Alice ne sentait rien. Ni le sol terreux de la forêt, ni la caresse du vent ou même la morsure du froid. Pas plus que l'odeur d'un hôpital ou les secousses d'une ambulance. Il n'y avait pas de bruits, d'odeurs, de sensations et la seule pensée qui lui traversait l'esprit était le blanc. Elle avait l'impression que tout était blanc, comme inexistant. Elle ouvrit les yeux et cela confirma ses craintes. En se redressant elle fut surprise de ne pas avoir mal. Elle leva la main au niveau de ses yeux et la tourna : rien. Sa main était intacte, pas d'écorchures ou d'ongle cassé. La jeune fille s'intéressa alors à sa tenue : une robe blanche, pas si longue. Elle porta la main à ses cheveux et fut soulagée en sentant ses courtes mèches blondes. Elle aurait été triste de perdre sa coupe à la Bilbon Sacquet. Elle se mit debout et détailla l'endroit dont le tour fut vite fait. Blanc, beaucoup trop blanc.
Soudain, un bruit quelque peu lugubre se fit entendre derrière elle. Se retournant, elle découvrit une porte ouverte qui ne l'était pas avant. Elle se décala pour voir par l'entrebâillement et quelle ne fut pas sa surprise quand elle y vit de vertes prairies et un ciel bleu. Elle sortit alors en vitesse puis tourna sur elle-même pour admirer la grande bâtisse dans laquelle elle était quelques secondes plus tôt. Les murs extérieurs tenaient plus d'un crème que d'un blanc et l'endroit ressemblait au Parthénon d'Athènes. Alice pensa avoir atterri au sommet du mont Olympe, à défaut du paradis. Elle se mit en route pour ce qui semblait être un kiosque, au loin. D'où elle était, elle pensait qu'il était de taille normale mais en se rapprochant, elle se rendit compte qu'il était encore plus grand que la précédente salle blanche. Elle distingua, à l'intérieur, des formes en mouvement. La demoiselle resta alors interdite, se demandant si elles étaient bienveillantes ou hostiles.
"- Approche, fille des dieux."
Alice ouvrit grand la bouche en regardant à droite et à gauche. Elle ne pouvait pas croire qu'elle avait entendu cette voix d'homme si grave dans son esprit. Et puis, celui-ci ne pouvait pas s'adresser à elle. Elle n'était qu'une fille de... D'elle ne savait pas quoi, mais ses parents étaient bien humains en tous cas. Elle regarda la bâtisse au loin, en plissant les yeux, et remarqua que les formes s'étaient immobilisées et regardaient elles aussi dans sa direction. Alors prise de panique, la blonde voulut s'éloigner loin, très loin de ces choses. Elle courut à en perdre haleine et entra en collision avec quelque chose qui ne se trouvait pas devant elle quelques secondes auparavant. Ce quelque chose était en fait quelqu'un. En relevant la tête elle s'aperçut que c'était un homme d'une quarantaine d'années environ, extrêmement beau. Il avait des yeux bleu qui lui lançaient un regard rieur. Son nez était fin et un peu long, une bouche fine qui s'étirait en un large sourire laissant apparaître des dents blanches. Sur son menton, une barbe prenait naissance ainsi qu'une fine moustache au-dessus de ses lèvres. Sa barbe était brune et moyennement longue, dix centimètres peut-être. Mais ce qui attira l'attention de la jeune femme, furent les tresses et les perles présentes dans celles-ci ainsi que dans le reste des longues mèches de leur propriétaire. Ses cheveux étaient de la même couleur que sa barbe et lui arrivaient juste en dessous des omoplates. Alice en remarqua l'ondulation prononcée.
Elle décrocha de son observation minutieuse quand l'homme raffermit sa prise qu'il avait sur ses poignets. Elle se débattit violemment en tirant sur ses bras. Cependant, elle se stoppa quand ce dernier éclata d'un rire guttural mais authentique.
"- Qui pensez-vous pouvoir blesser en gesticulant comme ça ? lui demanda le bel inconnu avec un sourire en coin.
- Blesser ? Mais je ne veux pas vous blesser... objecta-elle, surprise.
