Chapitre 5
Dès le lendemain, il s'avéra que Gajeel n'était pas le seul à avoir reçu une visite nocturne particulière. Les dix mages Saints eux-même avaient vu une jeune femme avenante et peu vêtue toquer à la porte de leurs domiciles. Aucune n'était arrivée à ses fins, à savoir obtenir de quoi faire chanter leur cible. L'épouse de Jura avait débarqué au Conseil pour, disait-elle, « énucléer la petite truie qui avait osé séduire son mari pendant son absence ». Quand à celle envoyée chez Warrod, elle n'avait rien obtenu d'autre qu'une séance de jardinage. Levy dû s'assurer que les autres gradés n'avaient pas eu ce genre de visite... Et elle tomba de haut.
A l'opposé de Gajeel et des mages Saints, beaucoup d'entre eux avaient cédé à la tentation. Bien avant Gajeel, d'ailleurs ! Levy se retrouvait donc avec des mages gradés qu'elle ne pourrait pas mobiliser, vu qu'ils étaient susceptibles de subir des pressions et du chantage.
Néanmoins le bon côté fut qu'elle cessa immédiatement de faire la tête à Gajeel. Et contrairement à ce qu'elle avait craint, Forleone n'avait pas essayé de l'atteindre elle en s'en prenant à lui.
Cela faisait moins d'une semaine que Levy avait lancé la machine contre Vito Forleone, et déjà elle recevait une pluie de protestations des hautes sphères de Fiore, et de Crocus en particulier.
Le gérant de La Dolce Vita s'était avéré être le petit neveu d'un comte. Des produits magiques illicites, tels la liqueur de polymorphie, avait été retrouvée chez lui. Au moins sept membres de la noblesse étaient mouillés. Elle avait reçu la visite de plusieurs personnes hauts placées venues la prévenir de faire attention à ses arrières. Le baron de Münchhausen avait été jeté dehors par Gajeel, quand il l'avait entendu insulter la jeune femme. Son fils aîné, qui avait envoyé la fille chez le dragon slayer, l'avait rudement payé pendant son arrestation. Il s'était bien lâché sur le fils, et il ne se gêna pas pour balancer le père à travers une fenêtre.
Malgré toutes les pressions, Jura continuait à soutenir Levy envers et contre tout. Surtout depuis qu'il avait lui-même était pris pour cible.
Et puis, ils avançaient bien. Levy était en passe d'obtenir la perquisition du plus grand restaurant de Forleone, Il Figlio.
Il Figlio...
Ce restaurant intriguait Levy au plus au point. Toute la bonne société de Crocus s'y rendait, l'établissement était réputé, et quasiment inattaquable. Pourtant, Forleone y organisait des soirées privées une fois par mois. Si seulement elle pouvait mettre la main sur quelqu'un qui accepterait de témoigner...
_Ça m'intrigue, ce nom. Marmonna-t-elle.
_Pourquoi ? Grogna Gajeel, avachi dans son fauteuil.
_Parce que Forleone n'a jamais eu de fils.
A vrai dire, il avait bien eu quatre filles, toutes décédées dans d'atroces circonstances. Un parrain de la mafia les avait fait assassiner... Après les avoir torturées. Il pensait mettre son rival à genoux, mais le contraire s'était produit. Forleone avait purement et simplement fait disparaître toute la famille de cet homme. Tous envolés sans laisser de traces.
_Ça s'est passé pendant nos sept ans d'absence. Termina Levy.
Elle se demandait comment un homme qui avait perdu ses propres filles d'une façon si cruelle pouvait continuer à infliger autant d'horreurs à d'autres.
_Tiens, tu as lu le nouveau rapport sur la boule de cristal de Krona-san ?
Non, bien sûr qu'il ne l'avait pas lu. Krona-san avait atteint un nouveau stade : la boule de cristal commençait à projeter l'avenir sur près d'une heure. Ainsi, Warrod avait pu sauver la feuille d'un de ses arbres, avant qu'une chenille n'y creuse un trou. Formidable.
OoOoO
Levy sortit de chez elle en pestant. Elle avait passé la nuit à tourner et retourner un épineux problème : le juge qu'elle pensait défrayer pour le procès final venait de se débiner. Corruption ou menace ? Telle était la question. Elle entra dans sa boulangerie habituelle sans cesser de réfléchir.
_Un croissant à la myrtille. Commanda-t-elle machinalement.
