Chapitre 3
Trois filles.
C'étaient à la fois énorme, et si peu.
Gajeel ne s'était pas avancé plus près. Il se doutait que ces pauvres filles n'avaient pas besoin qu'un type dans son genre les approche. Il avait fait intervenir les soldats les moins costauds de l'escadron, ainsi que Lily, pendant que Levy essayait de les rassurer. Quand Levy et Lily avaient réussi à les faire sortir, il s'était écarté, et avait ordonné aux autres de ne pas trop s'approcher d'elles. Pourtant, même de loin il avait été sidéré par leurs regards : ces nanas étaient littéralement traumatisées. Elles allaient d'abord être prises en charge par l'infirmerie du Conseil, avant d'être transférées à l'hôpital.
Ils avaient très vite découvert des drogues et des produits magiques absolument illicites dans les coffres des voitures. Une fois les filles évacuées, le dragon slayer s'était fait une joie d'arrêter les types présents dans le hangar, tous autant qu'ils étaient. Et il n'avait pas pris de gants.
Levy ne considérait pas ça comme un échec, mais ce n'était pas complètement satisfaisant. Quand Jura passa la voir, il lui fit remarquer que du point de vue de ces trois filles, la mission était une réussite. Cependant, elle voulait découvrir où les autres avaient bien pu passer. Gajeel avait soutenu que comme au restaurant, il avait senti une quinzaine d'odeurs de femmes. Jura avait fait boucler Crocus, de sorte à contrôler chaque sortie.
La nuit était tombée quand Gajeel passa la voir. Levy était occupée à identifier et inventorier les produits.
_Bon sang, tu as vu ça ! S'exclama-t-elle en brandissant un flacon contenant un liquide couleur de boue. C'est de la liqueur de polymorphie ! Tu peux prendre l'apparence de n'importe qui, avec ça !
Elle gribouillait des colonnes avec une écriture illisible, tant elle était fatiguée. Il était maintenant impossible d'ignorer les cernes violettes qui s'étaient formées sous ses yeux.
_Faut que tu rentres.
_Je n'ai pas fini. Le hangar était sous un faux nom, mais je suis sûre que je peux le relier à Forleone. Et là, je le tiendrai...
Elle commença à aligner plusieurs classeurs sur le bureau, et en ouvrit un... Et une grande main le referma d'un coup sec sous son nez.
_Ça suffit. Gronda-t-il, dans son dos. T'es complètement crevée.
_Gajeel, je dois...
Il se pencha, et elle sentit son souffle dans son cou. Sa bouche s'assécha immédiatement. Ses lèvres remuèrent tout près de son oreille.
_Soit tu décides de rentrer et tu vas te reposer, soit je te portes et je te mets au lit moi-même.
Le visage de Levy se colora d'un rose soutenu à l'idée que Gajeel puisse s'exécuter.
_Ne sois pas idiot. Bredouilla-t-elle, en rouvrant le classeur.
Ça, ça allait être drôle. Il recula son fauteuil, l'attira à lui, et la hissa sur son épaule en un tour de main.
_HEY !
_Gihi ! Tu l'auras voulu.
_REPOSE-MOI !
_Nan.
_GAJEEL !
Il saisit le sac de la jeune fille au passage, et sortit, croisant un Fumio stupéfait dans le couloir. A vrai dire, le dragon slayer se régalait de la situation. Comme Levy se débattait, ses fesses ne cessaient de se presser contre sa joue. Quant à sa main, elle était posée sur l'arrière de sa cuisse, si douce même à travers ses collants... Une petite voix lui souffla qu'il pouvait en profiter davantage, et il fallait admettre que la tentation était grande.
_Bon, très bien ! Fulmina la jeune fille. Je vais rentrer ! Repose-moi, je ne suis pas un sac de patates !
Il s'exécuta, et elle le toisa avec une mine boudeuse et effarouchée. Quelque chose gronda sourdement dans le ventre de Gajeel. Malgré ses cernes sous les yeux et son teint un peu cireux, il aurait tout donné pour pouvoir l'embrasser, là, tout de suite.
_Pourquoi tu me regardes comme ça ? Demanda-t-elle en rosissant.
Il haussa les épaules.
_T'as juste une tête fatiguée. Je te ramène.
Ce n'était pas une question. Il lui rendit son sac, et marcha à ses côtés. L'appartement de Levy se trouvait à moins d'un quart d'heure du Conseil.
_Au fait... Tu ne m'as pas dit comment tu as réussi à faire parler le gérant du restaurant.
Gajeel émit un grognement. Il avait espéré qu'elle aurait oublié ce détail, mais après tout... Ça ne remontait qu'au début de l'après-midi. Elle le fixa intensément. Elle aurait détesté qu'il l'ait passé à tabac, et il le savait.
_Tu l'as...
_J'ai fait ce qu'il fallait pour qu'il parle. Coupa-t-il d'un ton sec. Si tu veux savoir, j'ai pas à eu à faire grand-chose : les menaces ont suffi. Je t'ai dit qu'il était entier, et je l'ai pas touché.
