Chapitre 7
Ce fut légèrement embarrassant, mais Levy tâcha de ne pas se formaliser des regards braqués sur eux, quand ils arrivèrent ensemble au Conseil, le lendemain matin.
Et le nouveau stock de sérum de vérité était en fin prêt.
Levy et Gajeel supervisèrent eux-même l'interrogatoire du gérant de La Dolce Vita. La mage des mots était sûre qu'il en savait beaucoup plus que ce qu'il prétendait.
Le sérum était utile, mais il avait un inconvénient : au bout de trois minutes, il plongeait la personne dans un état de totale euphorie. Impossible de mener un long interrogatoire dans ces conditions. Levy avait donc préparé une liste de questions, qu'elle poserait le plus vite possible.
_Je ne dirai rien ! Hurla le type.
Gajeel l'avait immobilisé à sa chaise à l'aide de bracelets de fer. Levy donna une pichenette sur l'aiguille, et s'approcha.
_Je te préviens, espèce de sale petite garce, si jamais tu...
_Gajeel ?
Une poigne de fer se referma sur sa mâchoire.
_M'oblige pas à te péter les dents tout de suite. On en a encore besoin.
Levy trouva la veine, et injecta le sérum directement dans le sang.
_Dix secondes avant les premiers effets. Souffla-t-elle.
Le type continua à vociférer, puis se calma brusquement. C'était le moment.
_Y-a-t-il d'autres filles à Crocus ?
_Oui.
_Où ?
_L'usine de pâtes qui appartient à Forleone. Une dizaine de filles. Elles transitent avec un stock d'écailles de sirène.
Le cœur de Levy se mit à battre plus vite. Avec un coup pareil, elle pourrait directement arrêter Forleone !
_D'autres qui doivent arriver ?
_Oui, par bateau.
_Les noms des bateaux ?
Levy écrivait à toute vitesse sur son calepin. Les bateaux, les quais, les provenances, les dates... Ce type n'avait pas menti en disant qu'il s'occupait des affaires de Forleone !
_Votre copain n'a pas de sourcil. Vous l'avez remarqué ?
Levy s'interrompit, et Gajeel poussa un grognement. Le type eut un sourire nerveux, les yeux braqués sur Gajeel.
_C'est drôle, non ? Il a des piercings à la place... C'est vraiment...
_Espèce de...
Levy soupira, et se leva pendant que le type commençait à rire tout seul. Il fallait vraiment être dans un état d'euphorie pour s'amuser d'une chose pareille. Elle entraîna Gajeel par le bras avant qu'il n'envoie son poing dans la figure du prisonnier.
_Viens, n'y fais pas attention. Marmonna-t-elle, alors qu'il commençait à s'étouffer de rire.
_Non mais sans blague ! Tu trouves ça marrant, toi ?
_Pas le moins du monde. Assura-t-elle calmement.
Elle prit deux minutes pour parcourir ses notes, et remettre ses idées en place. Avec du recul, Forleone avait peut-être déjà prévu le coup, et déplacé les filles de l'usine de pâtes. Il fallait faire vite.
_Tu vas réunir Lily et deux escadrons, et aller sur place. Déclara-t-elle.
_Tu ne viens pas ?
_Pas cette fois. Je vais essayer d'anticiper les autres endroits où il aurait pu les envoyer... Et j'ai des consignes à envoyer aux capitaineries du pays.
Gajeel retint un soupir, et la laissa pour chercher Panther Lily. Ils allaient partir fouiller cette usine sur le champ.
Mais ce fut sur Fumio qu'il tomba en premier. En ce moment, le jeune homme trimballait toujours une expression soucieuse qui agaçait profondément Gajeel.
_Capitaine Redfox ! S'exclama-t-il. Du nouveau ?
_On repart faire une perquisition... Et quelques arrestations. Dans une usine de pâtes.
_Capitaine, vous êtes sûr que c'est une bonne chose, de continuer dans cette voie ? Je veux dire... Le lieutenant a déjà été blessée !
_Je commence à en avoir marre, de ton disque rayé. Gronda Gajeel. De toute façon, elle va rester dans les parages pour l'instant. Tant qu'elle est ici, elle court aucun risque.
_Si c'est ce que vous pensez. Fit Fumio, du bout des lèvres.
Il tourna les talons, et Gajeel continua son chemin. Mais où était passé son Exceed, non d'un chat !
_Je crois qu'il est parti voir la boule de Krona-san. Lui indiqua un soldat, dans la salle d'entraînement. Figurez-vous qu'elle donne enfin des résultats concluants !
