Dans les bras d'un autre

Chapitre 16

L'accueil de l'hôpital était plutôt calme en cette pâle soirée d'hiver. La salle d'attente, par laquelle il dû passer, n'était occupée que par une famille éparpillée qui avait, visiblement, eu un accident de voiture causée par les chaussées enneigées ainsi qu'une maman qui attendait avec un garçon enfiévré assis sur les genoux.

Aussitôt qu'il fut entre les murs blancs à forte odeur de médicament et d'alcool à friction, Sasuke sentit sa tête lui tourner. C'en était trop. Ces couloirs, qui semblaient ne jamais se finir, avec des tournants et des civières contre les murs. Les infirmières qui passaient, d'autres qui couraient lorsqu'une urgence survenait... Il dut se forcer à faire le vide dans son esprit afin de chasser les souvenirs déchirants.

- Monsieur ? survint une voix.

Il leva la tête et se félicita d'être parvenue au comptoir sans s'être écroulé au milieu du passage. Et à cette pensée, Sasuke se sentit tellement ridicule qu'il s'efforça de reprendre un peu d'aplomb.

- Euh... bonsoir. Je me demandais si monsieur Uzumaki était bien ici. Il a été admis ici un peu plus tôt... blessé lors d'un match de hockey...

- Monsieur Uzumaki... voyons voir, marmonna l'infirmière en déroulant un menu avec la souris, le nez plongé dans l'écran de son ordinateur.

Sasuke attendit en faisant pianoter ses doigts sur le comptoir.

- Il est ici, en effet. Mais c'est pas possible de le voir ce soir, jeune homme, déclara-t-elle avec fermeté. Les heures de visite sont passés.

- Vous pouvez pas faire une exception ? râla-t-il, agacé.

Il n'avait pas fait ce chemin au milieu de la nuit pour rien ? En plus, il détestait les hôpitaux et il faisait un froid à se geler les os dehors.

Mais le regard exaspéré que lui lança la jeune femme le fit réaliser l'heure tardive. C'était complètement ridicule de s'être présenté ici à une heure pareille, Sasuke s'en rendit compte brusquement, comme s'il avait reçu une gifle froide et claquante sur la joue. D'ailleurs, son visage s'empourpra devant l'absurdité de sa demande, de sa présence ici, même. Mais à quoi avait-il pensé ?

- Je vous conseille de revenir demain. Les heures de sommeil des patients sont très importantes et nécessaires à leur guérison...

- Ouais, bien sûr, la coupa-t-il, ennuyé.

Il se détourna, mais rebroussa chemin et revint sur ses pas. La fille de l'autre côté du comptoir semblait aussi agacée de le voir toujours là que lui l'était d'avoir perdu son temps.

- Écoutez, j'ai vraiment besoin de le voir, juste quelques minutes.

- Monsieur, je vous le répète...

- Dites-moi s'il est réveillé au moins, s'obstina-t-il. S'il dort, je repasserai...

- Pourquoi devrais-je faire exception à la règle, jeune homme ?!

- Je m'appelle Sasuke Uchiwa, marmonna-t-il, utilisant ce dernier recourt.

La jeune femme ouvrit la bouche, à peine impressionnée, prête à continuer à débattre avec lui, mais une autre infirmière plus âgée qui passait par là, entendit la conversation et vint vers eux.

C'était une femme grande et d'apparence forte, avec deux longues nattes blondes tombant sur une poitrine généreuse et soulignée par un décolleté presqu'indécent. Sasuke ravala sa salive - il l'avait déjà vue auparavant.

- Excuse-moi, mais est-ce bien toi, Sasuke ? interrogea-t-elle, à moitié soupçonneuse.

- Oui, lâcha le jeune homme, exténué. Mon père a...

- Oui, je sais qui est ton père. Amiko, s'enquit la dame en s'adressant à la jeune infirmière. Laisse-le passer.

- Pourquoi ? s'offusqua l'employée.

- Fais ce que je te dis ! Assure-toi d'abord que la personne qu'il veut voir est réveillée.

Non sans pousser un soupir réprobateur, la dénommée Amiko obtempéra et Sasuke attendit, le temps qu'elle vérifie si Naruto était endormi ou apte à recevoir un visiteur. Pendant cet intermède, il s'éloigna de quelques pas, espérant échapper à ce trop-plein d'anxiogène, mais la femme aux nattes blondes contourna le comptoir pour venir le rejoindre. Génial, songea-t-il avec sarcasme. En plein ce dont il avait besoin.