_D'accord. Mais si ça n'avait pas suffit ?
Il soutint son regard. Ils connaissaient tous les deux la réponse. Mais que Levy ignorait, c'est qu'il l'aurait fait pour elle. La voir dans cet état de faiblesse mentale lui avait été insupportable.
Elle poussa un soupir résigné. Elle ne parvenait pas à être en colère contre lui pas après qu'il lui ait sauvé la vie.
Encore une fois.
Elle se mordilla les lèvres en repensant à son corps plaqué contre le sien, à la façon dont il s'était resserré sur elle quand elle lui avait demandé de la laisser. Ça lui rappelait leur combat face au démon de Tartaros. Pourquoi ne la serrait-il dans ses bras que quand leurs vies étaient en danger ?
Le silence s'étira entre eux et elle bailla à s'en décrocher la mâchoire. Ils étaient arrivés devant la résidence de Levy, un petit immeuble de trois étages très cosy, avec des jardinières aux balcons et une jolie porte d'entrée ornée d'un vitrail.
_Tu vois, tu n'as pas besoin de me mettre au lit !
_Gihi ! Je peux te border quand même, si ça t'intéresse.
Levy s'empourpra.
_Je voudrais pas que tu te perdes dans tes draps... A moins que tu te sois résignée à dormir dans un lit d'enfant ?
_BAKA !
Elle le planta là. Gajeel la regarda monter les marches du perron d'un pas furibond avec un petit sourire en coin, son regard glissant sur ses fesses. Elle ouvrit la porte, mais s'arrêta avant d'entrer.
_Merci pour aujourd'hui. Marmonna-t-elle sans se retourner.
_Ouais. Grogna-t-il simplement.
Elle s'engouffra dans l'entrée, et Gajeel regarda la porte se refermer sur elle. C'était un peu lâche de sa part : il ne pouvait pas s'empêcher de flirter avec elle puis de plaisanter pour ne pas aller plus loin. Alors qu'il n'avait qu'une envie : franchir cette porte et monter avec elle dans sa chambre.
_Dors bien. Souffla-t-il, d'une voix plus douce.
OoOoO
Tout compte fait, elle aurait pu remercier Gajeel de l'avoir forcée à rentrer. Quand Levy arriva au Conseil le lendemain, son esprit était reposé, et ses idées bien plus claires. Elle était d'attaque, et ne lâcherait pas le morceau.
Elle parcourut rapidement le dernier rapport sur la boule de cristal de Krona-san : la boule parvenait maintenant à projeter l'avenir des dix prochaines minutes. Un grand pas en avant !
Fumio frappa à sa porte ouverte alors qu'elle était déjà plongée dans ses dossiers, occupée à établir un lien entre Forleone et le hangar. Pour trouver les filles disparues, ce serait une autre paire de manches, mais elle ne pouvait pas être sur tous les fronts à la fois. L'interrogatoire des mécaniciens était déjà lancé, de toute façon. Et elle avait demandé à quelqu'un d'inventorier les produits illicites retrouvés.
Le stock le plus important était constitué de liqueur de polymorphie. Il suffisait d'y mettre les cheveux d'une personne pour pouvoir prendre son apparence. Une potion défendue et très difficile à confectionner. Il y avait aussi des écailles de sirène, dont la chasse était interdite depuis un demi-siècle, et qui passait pour un cosmétique rajeunissant très efficace.
_Votre cappuccino, miss Levy ! Chantonna le jeune homme en posant un gobelet fumant sur le bureau. Avec de la noisette cette fois, comme vous l'aimez.
Levy se força à rompre sa concentration pour relever la tête et le remercier chaleureusement.
_C'est gentil, merci.
Fumio lui apportait un cappuccino tous les matins, et parfois l'après-midi. Mais cette fois-ci, au lieu de partir immédiatement comme à son habitude, il ne bougea pas.
_Miss Levy... Je peux vous poser une question ?
La jeune fille se raidit. Elle l'appréciait beaucoup, car il ne la courtisait pas. Selon ses estimations, les deux tiers des soldats-mages avaient tenté de flirter avec elle, et la moitié d'entre eux lui avait proposé un rendez-vous. Elle avait cessé de compter les boîtes de friandises et les bouquets de fleurs déposés sur son bureau. La semaine passée, l'un d'eux lui avait pris la main pour l'attirer à lui, et elle l'avait giflé.
A sa connaissance, Fumio était le seul soldat du Conseil à lui avoir jamais apporté une chose sans attendre qu'elle en donne une autre en retour. Mais ce « je peux vous poser une question ?», elle en avait entendu tellement de variantes qu'elle était sur ses gardes.
_Je vous écoute. Répondit-elle prudemment.
Il se gratta la tête.
_Hé bien... Il y a Thomas, vous voyez ? Je crois qu'il vous a proposé un rendez-vous, l'autre jour, et ensuite on est allé boire un verre. Je ne vous reproche rien, hein ! Mais ce n'est pas le premier que je vois pleurer pour ça, du coup je me demandais... Vous éconduisez tous les hommes parce qu'aucun ne vous intéresse... Ou parce que vous sortez avec le capitaine ?