La barbe ! Qu'est-ce qu'ils avaient tous avec cette vielle bique ! Et en plus, son labo magique se situait dans l'une des plus hautes tours du bâtiment. Bordel, mais quelle plaie. Il intima au soldat de réunir deux escadrons et de se tenir prêt à partir, le temps qu'il aille chercher son partenaire.
Tout en pestant intérieurement, il gravit les escaliers en direction de la tour nord, faillit se perdre trois fois parce que les panneaux de départements n'étaient pas à jour... Et arriva enfin devant une porte ornée d'une plaque très usée, indiquant « Krona Tempus – Département de la Maîtrise Temporelle ».
Gajeel grogna. Lui, il aurait plutôt aimé avoir une machine à remonter le temps, pour s'empêcher de faire la pire connerie de sa vie. Il supposa que si personne ne s'était penché là-dessus, c'était que ça devait être impossible, ou trop dangereux.
Il entra sans frapper, comme à son habitude. La pièce était circulaire, et en son centre, une grosse sphère de cristal reposait sur un piédestal en argent. Une petite vieille se tenait à côté, appuyée sur une cane. Krona-san, sans doute. Il ne l'avait jamais rencontrée, mais son invention avait beaucoup fait parler dans les couloirs, ces dernières semaines.
Par contre, Lily n'était nulle part.
_Vous venez essayer la sphère de l'avenir ? Demanda la petite vieille, d'un air ravi.
_Heu... Fit Gajeel. Je pensais trouver mon partenaire ici.
Ça devenait pressant, ils devaient partir faire cette fouille le plus vite possible. Gajeel ne savait même pas combien de temps il venait de perdre.
_Touchez la sphère, et vous serez témoin d'un triste événement que vous pourrez éviter.
_C'est comme ça que ça marche ? Fit-il, peu convaincu.
_Oui. La sphère ira chercher dans votre avenir proche, et vous annoncera un événement que vous pourrez éviter.
_Proche, ça veut dire quoi ? S'enquit-il malgré lui.
_Dans un cercle de six heures. Et à présent, c'est très fiable.
_Et s'il doit rien se passer ?
_Cela peut être un meurtre comme un verre cassé. Une écharde enfoncée dans le doigt, un pied tapé dans une chaise, ou un tremblement de terre... La sphère vous le dira.
Gajeel fronça les sourcils, et s'avança, intrigué. Il devait admettre que c'était plus prometteur, comme résultat, que ce qu'il avait entendu dire.
Presque malgré lui, il avança la main. Ses doigts effleurèrent une surface dure, et étrangement, toute chaude...
O
Il heurta le dallage en tremblant de tout son corps. La vision avait été si nette, si réelle, si douloureuse. Il se releva en chancelant et se précipita vers le cabinet de toilette qu'il avait repéré. Il eut à peine le temps de se pencher sur la cuvette qu'il vomit tout ce qu'il avait dans le ventre.
Une fois qu'il n'eut plus rien à cracher, il tenta de reprendre ses esprits. En se passant la main sur le visage, il s'aperçut qu'il était trempé de larmes. Il se traîna tant bien que mal vers le lavabo, et s'aspergea copieusement le visage. Il but également une grande rasade d'eau. Il tremblait encore.
Combien de temps s'était-il écoulé ? Il avait le sentiment que cette vision avait duré une éternité. Est-ce qu'il pouvait encore agir ?
« Pourvu qu'il ne soit pas trop tard... Pitié, faites qu'elle soit... »
Il ouvrit la porte, et ses yeux tombèrent sur Levy, en grande discussion avec Lily et la vieille Krona. La jeune fille tourna vers lui un regard pétillant... Et son sourire se fana en voyant la tête de son ami.
_Gajeel, tout va bien ? Tu as une mine affreuse, que...
Il combla l'espace entre eux et la plaqua contre lui. Ses bras se refermèrent sur elle comme un étau.
Il était incapable de traduire l'intensité de son soulagement. Il se concentrait sur l'odeur de ses cheveux, dans lesquels il avait enfouit son visage. Sur la douceur de sa nuque, sous ses doigts. Sur son cœur, qui battait contre son torse. Tout ce qui pouvait lui prouver qu'elle était saine et sauve.
Levy, la tête contre sa poitrine, n'osait pas faire un geste. Elle était rose de confusion. La petite mage posa finalement deux mains tremblantes sur chacun de ses bras.
_Gajeel.
Elle releva doucement sa tête, sans se dégager de ses bras si forts et si chauds. Elle n'avait aucune envie de s'écarter, mais elle devait savoir. Gajeel rencontra ses yeux. Deux yeux marrons emplis d'angoisse.