La solution qui s'imposait serait donc de faire juger Forleone par le Conseil Magique lui-même... Le problème était qu'il n'était pas mage... Et que...
Elle tendit la monnaie à la boulangère, mais suspendit son geste, les sourcils froncés.
_Un problème, mademoiselle ? Demanda la boulangère, juste avant que la cuisine n'explose.
OoO
Levy n'avait jamais été très forte, mais d'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours côtoyé des mages redoutables. Elle avait effectué ses premières missions avec Erza. Dans le temps, les Shadow Gear partaient même avec les Strauss. Et plus le temps avait passé, plus elle avait appris à reconnaître cet instant décisif qui précède une attaque lancée à pleine puissance.
Elle attrapa la main de la boulangère, la tira par dessus le comptoir, et eut juste le temps de lancer son script « Wall » de sa main libre.
Ce qui leur sauva la vie à toutes les deux.
Le souffle brûlant s'écrasa sur le mur magique, sans les brûler vives, et le plafond s'effondra sur la masse de coton qu'elle venait de faire apparaître sur elles. Levy avait les oreilles qui sifflaient, la bouche pleine de fumée et de poussière, et même si le coton les empêcha de mourir sur le coup, la pression fut telle qu'elle s'évanouit.
OoO
_ELLE EST LA ! Je sais qu'elle est là !
_Gajeel, tu vas tout faire s'effondrer...
_Capitaine, attendez...
_DEGAGEZ !
Levy revenait lentement à elle. Sa conscience se battait pour reprendre le dessus, mais elle se sentait si... Oppressée ! Elle entendait les voix, de très, très loin d'elle. Surtout sa voix. Elle voulut crier, mais quelque chose devant son visage l'empêchait de bouger.
Puis, enfin, la pression sur son corps se relâcha. Tout à coup, elle put respirer. Elle poussa un gémissement, entre la douleur et le soulagement.
Gajeel fit violemment voler le morceau de plafond sans se soucier de sa destination. Une masse impressionnante de coton marron apparut derrière.
_Gajeel !
Lily arriva au moment où il dégageait le corps de Levy. A ses côtés, une femme d'âge mur geignait faiblement.
Les yeux chocolat de Levy s'entrouvrirent, et un sourire las s'ébaucha sur ses lèvres.
Elle le trouva un peu flou, dans la poussière. A moins que ce soit ses yeux à elle qui étaient vitreux... Mais il était bien là. Elle n'avait eu qu'à entendre le son de sa voix pour revenir à elle. Elle voulut ouvrir la bouche, tenta de former un son...
_Parle pas. Dit-il avec voix douce qu'elle ne lui connaissait pas. Je suis là.
Il dégagea complètement le coton, et se pencha sur elle. Son regard glissa sur tout son corps : pas de trace de sang, pas d'os qui dépassait, pas de membre avec des angles bizarres,. Elle n'avait même pas de brûlure. Un de ses bas était filé, et c'était tout. Il ferma les yeux, et se donna une seconde pour laisser le soulagement l'envahir.
Bon sang, ce qu'il avait eu peur.
Il se reprit très vite, et passa un bras autour de ses épaules avant de glisser l'autre sous ses cuisses. La jeune femme poussa un gémissement quand il se redressa, la soulevant aussi délicatement que si elle avait été en porcelaine.
_Gajeel, elle est peut-être...
_Elle est pas blessée. P'tet une commotion, au pire. L'autre doit être dans le même état.
Tout le monde put voir le capitaine Gajeel Redfox quitter la boulangerie en ruine, en portant dans ses bras le lieutenant McGarden à moitié consciente. Plusieurs soldats se ruèrent vers le dragon slayer... Avant de se faire refouler par un grondement plus que menaçant. Le message était clair.
_Comment tu as su ? Murmura faiblement Levy.
Il baissa les yeux sur la mage. La boulangerie où elle se rendait tous les matins était située à moins de cinq minutes à pieds du Conseil. Gajeel et Lily avaient entendu l'explosion alors qu'eux-même étaient en chemin, et la plupart des soldats présents avaient accourus sur les lieux.
A vrai dire, le doute l'avait assailli dès que le souffle avait retenti. Comment avait-il su qu'elle se trouvait à l'intérieur ? Il n'aurait pu le dire, mais il en avait été convaincu dès qu'il avait vu la boulangerie. Les deux ou trois types qui avaient voulu l'empêcher de pénétrer dans les décombres avaient volé un peu partout. Même Lily ne s'était pas trop approché de lui.
