sourire. Sourire qui s'effaça très rapidement.

Victoire tourna la tête à la hâte vers son petit-frère. Elle n'avait pas écouté le verdict du Choixpeau, mais les applaudissements de la maison Gryffondor ne laissèrent pas l'ombre d'un doute. Les Serpentards autour d'elle se mirent quant à eux à la fixer, l'air à la fois dépréciateur et moqueur. Elle accrocha le regard de l'un d'entre eux, dont le rictus était nettement moins visible que ses confrères. Il semblait presque compatir, ce qui agaça la jeune fille au plus haut point. Elle n'avait besoin de la pitié de personne, et surtout pas de la yeux gris, si semblables à ceux de son frère aîné qui l'avaient oppressée quelques minutes plus tôt, la pénétrèrent de la même façon qu'ils l'avaient fait sur la voie 9 ¾ et dans ses rêves aussi railleurs qu'énigmatiques. Victoire serra le poing. Ses ongles s'enfoncèrent dans la paume de sa main, mais elle ne ressentait rien.

La douleur n'était rien par rapport à ce que son frère subirait lorsqu'ils rentreraient au manoir familial pour les vacances de Noël.


« Edouard ! »

L'élève de première année, qui discutait dans le couloir avec un autre Gryffondor de son âge, se retourna vers son interlocutrice. Ce que fit également son nouvel ami, un garçon roux aux traits qui parurent familiers à la jeune fille qui venait de les accoster.

« Prewett, ou Weasley... marmonna Victoire en voyant le visage couvert de tâches de rousseurs du garçon. Cela aurait pu être pire.

- Qu'est-ce que tu veux ? râla Edouard qui avait entendu la remarque de sa sœur.

- Je crois qu'une sérieuse conversation est de mise !

- Arrête de te donner en spectacle, tout le monde nous regarde... Aïe ! Mais arrête ! »

Elle venait de planter ses ongles dans le bras de son frère en l'empoignant, et le tirait déjà dans une salle de classe isolée et déserte. Le garçon se laissa entraîner, honteux et boudeur.

« Ce n'est pas ma faute ! s'enquit-il avant même qu'elle n'eut le temps d'ouvrir la bouche.

- Est-ce tout ce que tu trouves à dire pour ta défense ? répondit-elle froidement. Crois-tu que Père acceptera ce genre d'excuses si facilement ?

- Je me fiche bien de ce qu'il peut penser ! Je n'ai pas choisi d'aller à Gryffondor !

- Tu pouvais refuser ! explosa la jeune fille, je suis passée par là avant toi ! Le Choixpeau t'aurait écouté !

- Qu'est-ce que tu en sais, toi, d'abord ? Il t'a envoyée dans la maison des fourbes et des lâches ! »

Les paroles de son frère lui firent l'effet d'un coup dans le ventre. Un coup de poignard, vif, acéré. Où avait-il appris une chose pareille ? Était-ce son imbécile de nouvel ami qui lui avait déjà mis cela en tête ? Elle n'en croyait pas ses oreilles.

Son propre frère. Son petit frère, qui était la personne qu'elle aimait et estimait le plus au monde. Il l'assimilait à une lâche. Il l'accusait d'avoir intégré la maison adulée et vantée par leur père, ainsi que par tous les sang-purs que leur famille fréquentait.

« Est-ce vraiment ainsi que tu me vois, Edouard ? Un être couard et perfide ?

- Pourquoi le Choixpeau t'y aurait envoyé, si ce n'était pas le cas ? »

Un deuxième coup invisible s'abattit sur elle. Elle ferma les yeux et inspira profondément, tentant de garder son calme. Que devait-elle faire ? Lui révéler la vérité, au risque qu'il s'en serve pour alléger la punition qui l'attendait au manoir des Duchesne lorsque leurs parents apprendraient la nouvelle ? Ou le laisser la traiter comme un être méprisable ?