- Sasuke Uchiwa, déclara-t-elle. Je me demandais si je te reverrais un jour. Non que tu aies de raisons en particulier d'être ici, tu es jeune et en bonne santé, mais...

Il évita son regard, mais le son de sa voix, et la présence de la femme suffisaient à le ramener cinq mois en arrière. Il se concentra sur les murs, sur le plancher, sur tout autre chose que les yeux marrons qui étaient posés sur lui sans doute avec tendresse, à considérer le ton qu'elle employait pour lui parler. Bon sang... La dernière chose qu'il souhaitait, c'était qu'on le traite en pitié.

- Je me demandais comment tu allais, depuis...

- Ça va, asséna-t-il plus directement qu'il ne l'aurait voulu, levant les yeux vers elle. Je vais bien.

Parler de ça, de la dernière fois qu'il s'était trouvé ici, c'était au-dessus de ses forces.

- Tsunade, appela une jeune femme au bout du corridor.

L'infirmière aux nattes ne s'alerta pas de l'appel, continuant de darder son regard sur Sasuke, encore quelques secondes. Le jeune homme la défia silencieusement, puis elle posa une main sur son épaule.

- J'espère que tout se passe bien pour toi. Passe le bonjour à ton père !

Puis elle s'en alla, rejoignant celle qui l'avait interpellé. Entre temps, la fille au comptoir, Amiko, lui fit un signe de la main. Pour une raison qui lui échappait, l'infirmière s'était adoucie.

- Monsieur Uzumaki est toujours réveillé, dit-elle. Il vient de passer quelques tests, mais je doute qu'il tienne encore longtemps avant de tomber de fatigue. Vous devriez faire vite. Il est à cette chambre-ci, indiqua-t-elle en lui passant un bout de papier sur lequel elle avait gribouillé. Pour vous y rendre, prenez l'ascenseur au bout du couloir à gauche et ensuite...

Sasuke ne l'écoutait plus. Pas besoin de son itinéraire, même s'il prit tout de même la petite note, qu'il fourra dans sa poche de manteau.

Cet hôpital, il le connaissait par cœur.


Lorsque Sasuke entra dans la chambre, Naruto était couché sur le lit, une main sur le front, son corps légèrement courbé sur le côté. Une lampe était allumée sur une petite table à côté. À sa vue, Sasuke sentit une chaleur envahir ses entrailles, et de petits papillons se mettre à s'envoler dans son ventre.

Il approcha lentement, jetant un regard hésitant derrière lui, avant de faire face au blond.

Ce dernier ne s'aperçut de sa présence que lorsqu'il fut installé sur une chaise qu'il avait attrapé dans un coin de la pièce et ramené près du lit.

Les yeux bleus s'ouvrirent plus grand et il parut un moment déstabilisé.

- Sas… Sasuke ?

Son regard semblait confus, lustré, comme s'il était à moitié dans le brouillard – et c'était probablement le cas. Sasuke ne pouvait décidément pas croire qu'avec un impact comme celui qu'il avait subi sur la patinoire, Naruto n'avait pas rien de moins qu'une commotion cérébrale.

- Hey. Comment ça va ?

Naruto eut une sorte de petit sourire timide, qui retourna complètement Sasuke, causant de drôles de sensations partout en lui. Le rythme de son cœur prit de la vitesse, tandis qu'il contemplait les traits si parfaits du blond. Masculins, mais doux aussi. Angéliques, presque, quand il était ainsi au repos. Il avait l'air si innocent, avec ses mèches blondes débraillées et ses yeux bleu de poupon. Bon sang, ce devrait être interdit d'être aussi mignon, et Sasuke ne sut exactement d'où lui vint ce soudain sentiment protecteur, mais c'était sans doute l'émotion la plus puissante qu'il eut ressenti depuis la mort de sa mère.

- Qu'est-ce que tu fais ici ? murmura Naruto, presque comme s'il n'y croyait pas.

- Je tenais à m'enquérir de ton état, qu'est-ce que tu crois…

- C'est gentil de ta part, s'étonna Naruto.

Il tenta de se redresser sur le matelas grinçant. Sasuke fronça les sourcils, inquiet de le voir grimacer.

- T'inquiète pas pour moi, j'ai l'air plus mal en point que je le suis vraiment.

- Tu rigoles ? murmura Sasuke.

Il avait un sacré coquard sur le côté du visage, et une petite entaille sur le haut du nez. C'était sans parler des hématomes qui devaient sûrement couvrir son corps. Le corps sous cette robe d'hôpital flottant et légèrement trop grande qu'on lui avait sûrement donnée à son arrivée ici. Sasuke tenta de ne pas trop se laisser emporter par des pensées inappropriées en cet instant de vulnérabilité pour le blond, mais son cœur s'emballait déjà, et trop vite.

