Vers 9h30, Alfred se rendit compte qu'ils étaient en retard et que Coach pouvait enfoncer sa porte à tout moment. Il avait complètement perdu la notion du temps, en prenant sa douche, en écoutant de la musique et en engageant une conversation oisive et amusante avec son invité au langage aiguisé et à l'humour sec. De son côté, Arthur avait passé la matinée enveloppé dans la couverture, pelotonné sur le canapé avec une tasse (fraîche) d'Earl Grey -il avait quelques sachets dans son sac Gucci -et feuilletait distraitement les chaînes de télévision. Il avait choisi Anderson Cooper. Après le petit-déjeuner, il avait remis son jean et disparu dans la salle de bains, pour en ressortir avec les cheveux parfaitement décoiffés, la peau chatoyante et les lèvres brillantes.

Alfred n'était pas habitué à ce que des invités autres que Matthew passent aussi longtemps chez lui. La présence d'Arthur le laissait languissant, distrait, et toujours souriant. C'était étrange d'avoir quelqu'un qui lui répondait lorsqu'il exprimait à haute voix ses pensées aléatoires et incohérentes.

"Mec, je devrais faire la vaisselle plus souvent."

"Ouais."

"Ou bien j'utilise un film plastique pour les couvrir pendant que je mange."

"Non."

"Oh, hey, Rugrats passe à la télé! Retour en arrière."

"Je change de chaîne."

"Mec, viens là, mes cheveux sentent comme les fesses d'un bébé."

"Ce n'est certainement pas l'idiome que tu cherches, mon pote."

Ce n'était pas si inhabituel pour Alfred d'avoir des gens qui passaient la nuit, se réveillant rougis, épuisés et nus à côté de lui dans le lit. Mais avoir quelqu'un de si chastement et naturellement assis sur son canapé pendant toute la matinée? C'était étrange. Il était tellement habitué aux adieux rapides, aux "Désolé, je dois y aller, sers-toi dans le frigo, c'était sympa, comment tu t'appelles déjà? À plus." Il ne se souvenait pas de la dernière fois où il avait préparé le petit-déjeuner à quelqu'un.

"Putain, on est en retard!" Cria-t-il quand il vérifia sa montre et qu'il était 9h32. Depuis le canapé, Arthur se moqua.

"Tu as un rendez-vous?"

"Non, mais Coach va se montrer et nous manger tout cru."

"Oh."

"Tu es prêt à partir?"

"Laisse-moi mettre mes chaussures. Tu veux que je range ou-?"

"Non, pas le temps! C'est bon."

Alfred était content d'avoir préparé un sac à l'avance, ainsi il avait pu se débattre dans un jean, enfiler ses Sperry's et mettre un pull par-dessus son t-shirt avec une relative rapidité. Arthur rangeait ses affaires dans son sac, mettait une paire de lunettes de soleil sur sa tête, faisait les lacets de ses Docs bordeaux.

"Où va-t-on exactement, déjà?" Demanda-t-il alors qu'Alfred prenait ses clés et éteignait toutes les lumières.

"Pas vraiment sûr, pour être honnête. Quelque part dans le nord de l'État."

"Génial."

"Écoute, la spontanéité est bonne pour l'âme."

"Si tu le dis."

Alfred regarda par-dessus son épaule et sourit à son invité, son visiteur inattendu, l'agréable surprise qui avait égayé son appartement au petit matin. Arthur ne sourit pas en retour- il semblait que son sourire était un événement rare, éblouissant, qui ne se produisait que lorsqu'on le méritait ou qu'on avait beaucoup de chance. Cela ne dérangeait pas tellement Alfred. Ses sourcils n'étaient pas froncés, ses muscles n'étaient pas tendus, et il aimait sa façon de faire la moue, de s'appuyer sur une jambe et de poser sa main sur sa hanche. En fait, un sourire semblait presque déplacé pour lui à ce moment-là. Alfred souriait assez pour eux deux.

Telles étaient les pensées qui lui traversaient l'esprit lorsqu'il posa la main sur la porte et fut interrompu, à ce moment précis, par trois coups rapides et forts sur la porte.

"Alfred! Je sais que tu es là-dedans! Ouvre cette foutue porte!"