« Etais-tu là le jour de ma répartition, sombre idiot ? Je ne pense pas. Etais-tu dans ma tête à ce moment-là, lorsque le Choixpeau analysait mon esprit pour trouver la maison qui me correspondait le plus ? Il ne me semble pas non plus. Es-tu réellement fier d'avoir été envoyé dans une maison regroupant des sang-de-bourbes et des traîtres à leur sang ? Comptes-tu dire à ton père que la maison dans laquelle il a étudié ne regroupe que des sorciers infâmes !? Comptes-tu dire à ton propre père qu'il est un lâche ?! »

Elle avait crié ces derniers mots, la voix tremblante, affrontant son frère du regard avec autant de colère que de désespoir. Ce dernier blêmit et baissa la tête. Il entendit l'appel du préfet, dans le couloir ; il fit quelques pas en arrière avant de lui tourner le dos, se hâtant de rejoindre les autres en quête des dortoirs de sa nouvelle maison.

Lorsque Victoire sortit à sa suite de la salle, le préfet était toujours là. Il la détaillait, indéchiffrable, ce qu'elle fit en retour lorsqu'elle remarqua son insistance. Il était grand et arborait les couleurs de sa maison avec fierté. Son insigne luisait à la lumière, s'accordant parfaitement à l'or de sa cravate. Son doux visage était figé dans une expression des plus sereines, mais ses yeux fatigués la sondaient, tentant visiblement de saisir quelque chose qui échappait à la jeune fille. Elle maintint son regard, refusant de perdre dans ce duel purement physique et visuel.

Elle lui était supérieure. Préfet-en-chef ou non, ce sang-mêlé lui devait le respect. Et ne surtout pas se mêler de ce qui ne le concernait en rien.

Il finit par se détourner et s'en aller, laissant la jeune fille interrogatrice par un tel comportement. Ce Lupin de malheur était vraiment bizarre. Qu'est-ce qu'Ophelia pouvait bien lui trouver ?

Victoire rejoignit d'un pas lent son dortoir, ignorant sur son passage chaque élève qui la dévisageait. Ce n'était que son premier soir au château, et un certain nombre de choses l'excédait déjà.

Ce fichu Antoine Duval, la nouvelle idylle d'Amalia, qui risquait de ruiner d'un moment à l'autre sa couverture concernant Beauxbâtons, et sa réputation de surcroît. Les frères Black qu'elle ne réussissait plus à regarder en face. Edouard, son imbécile de frère, qui n'avait pas était fichu de choisir la bonne maison. Lupin et son attitude des plus étranges. Et à ce moment-même, ces sales cafards qui la toisaient dans les couloirs.

Ce qui la faisait sourire, malgré tout, était la crainte. Cette crainte jouissive, qu'elle pouvait lire dans les yeux des plus jeunes qui la croisaient, et parfois même sur le visage d'autres étudiants de son année comme ces filles de Poufsouffle dénuées de courage, - ou du moins, qui n'en avaient pas suffisamment pour l'approcher ou lui adresser la parole -. Victoire Duchesne s'était forgée une réputation de parfaite - ou presque - héritière de famille sang-pur auprès de ses camarades, et elle en profitait pleinement en public. Si seulement son père avait pu la voir, rien qu'une fois... et lui murmurer à quel point il était fier d'elle.

Non, Victoire. Tu te trompes. Ce n'est pas de la crainte, qu'ils ressentent en te voyant. C'est du dégoût. Qui crois-tu berner, sous tes grands airs ? Tu es tout sauf l'héritière que ton père aurait voulu voir en toi. Et un jour ou l'autre, ton masque si fragile tombera. Il se brisera en mille morceaux, et jamais plus personne n'aura d'estime pour toi.

Victoire soupira en passant la porte de la salle commune de Serpentard, située dans les cachots de Poudlard. Elle ignora ses camarades installés sur les larges sofas vert émeraude de cette dernière, et s'élança vers les dortoirs dans lesquels elle espérait s'isoler.

Ses amies s'y trouvaient déjà, tout comme un immense capharnaüm qui régnait au milieu de la pièce. Vêtements, livres, objets en tous genres avaient été négligemment jetés à la volée, allant jusqu'à empiéter sur son propre lit.

« Par Merlin, Amalia ! Qu'as-tu fait de notre dortoir ?