Levy sentit le rouge lui monter aux joues. Alors celle-là, il ne s'y attendait pas !
_Je, heu, hé bien, non, ilnyarienentrenouspourquoivousditesça...
Levy balbutiait une réponse sans doute peu intelligible. Fumio lui offrit un sourire penaud.
_Désolé. Fit-il. Je sais bien que ça ne me regarde pas... Ni personne, d'ailleurs. C'est juste que selon moi, ils devraient tous se faire une raison. Pas vrai ?
Il la salua maladroitement, et sortit de la pièce, laissant Levy rouge de confusion. Elle trempa ses lèvres dans sa boisson chaude, et tâcha de se secouer. Elle avait encore du pain sur la planche.
N'empêche. Si seulement Fumio avait eu raison, pour Gajeel et elle...
OoO
Gajeel entra dans le bureau de Levy. Il avait l'habitude de s'y rendre tous les jours pour piquer un somme après l'entraînement. Excepté qu'aujourd'hui, au lieu de s'entraîner, il avait supervisé les interrogatoires des mécaniciens avec Lily. Et tout compte fait, c'était plus distrayant qu'il ne l'avait cru.
_Yo ! T'as l'air reposé.
Elle redressa la tête, le cœur battant. Il arborait un sourire satisfait.
_Ça a donné quoi ?
_Gihi ! On sait où sont les autres filles.
Levy bondit de sa chaise, et saisit son manteau. Cependant, il lui prit le bras avant qu'elle ne sorte.
_T'affole pas. Elles sont éparpillées aux quatre coins de la ville, Lily s'occupe d'envoyer plusieurs escouades les récupérer toutes en même temps. Par contre...
_Quoi ?
Il hésita.
_On les a interrogé séparément. La plupart des éléments concordent, mais les gars sont pas tout à fait d'accord sur le nombre et la provenance des filles... Encore moins sur ce qui leur est arrivé.
Levy ferma les yeux un instant.
_Alors, il n'y a qu'une chose que je puisse faire. Murmura-t-elle.
Elle sortit de la pièce d'un pas lourd, Gajeel sur ses talons. Il comprit quand il la vit se diriger vers l'infirmerie du Conseil.
_Levy...
_Je dois leur parler. Il le faut.
Ils s'arrêtèrent devant la porte marquée d'une croix rouge. La jeune femme avait la gorge serrée.
_Il vaut mieux que tu ne viennes pas. Murmura-t-elle.
_...Ouais.
Elle inspira un grand coup, et franchit la porte.
Les filles étaient étendues dans trois lits, qu'elles avaient elles-même rapproché. Elles semblaient avoir besoin d'être proches les unes des autres. L'une d'elle dormait profondément, les deux autres dressèrent des têtes apeurées, puis se détendirent un peu en voyant que ce n'était que Levy. Elle avait l'impression d'être face à des chats sauvages.
Levy savait qu'elles venaient du même pays que Biska et Arzak. Celle qui dormait ne devait pas avoir plus de seize ans, mais les deux autres étaient un peu plus âgées que Levy. Elle prit sa voix la plus douce.
_Comment allez-vous ?
_Qu'allez-vous faire de nous ? Demanda la plus âgée en retour.
_Vous soigner, autant que possible. Ensuite... Vous serez libres, et...
_On ne peut pas être soignées. Sanglota la plus jeune. Pas après ce qu'ils nous ont fait.
Elle se recroquevilla sur elle-même, et Levy sentit son cœur l'imiter.
_Racontez-moi. Murmura-t-elle.
OoO
Tout le corps de Gajeel était crispé par la fureur. Son corps dégageait des ondes vertes de très mauvaise augure.
Il estimait qu'il en avait fait, des choses moches, dans sa vie. Mais ça ? Et dire qu'il était persuadé d'être un monstre moins d'une heure plus tôt... Il y avait tellement pire que lui, tout compte fait.
Levy ouvrit la porte de l'infirmerie, et Gajeel dû se faire violence pour ne pas exploser.
Une des choses qu'il aimait le plus, chez elle, c'était sa joie de vivre. Levy souriait à tout, elle respirait la gaieté et elle avait le rire facile. Un rire cristallin, et un sourire éblouissant.
Son sourire semblait loin à présent. Toute joie semblait l'avoir abandonnée à jamais. Il aurait pu tuer, pour ne jamais voir une telle expression sur son visage.
_Tu as tout entendu ?
Elle avait une voix d'outre-tombe. Il hocha la tête.
_Je veux sa peau, Gajeel.
_Tu l'auras.
OoOoO
Quelques heures plus tard, douze autres filles étaient prises en charge. Non plus au Conseil, qui n'avait pas assez de services de soin, mais au grand hôpital de Crocus. Gajeel avait atteint un taux d'arrestations record. Et la plupart des types qu'il enferma étaient couverts de blessures.