"Fuck," murmura-t-il, en s'éloignant de la porte. Arthur sursauta et cligna des yeux en direction d'Alfred. "Merde, merde, merde."

Il garda sa voix basse, pour que Coach et Matthew n'entendent pas qu'il était, en fait, à l'intérieur. Sur la pointe des pieds, il s'éloigna de la porte. Il se dirigea vers sa chambre, et fit signe à Arthur de le suivre. Nerveux et un peu secoué, Arthur le suivit avec précaution. Alors qu'ils marchaient, les coups agressifs continuaient. Soudain, la voix de l'autre côté se mit à parler en allemand, rapidement et avec colère.

"Öffnen Sie die verdammte Tür, Hurensohn!"

Alfred ne parlait pas très bien l'allemand, mais il en avait appris un peu avec l'entraîneur, suffisamment pour comprendre ce qu'il disait et avoir un peu peur. Mais avec cette peur venait une poussée d'adrénaline, d'énergie et d'excitation. Sans prendre la peine de demander, il attrapa la manche d'Arthur, le tira dans la chambre et ferma la porte. Les cris allemand devinrent étouffés. Puis Alfred se dirigea vers la fenêtre dans le coin et, avec un grincement, la souleva complètement. Il pouvait sentir les yeux écarquillés d'Arthur qui le regardait tandis qu'il sortait, chevauchant le rebord de la fenêtre pendant une seconde, avant de poser les deux pieds sur l'escalier de secours.

"Qu'est-ce que tu fous, putain?" Cria Arthur.

"Chuut! Viens, on peut sortir par là."

"Les escaliers de secours? Sérieusement?"

"Oui! Sérieusement! Viens!"

Alfred pencha la tête vers la fenêtre et tendit la main. Arthur le fixa en silence, les dents maintenant serrées, les rides creusant son front et l'incrédulité brillant dans ses yeux. Il semblait plus effrayé qu'Alfred ne l'aurait cru, surtout après leur évasion de l'hôpital. C'était sûrement plus facile que tout ça, pensa Alfred. Sûrement. Il bougea les doigts.

"Je n'aime pas cette idée," dit Arthur. Il ne bougea pas.

"Arthur, allez! Connaissant Coach, il va probablement défoncer cette putain de porte."

"Mais—"

"Si tu ne bouges pas, ils te ramèneront à l'hôpital," dit Alfred. Il baissa la voix et se força à y mettre de la douceur. Il ne connaissait pas très bien Arthur, mais il pensait que c'était probablement le meilleur moyen de le faire écouter. "Tu n'es pas obligé de venir. Ce n'est pas grave si tu as changé d'avis."

On continuait à frapper à la porte. Alfred avait l'impression d'être dans un film d'action. Son cœur battait à tout rompre. C'était exaltant. Arthur regarda de nouveau la porte et se mordit la lèvre inférieure. Alfred l'avait vu faire cela à l'hôpital tous les jours avant ses séances de thérapie de groupe. Cela signifiait qu'il était nerveux et indécis et qu'il voulait probablement une cigarette.

"Mais je pense que ce serait mieux pour toi si tu venais," continua Alfred. Mais, aussi dur qu'il ait essayé de cacher son égoïsme, il ressortait. Il avait toujours eu un penchant à porter son cœur sur la main. "Et j'aimerais vraiment que tu en sois."

Arthur le regardait en clignant des yeux, lentement. Des rayons de soleil tombaient sur ses traits anxieux.

Putain, tu es magnifique.

"Je ne sais pas..."

"Tu veux vraiment retourner à l'hôpital?" Alfred fit un pas sur l'escalier de secours et tendit à nouveau la main. Il souriait, montrant ses dents. "Ne t'inquiète pas, je vais prendre soin de toi. On ne m'appelle pas le Héros pour rien."