- Alors qu'essayez-vous donc de faire ? "
Son interlocutrice sembla stupéfaite par cette question et ne put s'empêcher de le regarder comme s'il délirait. Cela dut se lire sur son visage puisque son interlocuteur s'esclaffa de nouveau. Alice s'en vexa et leva les yeux vers ce qui devait être le ciel.
"- Pourriez-vous avoir l'amabilité de cesser de glousser ? Et par la même occasion, vous pourriez me lâcher. Demanda-t-elle, même si en réalité cela ressemblait plus à un ordre. Le barbu ne parut pas s'en formaliser.
- Oh oui, bien sûr. Si vous me promettez de ne pas repartir en courant vers je ne sais où." approuva ledit barbu qui semblait bien s'amuser de la situation.
Alice se rendit à l'évidence, elle n'irait pas bien loin avec cet homme sur les talons. Alors elle hocha la tête et ses poignets furent libérés. L'étranger lui ordonna de le suivre et malgré son haussement de sourcil, elle lui emboîta le pas. En voyant qu'il l'emmenait vers la sorte de pavillon grec, la jeune femme se tendit. L'homme le sentit et lui sourit par-dessus son épaule. Elle lui retourna un regard suspicieux qui dans son monde aurait été suivi d'un joli "qu'est-ce que tu veux toi, ne te fous pas ma tronche", pour rester polie. Alors qu'ils en étaient encore assez loin, la jeune fille parvint à identifier les ombres comme étant des hommes et des femmes. Mais ils étaient... comment dire... anormalement grands ? Ils devaient mesurer une bonne trentaine de mètres et quand elle eut découvert cela, elle fronça les sourcils. Elle hésita alors. Avait-elle rétréci ou étaient-ils tous vraiment trop grands ? En regardant son guide et la taille qu'il faisait, elle en déduisit que la deuxième option était la bonne.
Le silence régna pendant tout le trajet qui dura environ une vingtaine de minutes, selon ce qu'avait compté Alice. Bien évidemment, elle n'avait plus de montre. Ce ne fut qu'aux abords du kiosque qu'elle parvint à distinguer les visages et les détails des vêtements de ses "hôtes". Elle était un peu myope, en effet. Ils étaient tous habillés d'une façon très élégante, très divine. Divine, c'était le mot. Ils ressemblaient vraiment à des dieux. Leurs habits avaient l'air d'être sertis de diamants et d'or mais surtout faits de soie ou du plus pur tissu que cet étrange monde ait pu produire. Ils étaient également tous et toutes très bien coiffés avec tiares et couronnes. Des bijoux ornaient leur cou et leurs oreilles, sans parler des bagues et des bracelets. La jeune fille jeta un coup d'œil à sa tenue et soupira, encore une fois elle serait la "déviante" de cette réunion.
En relevant la tête, elle ne put s'empêcher de détailler l'homme qui l'accompagnait. Et elle grogna presque en remarquant que lui aussi était plus que bien vêtu. Il portait une magnifique cape bleu foncé presque noir, décorée de fourrure blanche et grise, son pantalon était cintré et marron foncé. Elle se rappela avoir distingué, quand ils étaient face à face, des reflets étincelants dans sa chemise de la même couleur que sa cape.
