Alice venait de finir le vingt-septième chapitre d'une merveilleuse fanfiction sur l'univers du Hobbit. C'était une fanfiction complète et très réaliste, en plus d'avoir un happy ending. Elle était une fan inconditionnelle de cet univers et de celui du Seigneur des Anneaux. Peter Jackson avait fait un travail extraordinaire pour adapter les œuvres de Tolkien. Elle aurait pu s'épancher pendant des heures et des heures sur le fabuleux jeu d'acteur de Martin Freeman et le côté "majestic" de Thorin ou encore le travail d'Andy Serkis en tant que Gollum, les multiples rôles de Jed Brophy... Mais le devoir l'appelait.
Refermant l'ordinateur sur ses genoux, la jeune femme poussa un soupir. Non décidément, cette fête ne la tentait pas. L'anniversaire du parfait petit John était sûrement la réunion de "famille" à laquelle Alice ne voulait jamais aller. Et bien évidemment chaque année elle y assistait, sinon quel scandale cela serait. En faisant partie d'une des familles les plus renommées et riches du pays, elle avait certaines obligations. Cependant, elle n'allait pas faire le plaisir à son oncle et à sa tante de mettre une belle robe et de se maquiller à outrance. Ça ? Jamais. Alors elle se leva et attrapa un jean noir avec une chemise blanche. Elle vérifia que son corgi dénommé Poisson avait encore de l'eau et des croquettes. Elle fit de même pour Peanut, sa chatte rousse. Dans l'entrée, elle mit des chaussures qui traînaient là ainsi que la première veste qu'elle trouva sur son porte-manteau. Elle se munit de ses clefs et de son casque de moto. On n'est pas la rebelle de la famille si on ne chevauche pas une grosse cylindrée. Cette pensée lui arracha un sourire alors que l'engin démarrait.
Il était aux environs de 17 heures mais en plein mois de novembre, il faisait déjà nuit à cette heure-ci. Et en plus, il faisait extrêmement froid. Elle regretta automatiquement le fait de ne pas avoir mis son ensemble de sécurité. Cela l'aurait protégé du vent. Il lui restait quelques heures de route et elle serait à 20 heures à la salle des fêtes, enfin si elle ne faisait pas exprès d'être en retard. En ayant hérité à seize ans de la fortune de ses parents morts, elle avait eu la possibilité de s'éloigner le plus possible de ses tuteurs légaux. Merci l'émancipation, elle ne s'en plaignait pas du tout.
Alice circulait à présent sur des routes sinueuses au travers des forêts et des montagnes. En temps normal, elle adorait ces lieux où, hormis la route, la nature régnait. Mais là, la cime des arbres lui paraissait menaçante. Ils surplombaient sa moto qui, à leur échelle, semblait être une fourmi. Elle rabattit la visière sur ses yeux, pas envie de se prendre un moucheron ou elle ne savait quel insecte dans l'œil. L'année dernière, elle avait failli percuter un cerf dans un tournant et l'année d'avant c'était une mini-avalanche qui lui avait soudainement barré la route. Il avait beaucoup neigé la semaine précédente.
Cette année, elle priait pour que ce soit quelque chose d'amusant qui la retarde et, surtout, rien de douloureux. Mais à quoi bon espérer quand on prie un dieu en qui on ne croit pas ? Alice pensait qu'elle aurait peut-être dû aller à l'église plus souvent. Genre, tous les dimanches matin et samedis soir. Le conducteur de la voiture pensait peut-être la même chose alors que la moto et sa conductrice roulaient sur son capot et son pare-brise ; ou alors il pensait qu'il n'aurait pas dû boire autant. Alice eut une pensée pour sa pauvre moto qui allait passer un sale quart d'heure en s'écrasant sur le bitume. Et dire qu'elle avait refait la carrosserie la semaine dernière. Elle pensa aussi au parfait petit John qui, cette année, n'aurait pas le droit à son cadeau habituel : des bonbons à la réglisse qu'il détestait tant. Et puis un dernier sourire survola son visage quand elle réalisa que son oncle et sa tante allaient devoir payer son enterrement et, en plus de ça, y assister. Quelle perte de temps cela allait être… Elle faisait une bien piètre nièce, aucun doute là-dessus. Elle pensa à Poisson et Peanut qui allaient se demander où était passée leur maîtresse. Sa dernière pensée fut pour son meilleur ami qui allait lui manquer horriblement.
Son corps heurta la route et la douleur fut immédiate. Elle irradiait de chacun de ses membres, de chaque cellule de son être. C'était comme se faire écraser par un éléphant ou exactement comme se faire briser tous les os, les 206 sans exception. Elle ripa sur le sol et sentit ses vêtements s'arracher, sa chair brûler contre l'asphalte. Elle roula sur de longs mètres et aurait certainement sorti une blague, en disant que cela n'aurait pas pu être pire, si elle n'avait pas senti le goudron qui s'effaçait sous elle. La blonde dévala le flan de la montagne où serpentait la route. Durant la chute, sa tête heurta une racine et elle perdit connaissance. Une pensée furtive lui vint quand elle réalisa que ce serait difficile de retrouver son cadavre. Finalement, il n'y aurait peut-être pas d'enterrement.