Peut-être que le ton de sa voix, ou son sourire, ou la forme de sa main tendue avaient aidé à changer les choses dans l'esprit d'Arthur, parce qu'il avait fini par céder. Il s'avança prudemment et laissa sa main se poser sur celle d'Alfred. Elle s'est ajustée comme une pièce de puzzle. Alfred serra ses doigts -elle était petite, délicate, lisse comme de la porcelaine- et tira doucement. Il servit de soutien à Arthur pendant que celui-ci faisait de même et grimpait par la fenêtre, un peu moins gracieusement qu'Alfred. Puis il se tenait sur l'escalier de secours, toujours en tenant la main d'Alfred, tandis qu'Alfred rassemblait toute la force qu'il pouvait dans son autre main pour fermer la fenêtre. Puis, il commença à descendre les escaliers de l'escalier de secours, tout en retenant son rire et en essayant de calmer son cœur, qui s'emballait et chantait à cause de la sensation de tenir la main d'Arthur dans la sienne.

Ils n'avaient pas le temps de ralentir. Alfred dévala les escaliers, entraînant Arthur derrière lui, jusqu'à ce qu'ils se retrouvent sur le sol en béton. Alfred se persuada qu'il pouvait entendre Coach qui parvenait enfin à franchir la porte et à entrer dans son appartement, pour le trouver vide. Cela le faisait rire. Il pensa qu'Arthur essayait peut-être de dire quelque chose, mais il voulait d'abord se rendre rapidement à la voiture et démarrer. Laisser tout cela derrière lui et appeler Coach plus tard, quand il reviendrait, et s'excuser avec ses yeux de chien battu et son sourire radieux.

Il tenait toujours la main d'Arthur. Pas même un éclair s'écrasant entre eux n'aurait pu le persuader de la lâcher. Il le mena environ une minute plus tard sur la route, où il y avait un petit parking réservé aux résidents des appartements du quartier. Il s'agissait de voitures relativement petites, bien entretenues, de couleurs et de modèles différents. Alfred n'avait pas conduit sa voiture depuis un certain temps et il ressentait une fierté et un contentement envahissant lorsqu'il s'en approchait. Elle se démarquait - rouge vif et chatoyant. Bien que son appartement ait tendance à être un peu en désordre, il gardait toujours sa voiture comme neuve, même s'il ne la conduisait pas beaucoup. Il se força finalement à lâcher la main d'Arthur, afin de pouvoir déverrouiller la voiture. Manuellement.

"C'est ta voiture?" Haleta Arthur. Alfred le regarda, débordant de la fierté qui emplissait sa poitrine, et hocha la tête.

"Tu l'aimes?"

" C'est... eh bien, c'est... certainement unique en son genre."

"Ma fierté et ma joie."

Alfred avait hérité de la voiture et lorsqu'il l'avait reçue en cadeau pour son dix-huitième anniversaire, il avait décidé d'en faire la meilleure voiture de la ville. C'était une Ford Thunderbird classique, rouge vif, de 1955. Boîte manuelle, décapotable, guêtres de roues, enjoliveurs, et une magnifique housse de protection blanche. Elle sortait tout droit d'un film, exactement ce à quoi Alfred voulait la faire ressembler. Il leva les sourcils vers Arthur.

"Décapotable et tout," dit-il.

Arthur soupira et haussa les épaules. Alfred fronça les sourcils. Il ne pouvait pas dire si Arthur s'en fichait vraiment, ou s'il feignait simplement le désintérêt. C'est quelque chose qu'il faisait parfois.

"Si elle me permet de partir d'ici, je l'adore," dit-il.

"Elle peut le faire. Monte."

Alfred monta dans la voiture et déverrouilla la porte du siège passager. Il alluma le contact tandis qu'Arthur se glissait à l'intérieur et fermait la porte. Son image s'accorde bien avec l'esthétique de la voiture, pensa Alfred. Cela le fit réfléchir, avant de se rappeler qu'ils étaient un peu pressés.

" Oh, une boîte de vitesses, aussi," dit Arthur.

"Tu parles. Prêt à partir?"

"Attends, je ne trouve pas la ceinture de sécurité."

"Oh, c'est vrai, il n'y en a pas."

"Quoi?"

"Elles n'étaient pas fournies avec la voiture, et je ne les ai jamais installées."

"Je suis presque sûr que c'est illégal?"

"Ça l'est."

"Bien. Alors très bien."

"Prêt?"

"Aussi prêt que je ne I' ai jamais été."

"C'est parti!"