À leur approche, les discussions cessèrent et la demoiselle trouva cela louche. Les visages se fermèrent pour certains tandis que d'autres affichaient un sourire rassurant. La blonde distingua deux femmes au milieu de la petite assemblée. L'une avait de longs cheveux roux flamboyants que surmontait une superbe tiare de lierre doré. Ses yeux étaient vert comme des émeraudes et reflétaient toute la bienveillance du monde. Ses lèvres étaient légèrement rouge tandis que sa robe était, elle, d'un rubis qui se rapprochait de la couleur du sang avec des liserés dorés qui l'agrémentaient. Sa peau était blanche comme de la porcelaine, semblable à celle de l'autre femme. Cette dernière était aussi blonde que les blés et ses cheveux semblaient interminables. Une couronne de fleurs aux couleurs éclatantes ornait sa tête. Ses yeux étaient bleu océan et reflétaient un air de malice. Cela, associé à son nez en trompette et son sourire en coin, la faisait ressembler à un lutin ou à Raiponce. Sa robe avait de longues manches et était vert clair. Elle présentait cependant des reflets blancs et argentés. Alice fut surprise par les lierres qui serpentaient le long de ses poignets et de son cou. Elle pensa un instant avoir à faire avec Dame Nature et la déesse du feu. Elle dirigea ensuite le regard vers son compagnon de promenade pour le voir gravir les marches du temple et devenir instantanément aussi grand que les autres. Elle ouvrit un peu la bouche. L'homme, qui était maintenant un géant, se dirigea vers les deux femmes et la blonde lui tendit une couronne. Cette couronne lui faisait très fortement penser à celle de Thorin, une fois qu'il avait reconquis Erebor. Elle était simple : d'or, d'argent et de bronze. Mais la nouvelle arrivante pouvait discerner des gemmes de mithril incrustées sur tout le contour.
Elle détourna le regard aussitôt qu'un homme, à l'opposé des trois protagonistes, lui adressa la parole.
"- Bienvenue Alice, fille des dieux. Nous sommes ici en Valinor et voici le temple des Valar. Je me présente : je suis Manwë, roi parmi les Valar. Voici Varda, ma femme et reine des étoiles."
Alice avait décroché au mot Valinor. Enfin non, elle avait bien sûr suivi et écouté les paroles du géant mais n'arrivait pas à y croire. Voyant les regards se diriger vers elle et devenir insistants, elle se décida à répondre.
"- Vous êtes les Valar. répéta-t-elle avec incrédulité. Je veux dire... Les Valar de Tolkien ? Ceux qui surveillent la Terre du Milieu ? sa réponse arracha quelques sourires de part et d'autre.
- En effet, même si John Ronald Reuel ne nous a pas créés. Cependant, nous ne lui en voulons pas d'avoir obtenu le succès grâce à nous. l'éclaira l'homme qui l'avait accompagnée.
- Ceci est une histoire que nous te conterons plus tard. Pour l'instant, nous allons nous contenter des présentations." intervint Manwë avec un hochement de tête.
Alice apprit donc que l'homme avec des cheveux en forme de vagues était Ulmo, l'équivalent de Poséidon chez les Grecs. En parlant d'équivalent, le dieu des morts était Námo compagnon de Vairë, la dame du temps. Námo était le frère de Nienna et Irmo. Respectivement, déesse du deuil et maître des rêves et des désirs ainsi que de la paix. Irmo était le compagnon d'Estë, s'occupant du repos et guérisseuse hors-paire. Aux côtés de ces derniers se tenaient Tulkas et Nessa. Tulkas était considéré comme un champion en Valinor et seigneur des combats tandis que sa femme était danseuse et adorait la course. Le frère de cette dame était Oromë. Ce dernier aussi était spécialisé dans les loisirs. Il présidait la chasse. Il se tenait près de la dame à la chevelure de feu. C'était Vána, détentrice du feu de la jeunesse et sœur de Yavanna qui était donc la dame blonde. La demoiselle ne s'était pas trompée, c'était en quelques sortes la Dame Nature d'Arda. La jeune femme avait souri de toutes ses dents avant même qu'on lui présente le dernier Vala, c'est-à-dire son inconnu à la longue barbe. Elle avait compris depuis longtemps qu'il s'agissait d'Aulë ou Mahal, chez les nains. Dieu de la forge, du feu et de la terre. Elle échangea d'ailleurs un regard amusé avec lui quand Manwë évoqua la création des nains.
À la fin de l'explication la jeune fille ne put s'empêcher de poser une question.
"- Mais excusez-moi, où est Eru Ilúvatar? sa question suscita le plus grand étonnement de la part de Manwë.
- Notre créateur et père de tout réside dans les Salles Intemporelles. élucida le roi des Vala.
- Et Morgoth ? Enfin, je veux dire Melkor. se reprit-elle instantanément.