- Mais Vi', gémit la jeune fille, pourquoi m'accuses-tu avant même de savoir qui est le responsable de ce désordre ?

- Peut-être parce qu'elle vit ici depuis maintenant quatre ans, et que chaque année, c'est la même rengaine ? lança Anastasiya, assise en tailleur sur son lit qui avait été épargné. Sans vouloir être vulgaire, cette chambre ressemble un tant soit peu à bardel.

- On dit un « bordel », Nastya ! la corrigea Ophelia depuis la salle d'eau attenante à la chambre.

- Navrée, je n'ai pas l'habitude d'employer ce genre de comparaison typiquement moldue, en Russie.

- Mais ça n'a rien d'un bordel ! S'exclama Amalia, indignée. Je suis seulement en train de trier mes affaires...

- Trie vite dans ce cas, trancha Victoire, je ne sais même pas où poser les pieds dans ton bric-à-brac.

- Même ton chat se perd dans ton linge ! »

La dernière remarque d'Anastasiya attira l'attention des jeunes filles sur la boule de poils en question, d'un gris foncé et soyeux, qui se débattait avec la cape qu'il avait eu le malheur de tenter d'explorer.

« Douglas ! Mais arrête, tu vas la déchirer ! »

Amalia se jeta dans le mont de vêtements à la poursuite de son chat, à moitié coincé dans le lourd tissu côtelé et qui tentait de fuir tant bien que mal les foudres de sa maîtresse. Ce fut Ophelia, qui sortait de la salle de bain, une serviette sur la tête, qui attrapa l'animal.

« Tu lui fais peur ! s'indigna-t-elle tout en délivrant l'animal de sa prison de laine feutrée.

- Et c'est celle qui porte un chiffon sur la tête qui ose dire ça ? répliqua sa jumelle, vexée.

- Pour ta part, le chiffon, tu le porteras comme les elfes de maison ! Douglas a littéralement saccagé ta cape !

- Quel petit con...

- Comment veux-tu que je ne devienne pas vulgaire, avec de telles fréquentations ? murmura Anastasiya à Victoire. C'est si peu distingué.

- Oh ça y est ! Je les ai retrouvés ! »

Les deux amies, coupées par l'exclamation d'Amalia, pivotèrent vers elle. La jeune fille, assise au beau milieu de la chambre, près de sa malle, tenait contre elle une série de paquets soigneusement emballés. Son expression attristée par la perte de son vêtement s'était volatilisée pour laisser place à un sourire franc, empli de joie.

« Qu'est-ce que c'est ? S'enquit Anastasiya qui ne comprenait pas la scène.

- Amalia et moi, nous vous avons ramené quelques petits cadeaux de notre voyage en Grèce... commença Ophelia en saisissant un premier paquet. Mais sa valise était tellement chargée qu'elle ne les retrouvait pas. J'ai failli croire que tu les avais oubliés, Amy !

- Des cadeaux ? Répéta Victoire, interloquée. Mais... ce n'est pas Noël !

- Et alors ? A-t-on réellement besoin d'une raison valable pour offrir un présent à ses amies ? »

Victoire regarda Anastasiya, tout aussi déconcertée, puis les deux jumelles qui rayonnaient. Jamais personne ne lui avait fait de présent en dehors des fêtes, excepté ses parents qui lui offraient essentiellement des robes et autres choses qu'elle jugeait superficielles.

Non, elle n'avait décidément pas le souvenir qu'un jour, en dehors de son amie née-moldue, Marie, à Beauxbâtons, et de l'aîné Black lorsqu'elle était enfant, quiconque lui ait fait un cadeau juste par plaisir d'offrir. Elle en eut les larmes aux yeux, touchée, et elle détourna la tête un instant afin de les ravaler discrètement. Puis elle leur offrit un sourire qu'elle aurait aimé plus grand et joyeux, mais qui ne fit que ressembler à l'un de ses innombrables rictus sarcastiques qu'elle avait pris pour habitude de servir en public.

« Alors ? Allez-vous nous les donner, ces cadeaux ? s'enquit-elle.

- Une minute, votre altesse ! Ils arrivent !