_Je vais mourir ? Demanda-t-elle d'une voix un peu étouffée.
Elle ne voyait pas beaucoup d'autres raisons qui auraient poussé Gajeel à réagir ainsi. Elle avait l'impression qu'il la serrait contre lui comme pour l'empêcher de s'envoler. Pour la protéger.
L'expression de Gajeel devint féroce. Sa main glissa de sa nuque à sa joue.
_Il ne t'arrivera rien. Appuya-t-il. Il ne t'arrivera rien, parce que je ne laisserai rien t'arriver.
Levy constata alors qu'il avait les yeux rougis, et une haleine un peu aigre. Un long frisson la parcouru. C'était donc horrible, au point que Kurogane no Gajeel pleure et vomisse devant cette vision ?
_Dis-moi. Murmura-t-elle en se dégageant. Dis-moi ce que tu as vu.
_Si cela vous concerne, vous pouvez le savoir, en touchant vous-même la sphère. Susurra la vieille femme, attirant son attention.
Un rugissement terrifiant sortit de la gorge du dragon slayer. Il prit la jeune fille par les épaules, et l'écarta brutalement de la boule.
_NON ! Tu poseras pas les mains sur ce truc !
_Gajeel...
_Jure-moi que tu ne poseras pas un doigt dessus !
Il la serrait tellement fort qu'elle allait probablement avoir des bleus. Cependant, Levy s'en moquait.
_Je... D'accord... Très bien, je te promets que je n'y toucherai pas... Mais Gajeel... Il faut que tu me dises...
La pression de ses mains se relâcha, et elle vit les épaules de Gajeel s'affaisser. Il ferma les yeux, beaucoup plus calme. Il effleura ses boucles bleues du bout des doigts, et elle rosit encore.
_Gajeel ? S'enquit Lily. On doit toujours aller...
_Je vais plus nulle part. Levy va diriger l'arrestation à ma place.
_Que... Hein ?!
Elle était douée pour donner des instructions et lancer la marche à suivre, mais commander à une escouade ! Ce n'était pas son travail de diriger des mages-soldats.
_Tu vas aller à cette foutue usine, et tu fais en sorte qu'il y ait du monde autour de toi. Lily, tu la lâches pas.
_Mais qu'est-ce que tu as vu, bon sang ! S'écria Levy. Qu'est-ce qui va m'arr...
_Je viens de te dire qu'il t'arrivera rien ! Coupa Gajeel, un peu sèchement.
Gajeel se tourna vers son Exceed.
_Je compte sur toi. Tu restes avec elle.
Il tourna les talons et quitta la pièce, sans rien ajouter. Les yeux embués de Levy tombèrent sur la boule de cristal, et elle déglutit.
_Ohoh ! Chantonna la petite vieille à ses côtés. On dirait que j'ai réussi à éviter un drame ! C'est merveilleux, ça ! C'est vraiment...
Elle s'interrompit, en louchant sur sa boule de cristal. Les yeux froncés, elle chaussa les lunettes qui pendaient autour de son cou et s'approcha pour l'observer de plus près.
_C'est étrange, on dirait qu'il y a comme une fissure... Ce n'était pas là tout à l'heure...
Levy fixait la boule autour de laquelle tournait Krona Tempus, sans parvenir à vraiment ordonner ses pensées.
_Levy ? Fit Lily.
La jeune femme tâcha de se secouer, et ravala les larmes qui lui picotaient les yeux.
_Oui. Je ne sais pas ce que Gajeel a vu, mais...
_Il devrait nous en dire plus, plus tard. J'en suis sûr.
_Ça, il a intérêt. Murmura Levy, avec un dernier regard pour la boule.
OoOoO
_Miss Levy ! Chantonna Fumio en toquant à la porte, avant de l'ouvrir. Voici votre cappuccino, comme vous l'aimez... Heu...
Contrairement à ce qu'il pensait, Levy n'était nulle part. En revanche, Gajeel était adossé au bureau. Ses lèvres se contractèrent en un sourire effrayant.
_Je... Je pensais voir miss Levy... Fit nerveusement Fumio, tentant de ne pas se focaliser sur le visage terrifiant du mage de fer. Mais je...
Un pilier de fer claqua violemment devant la porte. Fumio sursauta, crispé sur son verre en carton. Il se retrouvait coincé entre Gajeel et la porte barrée.
_Que... Capitaine Redfox... Que se passe...
_Je sais.
La voix de Gajeel semblait venir des tréfonds de l'enfer.
_Je sais ce que t'avais l'intention de lui faire. C'est moi qui l'ait trouvée après.
_A... Après quoi ? Je n'ai...