- Nous l'avons expulsé d'Arda et lui avons coupé les mains et les pieds, lors de la guerre de la Grande Colère à laquelle a participé Eärendil. Cette guerre a duré 42 ans. Manwë marqua un temps d'arrêt et continua. Mais la légende dit qu'il reviendra à la toute fin du monde...
- Qui, espérons-le, sera dans de nombreux âges !" rétorqua Ulmo, ce dernier s'attirant les regards reconnaissants des autres dieux.
Alice acquiesça. Elle voulait demander pourquoi elle était là et quel rôle avait eu Tolkien dans l'histoire d'Arda mais Manwë décréta que sa leçon avait assez duré pour aujourd'hui. Elle réalisa que la nuit s'étendait sur Valinor. Avant qu'elle ne puisse demander où elle allait résider, les Valar avaient disparu à l'exception de Yavanna, Vána, Oromë et bien évidemment Mahal. Ils faisaient à présent sa taille. Oromë lui tendit la main et avec une hésitation elle lui serra. Elle s'attendait à faire pareil avec les deux déesses mais elles la prirent tour à tour dans leurs bras avec enthousiasme. Mahal secoua la tête avec un sourire désabusé.
"- Viens, tu loges dans nos appartements derrière le pavillon !" s'exclama Yavanna en l'entraînant à sa suite.
C'est ainsi qu'Alice se retrouva dans une chambre somptueuse et, le ciel en soit loué, à sa taille. Plus loin dans l'aile du bâtiment résidaient les deux couples, d'un côté et de l'autre du couloir. Mahal lui avait conseillé de se reposer car sa leçon d'histoire se continuerait le lendemain. Elle avait bien évidemment obéi. Et c'est avec des rêves plein la tête qu'elle s'endormit. Pas de doute, Irmo était passé par là.
Le soleil vint chatouiller son visage quelques heures plus tard. La jeune femme se retourna dans son lit et grogna. Elle n'avait aucune envie de se lever, les draps étaient bien trop doux et confortables. Elle garda cependant les yeux ouverts et en profita pour détailler la chambre. Elle n'était pas chez elle. Les murs et le mobilier étaient de la même couleur : un rose avec des reflets dorés. Du rose-gold quoi, pensa Alice avec un sourire. Dans son monde, elle n'aimait pas cette couleur tendance mais ici tout semblait plus beau et plus authentique. Si cette chambre était de cette couleur c'était bien parce que celui ou celle qui l'avait conçue aimait cette couleur et non parce que son voisin avait la même. Même si c'était peut-être too much, là. Les draps, le lit à baldaquin, le sol, la porte... À part les volants du lit, qui eux étaient transparents, tout était rose. En se tournant sur le dos, la jeune fille put constater que le plafond aussi avait été touché par la folie d'elle ne savait qui. Encore un caprice de dieu. En soupirant elle se redressa et se passa une main sur le visage. Elle rejeta la couverture et sortit du lit. En examinant la chambre, elle avait remarqué une armoire alors elle se dirigea vers celle-ci. Avant d'ouvrir la porte elle pria pour trouver des vêtements d'une autre couleur que celle de la chambre, ce qui réussit puisqu'il n'y en avait aucun. Elle remarqua une robe en tissu léger, elle était longue et lui tombait sur les chevilles. Elle était un peu cintrée sur la taille et n'avait pas de manches mais des bretelles épaisses. Elle retira son ancienne robe et enfila l'autre. Elle déposa la robe sur la chaise et s'intéressa à son reflet, en passant à côté de la coiffeuse. Rien n'avait changé dans son apparence. Ses cheveux étaient toujours courts et blond foncé (ou châtain clair, elle ne savait jamais), ses yeux étaient toujours d'une couleur étrange, dans les tons gris. Son nez était toujours en trompette et ses taches de rousseur n'avaient pas bougé. Mais elle se sentait bizarre, comme plus vieille ou plutôt plus mûre. Se donnant un peu de courage, elle emprunta le chemin de la sortie. Et en ouvrant la porte...
"- Hum... Bonjour ? Bien dormi ?