- Ouvrez les plus petits en premiers ! déclara Amalia en leur tendant quelques paquets. Nous vous avons pris les mêmes, pour ne pas faire de jalouse...

- Tu dois nous confondre avec ta sœur et toi, marmonna Anastasiya.

- Ferme-la et ouvre. »

Victoire saisit lentement le morceau de ruban qui ornait l'un des paquets entre les doigts, et tira dessus avec délicatesse, contrairement à son amie qui déchira le sien d'une traite d'un coup de baguette magique. Vint ensuite le tour de l'emballage, qu'elle ne voulait pas abîmer bien que ce ne fut qu'un morceau de papier.

« Vi' chérie, ta baguette... ce n'est pas pour les elfes. Tu irais beaucoup plus vite avec un sort. »

Victoire s'arrêta net dans son entreprise. Oui, elle pouvait ouvrir son cadeau d'un coup de baguette, comme elle le faisait le jour de Noël au manoir ; comme à son anniversaire, devant sa famille. Elle n'était pas idiote, et y avait bien évidemment pensé. Mais, et si pour une fois, elle avait souhaité connaître l'expérience du papier se déchirant au contact de sa main, de la sensation du ruban qui se détend ? Elle termina de défaire l'emballage avec soin, avant de pouffer devant le paquet de chocolats moldus qu'elle tenait dans les mains.

« Ce ne sont pas des friandises sorcières ?

- Non, Nastya. Nous nous sommes doutées que vous n'en auriez jamais goûté de votre vie. Alors on s'est dit... enfin voilà. C'est cent pour cent moldu !

- Et cent pour cent délicieux !

- Merci, souffla Victoire sans cesser de fixer les friandises.

- Ouvrez vite les autres ! »

Sous le regard scrutateur d'Anastasiya, Victoire déglutit et saisit sa baguette. Elle lança tour à tour un sort aux autres paquets, qui dévoilèrent d'autres sucreries toutes aussi moldues que les chocolats. Si Père apprenait cela... pensa Victoire, amusée. Il m'obligerait probablement à vomir jusqu'à ne plus rien avoir dans le ventre.

« Et maintenant, voici les véritables cadeaux ! s'exclama Amalia, enthousiaste. Je pense qu'ils devraient vous plaire... »

D'un coup de baguette, Ophelia fit léviter les paquets jusqu'à ce qu'ils atterrissent sur leurs genoux.

Anastasiya déballa le sien la première. Elle afficha un sourire franc à la vue du cadeau : c'était un nécessaire à balais. La russe, qui occupait l'un des postes de batteur dans l'équipe de Quidditch de Serpentard, aimait passer du temps à bichonner son Comète lorsqu'elle ne volait pas dessus au cours de ses entraînements. Il était donc évident que ce cadeau était parfait pour elle.

Ce fut au tour de Victoire d'ouvrir ce dernier cadeau, plus personnel. Elle ignorait totalement quel pouvait être le contenu du paquet qui se dressait devant elle, informe. Ce n'était visiblement pas un vêtement. Ni un livre. Un bijou ? Beaucoup trop gros. Elle toucha l'objet à travers le papier cadeau, imaginant tout et n'importe quoi, ce qui déclencha l'hilarité de ses trois amies.

« Par Merlin, ouvre-le ! »

Sans attendre une seconde de plus, elle déchira le papier des deux mains ; un étrange cahier à la couverture de cuir brun accompagné d'une plume miniature firent leur apparition.

« Un cahier ? demanda Anastasiya dans l'incompréhension.

- Vous connaissiez mon goût pour l'écriture... ?

- Evidemment ! Je t'ai déjà surprise en train d'écrire quelques petits parchemins, expliqua Ophelia. Tu aimes beaucoup lire, aussi, alors je me suis dit que ta petite tête devait être un véritable monde à lui tout seul. Je suppose que tu dois avoir une imagination très développée.

- Peut-être, mais je ne comprends p...

- Ce n'est pas un simple cahier, ajouta Amalia avec un clin d'œil. C'est un livre à souhait.

- Un quoi ? dirent Victoire et Anastasiya d'une seule et même voix.