Alfred sortit la voiture du parking, s'engagea sur la route, mit la main sur le levier et démarra. Quand il jeta un coup d'œil dans le rétroviseur, il put voir Coach et Matthew sortir de son immeuble. Il rit à gorge déployée et baissa un peu sa vitre. Ils étaient sur la route maintenant, et il n'y avait pas de retour en arrière possible. Il aimait la sensation de conduire cette voiture, de sentir le vent dans ses cheveux, sans vraiment savoir où il allait, avec quelqu'un comme Arthur assis à côté de lui.

"La conduite est très souple," fit remarquer Arthur. Ils étaient dans les rues de New York maintenant. Alfred la manœuvrait avec aisance, ce qui ne veut pas dire qu'il était un bon conducteur. Dans l'agitation de la ville, il était un trou du cul. Au cours des cinq premières minutes, il s'était attiré quelques klaxons musicaux et de généreux majeurs.

"Oh, ne fait pas attention. C'est ma maîtrise du volant," répondit-il avec un clin d'œil. "Bien que, je dois admettre, elle fait rêver."

"Tu dois passer beaucoup de temps avec elle."

"Je le fais. C'est important pour moi. Je sais que c'est difficile à croire vu l'état de mon appartement."

"Non, j'y crois."

Juste avant l'entrée de la I-87 nord, Alfred s'arrêta à une station-service. Il demanda à Arthur s'il avait besoin de quelque chose. Sans un mot, pendant qu'Alfred payait à la pompe avec sa carte de crédit, Arthur disparut dans la station-service. Lorsqu'il revint, Alfred avait terminé et attendait dans la voiture depuis cinq minutes. Il revenait armé d'un sac en plastique rempli de snacks, de deux gobelets de café et d'un paquet de cigarettes supplémentaire.

"Je n'étais pas sûr du type de café que tu aimes, alors je t'ai pris du noir," dit-il, en tendant le gobelet à Alfred.

"Mec, merci. Le noir c'est parfait."

"Je préfère les lattés."

Alfred sourit tandis qu'Arthur ouvrit un sachet d'oursons Haribo et qu'ils sortirent de la station-service. Alfred en mit quelques-uns dans sa bouche en s'engageant sur l'autoroute, souriant comme un enfant. Cela lui semblait surréaliste. Le soleil et le vent traversant la vitre ouverte, le café dans sa main, regardant du côté d'Arthur, lunettes de soleil sur la tête, sirotant sa boisson à côté de lui. Comme un putain de chef-d'œuvre.

"Que dirais-tu qu'on baisse le toit, mon bon monsieur?" Demanda-t-il, en usant de son meilleur accent britannique.

"C'est une excellente idée."

Ils abaissèrent le toit de la voiture, se laissant à découvert et vulnérables au bel air d'été. Alfred demanda à Arthur de prendre ses lunettes de soleil dans la boîte à gants.

"Al, tu ne peux pas voir sans tes lunettes, tu te souviens?" fit remarquer Arthur. "Je doute que tu aies eu le temps de te procurer des lunettes de soleil."

"Putain, tu as raison. J'ai le soleil dans les yeux."

"Tu survivras. Mais ne crash pas la voiture."

"Allume au moins la radio."

Après avoir trifouillé pendant quelques minutes, Arthur choisit une station de rock- tous types de rock. La chanson qui était diffusée était "Paint It Black". Arthur hocha la tête et tapa du doigt sur le tableau de bord en suivant le rythme. Ses lèvres marmonnent les paroles.

"Tu aimes le rock?" Demanda Alfred.

"Bien sûr. Et toi?"

"Oui. J'aime tous les types de musique."

"Type préféré?"

"Oh. Euh, rap et country."

"Ce sont deux types complètement opposés."

"Est-ce que je me contredis? Très bien, alors je me contredis, je suis grand, je comporte des multitudes," répondit Alfred. Arthur le fixa et Alfred put lire la confusion dans ses yeux, même à travers ses lunettes de soleil.

"Quoi?"

"Walt Whitman."

"Oh."

Arthur esquissa un petit sourire et se remit à taper, à bouger et à boire du café. Ils restèrent silencieux, écoutant la musique pendant quelques minutes. La chanson changea pour "Hotel California".