Naruto finit par s'assoir sur le lit, plaçant un oreiller derrière son dos à la verticale pour pouvoir s'y appuyer sans trop de mal.

- Qu'est-ce que tu fais vraiment ici, Sasuke ? demanda Naruto à voix basse.

Il n'y avait rien de brusque dans sa question et son ton, rien qui ne supposait un jugement de quelque sorte, ou un désaccord quant à sa présence ici. Au contraire, et Sasuke s'en attristait : Naruto semblait se demander pourquoi quelqu'un comme Sasuke s'embêterait à minuit et demi à venir le voir à l'hôpital, pourquoi quelqu'un s'inquièterait de son état. Et si c'était vraiment ça, si Sasuke ne se trompait pas, c'était la chose la plus triste qu'il pouvait imaginer.

Naruto pensait-il qu'il ne valait rien ? Même pas une pensée ? Pensait-il qu'il ne méritait pas qu'on vienne se renseigner sur sa santé ? Il n'avait pas de frère et sœur, ses parents avaient été emportés tous les deux avant leur temps, laissant Naruto orphelin et seul au monde. Avait-il des oncles, des tantes ? Une famille éloignée ? N'avait-il rien ? Rien… à part Sai.

À l'évocation du petit ami de Naruto, Sasuke sentit son corps se raidir, ses doigts se resserrer sur ses cuisses. Naruto n'avait personne au monde à part un mec toxique, rempli de merde et qui ne prenait pas soin de Naruto comme Naruto méritait d'être cajolé et aimé pour toutes les parcelles de son être. Parce qu'il était quelqu'un d'extraordinaire.

- Sasuke ?

Le jeune homme secoua la tête rapidement, chassant ses lourdes pensées. Il rencontra les yeux du blond.

- Quoi ?

- Il est tard, très tard.

- Itachi a appelé et je… je n'aurais pas pu dormir sans savoir si tu allais bien.

Naruto le dévisagea longuement.

- Faudra que je pense à dire à Itachi de ne pas t'inquiéter pour rien à des heures pareilles…

- Naruto, s'exclama Sasuke sans pouvoir se retenir. Je ne suis pas un enfant. De toute façon, je l'aurais su autrement.

- Comment ça ?

- C'est partout sur internet…

- Oh mince alors.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

Naruto haussa les épaules, détournant le regard.

- Ce qui arrive souvent dans une partie de hockey…

- Tu étais distrait ?

- Je n'ai pas vu arriver l'autre joueur et nous sommes entrés en collision, y'a rien à expliquer…

Sasuke l'observa, comme s'il se rendait compte qu'il n'avait pas fini. Après quelques secondes, Naruto continua :

- …mais ouais, j'étais distrait. Je n'étais pas concentré au maximum comme j'aurais dû l'être.

- Pourquoi ?

- Je sais pas trop…

Il se renfonça légèrement contre l'oreiller, les bras croisés sur son torse. De cette manière, Naruto avait l'air terriblement frêle et petit, comme s'il voulait disparaître. C'était une illusion réellement trompeuse, alors que Sasuke le savait grand et large. Et cette vue renforça son désir de le couver et le protéger. Ça n'avait aucun sens alors que depuis cinq mois, Sasuke ne pensait qu'à se protéger lui-même, ne pensait qu'à se barricader dans sa propre cage afin de ne pas être blessé davantage, et désormais…

Il y avait une ombre dans le regard jovial et tendre de cet homme, que Sasuke avait plus que jamais envie de faire disparaître. Rien ne lui semblait plus pressant. Plus important.

Naruto se tourna soudain et indiqua la table de chevet, qui se trouvait hors de sa portée.

- Tu me passerais mon portable ?

Sasuke étendit le bras et récupéra le téléphone, qu'il remit ensuite à Naruto. Leurs doigts se frôlèrent dans la manœuvre et il frissonna.

- Les gars doivent être en route pour Suna… baragouina le blond, presque boudeur.

Il continua à tapoter sur son écran, la moue sur son visage se renfrognant davantage, et l'ombre obscurcissant ses yeux un peu plus.

Ce ne fut qu'au bout d'une minute que Sasuke comprit : Naruto devait attendre désespérément son amoureux.

Innocemment, Sasuke déclara :

- Sai a dû se buter à l'infirmière de l'accueil.

Naruto leva un œil agrandi et surpris vers lui. Ça lui brûlait la langue de défendre Sai, mais si ça pouvait remonter le moral de Naruto, alors c'était au moins ça.