_T'inquiète.
OoO
Comme l'avait deviné Gajeel, Levy n'avait rien d'autre qu'une petite commotion. Et ses oreilles cesseraient très vite de siffler.
Si, par la plus grande des chances, il n'y avait eu personne dans la cuisine, un vieil homme était entré juste après Levy. Celui-ci se trouvait dans un état très critique. La boulangère s'était foulée la cheville en basculant par dessus le comptoir, et elle pouvait s'estimer heureuse.
Sans aucun état d'âme, Gajeel laissa tout en plan pour s'occuper uniquement de l'explosion. Le type qui lui rapporta le premier rapport manqua de se faire arracher la tête.
_Une fuite de gaz magique ? Vous vous foutez de moi ! Hurla-t-il.
Il se précipita vers l'infirmerie, où il eut la mauvaise surprise de ne pas trouver celle qu'il cherchait.
_Miss Levy est retournée dans son bureau. Dit prudemment l'infirmière, devant l'humeur massacrante du visiteur.
Il se mit à grogner sourdement, tout en parcourant les couloirs labyrinthiques menant à Levy, et ouvrit sans frapper... Voulut entrer, du moins. La porte s'entrebâilla à peine, comme si quelque chose la bloquait de l'autre côté. Il passa un œil, et s'étrangla presque.
_Nan mais je rêve...
Gajeel poussa énergiquement, et se fraya un chemin entre les boîtes de chocolats qui envahissaient la pièce, accompagnés de vœux de rétablissement. Il devait bien y en avoir une demi-tonne, sans parler de l'odeur entêtante des bouquets de roses. Comment tous ces crétins avaient-ils réussi à lui envoyer autant de bricoles en si peu de temps ? Et franchement, pourquoi encore lui offrir des roses ? Levy n'aimait même pas ça !
La jeune femme était penchée sur son bureau, nullement perturbée par cet envahissement de friandises et de fleurs odorantes.
_Qu'est-ce que tu fous ? Grogna-t-il. T'as failli être...
_Fuite de gaz, dans les conclusions de l'expertise ? Coupa-t-elle, sans lever le nez de ses papiers.
Il fronça les sourcils.
_Comment t'as deviné ? Tu sais que c'était pas ça. Fit-il.
_Non. J'ai précisément senti l'attaque arriver. Mais je me doutais qu'ils allaient maquiller ça comme ça.
_Ils ? Forleone ?
_Ou un marquis, ou un baron, qui ne veut pas que ses affaires soient divulguées en même temps que celle de Forleone.
_Tch !
Il la regarda un instant, alors qu'elle-même ne le regardait pas. Ils savaient tous les deux qu'on avait tenté de l'assassiner, et pourtant, il était hors de question qu'elle s'arrête. Un sourire en coin naquit sur les lèvres du mage de fer. Il ne parviendrait pas à la faire bouger, cette fois-ci. Fumio débarqua à ce moment, et surprit le regard tendre que Levy ne voyait pas.
_Hum... Excusez-moi... Je vais juste... Débarrasser miss Levy de tous ses présents. Sauf si...
Gajeel émit un grognement, et passa devant Fumio sans le regarder. Il fut vaguement étonnée quand ce dernier le rattrapa dans le couloir.
_Capitaine ! Je dois vous demander... Vous ne pourriez pas lui dire de mettre un frein à son travail ?
Le dragon slayer haussa les épaules.
_Elle fait son boulot. Rien ne la fera changer d'avis.
_Qu'est-ce qui peut bien la rendre aussi déterminée ? Fit Fumio, plus pour lui que pour lui-même. Après ce qu'il s'est passé ce matin, elle devrait se reposer... Faire attention...
Cette fois, Gajeel le regarda bien en face, et Fumio se raidit. Il était presque aussi grand que lui, mais il n'en menait pas large. Le regard de Gajeel s'était considérablement durci.
_Elle a pris ce boulot, elle ne l'abandonnera pas. C'est comme ça.
_Mais... Si ça lui vaut d'être blessée, comme ce matin ? Ou même pire !
_On est des mages de Fairy Tail. Répondit le dragon slayer, comme si cela voulait tout dire.
Et de fait, en ce qui le concernait, ça expliquait tout.