"Hey, jouons à un jeu," dit Alfred.

"Quel genre de jeu?"

"Je ne sais pas, un jeu stupide. Comme, jamais je l'ai fait, ou action ou vérité."

"Tu es vraiment très jeune dans ta tête."

"Je suis jeune de la tête aux pieds, mec. Allez, joue avec moi? Qui sait combien de temps on va rester dans la voiture! Ça pourrait être des années!"

"D'accord. Bien, je vais jouer. Tu commences. Action ou vérité?"

"Commençons par le plus facile. Vérité."

"Facile? Tu me sous-estimes, love," sourit Arthur. Alfred aimait bien qu'il l'appelle comme ça. "Voici la question. Quand as-tu perdu ta virginité?"

"Oh." Alfred rit et jeta un coup d'œil à Arthur. Il sirotait tranquillement son café, et ses cheveux étaient agités par le vent sur son visage. Ils étaient sur la voie de gauche, dépassant les autres voitures. Heureusement, ils avaient manqué l'heure de pointe. L'autoroute était relativement calme.

"Tu as choisi la vérité. Réponds-y."

"J'avais quatorze ans."

"Sérieux?"

"Ouais. L'été avant ma première année dans le secondaire. On était amis depuis un moment et on a décidé qu'aucun de nous ne voulait entrer au secondaire en étant vierge, alors on a baisé."

"Vous êtes toujours amis?"

"Non. Nous étions toujours amis au secondaire, mais pour être honnête, le sexe avait rendu les choses un peu gênantes," sourit Alfred. "Mais, hey, au moins je n'étais pas nerveux à ce sujet au secondaire."

"Je présume que c'est logique."

"Très bien, à ton tour. Action ou vérité?"

"Vérité. Je ne suis pas un imbécile."

"Um..." Alfred réfléchit un moment, puis fourra un autre chewing-gum dans sa bouche. Il admirait le désordre et la folie des cheveux d'Arthur. "Combien de tatouages as-tu?"

"Des tatouages? Voyons voir... J'en ai cinq."

"Chouette. Ils ressemblent à quoi?"

"Tu as vu le dessin sur ma clavicule. Il ne signifie rien, mais il a l'air sacrément original. Ensuite, j'ai l'anneau sur mon biceps, aussi juste pour un motif cool. Un sachet de thé sur ma cheville parce que j'étais jeune et que j'ai pensé que ce serait mignon, et une rose au milieu de mon dos pour les fois où je me sentais particulièrement patriotique. Oh, et une citation d'Oscar Wilde sur ma cuisse 'Tout ce qui est populaire est mauvais.'"

"C'est un peu pessimiste."

"Je suis britannique. Bien sûr que ça l'est." Arthur sortit une cigarette et l'alluma. "Action ou vérité?"

"Action," dit Alfred joyeusement. " Je ne suis pas une mauviette."

"Comme tu veux. Donne-moi un moment pour réfléchir."

Arthur contempla le ciel et continua à tapoter le tableau de bord. Se creusant la tête pour trouver le défi parfait. Prenant une profonde bouffée de sa cigarette.

"C'est un peu difficile quand on est coincé dans une voiture," soupira-t-il. La fumée s'élevait dans le ciel bleu vif.

"Je suis sûr que tu es assez créatif."

La chanson qui se jouait dans la voiture était "Anarchy in the U.K.". Arthur la chantait aussi. Soudain, une révélation lui traversa, et il sourit à Alfred.

"Très bien, je l'ai. Tu dois te mettre sur la bande du milieu et à pleins poumons, crier 'God save the queen.'"

"C'est tout? C'est simple comme bonjour," Alfred fit un clin d'œil. Lorsque la route fut dégagée, il mit son clignotant et se plaça sur la bande du milieu de l'autoroute. Puis il prit une grande inspiration, ouvrit la bouche et cria aussi fort qu'il le pouvait (ce qui était très fort).

"GOD SAVE THE QUEEEEEEEEN!"

Alors qu'ils regardaient les visages dans les voitures, fenêtres baissées, se tourner et regarder avec stupeur, Arthur éclata de rire. Alfred aimait ce son, ce visage, et il riait aussi.

"Tu vois? Ce n'était rien."