Gajeel leva simplement la main, et trois chevrons de fer clouèrent les lèvres de Fumio. Le cappuccino tomba au sol, se renversant sur le parquet. Il porta les mains à sa bouche, son hurlement de douleur complètement étouffé. Il regarda autour de lui comme une bête acculée, et ses yeux avisèrent la grande fenêtre sur le côté.
_Oh, non.
Deux piliers barrèrent le cadre alors que Fumio s'y précipitait. Gajeel n'avait toujours pas bougé. Fumio se tourna vers lui, éperdu, le visage suppliant. Le sang qui lui dégoulinait du menton lui donnait l'air pitoyable. Mais les yeux rouges du dragon slayer étaient implacables. Ils parcoururent un instant Fumio, des pieds à la tête, comme pour prendre une décision.
Avec une rapidité sidérante, le bras-pilier de Gajeel s'écrasa sur son genou. Il y eut un craquement épouvantable, suivit d'un terrible hurlement de douleur étouffé. Sans un mot, Gajeel saisit le bras de l'officier effondré sur le parquet, et lui brisa le coude d'un coup sec. Il envoya ensuite son pied dans ses côtes. Après quoi, il se détourna pour prendre le gobelet en carton, renversé sur la moquette, et le porta à son nez. Aucun doute, un narcotique avait été glissé dans ce verre. Fumio avait prévu de droguer Levy.
Et Gajeel savait très bien dans quel but.
_J'imagine que si je l'avais filé au chauve pour le faire analyser, ça aurait suffit. Ça, avec ma parole, j'aurais pu te mettre à l'ombre. Mais franchement... Te foutre en taule, ça me suffit pas. Commenta-t-il platement.
Il le posa sur le bureau de Levy.Fumio, le visage marbré de larmes, de morve et de sang, le suivait de ses yeux désespérés. Il gémit en croisant les yeux rouges de Gajeel.
_Forleone voulait que tu transmettes un message à Levy. Pas vrai ?
Le jeune officier poussa un hurlement, en secouant la tête. Gajeel se pencha sur lui.
_C'est toi qui va lui passer un message de ma part. Chuchota-t-il. S'il envoie encore un de ses types poser un doigt sur elle... Garantis-lui qu'il enviera l'état dans lequel je vais te laisser.
Fumio poussait des sanglots pitoyables, des gémissements de supplication. Sa voix se fit encore plus basse.
_Et ce que tu comptais lui faire... Tu le feras jamais. Ni à elle, ni à personne.
Il abattit violemment son pilier entre les jambes de Fumio. La douleur fut trop vive, et il s'évanouit.
OoOoO
_Comment ça, c'est elle qui a mené la perquisition ?
_Désolé, patron... On vient de l'apprendre. Heureusement que les filles ont été déplacées il y a deux jours... Mais le chef de l'usine sait où elles sont.
_Et notre homme, alors ? Le message qu'il devait faire passer à cette traînée ? Il était sensé lui faire passer l'envie de continuer !
_Je ne...
La grande baie vitrée du bureau de Forleone explosa soudainement. Drusilla DeLuca se jeta sur le Parrain pour le mettre à terre. Son poignet s'abaissa, transformant son bras en un gros canon braqué sur le point d'impact. Les autres hommes présents étaient aussi toutes armes dehors.
Il y eut quelques secondes de flottements, avant que Drusilla ne se relève, aidant son employeur à se mettre debout. Une grosse partie de la baie était brisée, et sur le sol, au milieu des éclats de verre, il y avait un énorme paquet ficelé. Un paquet d'une forme que Drusilla connaissait bien.
_Qui c'est, qui nous envoie un cadavre ? Grommela l'un des hommes.
Comme pour leur donner tort, un râle souleva le paquet. Le type était vivant ! Il y eut un branle-bas de combat, que Drusilla interrompit en s'avançant, et ouvrant son canif. Canif qui s'avéra inutile : des câbles de fer encerclaient le corps. Elle réussit à découvrir la tête, et laissa apparaître la face tuméfiée de Fumio. Il avait six trous étranges autour de la bouche, comme des...
« Des clous. Comprit Drusilla. On lui a cloué la bouche, et on les a retiré ensuite. »
Il en fallait plus que ça pour l'impressionner, mais quand même. Les lèvres de Fumio s'entr'ouvrirent, et elle se pencha pour écouter. Vito Forleone s'était lui aussi avancé. Sa mage se redressa, et transmit le message d'une voix aussi neutre que possible.
Les yeux de Forleone se plissèrent, et une expression de fureur contenue apparût sur son visage.
_On dirait que j'ai eu tort de me concentrer sur la fille.
