Chapitre 8
Levy gravit les escaliers, le cœur battant. Ils ne rentraient pas bredouille, mais c'était tout comme : il n'y avait pas de filles. Si cela la préoccupait, elle ne pouvait pas oublier ce qui s'était passé plus tôt dans la matinée.
Les bras de Gajeel qui l'enfermaient, son souffle dans ses cheveux. L'intensité de son regard, quand il l'avait vue.
Personne n'avait pu lui dire où il était passé, mais elle finirait bien par le retrouver ! Elle entra dans son bureau, et se figea.
Le meuble sur lequel elle travaillait depuis son arrivée au Conseil, un solide bureau en chêne massif qu'elle appréciait beaucoup, était réduit en miettes au milieu de la pièce.
_Yo.
Gajeel était assis en travers de la fenêtre. Il regardait la ville qui s'étendait devant lui. Deux gros trous entouraient le cadre, comme si quelque chose avant transpercé les murs. Levy fit trois pas, et aperçut les mêmes marques autour de la porte. Elle se sentait comme assommée.
_Mais... Que... Oh mon Dieu. C'est encore un coup de Forleone !?
_Nan. C'est moi.
_Toi ?!
Elle le regarda, bouche-bée.
_Tu as perdu la tête ?
Elle était trop sidérée pour se mettre en colère. Ses yeux allaient de Gajeel au tas de bois. Elle n'arrivait pas à réorganiser ses idées.
_Je t'en monterai un autre. Déclara-t-il, toujours sans la regarder. Un autre bureau. Qui sera pas celui-là.
Levy fixa les morceaux de bois. Gajeel avait littéralement transformé le meuble en tas de brindilles.
_Qu'est-ce que tu as vu, dans cette boule ? Murmura-t-elle.
Il ne répondit pas. Elle sentit sa colère monter et exploser d'un seul coup.
_Bon sang, mais tu vas me répondre! S'époumona-t-elle. Qu'est-ce que tu as vu qui te fasses changer mes plans ? Détruire mon bureau ? Pourquoi tu m'as... Pourquoi tu m'as prise comme ça dans tes bras ?
Elle sentit sa voix se briser. La réaction de Gajeel l'avait bouleversée, tant elle ne lui ressemblait pas.
_J'ai le droit de savoir ! Si tu ne me le dis pas, je vais aller le découvrir moi-même avec cette fichue boule de cristal !
_Tu peux y aller. T'y verras plus rien, maintenant.
Sa voix était étrangement calme et tranquille. Levy se figea, au bord des larmes. Elle poussa un cri de rage, et tourna les talons.
_Je t'ai trouvée étendue sur ce bureau.
Elle s'arrêta, la main sur la poignée de la porte. Lentement, elle la referma. Et attendit.
_C'était aussi réel que si j'y étais. Je suis entré ici. Je t'ai vue... Au début, j'étais même pas sûr que tu sois vivante. Tu respirais à peine. Et y'avait tellement de sang entre tes jambes...
Levy ne s'était jamais sentie aussi vide.
OoO
Il ne lui dit pas le reste.
Il ne parla pas du rugissement qui avait jaillit de sa gorge. Un rugissement de fureur pure, qui avait fait exploser toutes les vitres du Conseil, et sans doute résonné jusqu'au palais. De son désespoir, à l'idée que tout ce qu'ils pouvaient construire ensemble venait d'être balayé de la plus ignoble des façons. Elle avait entr'ouvert les yeux quand il l'avait soulevée dans ses bras. Il ne parla pas de son regard vitreux et éteint. Il ne dit rien à propos de l'odeur répugnante de Fumio qui avait imprégné sa peau et s'était mélangée à celle du sang.
Il ne lui dit pas les mots qu'elle avait articulé quand elle l'avait regardé.
« Je veux mourir. »
OoO
_Qui ? Prononça-t-elle d'une voix étranglée.
_Peu importe. Il s'approchera plus jamais de toi.
_Plus ? Parce que c'est quelqu'un que je connais !
Elle avait envie de vomir.