- Un livre à souhait, répéta Ophelia. Je vous en explique le principe : les pages de ce cahier sont magiques. Tu peux écrire avec cette plume sans encre une pensée, un souhait ; pourquoi pas un désir, ou un appel à l'aide... Par exemple, certaines personnes se trouvent dans une immense solitude, et ne parviennent pas à en parler à qui que ce soit tout simplement par peur, ou par pudeur. Et ce cahier va leur permettre de se libérer, de coucher à l'écrit les mots qui refusent de sortir... Une fois la réflexion ou le vœu écrit, il suffit de souffler dessus et la feuille prend feu.

- Cela devrait plutôt s'appeler cahier de l'espoir, non ? fit remarquer Anastasiya. La feuille prend feu, et l'appel à l'aide disparaît avec elle...

- Pas exactement... elle disparaît dans un petit brasier pour ne pas laisser de trace. Mais apparemment, cela fonctionne vraiment ! Même si le vœu ne se réalise pas, cela permet au moins à la personne qui l'a écrit de se sentir mieux... Tout en conservant son intimité. »

Ophelia n'avait pas lâché Victoire des yeux au fil ses explications, et elle lui offrit un sourire triste que seule la blonde perçut. Une boule naquit au creux de son ventre alors qu'elle se rendait compte que finalement, ses amies n'étaient peut-être pas aussi dupes qu'elles en avaient l'air concernant sa vie, et peut-être même ses mensonges.


Ce fut en sursaut et le cœur battant à tout rompre que Victoire se réveilla, ne parvenant pas à calmer sa respiration qui se faisait courte et saccadée.

Encore ce cauchemar. Le même que celui qu'elle avait décrit à Anastasiya dans sa lettre à la fin des vacances. Qu'est ce qui ne tournait plus rond, dans sa tête, pour rêver une nouvelle fois d'une chose aussi abominable ? Les jumelles avaient raison ; elle avait décidément une imagination débordante. Elle aurait même dit dérangeante.

Elle se leva du lit dans lequel elle s'était relevée en position assise, et prit garde de ne pas faire trop de bruit lorsque ses pieds foulèrent le plancher de la chambre. Elle enfila son peignoir de soie noir, se chaussa d'une paire de souliers qu'elle ne prit pas la peine de lacer et sortit sans bruit de la chambre puis de la salle commune. Il faisait nuit noire ; sa montre affichait une heure et demie du matin. Elle n'avait que peu dormi, mais cela avait été suffisant pour faire revenir à elle d'horribles images qu'elle aurait aimé, plus que tout, oublier. Serrant son nouveau cahier - ou plutôt, carnet à souhait - contre sa poitrine, elle se mit en route vers la tour d'astronomie, qui était devenu son refuge favori lorsqu'elle avait besoin de réfléchir, ou au contraire de se vider l'esprit. Elle pouvait librement s'isoler, là-haut, sans que personne ne vînt la déranger.

Elle monta les marches de l'escalier en colimaçon une à une, appuyée contre la pierre froide du mur et, une fois au sommet, elle s'approcha du rebord de la tour pour s'y accouder, laissant ses yeux bleus se perdre dans l'encre de la nuit.

Les étoiles, bien que peu nombreuses cette nuit-là, illuminaient ce sombre tableau nocturne, et elle se perdit comme à son habitude dans ses songes. Songes qui se transformèrent rapidement en cauchemar lorsqu'elle repensa au rêve de sa mort, et à la terrifiante marque verte dans le ciel qui la surplombait. Elle imaginait la Marque des Ténèbres au-dessus d'elle à ce moment précis, ce qui la fit frissonner d'effroi et lâcher un gémissement faible qui se transforma rapidement en sanglot. Une première larme roula le long de sa joue, rapidement suivie par d'autres, que ses yeux ne parvenaient plus à refouler. Pleurer, pensa-t-elle, quel acte veule et dérisoire...

Elle avait essayé d'être forte. Elle essayait toujours. Mais le poids qu'elle portait sur les épaules était devenu trop lourd pour elle. Ce même poids que tous les enfants nés sang-pur connaissaient, bien qu'à diverses échelles. Certains s'y complaisaient, suivaient ce destin toute tracé sans même prendre le temps d'y réfléchir. D'autres, comme Sirius Black, refoulaient cet avenir sordide et quittaient le sol noble pour vivre tels qu'ils l'entendaient, rebelles, mais surtout des plus libres.