- Qu'est-ce que vous faisiez devant ma porte, Mahal ? se renseigna-t-elle en s'appuyant sur le chambranle de la porte. Le Vala sembla gêné et se passa la main dans les cheveux.
- Je venais vous chercher. Le petit-déjeuner est prêt, il va être servi et j'avais peur que vous ne vous perdiez dans ces dédales de couloirs."
La jeune femme le jaugea et finit par lui passer devant, non sans fermer la porte. Elle s'arrêta un peu plus loin et lui signifia qu'elle l'attendait. Le dieu la dépassa et lui fit traverser un bon nombre de corridors. Ils débouchèrent sur une grande salle, blanche pour changer, où tous les dieux de la veille flânaient. Au milieu de la salle, sur une grande table, étaient posés des fruits, des pâtisseries et des jus. À l'entrée étaient disposés des verres, des bols et des assiettes. En voyant son émerveillement le Vala de la forge lui donna un coup de coude avant de se saisir d'un verre et d'une assiette. Alice l'imita et observa ce qu'il prenait. Du jus de raisin et des pâtisseries qui lui étaient inconnues. Elle prit du jus d'orange ainsi qu'une pomme puis décida de goûter les viennoiseries. En cherchant les quatre Valar d'hier elle les trouva assis à une table éloignée du centre. Une place était libre et elle se dirigea aussitôt vers eux. En y arrivant, Vána et sa sœur lui sourirent, Oromë lui fit un signe de tête qu'elle leur rendit. Ils mangèrent en silence puis Vairë se présenta devant eux. Avec un sourire elle expliqua à la blonde qu'en premier lieu, c'était elle qui lui conterait l'histoire de Tolkien et qu'elle devait la retrouver d'ici quelques minutes dans son aile. Alice hocha la tête et Yavanna indiqua à l'autre déesse qu'elle l'accompagnerait. Vairë repartit dans le couloir. La blonde était excitée. Depuis hier elle n'avait qu'une envie, c'était de tout apprendre sur ce monde qu'elle pensait connaître. L'heure venue, Yavanna et elle se levèrent et la Vala la conduisit dans une aile attenante à la leur. Elles s'arrêtèrent devant une grande porte en chêne et son accompagnatrice lui indiqua que c'était la bibliothèque mais aussi là où Vairë passait tout son temps. Cette dernière ne tarda pas à apparaître dans l'encadrement de la porte. Yavanna l'abandonna à sa comparse et repartit.
En entrant dans la bibliothèque, cette dernière comprit pourquoi ce genre d'endroit était souvent surnommé l'antre du savoir. Des milliers et des milliers d'ouvrages étaient empilés sur des étagères... et des étagères, il y en avait des centaines. La salle était silencieuse. La nouvelle arrivante se rendit compte qu'elle avait la bouche ouverte depuis le début quand un petit rire cristallin raisonna dans la pièce. Vairë était amusée par l'émerveillement de la nouvelle venue.
"- Comme vous l'avez appris hier, je suis la Vala du temps et c'est souvent de mon fait que les mortels disparaissent. Mais savez-vous ce qu'il reste d'eux une fois qu'ils sont partis ? lui demanda-t-elle en traversant l'allée principale.
- Je dirais les livres puisqu'on est ici. rétorqua Alice en observant les alentours. Sa professeur hocha la tête sans se départir de son sourire.
- Exactement. Dans votre monde, tout ce qu'il vous reste de John Tolkien sont ses livres n'est-ce pas ? elle attendit que son interlocutrice tourne son regard vers elle pour continuer. Eh bien, ici tout ce qu'il nous reste de lui, c'est sa propre histoire que j'ai conciliée dans un livre."
En disant cela, elle avait attrapé un livre sur l'étagère la plus proche. Il était noir, sans reliure, et sa couverture faisait le tour entier des pages. Autrement dit, il n'y avait aucun moyen de l'ouvrir. Elle le tendit à la jeune femme qui le tourna dans ses mains sans comprendre.
"- Si vous voulez savoir ce qu'il contient, il faut que vous appreniez à ouvrir les choses qui semblent fermées à jamais." lui dit alors la déesse en s'asseyant sur un fauteuil au fond de la pièce.