Elle se recroquevilla sur elle-même, et tenta de respirer, comptant les inspirations. Il ne la regardait toujours pas. Soudain, elle comprit quelque chose, au milieu de l'horreur qui la submergeait. Elle trouva la force de faire un pas, puis un autre... Et posa sa main sur son bras.
Ou plutôt, elle agrippa sa manche comme à une bouée. Elle le sentit tressaillir.
_Merci de m'avoir empêchée de toucher cette boule.
Elle savait très bien ce qu'elle y aurait vu, et elle en serait probablement devenue folle. Gajeel l'avait sauvée de plus d'une façon, aujourd'hui. Et finalement, elle se fichait bien de ce qu'il avait fait à l'homme qui l'aurait agressée. Il aurait même pu le tuer, ça lui était égal. Une part très sombre, dans un recoin de sa tête, espérait même qu'il l'avait fait.
Il tourna la tête vers elle, et son cœur battit un peu plus vite. Il ne l'avait jamais regardée comme ça.
_Je t'ai perdue. C'était à peine une seconde, ce n'est pas vraiment arrivé, mais pendant cette seconde, je t'ai perdue.
Il posa la main sur sa joue, et elle sentit sa gorge s'assécher complètement.
_Ce n'est pas arrivé, tu viens de le dire. Souffla-t-elle. Tu ne m'as pas perdue, et tu ne me perdras pas.
Son cœur battait la chamade, et elle se sentait brûlante. Leurs regards ne se quittaient pas. Gajeel se pencha lentement vers elle, et elle ferma les yeux. Elle sent déjà son souffle effleurer ses lèvres. Enfin...
Des coups retentirent à la porte, les faisant violemment sursauter.
Levy faillit hurler de frustration. Pourquoi, pourquoi MAINTENANT, alors que Gajeel allait enfin l'embrasser !
Elle vit distinctement la lueur de regret dans ses yeux rouges, reflet de ce qu'elle ressentait elle-même. Il s'écarta d'elle, et retira sa main alors que la porte s'ouvrait.
_Miss Levy ! Vous... Pardon, je vous dérange ?
Levy se tourna vivement pour faire face au mage qui était entré. Le dragon slayer s'intéressait de nouveau au paysage.
_Que se passe-t-il ? S'enquit Levy.
_Capitaine Redfox, ça tombe bien, on vous cherche aussi. Le restaurant La Dolce Vita, qu'on avait perquisitionné la semaine dernière... Il vient d'être attaqué !
OoOoO
C'était un vrai foutoir.
La grande cour intérieure du restaurant ressemblait à un champ de bataille. Les urgentistes de l'hôpital Sainte-Marguerite, pour les blessures magiques, s'activaient. Des serveurs et serveuses plein de suie et des cuisiniers à l'air hagard se faisaient recoudre ou embarquer dans les ambulances. Tous plus ou moins blessés. Mais apparemment, il n'y avait pas de mort à déplorer. Avaient-ils joué de chance ? Le restaurant n'était pas encore ouvert aux clients.
A l'intérieur, c'était encore pire. Tout était calciné, et il y avait du verre partout, ainsi que du sang. Vers le centre de la grande salle, une grande trace noire marquait l'emplacement où la bombe magique avait explosé.
_Qu'est-ce que tu en penses ?
Gajeel plissa le nez. Levy avançait prudemment, examinant la salle et ses recoins.
_Ils ont tous eu beaucoup de chance, voilà c'que j'en pense. Comment ils disent que c'est arrivé ? Demanda-t-il à Panther Lily, derrière lui.
_Ils ont reçu une pièce montée en carton, à ce que dit le remplaçant du gérant. Ils l'ont mise là (il indiqua la brûlure) en attendant que les cuisiniers la prenne pour la recouvrir de sucre.
_Le genre de gâteau-surprise dans lequel on met une personne ? Demanda Levy.
_C'est ça. Apparemment, un comte devait fêter son anniversaire ce soir. Alors, ce carton spécial était attendu, et le glaçage était prêt. Il s'est écoulé environs cinq minutes, entre la réception du carton, et l'explosion de la bombe.