Victoire, elle, désirait faire honneur à sa famille. Elle aurait aimé que ses parents pussent être fière d'elle, une fois, rien qu'une seule et unique fois, mais tout ceci devenait beaucoup trop difficile. La seule personne à qui elle pouvait parler de ce genre de soucis était Anastasiya. Sa meilleure amie. Son amie qui s'éloignait peu à peu, sans qu'elle ne sache expliquer la raison. Elle le sentait, depuis le début des dernières vacances d'été où seules quelques lettres avaient pu les maintenir en contact l'une avec l'autre. Quelque chose alertait Victoire, lui hurlait de faire attention à son amie si chère, de s'accrocher à elle avant qu'il ne soit trop tard. Sans qu'elle ne parvienne à expliquer pourquoi.

Pourquoi ? Là était une question intéressante sur un grand nombre de plans, concernant l'héritière Duchesne. Pourquoi avait-elle l'impression de couler, au fil des années ? Elle avait cette sensation de se noyer dans la mer houleuse de la vie, de mourir à petit feu au plus profond d'elle-même. Ophelia avait raison, dans le fond, et elle commençait à comprendre que ses deux autres amies comprenaient bien plus de choses qu'elles ne le laissaient entendre.

Victoire avait besoin d'aide. Seulement, elle n'était clairement pas capable de se confier à qui que ce soit. Elle était condamnée à vivre dans le silence, dans la perfidie de secrets profondément enfouis, engloutie par cet hideux costume de l'imposture qui commençait à s'accrocher à sa peau, ne la laissant être que l'ombre d'elle-même dans cette jungle qu'était la société sorcière.

D'un revers de la main, elle essuya ses dernières larmes, et, reniflant, elle caressa la couverture aux arabesques dorées de son livre à souhait. N'hésitant plus, elle l'ouvrit délicatement et huma l'odeur apaisante du parchemin qui parvint jusqu'à ses narines. Elle se saisit de la petite plume, dorée elle aussi, et traça lentement une première lettre de son écriture fine et liée. Après avoir testé la qualité du papier ainsi que de l'encre qui s'écoulait magiquement de la plume, Victoire se mordit la lèvre, en pleine réflexion, et entreprit d'écrire pour la première fois dans son cahier.

Une fois l'entreprise terminée, elle arracha doucement la page du carnet et contempla son œuvre. Puis, dans un élan d'espoir, elle s'apprêta à souffler dessus.

« Vi', que fais-tu là à une heure pareille ? »

Le roulement de « -r » significatif stoppa Victoire, qui se contenta d'observer la page qu'elle tenait dans la main.

« Je me doutais que je te trouverai ici, lorsque j'ai vu ton lit vide. Tu as de la chance que je sois ton amie ! Sans quoi, je t'aurais retiré dix points, Serpentard ou non. Allez, maintenant dépêche-toi de rentrer, le couvre-feu est dépassé depuis longtemps ! »

Ce fut avec un soupire vaincu que Victoire se retourna vers Anatasiya, qui l'attendait de pied ferme près de la porte. Alors que la préfète faisait demi-tour et entreprenait la descente des escaliers, Victoire s'arrêta devant la porte, la feuille toujours en main. Elle finit par la jeter dans la poubelle située à l'entrée, avant de descendre de la tour d'astronomie.

Dans la pénombre, une silhouette se détacha de l'obscurité et s'approcha à son tour de la porte. Dégainant sa baguette magique, un « Accio » à peine prononcé brisa le silence afin de récupérer le mystérieux papier que Victoire Duchesne venait de rédiger puis de jeter.

Le jeune homme le défroissa, et ce qu'il y lut le cloua sur place. Stupéfait, il en relut le contenu plusieurs fois, et, avec la même discrétion que celle dont il avait preuve jusqu'alors, il l'enfouit au fond de la poche de son jean et se faufila comme une ombre dans la nuit.


à suivre...