Arthur rit, fuma et mangea des oursons en gélatine.

"Okay, action ou vérité?" Demanda Alfred.

"Tu sais quoi, et puis merde. Action. Voyons à quel point tu peux être créatif."

"Ooh, je dois en trouver une vraiment bonne."

"Sois prévenu. Le Royaume-Uni est connu pour garder son calme, même dans les circonstances les plus difficiles." Il tapota sa cigarette contre la fenêtre. "Tu vas devoir trouver quelque chose de très spécial si tu veux me déstabiliser."

"Tu me sous-estimes, mon vieux."

Alfred, en regardant Arthur sourire, rire et manger des bonbons sur le siège passager de sa voiture pendant que Jimmy Paige jouait son légendaire solo de guitare, était envahi par une émotion qu'il ne pouvait pas décrire. Il n'avait jamais ressenti une telle envie, une telle gratitude, un tel égoïsme de toute sa vie. Pendant un moment, il avait même oublié la raison pour laquelle il avait commencé à faire la connaissance d'Arthur. Mais c'était le but, n'est-ce pas ? Il avait oublié la tête qu'Arthur avait faite lors de leur première rencontre, l'état pitoyable dans lequel il se trouvait et la façon dont il avait marché sur le sol de l'hôpital, s'était écroulé et avait pleuré jusqu'à ce qu'il s'endorme, tranquillement, quand il croyait qu'Alfred ne pouvait pas l'entendre.

Il serra plus fort le volant et sourit si largement que ses lèvres tremblaient.

"Très bien. Bien. J'ai un défi de malade, alors. Je te défie- non, en fait, je te défie à triple tour..."

"Oh, conneries."

"...Je te défie de m'embrasser. Ici même."

Arthur ne répondit pas. Alfred ne pouvait pas se résoudre à regarder sur le côté. Quand il y avait pensé, il n'avait pas vraiment voulu le dire. Mais quand il avait ouvert la bouche, les mots étaient sortis si naturellement, si joliment, si profondément égoïstes. Avait-il toujours été aussi égoïste, se demanda-t-il? Avait-il toujours fonctionné avec son propre intérêt à l'esprit comme ça?

Avant même qu'il ait pu mettre de l'ordre dans ses pensées, il sentit une légère traction sur son bras. Surpris, il se tourna pour regarder Arthur. Et quand il se tourna, c'était là. Les lèvres brillantes d'Arthur, souillées de café et de tabac, chaudes, roses et plissées, pressées contre les siennes. Ses doigts s'agrippaient doucement à la manche du bras d'Alfred, les yeux fermés derrière les lunettes de soleil teintées de bleu, penché en avant de son siège. Alfred ne pouvait pas se résoudre à fermer les yeux. Il avait peur que s'il le faisait, ce sentiment disparaisse. Ses lèvres étaient différentes de ce qu'Alfred avait imaginé. Elles étaient encore plus lisses, encore plus pulpeuses, et elles avaient le goût d'une belle voix et d'un sarcasme défensif. Elles avaient le goût des sourires cachés et des rires musicaux réservés aux moments les plus dignes.

Je me demande quel goût ont mes lèvres.

Quand Arthur se retira et retomba sur son siège, il rougissait comme un fou, et Alfred imagina qu'il en était de même. La nervosité avait dû pousser Arthur à tirer une nouvelle bouffée sur sa cigarette, à enfoncer quelques oursons en gélatine dans sa bouche, tandis qu'Alfred retenait sa respiration et son sourire. Il ne voulait pas être trop explicite, après tout. Cela aurait été tout simplement embarrassant. On aurait dit que Robert Plant chantait pour eux.

"As we wind on down the road, our shadows taller than our souls..."
("Alors que nous dévalons la route, nos ombres plus grandes que nos âmes…")

Alfred jeta un coup d'œil hors de la voiture et vit son ombre sur la chaussée de l'autoroute.

"Ton tour," dit Arthur, sa voix un peu plus calme maintenant. Mais toujours comme une symphonie intense et étourdissante aux oreilles d'Alfred. "Action ou vérité?"


TRADUCTION Lovely As You Are de SadLesbianPrincess
Originale /works/7689145/chapters/17516257?view_adult=true