La même question tournait dans leurs têtes : pourquoi. Pourquoi Forleone avait-il attaqué son propre restaurant ? Ils n'envisageaient pas que ce soit quelqu'un d'autre. Personne n'était assez fou pour l'attaquer de la sorte. Gajeel croisa les bras, debout devant la grosse trace noire. Il parut réfléchir un instant, avant de se tourner vers Levy, qui consultait les notes des premiers témoignages.
_Il est tard. Tu devrais rentrer avec Lily. Je m'occupe du reste.
La jeune femme le regarda avec surprise.
_Tu détestes gérer ce genre d'incident ! Protesta-t-elle. Et...
_T'as besoin de te reposer, et moi, de me défouler. Grogna-t-il. Je crois que je peux retrouver la trace du type qui a fait ça... Et remonter jusqu'à la source.
Levy faillit protester, mais s'abstint. A son expression, elle comprit qu'il resterait inébranlable. Et elle était effectivement très fatiguée... Ce qui l'inquiétait, c'est qu'il l'était aussi.
_Bien. Murmura-t-elle. Je vais rentrer, mais...
Elle ne voulait pas avoir l'air de quémander, mais elle n'avait vraiment pas envie de retourner chez elle.
_Tu reste dormir chez nous. Coupa Gajeel, un peu précipitamment. Enfin, je veux dire... On a cette... Conversation, qu'on doit reprendre... Alors, si tu veux rester encore cette nuit...
Il évitait soigneusement de croiser son regard. Lily ricana.
_Je ne sais pas de quoi il s'agissait, mais ça ne t'arrive pas souvent de bafouiller. Et encore moins de rougir...
_Tch !
Il leur tourna brutalement le dos, et les planta là pour aller examiner la brûlure de plus près.
Levy se mordilla les lèvres. Elle fixa son dos, et effleura sa joue, là où la main de Gajeel s'était posée.
Encore un peu de patience. Juste un peu.
OoOoO
Ils avaient fini par grignoter en l'attendant, mais plus le temps s'écoulait, plus Levy s'inquiétait. Quand les aiguilles de l'horloge atteignirent le 12, elle ne tenait plus en place.
_Il est minuit ! Bon sang, mais où est-il ?
_Il a dit qu'il pouvait retrouver la personne qui a déposé la bombe. S'il la traque, ça peut prendre...
Un coup de sonnette retentit, et la jeune fille bondit de son fauteuil.
_Levy, NON !
Elle se figea alors qu'elle atteignait l'entrée. Qu'est-ce qu'elle pouvait être gourde ! Gajeel ne frappait jamais à aucune porte. Il n'allait certainement pas sonner à son propre appartement !
Lily la rejoignit, armé d'une épée. Ils échangèrent un regard, et Levy jeta un coup d'œil prudent au judas.
Le couloir était vide et noir.
Elle posa une main sur la poignée, l'autre prête à tracer un script, et ouvrit doucement la porte.
Il n'y avait personne. Mais sur le paillasson – qui eût cru que Gajeel puisse avoir un paillasson ? – on avait déposé une enveloppe en papier kraft.
Miss McGarden
Décidément, Forleone était au courant de tout. Levy n'envisageait même pas que ce soit de la part de quelqu'un d'autre.
_Fais attention. Gronda Lily.
Elle prit précautionneusement l'enveloppe, qui était toute légère, et referma la porte d'entrée.
« Trop légère pour une bombe, ou un piège quelconque », pensa-t-elle.
Dans la grande enveloppe en kraft, il y en avait une petite, en papier glacé ivoire. Les mots avaient été tracés à l'emplacement de l'adresse, à l'aide d'une belle encre violette.
Il Figlio. 14h précises.
Venez seule.
Ne retournez pas au Conseil.
Levy avait comme un goût de bile dans la bouche. Quelque chose faisait des petites bosses, dans l'enveloppe. Elle la décacheta, et fit glisser son contenu dans sa main.
Durant un instant, elle observa la dizaine de petits bouts de fer tâchés de rouge, apparue dans le creux de sa paume. Elle les contempla stupidement, son cerveau devenu comme engourdi.
Puis enfin, Levy poussa un hurlement. Ses genoux heurtèrent le sol.
Les piercings arrachés au corps de Gajeel roulèrent autour d'elle comme des billes.