- Elle… a interdit les visites.

- Mais comment t'as réussi à passer ?

- J'ai fait jouer mes relations, disons… Hum. Tu ne le sais sûrement pas, mais mon père n'est pas juste avocat, il est aussi ultra riche et très… « populaire » dans la haute société de Konoha. Il a un intérêt pour le droit, les arts, mais surtout la médecine, et la philanthropie. Quand j'étais plus jeune, il donnait souvent des soirées de levée de fonds pour différentes causes. Avant que ma mère tombe malade, et… même pendant sa maladie, il fait don de gros financements à l'hôpital.

Naruto parut impressionné.

- Dis donc…

- Alors une infirmière m'a laissé passer, elle m'a reconnu.

- Je l'ignorais, lâcha Naruto. Ton père est un chic type, franchement.

- Hm… sans doute, marmonna Sasuke en baissant la tête.

- Tu t'entends bien avec ton père ?

Sasuke ne répondit pas immédiatement. Naruto garda son regard sur lui, le fixant avec un soupçon d'inquiétude.

- Tu ne parles pas souvent de lui, c'est pour cette raison que je demande…

- Ouais. On peut dire, même si on a nos moments, répondit Sasuke évasivement, en relevant le menton.

Leur regard se rencontrèrent et, longuement, ils se perdirent dans les yeux de l'autre. C'était tranquille, la chambre était petite, mais il ne la partageait avec personne d'autre, et les couloirs étaient plutôt déserts, même si on entendait de temps à autre des pas précipités d'infirmières qui faisaient leur ronde. Parfois les roues grinçantes des civières.

- Merci d'être passé, Sasuke, ça veut dire beaucoup pour moi, déclara soudain Naruto.

Sasuke ouvrit les lèvres, mais Naruto le devança :

- Non, je suis sérieux. Je… honnêtement, Sasuke, je ne sais jamais à quoi tu penses, ni ce qui se passe dans ta tête, tu es si mystérieux que je me demande toujours à quoi m'en tenir avec toi. Tu es distant, à des kilomètres, en fait… et j'imagine que ça s'explique, après tout tu traverses un moment terriblement difficile. Mais s'il y a un truc dont je suis toujours absolument certain à propos de toi c'est que tu tiens à moi.

Le blond rougit adorablement et poursuivit.

- Tu es toujours présent… distant mais présent, comme un pilier, et j'apprécie beaucoup. Ça fait un bien fou d'avoir quelqu'un comme toi dans ma vie. Et si tu continues comme ça tu vas finir par remplacer Itachi dans le rôle de mon meilleur ami !

Ami. Ami, ami, ami, ami, ami. Meilleur ami. Les mots tournèrent dans sa tête.

Le discours passionné de Naruto le touchait au plus profond de son cœur, mais Sasuke essaya d'ignorer le pincement douloureux que ces deux derniers mots lui causèrent. Car ce pincement n'avait pas sa place… À quoi pouvait-il espérer, vraiment ? Naruto était pris. Il était pris et il faudrait bien qu'il le comprenne un jour ou l'autre.

Il sursauta presque lorsque Naruto posa sa main sur la sienne. Elle était toute chaude… et enveloppait la sienne si facilement.

- Alors merci d'être là, Sas.

Sasuke allait répondre, la gorge serrée et les mains moites – d'ailleurs l'une de ses mains était toujours prisonnière de celle de Naruto – mais le blond sursauta.

- Oh, voilà Sai qui m'appelle, enfin
- Je te laisse, dans ce cas, souffla Sasuke.

Naruto répondit à l'appel et leva un dernier regard, d'un bleu un peu plus illuminé, vers Sasuke, lui envoyant un message silencieux mais Sasuke ne put le déchiffrer. Merci d'être là ? Merci d'être mon ami ? Je t'adore ? Je tiens à toi, moi aussi ? Bonne nuit ? On se voit plus tard ? Il n'en sut trop rien. Il ne fut que trop conscient de la voix du blond qui résonna dans la chambre dans les secondes qui suivirent, alors qu'il s'éloignait vers la porte…

- J'avais hâte d'entendre ta voix…

Le cœur plus que jamais serré dans sa poitrine, Sasuke s'éclipsa enfin, se faufilant dans les couloirs qu'il détestait pour s'enfuir dans la nuit froide.


A suivre...


Un petit chapitre pour la semaine :)

Merci à tous pour vos beaux commentaires, j'adore vous lire, et j'espère que vous avez apprécié ce petit chapitre. Comment pensez-vous que leur relation va enfin éclore ?

Bisous,

Tch0upi