Alice ne comprenait pas. Elle n'était pas magicienne et encore moins patiente. Le seul moyen qu'elle avait un jour trouvé pour ouvrir quelque chose de fermé, soit un bocal de cornichons, avait été de l'exploser sur le sol mais elle doutait que ce soit ce que Vairë attendait d'elle. Alors elle s'assit sur le sol et continua à étudier l'objet sous toutes ses coutures. Au bout d'une dizaine de minutes elle soupira et envisagea de demander au livre de s'ouvrir littéralement. Puis elle repassa la phrase de la déesse dans son esprit et son visage s'éclaira. Une énigme ! C'était une énigme ! "À jamais". Jamais... Elle se leva et, sans prêter attention à Vairë qui l'observait, commença à parcourir les galeries à la recherche de la lettre J. Au bout d'une vingtaine de minutes elle le trouva. Il y avait 10 colonnes de livres commençant par J. En se creusant les méninges elle décida de partir sur la sixième colonne puisque dans "jamais" il y avait 6 lettres. Les livres y étaient tous noirs sauf un, celui-là était rouge. Elle s'en saisit et, avec surprise, vit qu'une étiquette était collée dessus. Une étiquette au nom de J.R.R. Tolkien. Alice ouvrit le livre et découvrit une clef en argent qui n'avait même pas de crans. Elle ressemblait plus à un couteau tout compte fait. Elle rebroussa chemin avec le livre en main. Vairë n'avait pas bougé et lui offrit un regard mystérieux. Elle s'empara de la clef-couteau et trancha le long de la couverture. Le livre s'ouvrit et la blonde poussa un soupir de soulagement.
"- Alors, comment ouvre-t-on les choses fermées à jamais ? lui demanda la déesse en s'approchant.
- En partant du principe que si elles sont fermées, elles ont été ouvertes un jour et qu'il faut donc faire preuve de persévérance et d'un esprit astucieux pour trouver la faille. en convint Alice en ouvrant le livre. Elle fut surprise de ne trouver que des pages blanches. Qu'est-ce que ça veut dire ? "
La déesse lui expliqua que ce n'était qu'une épreuve pour savoir si son esprit était assez aiguisé et tenace pour la quête qui l'attendait. Alice se sentit agacée mais n'en laissa rien paraître. Vairë finit par prendre place à ses côtés, à même le sol. Elle commença alors son récit.
John était arrivé de la même manière qu'elle, après un accident. Il était relativement jeune puisque c'était pendant sa participation à la Première Guerre Mondiale. La fièvre des tranchées l'avait atteint et envoyé dans le plus profond coma. Il avait mis pied sur Valinor et les Valar n'avaient pas très bien compris jusqu'à ce qu'Eru leur envoie un message. Ils devaient envoyer John sur Arda, plus précisément en Lothlórien, pour voir Galadriel et son miroir. Alors ils l'avaient fait et John avait regardé dans le miroir. Il ne devait révéler à personne en Arda les événements exacts qu'il avait vus. Eru Ilúvatar était descendu de son trône et avait tenu conseil avec ses subordonnés. Il fut décidé que Tolkien devait retourner sur son monde et devait transmettre son savoir de manière subtile au plus grand nombre de gens. Les Valar ont par la suite envoyé eux aussi certaines de leurs créations sur ce monde pour plusieurs raisons et notamment afin de les mettre au courant des quêtes auxquelles ils pouvaient potentiellement participer.
À la fin du récit, Alice n'en croyait pas ses oreilles. Bien évidemment, elle avait toujours pensé que c'était prodigieux d'inventer un monde entier comme ça mais elle était impressionnée que Tolkien ait pu se souvenir de tout ce qu'il avait vu et l'avait retranscrit au travers des âges.
"- Maintenant, je te laisse aux mains d'Oromë et Tulkas. Ils vont t'apprendre certaines choses pour ta quête." lui dit la Vala après l'avoir ramenée dans les jardins devant le pavillon. Elle la laissa là sans plus de cérémonie et la blonde se dit qu'elle était déjà fatiguée d'être trimbalée d'un dieu à l'autre.
